Wallace Stegner et l’Ouest américain

Tout de suite en entrant au City Lights Books, j’ai vu un nom et un visage qui m’étaient autrefois familiers, ceux de Wallace Stegner. Oui, à l’époque où j’habitais l’Utah et, par la suite, l’État de Washington, les écrits de
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Stegner faisaient partie de mon quotidien. Il était le premier, au vingtième siècle, à chroniquer le vécu de cette région la plus neuve des États-Unis (l’Ouest). Son roman Angle of Repose (1971) a gagné un prix Pulitzer. The Spectator Bird (1976) a suscité un intérêt national et international envers la vie et les paysages de l’Ouest. Mormon Country (1942) analyse de manière objective, du point de vue de l’ « outsider », l’extraordinaire paysage ciselé sur une période de cent ans par ces réfugiés religieux de l’Est. Wolf Willow : A History, a Story, and a Memory of the Last Plain Frontier (1962) raconte la vie au sud-ouest d’une province nouvellement créée, la Saskatchewan, car Stegner, né en 1909 au Dakota du nord, y passe un grand pan de son enfance avant de suivre son père nomade en 1920 à Great Falls, au Montana, puis à Salt Lake City peu de temps après. Ce ne sont là que quatre des plus de quarante ouvrages de fiction et de non fiction témoignant du statut de Stegner comme l’un des plus grands défenseurs de l’environnement de son époque.
Évidemment, je ne pouvais ne pas acheter cette biographie que j’ai lue rapidement, savourant chaque paragraphe, découvrant l’homme derrière le rideau, emphatisant avec le professeur d’université (Stanford) pris dans les engrenages d’une grosse université de recherche et dans les querelles intestines de son département et partageant sa rage devant le viol des paysages de l’Ouest, viol que je qualifie de « californication ».
Deux semaines après avoir terminé ma lecture de Wallace Stegner and the American West, je traversais de nouveau la « dernière frontière de plaine » dont il est question dans Wolf Willow. À l’extrémité est
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des Montagnes aux cyprès, ces petites collines qui se démarquent clairement de la plaine, se trouve le village de Eastend (population 560) où Stegner a vécu jusqu’à l’âge de 11 ans. Il n’est retourné à Eastend qu’une fois dans sa vie, en juin 1953 pour recueillir des informations en vue de la rédaction et de la publication de Wolf Willow. Selon Fradkin, son biographe, il se comportait « comme un espion revisitant son passé ». Quatre ans plus tard, alors que la recherche sur ce livre tirait à sa fin, Stegner écrivait à un ami que tous ceux qu’ils avaient rencontrés au cours de la préparation de son livre étaient : « …full of homesickness for the place. And this is a strange thing, isn’t it? I remember it [Eastend] better than any place I ever lived ».
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Sans nécessairement le vouloir, cet homme de l’Ouest, mort en 1993, dont les cendres ont été répandus loin de son Ouest bien-aimé, près de sa résidence d’été au Vermont (quel paradoxe!) évoque une vérité : peu importe où nous voyageons, peu importe le nombre et la distance des déplacements, peu importe les tentatives d’enracinement ailleurs et peu importe notre longévité, les lieux dont nous nous souvenons le plus sont ceux de notre enfance.