Voyager, c’est du sport

Le dimanche des rameaux, en prenant le gombo chez Adrian et Corinne Swanier (voir texte sur Delisle, MS), j’ai fait la connaissance de leur petite fille, Keicha, 17 ans, excellente joueuse de basketball qui venait de prendre sa décision de poursuivre ses études universitaires l’automne prochain à l’université du Connecticut (UCONN) afin de s’aligner avec l’équipe championne universitaire du bas-ket féminin. En fait, pour la première fois dans l’histoire de ce sport, la même université a gagné en avril 2004 les deux titres masculin et féminin. Il s’agit bien sûr de l’université du Connecticut, située en pleine campagne à Storrs. À vrai dire, Storrs, c’est l’université! Le village est dominé par l’ancienne bibliothèque de l’université qui surplombe la rue principale. Inadéquat comme bibliothèque, cet édifice loge aujourd’hui des bureaux administratifs, une nouvelle bibliothèque ayant été construite ailleurs pour desservir « la clientèle étudiante », comme on le dirait au Québec. L’édifice qui rallie le plus grand nombre d’étudiants autour d’un but commun est sans aucun doute le pavillon sportif où les équipes disputent la victoire à leurs adversaires. Les nombreuses bannières suspendues au plafond de l’enceinte témoignent de leurs succès récents.
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Me rapprochant de Boston, fatigué de la route et ayant besoin de me changer les idées, je me suis rendu au légendaire stade de baseball Fenway afin d’assister en après-midi au premier match d’un programme double impliquant les Red Sox contre le club visiteur, les Devil Rays de Tampa. Les amateurs étaient nombreux à se diriger vers le vieux stade, ouvert en 1912. Les rues sont laissées aux piétons et aux acheteurs de souvenirs. S’ils
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arrivent assez tôt, les automobilistes peuvent, pour la « modique somme » de 20$, se stationner chez l’un ou l’autre des nombreux débits de fast-food ou d’essence du quartier.
Malheureusement pour ce voyageur las, il ne restait plus de place et il a dû poursuivre allégrement son chemin le long de l’avenue Commonwealth vers le Common et le centre-ville de Boston.
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Le dernier francophone à Frenchville, PA

Les origines de Frenchville, en Pennsylvanie (2 000 âmes) sont plutôt obscures. Selon la version la plus plausible, un richissime de Philadelphie à qui appartenait une vaste superficie au centre de la Pennsylvanie fit face, aux années 1820, à des difficultés financières. Pour se libérer d’une dette importante encourue aux mains d’un
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commerçant parisien, il lui aurait cédé, par l’entremise de John Keating, agent de celui-ci à Philadelphie et « gentleman catholique exemplaire », le territoire de l’actuelle Frenchville qui avait de 1753 à 1758 appartenu à l’Archevêché de Québec. En France, le marchand a convaincu des habitants de Normandie et de Picardie de traverser l’Atlantique et de s’établir aux pays des Quakers. Entre 1830 et 1836, aidés des Sulpiciens français de Baltimore et de Philadelphie, déjà établis aux États-Unis depuis 1792, les Bilotte, Roussey, Beauseigner, Moulson, Coudriet, Renaud, Plubelle, Rougeux, Valimont, Picard et Guenot, entre autres, arrivèrent. La terre rocailleuse et la forêt abondante de la région feront en sorte qu’ils gagneront leur maigre pain comme bûcherons et draveurs, flottant les billots depuis Frenchville jusqu’à Lock Haven.située sur le tributaire ouest du Susquehanna
Une visite au cimetière de Sainte-Marie-de-l’Assomption révèle un contraste frappant entre les premières tombales, peu nombreuses et gravées en français, et les autres plus récentes. En se fiant aux pierres tombales, on peut
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constater que le français comme langue écrite n’a duré qu’une génération. Toutefois, selon une histoire paroissiale de 1940 qui m’a été fournie par l’actuel curé, père Sam Bungo, rencontré au presbytère, adjacent à l’église, “the language of France has been preserved and is still spoken in the majority of households ». (La langue de France a été préservée et est encore parlée dans la majorité des foyers. ». Selon une autre histoire paroissiale publiée en 1970, une école fut établie à Frenchville vers 1850. Dans cette école, l’État exigeait que seul l’anglais soit parlé, ce qui causait certaines difficultés parce que le français était parlé exclusivement au foyer jusqu’aux années 20.
L’une des figures de proue de l’histoire de Frenchville est le père Jean-Baptiste Berbigier, né en France en 1822. À l’âge de 24 ans, il devint pasteur de la communauté et l’est resté jusqu’en 1886, après quoi, il n’y a plus eu de prêtres francophones. À l’occasion, lors de courtes absences, le père Berbigier se faisait remplacer par son cousin, M.A De LaRoque (1856), par Charles Bérard (1877) et par Eugène Cogneville.
Au presbytère, l’adjointe du Père Sam, LuAnn, m’a référé aux deux derniers francophones de Frenchville, les frères Bilotte, Kenny et Nestor. À l’aide de la maîtresse des postes, Vickie, j’ai réussi à me rendre chez Kenny. Tout au long du chemin, la signalisation routière et les noms sur les boîtes aux lettres rappelaient la véracité du nom du village dont le curé Sam disait, à la blague, vouloir changer, vue le contexte politique actuel, en « Freedomville ». Kenny et moi avons passé une demi-heure à discuter et à découvrir que nous nous comprenions très bien. Son français était rouillé, mais très riche. La conversation aurait pu durer plus longtemps, mais il attendait son courtier d’assurance. Kenny a pu confirmer ce qui était écrit dans les petites histoires paroissiales, que jusqu’aux années 20, le français demeurait la langue publique à Frenchville. Il n’était certes pas écrit, mais il était néanmoins le principal véhicule de communication interpersonnelle. Aux années 40, il était réduit à la communication au sein et la famille. Ses parents n’ont jamais accepté que les quatre enfants leur adressent la parole en anglais. Aujourd’hui, Kenny, qui dit avoir septante ans et qui espère se rendre à nonante ans, ne le parle qu’avec son frère, Nestor…quand ils jouent aux cartes…si leur femme ne sont pas là. Il n’a jamais été ni au Québec ni en France.
En se quittant, Kenny, dernier francophone à Frenchville, a accepté de se faire prendre un « portrait » devant sa bannière bleue sur laquelle est inscrite « Guardian Angel, keep our home safe ». (Ange gardien, préservons notre foyer). Il m’a ensuite invité à revenir à l’occasion du traditionnel pique-nique de Frenchville qui a lieu bon an mal an la troisième fin de semaine du mois de juillet. C’est le moment des grandes retrouvailles et la circonstance privilégiée pour fêter l’héritage français.
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Quatrième temps d’arrêt …

…mais pas un temps d’arrêt de tout repos, au contraire!
À la demande de Monsieur Marc Boucher, délégué du Ministère des relations internationales du Québec à Los Angeles, j’ai accepté de faire une tournée de conférences sur la côte ouest des États-Unis. Le but de l’exercice était triple :
1) Renforcer les liens entre la Délégation du Québec à Los Angeles et plusieurs institutions et associations situées sur son territoire.
2) En tant qu’Ambassadeur du Conseil de la vie française en Amérique, faire connaître la Franco-Amérique historique et contemporaine.
3) Permettre au conférencier itinérant de se faire connaître en diffusant ses travaux.
Grâce à huit présentations en cinq jours dans cinq villes différentes, les trois objectifs furent rencontrés. Voici le programme de la tournée et le titre de chaque présentation :
Le samedi 17 avril à Pasadena, en Californie. Jamboree de la Southern California Genealogical Society; la composante canadienne-française y joue un rôle particulièrement important. Titre de la conférence : « À travers l’Amérique : a voyage with genealogical implications ».
Le lundi 19 avril à Seattle, dans l’état de Washington. Programme en études canadiennes à l’université de Washington. Titre de la conférence : « La Franco-Amérique : Panorama of People and Places ». Séminaire de deuxième cycle en linguistique sur le thème « La situation linguistique au Québec ».
Le mardi 20 avril à Bellingham, dans l’état de Washington. Cours en sciences politiques à Western Washington University. Thème : « L’actualité politique au Québec et au Canada ». Cours de français à Western Washington University : Thème : « Échantillons musicaux tirés de la Franco-Amérique ».
Le mercredi 21 avril à Portland, en Orégon. Cours d’histoire à Portland State University . Titre de la conférence « : Faces of la Franco-Amérique, with emphasis upon French Prairie, Oregon ». Réunion de la Oregon Historical Society. Titre de la conférence : « Faces of la Franco-Amérique, with emphasis upon French Prairie, Oregon ».
Le jeudi 22 avril à Salt Lake City, en Utah. Congrès de la Western Social Science Association. Titre de la conférence : « La Franco-Amérique : Panorama of People and Places »
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Heureusement que j’ai eu de l’aide. À Bellingham et à Seattle, M. Éric Marquis, responsable des relations publiques à la Délégation et mon accompagnateur attitré, a partagé la tribune avec moi lors des exposés sur les situations linguistiques et politiques. À Portland, Melinda Jetté, de l’endroit, m’a secondé (voir le 26e texte dans cette série).
Heureusement aussi qu’après ce marathon et avant de me rendre par avion à Harrisburg, en Pennsylvanie, où ma Safari condo m’attendait pour continuer le périple à travers l’Amérique, j’ai pu reprendre mon souffle chez ma sœur qui habite la région de Salt Lake (voir le 33e texte dans cette série).


Pâques au Paradis, PA

Le terrain de camping Country Acres se trouve sur l’ancienne route 30, à 15 km à l’est de Lancaster et à 100 km à l’ouest de Philadelphie. Le bourg s’appelle Paradise. C’est la campagne. Les coqs chantent, les chiens aboient et les odeurs de la basse-cour s’attaquent à l’odorat sensible. À l’occasion, un Amish passe en route vers Stoudersburg.
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Devant l’église méthodiste unie de Saint-Jean, une pancarte annonce une célébration pascale qui se tiendra le lendemain à l’aube. J’irai. Pourquoi pas ? Tout le monde est la bienvenue à l’église Saint-Jean.
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À 6h30 le matin de Pâques, une trentaine de fidèles se réunissent devant trois croix. Celle du centre est ornée d’une guirlande blanche et au pied des trois se trouve un lis de Pâques. Les gens se connaissent bien. Ils se donnent la main et se font des sourires. Le pasteur Joe fait la lecture de l’Évangile selon Saint-Marc. Le répertoire de chants est varié, allant du populaire « Morning has Broken » de Cat Stevens jusqu’au grand classique de la musique protestante, « Christ the Lord is Risen Today ». L’accompagnement se fait à la guitare et nous chantons du mieux que nous pouvons compte tenu de l’heure.
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À 7h, un déjeuner copieux est servi dans le social hall (salle paroissiale) : œufs, saucisses, jambon, pommes de terre, pains dorés, fruits, beignes, pâtisseries, jus et café. À 8h a lieu, en l’église, la célébration de la communion pascale. Pour rendre hommage à leurs parents et amis disparus, quarante et un couples ou individus ont placé le long de l’autel de jolis lis.
Fait inusité. À table, lors du déjeuner, les hommes discutaient de la victoire de la veille des Flyers de Philadelphie sur les Devils du New-Jersey. Ce visiteur du Québec était fier de pouvoir dire à ces amateurs de hockey qu’il connaissait personnellement l’une des vedettes de leur formation favorite, Simon Gagné. En fait, ses fils, Zachary et Mathieu, ont été des coéquipiers du jeune Flyer où moment où ils évoluaient tous dans le hockey mineur de Sainte-Foy.


Vendredi saint sur le Blue Ridge

Aujourd’hui, j’ai fait un retour sur le Blue Ridge, cette crête des Appalaches dont j’avais entendu parler pour la première fois en 1949, à l’âge de six ans, en écoutant la radio. À l’époque, Arthur Godfrey, vedette de la radio aux États-Unis, ouvrait son émission en chantant « Along the Blue Ridge mountains of Virginny, on the trail of the lonesome pine… ». Ensuite, Godfrey faisait l’éloge des cigarettes de marque Chesterfield, son commanditaire. Quelques années plus tard, leur poison mettrait prématurément fin à sa vie.
En 1933, au cœur de la Crise économique, le Président Franklin D. Roosevelt s’est rendu dans le parc national Shenandoah afin de constater de visu les réalisations des membres du Civilian Conservation Corps. Il s’agissait d’une petite armée de chômeurs, victimes de la récession, rassemblée à l’époque pour leur assurer un niveau de vie minimal et pour faire avancer des travaux publics. Ici, en Virginie, comme partout ailleurs au pays pendant cette période difficile, les membres du CCC veillaient au mieux-être du pays.
C’est lors de la visite du président qu’est venue l’idée d’aménager le long de la crête du Blue Ridge, sur une distance de 600 km, une route panoramique reliant entre eux les parcs nationaux Shenandoah et Great Smokies. Depuis 65 ans, donc, cette route étroite et parfois sinueuse à laquelle l’automobiliste peut accéder à plusieurs endroits offre des vues à vous couper le souffle. Vers l’est, c’est le piedmont, vers l’ouest la plaine côtière. Pour le conducteur
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pressé, la route est à déconseiller. La limite de vitesse y est de 60 km l’heure. Je l’ai empruntée à Boone, en Caroline du Nord et je l’ai quittée à Waynesboro, en Virginie. Sur cette distance de 300 km, je n’ai vu aucun camion commercial, aucun gros véhicule récréatif, aucune station service, aucun débit de fast-food, aucun centre d’achats ! Que de la route reposante permettant au voyageur d’apprécier la flore et la faune.
À l’occasion, on passe devant un beau domaine comme celui de Doe Meadows (prè de la biche). Les terres
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servent au pâturage et à la culture de chou, de maïs, d’avoine et de foin. L’objet le plus photographié, sinon le plus pittoresque, le long du parkway est le moulin construit en 1910 par Edwin Mabry qui, avec sa femme, Mintoria Lizzie Mabry, l’a exploitée jusqu’en 1936. En 1945, le Service des parcs nationaux a restauré le moulin et a paysagé le site.
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Avis aux cyclistes expérimentés : Yesssssssssss !