Des amis du Colorado à la cabane à sucre…sans neige

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Tandis que des dizaines de milliers de Québécois fuient l’hiver à tous les ans pour passer jusque 182 jours dans les régions les plus chaudes des États-Unis, il y a des vaillants Américains qui s’installent au Québec l’hiver pour goûter aux plaisirs de la saison blanche. Terry Fahy et sa conjointe, Debbie, sont de ceux-là. Nous nous sommes rencontrés récemment, grâce à mon fils, Zachary, au Faks Café, avenue Maguire, à Sillery (voir chronique du 28 décembre 2008).

Pourtant, Terry et Debbie viennent d’un État de l’Ouest réputé pour le ski. Qui n’a pas entendu parler de Vail, d’Aspen et du Parc national des Montagnes rocheuses (Rocky Mountain National Park) ? Aux dires de ces francophiles : « Pas assez de neige, pas assez hivernal, le Colorado ! » Profitant de l’année sabbatique 2009-2010 de Debbie, bibliothécaire et archiviste à l’université du Colorado, située à Boulder, et du fait que Terry occupe une fonction à l’université Ohio State qu’il peut remplir aussi bien à Québec qu’à Denver ou à Columbus (ou à Davos ou à Sopporo), ces aimants de l’hiver choisirent de séjourner à Québec afin de bénéficier d’un véritable hiver. Quelles ne furent pas leur surprise et leur déception d’être témoins de l’un des hivers les plus doux et les moins enneigés dans l’histoire moderne de la vieille capitale : une accumulation de neige (160 cm) trois fois et demie moins élevée qu’en hiver 2007-2008 (550 cm).

Par contre, le printemps précoce qui assura une longue et bonne saison pour les acériculteurs et les propriétaires de cabanes à sucre leur permit de goûter trois fois aux délices de l’érablière—la dernière fois dimanche dernier chez l’En-tailleur à Saint-Pierre-de l’ïle d’Orléans. Jouissant de la musique traditionnelle de leurs hôtes, les visiteurs du Colorado ont démontré leur savoir-faire sur la piste de danse.

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En attendant le versement de la tire sur neige, bon prince, Terry me pose avec ma petite-fille, Camille, pour qui c’était la toute première Cabane. En même temps Debbie, à ma droite, se sucre le bec !

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Un autre Frenchtown, en Indiana celui-ci

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Lors de mon intervention du 26 janvier 2010 à la bibliothèque d’Oxford (voir chronique du 27 janvier 2010), un monsieur aux allures légèrement ébouriffées ayant un comportement un peu excentrique m’a demandé ce que je savais des Franco ayant immigré au XIXe le long de l’Ohio, dans le sud de l’Indiana. Il s’agissait de William Day, originaire de New Albany, en Indiana, chimiste de carrière, retraité à Oxford, propriétaire d’une Volkswagen coccinelle rouge de l’année 1970 et auteur d’un récit intitulé Stephan’s Shadow, basé sur la généalogie de sa famille. Lecture du livre révèle que certains personnages se sont mariés à l’église catholique de Frenchtown, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de New Albany, qui est à la grande ville de Louisville, KY ce que Lévis est à Québec.

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Puisque je n’en savais rien, je me suis promis d’en apprendre un peu, d’où la visite le jour du Vendredi saint à Frenchtown, anciennement Petit Saint-Louis, peuplé au début des années 1840 par des Français et quelques Canadiens. Jusqu’aux années 80, ils constitutaient une petite collectivité catholique, l’une des rares dans cette région, et française. Jusqu’au moment du départ du Pasteur Jean-Pierre Dion ou possiblement de son successeur, le père Martin Andrès, la vie paroissiale se déroulait vraisemblablement en français.

Depuis, tout a basculé sur le plan linguistique. La paroisse Saint-Bernard s’affiche bien catholique, mais de langue anglaise évidemment.

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Le cimetière reflète bien cette même réalité. Peu de pierres tombales portent des patronymes français. Quelques unes rappellent les habitants originaux :

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Un petit document consulté à la bibliothèque municipale de New Albany (French Immigrants to Clark, Floyd and Harrison Counties in Indiana), raconte que Martin Paté et sa famille sont arrivés à la Nouvelle-Orléans, à bord du International, le 1er mai 1855 en provenance du département de Doubs, en Franche-Comté, près de la frontière suisse. Aussi. à bord du bateau Virgil Deschamps et Hypolite Colin. En montant le Mississippi, puis l’Ohio, ils s’établissent dans le township de Washington (Indiana) sur des terres surplombant l’Ohio. Avec le temps, ils se déplaceront, avec d’autres compatriotes, surtout en provenance d’Alsace et de Lorraine, vers Frenchtown. En plus des noms observés sur les pierres tombales, on pouvait lire dans le document ceux des Troncin, Boncourt, Semonin, Brocard, Thirrion et Lasson.


« Les émergents » : œuvres récentes d’Anne Le Gall et de Jerusha Ferbaché

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À la boulangerie Honey Bee, à Oxford, les déjeuners, petit et grand, se prennent et les potins s’échangent. Il s’agit d’un lieu de rencontre de prédilection, situé à 5 km à l’ouest du Square…en face de Wal-mart!

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Dans l’équipe de serveurs et de serveuses au Honey Bee, on compte deux jeunes femmes aux souches attrayantes pour quiconque fouille les secrets de la Franco-Amérique. Elles font sur les murs de la boulangerie un vernissage d’une quinzaine de leurs œuvres.

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Anne Le Gall, de père breton et de mère américaine, enseignante du français, est venue au monde au New-Jersey, ce qui ne lui empêché pas de parler couramment la langue de Molière. Jerusha Ferbaché (écrit sans accent de nos jours) descend des hardis habitants de l’île Guernsey et vient d’Ohio. Elle rêve de maîtriser le français et de partir en France avec son amie, Anne. Les deux ont fait connaissance à l’université Taylor, dans l’Indiana, et partagent depuis cinq ans une passion pour la peinture et pour la vie. De leurs travaux individuel et collectif, se dégage un esprit de collaboration. L’une inspire l’autre, c’est clair! Les complémentarités et les similitudes sont frappantes. Cependant, chacune possède également son originalité et sa spécialité. À titre d’exemples :

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Jerusha Ferbaché, Wisdom, huile sur aggloméré (masonite)

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Jerusha Ferbaché, Things Done in Secret, combinaison de techniques

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Jerusha Ferbaché et Anne Le Gall, Yggdrasil, combinaison de techniques

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Anne Le Gall, Same Planet, huile sur aggloméré

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Anne Le Gall, Act of Union, UK, combinaison de techniques

La présence de la grande sœur à Anne, Geneviève, née en France, qui dirige une école de ballet à Oxford, et sa famille, a attiré les jeunes artistes ici. Cette petite ville dont l’atmosphère culturelle et artistique est palpable, fournit l’occasion de faire un temps d’arrêt—un temps de réflexion avant d’entreprendre la prochaine étape de la vie. Pour Anne et Jerusha qui émergent comme peintres, pourraient-elles avoir mieux? Dans le moment, peu probable!

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Étant donné l’intérêt qu’a Jerusha à explorer les origines de sa famille, j’ai eu le plaisir de lui suggérer le roman épistolaire de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society, un bijou de bouquin qui raconte la vie à Guernsey sous l’occupation allemande.

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Un Wal-mart, pas comme les autres!

Si j’ai pu passer une partie significative de l’hiver à Oxford, MS, c’est grâce à Becky Moreton qui me l’a fait découvrir il y a six ans, à la suite d’une fin de semaine pré pascale passée ensemble chez les « gens à l’écart : les Franco de Delisle, au Mississippi » (voir chronique du 4 avril 2004). Sa fille historienne, Bethany, vient de publier un magnum opus sur l’Empire Wal-mart.

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Intitulé To Serve God and Wal-mart : the Making of Christian Free Enterprise, il explore l’évolution de ce géant de la consommation domestique, à partir d’une petite entreprise familiale fondée en 1962, à Bentonville (AK), par Sam Walton, à l’une des plus grandes corporations au monde avec environ 5 000 magasins en 2010. Selon Bethany Moreton, les décennies qui ont suivi la deuxième Guerre mondiale, permirent au Christianisme évangélique de créer aux États-Uniens un culte du capitalisme sauvage. L’analyse de l’empire de Monsieur Sam révèle un réseau complexe reliant des entrepreneurs du Sun Belt, (ce vaste territoire qui forme un large arc à l’envers depuis les Carolines jusqu’en Californie dont sa ville, Bentonville, se situe en plein centre), des employés évangéliques, des étudiants en administration issus des collèges et universitaires chrétiens, des missionnaires d’outre-mer et des militants de la droite préconisant un néolibéralisme à outrance. À l’aide d’un travail de terrain appréciable lui ayant permis de glaner à travers le monde des récits de gens faisant partie intégrante, à diverses échelles, de l’« Empire », Moreton réussit à montrer de manière convaincante comment la Droite chrétienne a encouragé et facilité l’essor d’un nouveau capitalisme, tant aux États-Unis qu’ailleurs.

Au tournant du siècle, l’implantation d’un nouveau magasin Wal-mart au cœur de la Nouvelle-Orléans a soulevé l’ire des défenseurs du patrimoine et de l’environnement. Par contre, le magasin sur Tchoupitoulas semblait répondre à un souhait exprimé par le leadership—surtout religieux–de la communauté noire. Les uns, largement de race blanche et scolarisée, savaient que la venue d’un magasin Wal-mart ne créerait pas d’emploi, éliminerait la compétition et détruirait les petits commerces autour, rendrait plus homogène le quartier et dégraderait le paysage urbain. Les autres, constituant la sous-classe majoritaire de la ville, croyaient aux revenus qui seraient perçus grâce aux taxes de vente prévues. Cette somme de 20 000 000$ devait soutenir la construction de logements sociaux, remplaçant le fameux St. Thomas Project, créé aux années 40 dans le but de régler le sort des pauvres et miséreux. En 1996, devant la montée des pathologies sociales de cet HLM abritant 2 000 Afro-Américains (800 familles largement monoparentales), la décision fut prise de tout jeter à terre, d’où cette première tentative de « urban homesteading » de la part de Wal-mart qui visait, après ses succès dans les petites villes du pays et en banlieue, un nouveau champ d’activités et une nouvelle clientèle.

Un octroi de 25 000 000$ du Fédéral a été obtenu pour raser l’ancien St. Thomas, à condition qu’à sa place soient construites des unités de logement pour les gens à faible et à moyen revenus. Une fois les travaux de démolition terminés, la donne a changé. Rapidement, sur le nouveau terrain vague d’une cinquantaine d’acres se sont érigés seulement 200 unités de logement social, mais 780 condominiums de luxe. Et tout à côté, grâce à une entente signée avec la ville lui permettant de bâtir sur un terrain public sans se faire imposer, le Super Center Wal-mart, conçu pour mieux cadrer dans cet arrondissement historique…mais toujours entouré de l’énorme stationnement en asphalte.

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To Serve God and Walmart se termine sur une note inquiétante… ou encourageante! Lors du passage de Katrina en 2005, c’est ce Wal-mart, sur Tchoupitoulas, sis au cœur de la Nouvelle-Orléans, légèrement en amont du Vieux-Carré, à deux pas de la levée du Mississippi, qui, par les gestes efficaces et généreux de son administration, a fait taire ses critiques en apportant de l’aide aux sinistrés.

On louangeait alors le WEMA (Wal-mart Emergency Management Agency), acronyme calqué sur FEMA (Federal Emergency Management Agency), agence fédérale qui a échoué si lamentablement.

Selon une victime de Katrina citée par Moreton : « Si le gouvernement américain avait répondu comme Wal-mart a répondu, nous ne connaîtrions pas la crise actuelle. »


Festival du Mémorial acadien, 2010

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Au printemps, en Louisiane, les festivals foisonnent. En plein milieu du Carême, l’un des premiers de l’année s’est amorcé au pied du chêne d’Évangéline à Saint-Martinville, à côté du Mémorial acadien, le long du Bayou Têche.

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Depuis les dix ans qu’existe le Mémorial (voir ma chronique du 6 février 2005), on commémore à tous les ans l’arrivée en Louisiane de deux familles acadiennes. Cette année, ce fut le tour des Breau (Breaux, Brault, Breault, Braud, Brow, Brod, Breaud, Brot, Brough…) et des Guédry (Guidry).

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À l’heure prévue, quelques « Acadiens » des deux familles, accompagnés bien sûr de trois « autochtones » accostent en pirogue au pied du chêne. Ils sont accueillis par une chorale acadienne et de nombreux descendants de Breau et de Guédry, ainsi que d’un public assez nombreux.

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Une brève cérémonie orchestrée par Brenda Comeaux Trahan, directrice du Mémorial, comprenant deux fiers témoignages, l’un d’un Breaux (en Louisiane, le X s’impose) et l’autre d’un Guidry (épellation reconnue aujourd’hui), et une bénédiction du rassemblement prononcée par un prêtre, sème l’émoi parmi les participants venus de près et de loin.

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La vedette incontestable de la journée se faisait déplacer en fauteuil roulant, Mazie Breaux Guidry, 94 ans, sans doute la seule dans la foule à porter les deux noms, à représenter les deux familles à la fois.

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Parmi la multitude, l’une se faisait remarquer à son gilet original incorporant en même temps la feuille d’érable et la fleur de lys. Venue de sa résidence à Sanford, en Floride, Cécile Gravel-Clancey—Breault du côté maternel—originaire de Granby, plongeait dans l’ambiance du moment, retrouvant sur place d’autres Québécoises, comme Mme Tremblay de Chicoutimi, en route en motorisé vers le Québec, après passé l’hiver dans la vallée de la Rio Grande, au Texas, et conversant avec une fine Cadienne de la place, toute émue de la rencontre.

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Ce qui étonne toujours, c’est le grand nombre de Québécois en évidence lors des manifestations culturelles en Louisiane francophone. Je retiens, en particulier, cette fois-ci, Lucille Roy, 79 ans, de Gatineau, voyageant seule en voiture de location depuis la résidence de son frère à Houston. Quand elle m’a demandé de prendre le téléphone pour lui réserver une chambre dans un C&C (B&B dans la langue de l’autre) de Pont-Breaux parce qu’elle n’arrivait pas à se faire comprendre en anglais, je croyais avoir affaire à une grande timide, à une néophyte en matière de voyage. Ô que non! Veuve depuis une vingtaine d’années, Lucille ne cesse de parcourir le monde. À ce jour, elle a visité trente pays différents, y compris le Yémen et plusieurs autres au Moyen Orient. Elle ne croît pas aux voyages organisés avec forfaits ni aux hôtels cinq étoiles. Elle voyage toujours seule, avec les moyens du bord, histoire de mieux connaître les cultures locales et de se rapprocher des gens.

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Quel bel exemple! Merci, Lucille. Au plaisir de te voir à Tout le monde en parle.