La voix d’un ami du Québec, celle de Jean-Marie Nadeau, patriote acadien

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Depuis dix jours, nous entendons des forts en gueule de la presse anglo-canadienne s’en prendre au Québec. Encore une fois, Québec bashing is IN. Comme c’est agréable et rafraîchissant d’entendre une voix de l’Est, d’Acadie. Ce n’est pas la première fois que je fais appel à Jean-Marie Nadeau, auteur, consultant en communication, militant acadien, ancien candidat du NPD et ancien président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, pour nourrir ce blogue. Le 15 août 2008, à l’occasion de la fête nationale des Acadiens tenue à Québec dans le cadre de notre propre célébration du 400e anniversaire de Québec, il nous a honorés par sa présence. Quatre jours plus tard, j’ai publié ses remarques. (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/deanlouder/2008/08/jeanmarie_nadeau_sur_quebec_la_1.php).

Originaire du Lac Baker, dans la République du Madawaska, pas loin de la frontière du Québec, Nadeau, qui habite Moncton depuis des éons, nous connait bien et nous suit depuis longtemps. Ses observations et analyses publiées chaque semaine dans l’Étoile et traduites et publiées dans le Telegraph Journal, passent, je crains, inaperçues au Québec, portés naturellement comme nous le sommes sur nos propres journaux et obsédés comme nous pouvons l’être par ce que la Gazette de Montréal et la presse torontoise pensent de nous.

Dans le contexte du débat sur la Charte des valeurs qui soulève tant d’émotion et de controverse par les temps qui courent, il est rassurant de lire le texte de Jean-Maire Nadeau qui se ferait indubitablement un plaisir de recevoir vos réactions à l’une ou l’autre des deux adresses suivantes : jmnacadie@gmail.com ou jmacadie@nb.sympatico.ca.

Éditorial

Valeurs et laïcité

Jean-Marie Nadeau

2013-09-18

Il est toujours délicat d’aborder des questions identitaires, incluant les concepts de valeurs et de laïcité. Le gouvernement québécois a encore une fois le courage, ou l’audace, ou la folie de plonger dans cette énigme, en essayant de clarifier pour la société québécoise ce que sont la neutralité religieuse et la laïcité de leur État, en tenant compte, en toile de fond, de leur patrimoine historique culturel. On peut appeler cela un terrain miné. Aborder de telles questions rend la tâche difficile, car on peut facilement tomber et se surprendre à tenir des propos que d’aucuns pourraient trouver réactionnaires, à notre grand désarroi.

Aucune société ou aucun pays ne naît de façon instantanée : c’est toujours le produit d’un long processus historique, rempli de spécificités propres à chacune et à chacun. Au gré du temps se dessine une personnalité propre à cette société. Autant je me reconnais le droit de célébrer les caractères démocratique, occidental, laïque (même si c’est non écrit) et même la prédominance chrétienne de mon pays, autant je reconnais à mes amis musulmans ou bouddhistes le droit de célébrer leur pays où le religieux et le politique se mêlent. Autant je reconnais que je ne pourrais pas fêter Noël, Pâques ou l’Assomption du 15 août de façon ostentatoire et spectaculaire en Inde ou en Israël, autant l’immigrant doit accepter qu’il ne puisse pas non plus le faire ici avec l’Aïd ou le Yom Kippour. Mais, ça n’empêche personne de célébrer ce qu’il veut où qu’il soit. Est-ce réactionnaire de dire et reconnaître cela? Je ne pense pas. Mais l’intégration se fait dans les deux sens, tenant compte que les différences culturelles de l’un enrichissent les différences culturelles de l’autre.

Ce qui est désopilant dans ce genre de débat, c’est qu’au lieu de saluer dans un premier temps la pertinence du débat comme tel, on discrédite avant tout l’initiative que nous-mêmes on n’a jamais eu le courage d’entreprendre, tout en sachant qu’il était nécessaire d’entreprendre un tel débat un jour ou l’autre. Certains diront qu’un tel débat ne serait pas nécessaire au Nouveau-Brunswick puisqu’on n’a pas la masse critique nécessaire de nouveaux arrivants. On a qu’à discuter de droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, qu’un pan d’anglophones fait de l’urticaire, et nos dirigeants politiques se défilent. On préfère le curatif au préventif, comme dans le domaine de la santé. Ce qui se passe actuellement au Québec est encore une fois de l’avant-garde, et finira un jour par influencer positivement le reste du Canada.

Pour en revenir au projet de la Charte comme tel, il semble y avoir un consensus sur la pertinence du gouvernement québécois d’exprimer clairement par écrit sa laïcité et sa neutralité religieuse. On semble d’accord sur les critères balisant les accommodements raisonnables futurs. De même, l’obligation de donner ou de recevoir un service public à visage découvert ne pose pas de problème. Là où ça achoppe, c’est principalement dans l’obligation qu’auraient tous les employés de l’État de ne plus porter visiblement, de façon ostentatoire, des signes annonçant leur appartenance religieuse. Comme cette Charte n’est qu’un projet soumis à des consultations publiques, on peut prédire que cette dernière exigence ne sera imposée qu’aux personnes en autorité comme les juges, les procureurs, les policiers et autres personnes du genre. Il est instructif par ailleurs d’apprendre que le seul autre pays au monde, avec la France (qui n’est pas un modèle d’intégration), qui bannit les signes religieux ostentatoires chez tous leurs fonctionnaires est la Turquie, un pays à 99 % musulman, et cela, depuis plus de 70 ans).

L’autre composante de ce projet de Charte qui semble déranger est l’expression de la primauté du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes. Et c’est là que je m’embrouille avec les juristes de ce monde. Ceux-ci prétextent qu’en donnant cette primauté à l’égalité des hommes et des femmes, on créerait une hiérarchisation des droits. Ça fait des milliers d’années qu’on privilégie la primauté des droits des hommes sur ceux des femmes par des abus, par la soumission, par le dénigrement, par l’exploitation. Pourquoi on ne privilégierait pas l’égalité entre les sexes? Et qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce droit à l’égalité soit au premier rang, et oui en haut de la hiérarchie des droits? Comme société occidentale, on n’a pas de leçons à donner à d’autres civilisations sur la façon dont on traite les femmes. Comme on le disait la semaine dernière, le sexisme n’est pas encore mort dans nos sociétés si prétentieuses. Bien sûr, il est plus facile de voir le sexisme des autres que son propre sexisme.

Il est déplorable que des gens que l’on croyait bien pensants soient tombés à bras raccourcis contre ce projet de Charte. On pense à l’erratique Justin Trudeau qui a comparé ce projet à la ségrégation raciale aux États-Unis; au décevant Thomas Mulcair qui a surtout concentré sa critique sur les éventuelles pertes d’emplois que pourraient subir certaines femmes voilées sans se référer au reste du document; au provocateur politicien Couillard parlant de charte de la chicane; aux accusations tous azimuts de racisme québécois provenant surtout du Canada anglais. Ça nourrit le «Québec bashing» ici comme ailleurs!

Tant qu’à pousser la réflexion plus loin, réalisons-nous que formellement, la Grande-Bretagne et le Canada sont des pays dont l’État et l’Église sont imbriqués, puisque notre souveraine Elizabeth II est à la fois chef d’État et chef de l’Église anglicane? Bien sûr que ça ne paraît pas dans la vie de tous les jours. Il serait peut-être temps que l’on ait aussi un texte signifiant clairement notre laïcité, soit la séparation de l’Église et de l’État. Avant de faire la leçon à ces affreux Québécois, il serait peut-être temps que l’on nettoie notre propre cour.