Hier soir, dans le Salon rouge de l’Assemblée nationale, sept personnes furent reçues à l’Ordre des francophones d’Amérique, décoration décernée annuellement depuis 1978 par le Conseil supérieur de la langue française. Cette distinction reconnaît les mérites d’individus qui se sont consacrés ou qui se consacrent au maintien et à l’épanouissement de la langue française en Amérique, ou qui ont accordé leur soutien à l’essor de la vie française sur le continent américain.
Pour la 35e année consécutive, une médaille et un parchemin ont été attribués à deux personne du Québec (Robert Boily et Diane Lapierre), une d’Acadie (Françoise Enguehard), une de l’Ontario (Anne Gilbert), une de l’Ouest canadien (Camille Bérubé), une autre des Amériques (Robert Lafayette) et une dernière des autres continents (Émile Lansman). Par la même occasion, pour son récit poétique intitulé Comment on dit ça, « t’es mort », en anglais?, publié aux Éditions de l’Interligne, le Conseil attribua à Claude Guilmain, auteur, concepteur, scénographe et metteur en scène, de Toronto le prix littéraire Émile-Olivier qui récompense une œuvre dans la catégorie du roman, de la nouvelle, du récit, de l’essai littéraire, de la poésie et du théâtre, publiée en français par une maison d’édition membre du Regroupement des éditeurs canadiens-français.
Pour moi, cette cérémonie revêt une importance capitale. car il me rappelle un moment singulier de ma vie. En 1997, à ma grande surprise, je fus moi-même reçu à l’Ordre. Depuis, c’est toujours avec émotion que j’y assiste et que j’écoute les allocutions et témoignages des gens qui ont donné d’eux-mêmes pour que la langue française persiste et rayonne en Amérique. De la cérémonie d’hier soir, je retiens, entre autres, les deux craintes exprimées par Françoise Enguehard, née à Saint-Pierre et Miquelon et résidente de Terre-Neuve depuis 30 ans :
1. Qu’en France, l’on continue à surévaluer l’anglais en le mettant de plus en plus en évidence dans la publicité, l’affichage, les écrits et le parler de tous les jours. Ce n’est pas chic, ce n’est pas « in »! Il s’agit plutôt d’un manque de respect de sa propre langue et d’un appauvrissement de sa culture.
2. Que dans les Amériques, où, selon le Centre de la Francophonie des Amériques, il y aurait 33 000 000 locuteurs du français, ceux-ci ne s’en servent pas, car connaître une langue sans la parler ne sert à rien.
Mon émotion fut d’autant plus forte cette année que l’une de mes anciennes étudiantes à l’Université Laval et bonnes amies et collègues, Anne Gilbert, aujourd’hui professeure de géographie et directrice du Centre de recherche en civilisation canadienne-française à l’Université d’Ottawa, eut droit aux mêmes honneurs.
Dans la photo d’Anne et moi, près de son cœur, on aperçoit l’épinglette emblématique de l’Ordre des francophones d’Amérique. Regardons-la de près, décomposons-la et saisissons-en la signification telle que évoquée en 1978 par Marcel Dubé.
Cette flamme qui dure comme une fidélité, comme un devoir, comme une patiente déchirure, comme une majesté insoumise et comme une nécessité depuis quatre cents ans d’histoire.
Et ce cœur embrasé aux quatre saisons, ouvert comme un amour qui dure bondissant comme une rivière battant pavillon de la liberté et qui défie l’usure.
Et ce dialogue engagé au-delà du temps dans les retrouvailles ces paroles échangées qui durent et se reproduisent comme des semailles.
Et cette fleur et la patrie « lysérée » festonnée, malmenée et contrainte. Ce jaillissement de feu, de sang, de parole, ce cri comme une plainte, comme une mélopée, comme une épopée qui dure, qui n’a rien de frivole, qui n’est plus un symbole, mais un hymne d’amour retrouvé.
Aux sources premières du sang et de l’azur, les fils d’Amérique qui n’ont pas de frontière retournent s’abreuver à la fontaine tricolore comme une mémoire qui dure et que le temps à « fleurdelysée » en pleine aurore.
Bravo à tous pour ces hommages!