Rencontre dans les airs avec un Chevalier de Colomb

Comme c’est agréable de ne pas passer par Montréal pour se rendre aux États-Unis par vol commercial. Le 10 janvier, à 8h10, j’ai pris le vol 2869 de Northwest Airlink vers Détroit avec correspondance à Salt Lake City. À 14h10 (MST), je me trouvais déjà dans l’étreinte de ma soeur. Entre temps, assis dans mon siège 17-C de l’airbus 319, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Donald Bouchard, assis, lui, dans le 17-B, à côté d’une Américaine d’origine coréenne, dans le 17-A, qui ne cessait de lire de sa bible en prenant des notes à profusion. Donald partit tôt le matin de Portland, au Maine, à destination de Tucson, en Arizona, afin participer, avec 475 autres agents du KoC de partout aux États-Unis, à l’assemblée annuelle des agents des Chevaliers de Colomb dont Don est membre au quatrième degré. De chez lui, il s’occupe des dossiers des gens de sa région qui se prévalent de ses services pour l’obtention d’assurance vie et autres.

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L’histoire de Don est intéressante et en dit long sur l’évolution récente de cette capitale franco-américaine qui enjambe la rivière Androscoggin, au sud du Maine. Jeune homme, il n’a que 36 ans. Lui et son frère jumeau sont les cadets d’une famille de sept enfants dont le père est décédé en 1990 et la mère en novembre dernier à l’âge de 63 ans seulement. Sa grande soeur, la plus vieille de la famille n’a que 47 ans. Leurs parents sont nés aux États-Unis, enfants d’immigrants de Trois-Rivières, du côté paternel, et de Magog, du côté maternel. Don ne pouvait me dire avec précision la date d’arrivée dans le Maine de ses grands-parents, mais ils devaient faire partie des dernières vagues en provenance du Québec, avant la fermeture de la frontière canado-américaine en 1929. Sa mère était la dernière de douze enfants et a passé une partie de sa jeunesse, avant la fermeture de l’usine, à travailler dans le complexe industriel formé autour du Bates Mill, à Lewiston.

Mes conversations avec Don se poursuivirent évidemment en langue anglaise car son français était fort laborieux, ce qui le mettait visiblement mal à l’aise. Par contre, si j’avais eu affaire à sa soeur, cette situation ne se serait pas produite car elle parle couramment la langue de ses ancêtres. Pourquoi cette différence? Peut-être trois explications: école, relation filiale, société ambiante. D’abord, la grande soeur a eu l’occasion de fréquenter l’école paroissiale au moment où une partie considérable de son cursus s’offrait encore en français (années 1960). L’école paroissiale franco-américaine se trouvait alors dans ses derniers balbutiements, soit qu’elle fermerait soit qu’elle deviendrait une école comme les autres de point de vue langue d’enseignement. Lorsque Donald est arrivé à la même école, sa vocation linguistique avait changé, la langue française avait complètement disparu. Ensuite, la grande soeur, compte tenu du petit écart entre son âge et celui de sa mère jouissait d’une situation privilégiée auprès de celle-ci. Selon Don, leur relation ressemblait davantage à celle entre deux soeurs qu’entre mère et fille. Maman parlait français avec sa fille et l’initiait à une certaine vie française en l’emmenant régulièrement au Québec assister aux concerts de l’un de ses favoris, Johnny Farrago. Maman y achetait des disques qu’elle écoutait par la suite avec sa fille à Lewiston. Enfin, l’anglicisation/américanisation, la disparition de l’industrie du textile et la réussite économique tardive des Franco de Lewiston-Auburn faisaient en sorte que les Petits Canadas, avec leur institutions ethniques, disparaissaient rapidement les unes après les autres.

Le Messager de Lewiston, par exemple, cessa publication en 1966. Donald prétendait l’avoir vu sur la table de cuisine chez eux, ce qui est impossible compte tenu de sa date de naissance. Il reconnaît d’emblée son tort de ne pas parler français: after all, dit-il, it’s my heritage. Malgré ce voeu pieux et malgré le fait que bon nombre des vieux Chevaliers de Colomb qu’il dessert en tant que commis de bureau et responsable de leurs dossiers préfèrent obtenir le service en français, sa vie se poursuit exclusivement en anglais. Don connaît le Franco-American Heritage Center, nouvellement aménagé dans la magnifique église Sainte-Marie désacralisée, mais ne sait rien de la Collection franco-américaine, les plus importantes archives franco-amércaines de l’État du Maine, conservées sur le campus de l’University of Southern Maine, Lewiston-Auburn Campus. Il n’en savait pas plus sur l’excellent volume, Voyages: A Maine Franco-American Reader, publié l’an dernier par Barry Rodrigue et Nelson Madore.

Comme je fais toujours dans de pareilles circonstances, j’ai suggère à Donald de se réorienter géographiquement, de penser plus en termes « nord-sud » et moins en termes « est-ouest », et de séjourner au Québec afin de se retremper dans la culture de sa mère patrie. Il m’informe que depuis trois ans, il a fait deux voyages à Québec, une fois seul, une fois accompagné de son épouse d’origine irlando-américaine et de leur fille. Les deux fois, il s’est logé au « Château de Frontenac ». Ses promenades se limitèrent donc au Vieux-Québec où, dit-il, « tout le monde parle anglais ». Hélas…

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