Tenue à la chapelle du Musée de l’Amérique francophone—nouveau nom mal choisi pour rebaptiser le Musée de l’Amérique française—la série « Les Amériques littéraires » convie, pour une deuxième année de suite, le public à explorer et à découvrir la littérature de langue française produite en Amérique et à dialoguer avec ses artisans. Hier soir, trois écrivaines de marque, se sont réunies autour du thème « L’écriture au féminin » afin de poursuivre la réflexion sur l’espace de plus en plus grand, mais encore limité, qu’occupe la femme dans la littérature nord-américaine d’expression française. Il s’agissait de France Daigle de Moncton, de Madeleine Gagnon, originaire d’Amqui avec laquelle elle maintient des liens étroits et résident de Montréal, et de Christine Eddie, Française de naissance, Acadienne d’adolescence et Québécoise de Québec depuis 30 ans. La soirée fut animée par Bernard Gilbert.
L’animateur a amorcé la discussion en invoquant la notion de « révolution ». Selon lui, il s’est produit au cours des années 1970 une révolution dans le domaine littéraire, alors que les femmes se faisaient de plus en plus remarquer par la quantité et la qualité de leur production littéraire. Parmi les combattantes de première ligne se trouvait Madeleine Gagnon. Or, Mme Gagnon n’a aujourd’hui rien d’une « combattante révolutionnaire ». Au contraire, son discours est d’une douceur et d’une humilité remarquables. Cette « révolution », selon elle, cherchait justement à remplacer les rivalités entre les femmes, à développer de la tendresse et de la solidarité entre elles et à créer un esprit de collaboration. Dans son autobiographie, Depuis toujours, publiée cette année chez Boréal que je n’ai pas encore lue, mais dont il était beaucoup question tout au long de la soirée, Madeleine trace à la loupe son cheminement au sein d’une société en pleine ébullition, d’une petite fille de campagne, l’une parmi 19 enfants, à une des voix fortes du féminisme québécois. Ne sachant pas comment terminer son livre, Gagnon fabule, en guise de conclusion, une fable qui est en réalité une ode à la femme, mais pas juste à la femme, à tous ceux et celles qui luttent pour l’égalité entre les êtres humains. « La Terre est mon jardin », exclame-t-elle.
Si Madeleine Gagnon est de la première génération de combattantes, France Daigle et Christine Eddie, en raison de leur âge, nées respectivement en 1953 et 1954, seraient de la deuxième, sauf que Daigle ne participe pas activement au combat. Elle a peur d’être enfermée dans une littérature féminine. « Tout ce que je voulais, dit-elle, c’était d’écrire ». Auteure de plusieurs ouvrages, il fut surtout question ici de Pour sûr, grosse brique publiée chez Boréal en 2011, dans laquelle elle a investi dix ans de sa vie. Roman peu orthodoxe comptant plus de 1 000 pages divisées en 1 728 « fragments », le chiffre 12 ayant une signification particulière (12x12x12=1 728), il intègre dans ses dialogues les « parlures » de Moncton, y compris le chiac. D’ailleurs, selon France Daigle, il serait impossible de rédiger un vrai roman acadien modern sans faire appel à ce « dialecte », honni par les uns et vantés par les autres. Dans ses ouvrages précédents, elle avait justement évité de se servir de dialogue en raison de l’interdit du chiac. À l’intervention de Bernard Gilbert qui insistait qu’Antonine Maillet avait écrit le chiac, Daigle a répondu, « non, ce n’est pas là le chiac » ! Le chiac est le produit du frottement du français acadien à l’anglais. Ce n’est pas cela qui figure dans l’œuvre d’Antonine.
Avant d’avoir été sollicitée à prendre la parole par l’animateur, Christine Eddie était intervenue dans la discussion pour affirmer haut et fort que tous ceux et toutes celles qui aiment la langue française se doivent de lire Pour sûr. Elle l’avait lu en deux jours et demi. Elle lit vite !!
Mme Eddie dont la formation littéraire est surtout néo-brunswickoise avoue avoir commencé à écrire sur le tard. Grande lectrice depuis toujours, elle était « terrorisée », par l’écriture. Cela a pris des années de réflexion, de lecture et une grosse peine d’amour pour la mettre en marche. En 2007, chez Alto, parut Carnet de Douglas et en 2011 Parapluies. Cœur de crevette est en bonne voie et deux autres romans lui trottent dans la tête. Pour elle, la forme du roman est plus importante que le fond. Le lyrisme prend le dessus. Carnets de Douglas et Parapluies se lisent comme des poèmes. L’importance pour Christine Eddie de la poésie s’est manifestée lorsque, de sa bouche, est sortie la perle de la soirée : « Une écriture nationale ne peut naître que si on a des poètes ! »
Il n’y a pas si longtemps, lorsque Madeleine Gagnon avait l’âge des jeunes écrivaines telles que Sophie Létourneau ou Olivia Tapiero, on ne reconnaissait ni la littérature québécoise, ni la littérature acadienne. À peine parlait-on de littérature canadienne-française qui comprenait des éléments embryonnaires des deux. Ce soir, certains membres de l’auditoire ont pu découvrir l’une ou l’autre et d’autres ont pu les explorer plus à fond. Personne dans la salle n’a pu malheureusement dialoguer avec les trois invitées, faute de temps. C’est dommage ! L’animateur, aussi compétent soit-il, prenait trop de place, parlait trop, lisait inadéquatement des extraits des livres de Gagnon, Daigle et Eddie. Qui mieux que France Daigle pour lire ses propres textes. Le public aurait pu se rendre compte de la complexité du registre linguistique acadien, apprécier la sonorité de l’accent acadien et sourire à l’écoute du chiac.
Enfin, il manquait une chaise à la table, celle qui aurait dû être occupée par une écrivaine de la troisième génération, quelqu’un de l’âge et de la trempe des Mmes Létourneau et Tapiero