La Grand-messe de Céline vécue par un « infidèle »

Je ne peux que joindre ma voix à celle du chroniqueur du Soleil François Bourque qui commentait ce matin la grand-messe du vendredi soir. Lui, comme moi, « …a revu Québec, fébrile et fière d’être un soir encore le centre du monde. Sur la route des Plaines, la procession des fidèles marchait dans l’allégresse…en direction ouest sur Grande Allée, face au soleil couchant, le peuple élu, les appelés de Dieu, détenteurs des billets donnant accès aux meilleures places…dans l’autre direction, les pécheurs sans papiers. Un long pèlerinage vers les lieux saints ». Les fidèles prenaient ainsi place devant l’autel de la diva bien aimée.
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Avec les pécheurs, je me suis retrouvé accroché à la clôture en fer forgé qui borde l’extrême nord des Plaines dans ce secteur, face à face à un « infidèle », un enseignant de la région de Toronto qui avait prolongé les vacances de son couple à Québec d’une journée afin d’assister à la grand-messe. Il se vantait des grandes célébrations auxquelles il avait déjà participé : AC-DC, Rolling Stones, New Orleans Jazz Festival (trois fois), etc. Tout cela, cependant, ne l’avait pas préparé à la spécificité de ce qu’il allait vivre vendredi soir. Jack, un nom de ma fabrication parce qu’il ne m’a pas donné le sien, a dû ressentir dans cette foule un peu ce que j’avais ressenti en 1977, en assistant à un match de football réunissant deux équipes d’universités louisianaises dont la population estudiantine est afro-américaine à plus de 90%, Southern et Grambling. La joute, tenue dans le Super Dome de la Nouvelle-Orléans, constitue possiblement le plus grand « happening » de l’année chez les Afro-Américains qui comptent quand même 32% de la population de l’État. Endimanchés au possible en ce samedi après-midi, ils remplissaient l’enceinte pour encourager leurs équipes respectives. Assise à ma gauche, ma conjointe, à ma droite, un ami, autour de nous 69 997 visages noirs.
Pauvre Jack! Au fur et à mesure que les fidèles arrivaient, il entendait de moins en moins sa langue. Il s’énervait visiblement. Une chance que j’étais là! Par contre, le fait de converser avec « un Américain de Seattle » qui avait choisi d’élire domicile à Québec en 1971 et qui semblait s’en tirer pas mal—car il est encore là—le déboussolait passablement. Dans sa tête de « bloke », un Anglo à Québec ne pouvait que se sentir persécuté, seul et malheureux.
-Quelle est la raison principale pour laquelle vous aimez vivre ici? demande Jack.
Rapidement, j’énumère trois raisons :
1. La qualité de vie ici est supérieure à toute autre ville que j’ai connue.
2. Le rythme de vie ici respecte l’être humain.
3. La ville permet à celui ou à celle qui aime la langue française et qui désire vivre en français de le faire pleinement. C’est la seule grande ville en Amérique du genre.
Les deux premières explications lui ont plu. La troisième était pour lui incompréhensible. À un moment donné, à la suite de mes révélations concernant l’identité des invités de Céline (Garou, Zachary, les Aiëux, Dan, Éric, Jean-Pierre, Ginette, etc.), tous des francophones dont il n’avait jamais entendu parler, Jack m’a chuchoté « mais elle va chanter en anglais, n’est-ce pas? »
« J’espère que non! » lui dis-je. Il me regarde de travers.
Mon nouvel ami a pu « tuffer » la première demi-heure du spectacle, mais c’était plus fort que lui. Il ne comprenait pas les paroles des chanteurs, ni la langue « étrangère » parlée par les gens autour de nous. De plus, il s’inquiétait de sa voiture stationnée à l’université Laval et de comment il ferait pour la retrouver et retourner à son motel à Sainte-Anne-de-Beaupré.
Vers 21h30, il en avait eu assez. « Quel autobus avez-vous dit? »
« Le 800 ou le 801 ».
Sur cela, Jack a empoigné le bras de son épouse et ils ont disparu dans la nuit.
Et les fidèles ont communié jusqu’aux petites heures!.
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