Un dimanche avec Piaf

Tout comme JFK, elle est morte il y a 50 ans.

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J’avais 20 ans et j’étais à Paris. J’habitais le 16e arrondissement (3, rue de Lota), elle aussi (boulevard Lannes). À peine deux km et sept minutes séparaient nos demeures. J’ai vu des dizaines de milliers de Parisiens faire le pied de grue devant chez elle pendant des heures afin de lui rendre un dernier hommage. C’était évidemment Édith Piaf. Sa voix, sa personne, son destin tragique m’ont marqué profondément. À Paris, je ne manque pas l’occasion de visiter sa sépulture au cimetière Père-Lachaise. Lorsque Dany Bentz, animatrice à Radio-Galilée m’a invité en avril dernier à participer à son émission « Curriculum vitae » et à apporter quatre pièces de musique d’une signification inégalable pour moi, le choix de la première a été très facile, « Je ne regrette rien » de cette chanteuse tant regrettée.

C’est donc en apprenant cet été qu’il se tiendrait à Québec le dimanche 10 novembre 2013 un double hommage à la Reine de la chanson française que je me suis tout de suite inscrit au mini colloque de l’après-midi et me suis procuré un billet pour le spectacle du soir, les deux organisés avec le concours de l’Association Québec-France et trois de ses régionales (Seigneuries-La Capitale, Québec, Rive-Droite), la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs et la Société historique de Québec.

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Mini colloque sur la chanson française

En la chapelle du Petit Séminaire, programme en deux parties. Prenons la deuxième en premier. La table ronde annoncée s’est transformée en simple, mais stimulant, tête-à-tête entre deux brillants acteurs de la scène culturelle, Pierre Jobin, imprésario et professionnel de la chanson depuis des années à Québec, et Catherine Pépin, animatrice de l’émission « Le temps d’une chanson » sur les ondes de Radio-Canada.

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Ils nous ont appris le rôle important que la ville de Québec avait joué tout au long des années 50 et 60 dans le développement et la propagation de la chanson française. Selon eux, un tel essor n’aurait pas pu se produire à Montréal, axée comme elle était à l’époque sur la musique américaine, en anglais ou en traduction.  Cet entretien confirmait les propos du conférencier de la première partie, Jean-Marie Lebel, qui avait tracé un bilan divertissant des années folles de la chanson française à Québec. De plus, Jobin et Pépin soulignaient l’œuvre de pionnier de Félix Leclerc. Découvert par les Français en 1950, lors de son passage surprise à l’ABC, Félix permettra à toute une génération (…et plus tard une deuxième) de Québécois de percer en France. Leur contribution à l’évolution de la chanson française fut remarquable!

En parlant de Félix, Catherine Pépin nous rappelait le lien entre lui et Piaf. Il lui portait un grand  respect—une admiration sans borne pour son art et pour sa grande sensibilité :

      Elle savait le prix et le poids de chacun des mots de
      la langue française. Quand elle disait le mot peur,
      on avait froid aux poignets. Elle disait le mot guerre
      et c’était très laid. Le mot honte dit par elle nous
      faisait baisser les yeux.
      Quand elle disait le mot amour, nos genoux pliaient.

Pour sa part, Jobin soulignait l’importance que revêtait l’œuvre du troubadour québécois pour le chansonnier à la moustache, Georges Brassens.

Autant conteur que historien, Jean-Marie Lebel tenait l’auditoire en haleine pendant plus d’une heure, leur faisant vivre la ville de Québec d’après guerre et les convaincant qu’Édith Piaf avait ouvert la porte ici pour les autres grands artisans de la chanson française qui viendraient par la suite. Lebel a ébloui l’assistance par son sens de l’humour et de la repartie. Plus qu’une simple conférence, c’était un spectacle!

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Grâce à un « record » des Compagnons de la chanson que son père faisait parfois jouer sur le « pickup » à la maison, le petit Jean-Marie remarque, à sept ans, sur la pochette, le nom de Piaf. « Ce n’est pas un nom d’ici », se dit-il, « pourtant elle chante en français avec une intonation un peu médiévaliste qui fait vibrer les tambours, un peu comme dans mon émission radiophonique favorite, Robin des Bois ». Mais il est jeune et n’y apporte plus beaucoup d’attention jusqu’au jour en octobre 1963 où, jeune adulte à la recherche d’une vocation, il apprend la mort de Piaf!

Homme, devenu historien, Monsieur Lebel se penche sur l’histoire de sa ville dans la période d’après guerre et découvre l’importance de l’année 1948 : le parc industriel Saint-Malo ouvre ses portes, la construction du Colisée achève, un nouveau type de radiodiffusion à CKCV animée par Saint Georges Côté s’amorce, Roger Lemelin publie Les Plouffe…et Édith Piaf fait irruption pour la première fois! Il fallait bien l’éloigner de New-York où son amant de l’époque, Marcel Cerdan, s’entraînait en vue de son combat contre Tony Zale. Pourquoi ne pas l’envoyer 15 jours en tournée au Canada français? Piaf a pris les planches au nouveau Palais Montcalm, érigé contre toute attente au cœur de la Crise économique des années 30. Pendant ce court séjour, elle se liera d’amitié avec Gérard Thibault, propriétaire du Café Gérard. Thibault deviendra cabaretier et figure légendaire à Québec. Son établissement en face de la Gare du Palais accueillera les Trenet, Brell et Aznavour.

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En ouvrant son cabaret, la Porte Saint-Jean, dans la haute ville, Gérard veut Piaf. Devenue vedette internationale, elle a peu de disponibilité. Charles Trenet promet à Thibault d’intervenir auprès d’elle et réussit. Piaf reviendra à Québec en 1955, mais ce n’est pas la même Édith. Elle aura subi la perte de Cerdan, mort dans un écrasement d’avion, et deux cures de désintoxication. Elle aura vécu au moins deux autres relations affectives et Dieu sait quoi encore!

Selon Lebel, Piaf a adopté Québec en quelque sorte. Elle restait au Château Frontenac et aimait fréquenter le Kerhulu, situé dans la Côte de la Fabrique. La basilique l’attirait à cause de sa beauté, mais surtout en raison de la proéminence à l’entrée de la statue de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui lui avait rendu la vue à l’âge de huit ans.

Un bon jour, Édith annonce à Gérard Thibault qu’elle ne veut plus rester au Château Frontenac, qu’elle veut un appartement. Le cabaretier lui en trouve un chez le Dr Louis Larochelle, sur la rue Murray, parti en vacances! Elle pouvait alors arpenter le quartier Montcalm que la presse française qualifiait de « faubourg ».

L’année suivante, après un passage au Ed Sullivan Show à New York, elle reviendra une dernière fois et dira, selon la légende, « J’aime tellement Québec que je reviendrais chanter sans cachet sur ses trottoirs ».

En 1962, lorsque son mariage avec Théo Sarapo, 20 ans plus jeune qu’elle, fait scandale, le couple opte pour une cérémonie quasi privée. Toutefois, parmi le petit groupe d’invités, Gérard Thibault.

Édith : hommage au 50e anniversaire de la disparition de Piaf

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En 2007, cinq Césars furent attribués au film, La vie en rose, et un Oscar à sa vedette Marion Cotillard, qui incarnait la môme. Comme il fallait ne pas s’en douter, ce ne fut pas la voix de la vedette qui interprétait les chansons de Piaf, mais celle d’une jeune femme peu connue du nom de Jil Aigrot, née en Algérie et élevée à Cannes où elle est encore établie. De stature plus forte que Piaf, Aigrot lui doit néanmoins une ressemblance certaine sur scène. Après le spectacle d’une durée de deux heures au Théâtre Petit-Champlain, au cours duquel elle a fait le tour du vaste répertoire d’Édith—de ses plus grands succès aux chansons les plus obscures—elle m’a reçu dans un petit coin où j’ai pu réaliser un rêve de 50 ans : serrer la main et  donner l’accolade à Édith Piaf.

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Faisons semblant.

One thought on “Un dimanche avec Piaf

  1. Merci pour le reportage sur une activité culturelle qui n’a eu aucun écho dans la presse à ma connaissance. Je l’ai raté à cause du salon du livre de SJPJ.
    J’étais au Père-Lachaise lors du 20e anniversaire de sa mort.


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