Les livres savants sur la francophonie canadienne se multiplient

Chez Septentrion, Territoires francophones : études géographique sur la vitalité des communautés francophones du Canada, réalisé sous la direction du géographe, Anne Gilbert, vient de paraître—un autre gros livre de plus de 400 pages consacré à la francophonie canadienne. Bientôt, je livrerai mon opinion à son sujet.

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Ce qui suit est une recension d’un autre livre du genre publié en 2008 chez Fides, rédigée par moi-même, et parue dans les Cahiers de géographie du Québec, 53:150, 2009, pp. 470-472.

THÉRIAULT, Joseph-Yvon, GILBERT, Anne et CARDINAL, Linda (dir.)

L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations

Il y a un quart de siècle, en publiant Du continent perdu à l’archipel retrouvé: le Québec et l‘Amérique française, nous nous sentions bien seuls. Des collègues chercheurs nous mettaient en garde contre les écueils sur lesquels échoueraient nos carrières en battant un cheval mort! « L’Amérique française ? C’est fini cette histoire-là », chuchotaient les uns. « Mettez-vous à la fine pointe des recherches en études canadiennes et québécoises », marmonnaient les autres. Pourtant, nous avons persévéré et croyons avoir pavé la voie vers un nouveau champ d’études valable, contribuant à l’émergence d’un réseau de recherche original, celui de la recherche en francophonie canadienne, centré partiellement, mais pas exclusivement sur le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) à l’Université d’Ottawa et l’Institut canadien de recherche sur les langues officielles (ICMRL) à l’Université de Moncton. D’ailleurs, ce sont ces deux institutions du haut savoir en francophonie canadienne, avec l’appui du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, qui se sont concertés pour assurer la parution de L’Espace francophone en milieu minoritaire au Canada.


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Le sous-titre de cette brique de 562 pages, contenant 13 articles, écrits par 19 auteurs, séparés en trois sections (Populations, communautés et représentations de soi; Institutions, espaces et mobilisations; Politique, droit et autonomie) exprime bien son objectif : faire le point sur les enjeux et les mobilisations des minorités francophones du Canada depuis la parution dix ans plus tôt (1999) d’un autre ouvrage d’envergure, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux.

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Mis en parallèle, les titres de ces deux anthologies pourraient faire croire que les enjeux et les mobilisations consécutifs à l’adoption en 1982 de la Charte canadienne des droits et libertés ont transformé la réalité franco-canadienne. Des lieux—francophonies au pluriel—on serait passé à un espace—francophonie au singulier. Or, tel est loin d’être le cas. La plupart des textes ici en témoignent et les déplacements sur le terrain le démontrent. Il n’y a pas de retour vers une identité pancanadienne. D’abord, est-ce qu’il y en a déjà eu? Les Acadiens, par exemple, n’ont jamais été des Canayens ni des Canadiens français.

À des fins de cette recension, deux chapitres du livre sont particulièrement pertinents, celui des géographes Anne Gilbert et Marie Lefebvre et celui du politicologue Anne-Andrée Denault. En faisant appel à la notion de vitalité linguistique en milieu minoritaire, Gilbert et Lefebvre évoquent l’existence d’un « espace sous tension ». Pour en faire l’analyse, elles définissent et opérationnalisent le concept. Elles découvrent des milieux de vie extrêmement fragiles et remarquent une situation paradoxale où les jeunes s’anglicisent de plus en plus tout en faisant preuve d’une grande confiance dans l’avenir. Pour ces deux chercheures, deux thèses s’affrontent en ce qui a trait aux communautés francophones du Canada, l’une davantage pessimiste, l’autre légèrement optimiste. Elles croient prématuré de privilégier l’une ou l’autre.

Pour sa part, Denault se penche sur l’épineuse question des rapports entre les Québécois et les Francophones hors Québec (comme on le disait aux années 1970 et 1980). Elle examine les positions tenues par les divers gouvernements du Québec de 1970 à 2007 à l’égard des minorités francophones. Au cours de son analyse, elle cherche à vérifier l’affirmation suivante tant véhiculée depuis les États généraux du Canada français de 1967 : le Québec a abandonné les francophones des autres provinces! Denault prétend que toutes les formations politiques du Québec, peu importe leur couleur, ont eu un souci immuable à l’endroit des francophones de l’extérieur du Québec. L’État québécois, à travers le temps et par le biais de son Secrétariat des affaires intergouvernementales canadiennes, a tenté d’encourager et de faciliter la collaboration avec les communautés franco-canadiennes et acadienne. Cette évolution a abouti, selon Denault, à l’inauguration à Québec le 17 octobre 2008 du Centre de la Francophonie des Amériques dont la mission est « de contribuer à la promotion et à la mise en valeur d’une francophonie porteuse d’avenir pour la langue française par le renforcement et l’enrichissement des relations entre francophones et francophiles ». Son texte fait toutefois abstraction du Secrétariat permanent des peuples francophones (SPPF), établi sous le patronage du Parti Québécois en 1978 et démantelé par les Libéraux en 1992. Bien qu’à vocation internationale, le nouveau Centre des Amériques fait la plus grande place à la francophonie canadienne.

Si le titre d’un livre contient le mot « espace », les lecteurs—et surtout les géographes—peuvent s’attendre à y voir des cartes. Or, dans cet ample ouvrage, il n’y en a qu’une. Vers la fin du livre (page 521), Johanne Poirier de l’Université libre de Bruxelles, dans un article portant le lourd titre « Au-delà des droits linguistiques et du fédéralisme classique : favoriser l’autonomie institutionnelle des francophonies minoritaires du Canada », essaie d’illustrer son propos à l’aide d’une carte quasi illisible intitulée « Proportion des communautés de langue officielle en situation minoritaire par première langue officielle parlée (PLOB) ». Fiouf! Cette lacune cartographique explique partiellement l’absence d’une liste des figures qui aurait pu se justifier compte de la présence d’une douzaine de photographies saupoudrées à travers les pages. Comparé à son parent, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux, richement illustré, Espace francophone au Canada fait pitié. Autre carence, un index, instrument fort utile dans un très long ouvrage de référence. Par contre, chacun des 13 articles est abondamment documenté par une bibliographie la plus à jour possible.

Si au début des années 1980, les chercheurs chevronnés en sciences sociales au Québec se moquaient de ceux qui tentaient de « déterrer des vieilles histoires du Canada français », tel n’est plus le cas. Ce livre, marqué par une grande participation de jeunes chercheurs de la nouvelle génération, en est la preuve. Les recherches en francophonie canadienne vont bon train, mais il s’agit là d’un champ tronqué—partiel. Les francophones des États-Unis sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada à l’extérieur du Québec. Ceux de ce pays qui se disent d’origine ethnique française, canadienne-française ou acadienne sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada, y compris le Québec. Force est de s’en rendre compte, d’engager un dialogue avec des chercheurs poursuivant des études sur les autres collectivités franco des Amériques et d’élaborer un champ d’études véritablement franco-amériquaines. Aujourd’hui, cette mission s’inscrit explicitement au programme d’action du Centre de la recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) à l’université d’Ottawa.


Pays de la Sagouine ou King’s Landing: choix difficile

Le Nouveau-Brunswick est bien servi en parcs d’attraction. Trois sites ont été aménagés ces dernières années pour présenter et interpréter les principales cultures en présence dans cette seule province officiellement bilingue du Canada qui compte environ 750 000 habitants dont le tiers de langue française et les autres largement d’ascendance loyaliste (population réfugiée restée fidèle à la couronne britannique lors de la guerre d’indépendance des treize colonies américaines). Le Forum des jeunes ambassadeurs à Moncton m’a fourni l’occasion cette semaine de visiter deux des trois : Le Pays de la Sagouine et King’s Landing. Ayant visité en octobre 2002 (hors saison), le Village historique acadien, à Caraquet, je n’en garde qu’un vague souvenir. Ce court récit se limitera, donc, aux impressions glanées sur les lieux d’un site d’attraction touristique acadien, d’une part, et d’un centre touristique loyaliste, d’autre part. Le premier est un « centre de célébration », tandis que le deuxième est davantage un « centre d’interprétation ».

Le Pays de la Sagouine, situé à 60 km au nord de Moncton, célèbre l’œuvre littéraire d’Antonine Maillet et, par ricochet, la survie d’un peuple voué en 1755 à la disparition par déportation. Le visage de la Sagouine, cette femme de ménage imprégnée de sagesse et du gros bon sens, annonce l’entrée sur le site à Bouctouche.

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En suivant le sentier qui passe devant le restaurant L’Ordre du bon temps qui offre un buffet acadien et un brunch acadien, selon les jours et les heures, et des soupers théâtre la plupart des soirs d’été, on arrive au pont qui mène à l’île-aux-Puces, là où habitent les personnages issus de l’imaginaire fécond de Mme Maillet : Citrouille, Nome, Peigne, Michel-Archange, la sainte, les chicaneuses, les filles du barbier, les catchineux et les autres qui divertissent par la parole et par le chant. Le cœur est à la fête et les plus grosses dansent avec les plus maigres!

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King’s Landing est une tout autre histoire. Il ne s’agit pas d’une célébration de la vie et de la survie, mais plutôt de l’interprétation d’une époque révolue et d’un espace méconnu. A été reconstitué sur les rives du Saint-Jean, à 40 km à l’ouest de la capitale, Fredericton, le milieu rural—loyaliste et victorien—du Nouveau-Brunswick du dix-neuvième siècle. Contrairement aux structures (maisons, granges, hangars, etc.) du Pays de la Sagouine, celles de King’s Landing sont authentiques, ayant été récupérées, déplacées et aménagées à la fin des années 60, avant la construction du barrage, car bons nombreux d’entre elles étaient menacées par le niveau d’eau. Aujourd’hui, dans un cadre naturel enchanteur, le personnel en costume d’époque tente d’interpréter avec exactitude la vie d’autrefois.

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Ce qui fait le charme de King’s Landing par rapport au Pays de la Sagouine, c’est la présence d’animaux et les odeurs de la basse-cour! Partout, ça pue! Mais ça pue agréablement! L’odeur des excréments se mêle à celle des champs en production, à celle de fumée émanant de la forge et à celle engendrée par la meunerie et la scierie. Les chevaux transportent les visiteurs qui le désirent et les bêtes à cornes et les moutons leur font des sourires.

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Cette année, pour la première fois, la Sagouine parle anglais! Deux fois par jour, à 11h et à 14h, est présenté en anglais des Maritimes l’un de ses monologues. Les uns disent que c’est par choix pour rendre la culture acadienne accessible aux anglophones et pour favoriser une plus grande compréhension culturelle. Les autres disent que c’est par nécessité, à cause de la récente baisse de fréquentation au site, le marché francophone, largement québécois, étant peut-être saturé. Cette question ne se pose pas à King’s Landing où le bilinguisme à la canadienne emporte…pour le meilleur ou pour le pire!


Commentaire sur le Forum des jeunes ambassadeurs de la francophonie des Amériques

Le Forum des jeunes ambassadeurs, organisé pour la deuxième année de suite par le Centre de la francophonie des Amériques, avec le concours de l’Institut du Nouveau Monde, se poursuit à Moncton. J’ai eu l’occasion d’y participer en faisant partie d’une table ronde avec mes collègues Réjean Beaulieu, Hanetha Vété-Congolo, et Jean-Claude Redonnet et en observant le déroulement des activités tout aussi intéressantes les unes que les autres.

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Le F minuscule dans le nom du Centre est significatif. Il n’est pas, dans les mots de son directeur et président, Michel Robitaille (deuxième de la gauche), une institution comme les autres. Non, il s’agit plutôt d’un centre axé sur les gens du peuple—au service de ceux-ci. Le forum, dont la présidence d’honneur revient cette année à Marie-Jo Thério, chanteuse populaire d’origine acadienne (au centre de la photo), est une tentative d’aller chercher la jeunesse francophone des Amériques dans le but de briser l’isolement qui caractérise les populations habitant les îles et îlots de l’archipel franco d’Amérique. N’était-ce pas Zachary Richard qui avait dit lors du lancement de son album « Cœur fidèle », en faisant allusion aux Franco d’Amérique : « Notre isolement est plus fort que notre fraternité »?

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Or, la fraternité est de mise à Moncton cette semaine. Une soixantaine de participants de diverses provenances (voir liste à la fin). Organisés en six familles « monoparentales », car chaque famille a un chef qui est un jeune ayant participé l’an dernier au premier Forum, ils travaillent, débattent, jouent, mangent, dorment et se détendent ensemble. Demain, le tout se transportera sur la péninsule acadienne, d’abord à Shippagan, puis à Caraquet, afin de célébrer dimanche la fête nationale des Acadiens et de participer au Grand Tintamarre. Le Forum se terminera le 16 août par une cérémonie d’engagement et une soirée dansante.

Dans le grand dessein du Centre de la francophonie des Amériques, ces jeunes, comme ceux de l’an dernier, rentreront dans leur milieu, riche de leur expérience, et deviendront des catalyseurs pour amorcer une nouvelle compréhension du contexte du français en Amérique et une meilleure appréciation des enjeux.

Les Latino-Américains en présence s’étonnent de découvrir une francophonie hors France. Les Martiniquais et Guadeloupéens éblouissent par leur éloquence. Les Haïtiens inspirent par leur détermination et leur espérance. Les Cubains parlent un français très châtié. Les États-Uniens rêvent de faire une plus grande place pour le français dans leur pays et les Canadiens s’interrogent sans cesse sur l’éternelle question de leur place dans ce pays bilingue.

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Jusqu’ici le fait saillant du Forum a sans doute été la conférence prononcée par Antonine Maillet sur le thème « Les chemins imaginaires des Amériques». Généreuse de son temps et de sa personne, la plus grande des littéraires acadiens nous a fait rire et pleurer par ses propos. En quittant le campus dans sa Volkwagen Cabriolet, elle m’a fait personnellement éclater de rire. Comme j’aurais aimé avoir mon appareil de photo à la main! Le petit bout de femme, octogénaire de surcroît, cheveux au vent, au volant d’une voiture décapotable!

Autre moment fort, la soirée de rock francophone, au bar The Old Cosmo. Le rocker du bayou Terrebonne, en Louisiane, Rocky McKeon, ambassadeur de la première cuvée, et son groupe Isle dernière, démontraient leur savoir faire dans une salle surchauffée de la rue Main, devant un public composé à la fois d’ambassadeurs et de citoyens de la région de Moncton.


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La couverture de l’événement par la presse acadienne et par Radio-Canada Atlantique est généreuse. Ceux et celles qui s’y intéressent vraiment peuvent aussi suivre les activités sur une base quotidienne au site du Centre de la francophonie des Amériques (www.francophoniedesameriques.com).

Provenance des participants :

Canada : Alberta (4); Colombie-britannique (1); Manitoba (2); Nouveau-Brunswick (4); Nouvelle-Écosse (2); Ontario (5); Québec (4); Saskatchewan (3)

États-Unis : Alabama (1), Caroline du Nord (1); Colorado (1); Floride (1); Louisiane (3); Minnesota (1); Texas (2); Utah/Oregon (1)

Amérique du Sud : Argentine (2), Brésil (2); Chili (1); Colombie (1); Guyane française (1); Mexique (2); Pérou (1); Salvador (1)

Caraïbes : Cuba (2); Guadeloupe (2); Haïti (9), Martinique (1)