Aminata : la Pélagie des nègres

Pélagie-la-Charrette (1979), roman d’Antonine Maillet raconte le voyage épique de la veuve Pélagie LeBlanc. À la fin des années 1770, Pélagie quitte la Géorgie pour ramener son peuple acadien, déporté par les Anglais en 1755, à Grand Pré. Son voyage est une double odyssée : les « gens des charrettes » sont hantés par la charrette fantôme, la charrette de la mort associée à Bélonie, le vieux conteur d’histoires qui accompagne les pèlerins. Ils sont aussi hantés par le bateau fantôme, plus concret, une goélette anglaise prise par le bien-aimé de Pélagie, le capitaine Beausoleil-Broussard, lui aussi dévoué au rapatriement de son peuple. En 1979, le roman a valu à son auteure le Prix Goncourt et le changement du nom de sa rue à Outremont, de « rue Wilder » à « avenue Antonine-Maillet ».

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Aminata (2011), roman de Lawrence Hill raconte le voyage épique d’une femme libre dans la peau d’un esclave, Aminata Diallo. Née à Bayo, en Afrique occidentale en 1745, capturée par des marchands d’esclaves en 1757 et transportée contre son gré dans un négrier insalubre et puant jusqu’à Charles Town, en Caroline du Sud, à la porte de la Géorgie, Aminata devient « Meena », vendue dans une plantation dont la spécialité est la production de l’indigo. Cinq ans plus tard, victime de la cupidité et de la cruauté se son maître qui lui arrache et vend son bébé, elle est revendue. Son acheteur, Solomon Lindo, Juif et inspecteur d’indigo de toute la province de la Caroline du Sud, la ramène en ville (Charles Town) et lui permet de développer ses capacités de lire, d’écrire et de compter, ce qui est évidemment très rare chez les esclaves. Meena tiendra même les livres de son maître qui lui fait confiance à ce chapitre. Devant les politiques d’imposition injustes de la part de la Grande-Bretagne envers ses colonies, Lindo, accompagné se son « comptable », se rend à New-York plaider sa cause et celle de ses compatriotes, cultivateurs d’indigo. L’esclave découvre New York et constate que les Noirs y sont affranchis. Profitant de la présence et de la connivence d’abolitionnistes, Aminata réussit à retrouver sa liberté et se met au service des autorités britanniques inscrivant de sa propre main dans le Registre des nègres les noms et le statut des centaines de Noirs auxquels les Britanniques offrent, à la fin de la guerre d’Indépendance (1783), feu et lieu en Nouvelle-Écosse.

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L’automne 1783, des bateaux britanniques quittent le port de New York à destination de Port Roseway et d’Annapolis Royal, avec leur cargaison humaine. Meena, enceinte d’un deuxième enfant, dont le père devait l’attendre à Annapolis Royal, accoste à Shelburne, le nouveau nom attribué à Port Roseway. Misère, discrimination, faim, violence, promesses non tenues, les « transfuges affranchis » se voient obligés de créer un camp de fortune, Birchtown, à l’écart des Blancs et des « bons British ».

Neuf ans plus tard, devant l’échec appréhendé de l’expérience néo-écossaise, un nouveau projet s’ouvre aux malheureux. Le retour en Afrique, la réalisation du rêve que chérit Aminata Diallo depuis son arrivée en Amérique en 1757. Le 15 janvier 1792, 15 navires levent l’ancre dans le port d’Halifax transportant 1 200 hommes, femmes et enfants à Sierre Leone afin d’établir la nouvelle colonie britannique de Freetown.

Tout en subissant des affres de la pire espèce, Aminata et Pélagie, réussissent à boucler la boucle. Arrachées de leur foyer, bafouées par le racisme, la barbarie, la brutalité, voire le sadisme, elles sont rentrées dans les terres de leurs aïeux. Leur courage, leur bravoure, leur résilience, leur détermination méritent, en cette Journée internationale de la Femme 2012, que l’on s’y attarde et que l’on réfléchisse.

Le Mois de l’histoire des Noirs (février) m’a incité la lecture d’Aminata, roman inspiré par un document historique authentique, mais peu connu, le Book of Negroes, d’où le titre du roman publié au Canada par Lawrence Hill et pour lequel il a reçu en 2009 le Commonwealth Writers Prize. Aux États-Unis, par contre, compte tenu de la nature péjorative du mot « Negro », par souci de rectitude politique et, sans doute, pour assurer de meilleures ventes possibles, le livre porte le titre moins évocateur de Someone Knows My Name.

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Lors d’une entrevue accordée à Michel Lacombe le 20 février dernier sur les ondes de la Première chaîne de Radio Canada, Lawrence Hill, lève le voile sur son propre passé qui explique sa passion pour son sujet. Il décrit aussi ses années d’études en sciences économiques à l’Université Laval (1978-1980) et son « love affair » avec le Québec et la langue française.

http://www.radio-canada.ca/emissions/le_21e/2011-2012/chronique.asp?idChronique=202767

Ce n’est pas là le seul lien qui existe entre Book of Negroes et Québec. S’il existe en version française Aminata, c’est grâce à Carole Noël, ancienne éditrice aux Presses de l’Université Laval et ancienne adjointe au recteur de cette même université, aujourd’hui traductrice reconnue et primée, qui en a assuré la traduction.

En lisant Aminata, je ne pouvais m’empêcher de penser à Pélagie. Tellement de parallèles et de similitudes ! Expériences génocidaires dans les deux cas ! Perte de liberté ! Souffrance ! Les deux passent par les basses terres de la Géorgie et la Caroline du Sud…en même temps ! Les deux se retrouvent en Nouvelle-Écosse…en même temps ! Est-il possible qu’elles se sont vues, qu’elles auraient pu se côtoyer, qu’elles auraient pu être au courant et sensible au drame que vivait l’autre ?

Tant d’atrocités perpétrées au cours de la dernière moitié du XVIIIe siècle sur le territoire de la Nouvelle-Écosse !