Retrouvailles à Tuscaloosa, AL

De 1970 à 1981, Jerald R. Izatt était professeur de physique à l’université Laval. Puisque nous partagions les mêmes origines géographique et culturelle, nous nous sommes tôt liés d’amitié. Au cours de l’hiver de 1981, Jerry a accepté un poste à l’université de l’Alabama. Par conséquent, Jerry et Mary Ann ont quitté Québec, élisant domicile à Tuscaloosa dans une belle maison située sur un énorme terrain qui donne sur un petit lac artificiel. C’était donc avec beaucoup de plaisir et d’émotion que nous nous sommes retrouvés chez eux pour la deuxième fois seulement en vingt-quatre ans.
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L’université de l’Alabama possède une histoire très riche, à la fois lointaine et contemporaine. Aux années 60 du 19e siècle, son campus était ciblé par l’Armée du Nord qui l’a longtemps occupé. Un siècle plus tard, le campus fut de nouveau « occupé » par les forces fédérales, cette fois-ci dans le but de faire tomber les barrières de la ségrégation raciale. Le gouverneur de l’État de l’époque, George Wallace, s’est braqué dans la porte de l’Auditorium Foster pour empêcher l’inscription de deux étudiants afro-américains à des cours dans cette université toute blanche. Cette scène fut reprise dans le film à succès Forrest Gump, mettant en vedette Tom Hanks.
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Si l’université est bien connue pour ces événements historiques, elle l’est encore davantage pour son équipe de football et son légendaire entraîneur, Paul « Bear » Bryant, décédé il y a une vingtaine d’années, après avoir emmené, bon an mal an, ses équipes au sommet du football universitaire américain. Le « coach » est encore partout sur le campus. Des fanions aux couleurs de l’université le célèbrent encore. Il a son musée contenant des ballons, casques, trophées, crampons…bref, tout ce qui rappelle la gloire du « Bear », de ses joueurs vedettes et de leurs nombreux championnats. La résidence sur le campus construite ses dernières années pour loger les athlètes porte également son nom. Et à tous les jours à Tuscaloosa, les automobilistes roulent sur le boulevard Paul W. Bryant et les écoliers fréquentent l’école Paul W. Bryant.
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À une vingtaine de kilomètres du stade Denney-Bryant, la firme Mercedes Benz, établie à Tuscaloosa depuis une dizaine d’années, essaie de tirer profit de la « légende du coach » et de l’aura entourant l’équipe du Crimson Tide (sobriquet de l’équipe) pour inspirer et inciter ses employés à donner leur plein rendement. C’est ici, sur un immense terrain de 966 acres qui ressemble davantage à un parc qu’à une usine que le géant allemand profite d’une excellente main d’œuvre à bon marché pour réaliser le montage annuel de 160 000 véhicules sportifs et utilitaires (SUV). À l’heure actuelle, 2 000 travailleurs en assurent la production. Ils sont dirigés par des administrateurs venus d’Allemagne. D’ici 2007, la production est appelée à augmenter. Le nombre d’employés doublera. Les SUV peuvent être vendus sur le marché domestique ou transportés par chemin de fer au port de Mobile sur le golfe du Mexique à partir duquel l’exportation se fait.
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Je ne pouvais m’empêcher de penser que plusieurs de ces SUV pourraient aussi se retrouver le samedi matin autour de cet énorme stade de 90 000 places à l’occasion des combats épiques des gladiateurs universitaires. Bien sûr, je fais allusion aux fameux « tailgate parties », qui précèdent chaque match de football.


Otage de la glace en Georgie

Oui, définitivement, ça va assez mal! Après avoir subi les intempéries en Nouvelle-Angleterre, je me trouve encore otage des éléments, cette fois-ci en Georgie…et je n’étais pas le seul à avoir cherché refuge au KOA de Forsyth.
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Les Bowman, de véritables aubergistes, originaires du nord de la Louisiane, nous ont rendu les désagréments du moment les plus agréables, même aux gens d’Indiana , arrivés de Floride remorquant leur bateau et portant des culottes courtes. Ce n’était pas que nous avions peur de conduire sur ces chemins. Non, pour la plupart, nous étions des gens du Nord, habitués à la neige, bien équipés et très expérimentés. Nous aurions pu facilement faire face à de telles conditions météorologiques. C’est surtout que nous ne faisions pas confiance aux Georgiens pauvrement équipés physiquement et psychologiquement pour faire face à la tempête.
Mon voisin de l’Ontario maugréait pas mal. Il n’avait pas pris le chemin de la Floride dans le but de déglacer son camion. Il aurait pu faire cela chez lui. Il avait hâte de trouver le soleil! La petite dame du Michigan s’amusait à enlever un à un des glaçons de son rétroviseur. Le monsieur de l’Ohio ne s’amusait pas à monter sur son « fifth wheel » lui enlever de la glace de sorte que ses rallonges ne se brisent pas en glissant à leur place. Le jeune Georgien se demandait comment il allait faire pour conduire sa femme, ses deux bambins et sa magnifique caravane de 32 pieds jusque chez lui, à 60 kilomètres de là.
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Ne pouvant profiter des activités sportives qu’offrait le terrain de camping, les gens flânaient à la réception et au magasin et se racontaient des histoires. Le meilleur compteur était George, résident permanent du KOA depuis son divorce. Aujourd’hui, il ne jure que sur les bienfaits de la solitude et du célibat. Il habite sa roulotte et profite du faible
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loyer mensuel que lui offre Ken Bowman. Né à Dauphin, au Manitoba, d’un père canadien et d’une mère américaine, George a opté, à l’âge de 18 ans, pour la vie aux États-Unis, en commençant par le Montana. Peu de temps après, « son oncle » (Oncle Sam) lui offre la possibilité de faire un voyage toutes dépenses payées au Vietnam. Ce n’est pas un voyage de tout repos! Les hélicoptères dont il assure la bonne marche lui permettent de voir du pays et de beaux feux d’artifice. Ensuite, toujours dans le service de « son oncle », George passera de courts séjours en Inde et au Pakistan. À ma question concernant la nature de ses missions dans ces deux pays, il répond, sourire aux lèvres, par un seul mot : « goodwill ». Le militaire américain y était pour se faire des amis! Une fois sorti de l’armée, George gagne sa vie dans le Midwest (Illinois et Indiana). « Pour moi, dit-il, les États-Unis c’est un pays où on peut bien gagner sa vie. Le Canada est un beau pays, mais on donne tout son argent aux gouvernements, d’autant plus qu’il fait trop froid! » Tanné du froid et de la « slotche » du « Rust Belt », George opte en fin de carrière pour le « Sunbelt », la Georgie, afin d’y faire l’élevage de roses sur une belle terre rouge que gardera son épouse au moment de la scission. Fin de son rêve.
Il reste quand même en George un petit fond canadien. Il critique sévèrement la politique de l’autre George (W. Bush), ce qui l’amène à des débats soutenus et orageux avec ses voisins extrêmement conservateurs et fortement influencés par la droite chrétienne qui dicte la ligne de conduite de la majorité ici.


New Bern, NC : faire fausse route sans se perdre

La possibilité de passer quelques heures dans l’une des rares colonies suisses en Amérique du Nord m’avait attiré à New Bern. Au centre d’interprétation, la gentille dame m’assure que c’était bel et bien des Suisses qui se sont installés ici en premier. Ces premiers habitants se seraient toutefois disparus mystérieusement sans laisser de traces, seulement le toponyme « Bern », mot qui, selon elle, veut dire en allemand « ours ». De vrais ours ici, on n’en voit pas, mais des effigies d’ours, il y en a partout : sur les voitures de police, sur les plaquettes identifiant des édifices historiques, sur les équipes sportives de l’école secondaire. Ne connaissant pas très bien l’allemand et désireux de vérifier les informations qui venaient de m’être transmises, j’ai téléphoné à Konrad, mon ami canadien d’origine allemande, qui m’a confirmé que « bern » ne voulait pas dire « bear ». Devant ce dilemme, je suis resté perplexe. Mais, malgré le fait d’avoir été induit en erreur, j’ai néanmoins trouvé fascinante cette petite ville de 23 000 habitants dont l’importance historique et culturelle semble dépasser de loin son poids démographique. Située à la confluence des rivières Neuse et Trenton, à proximité de l’océan Atlantique, New Bern charme par son cachet historique et surprend par sa contribution originale à la culture populaire nord-américaine.
Si les origines de New Bern semblent vagues en ce qui concerne ses premiers habitants européens, elles sont très claires quant aux deuxièmes, les Anglais. À l’époque coloniale, ceux-ci ont établi New Bern comme capitale de la Caroline du Nord. Elle l’a demeurée pendant une quinzaine d’années après la déclaration d’indépendance américaine de 1776. Une fois la nouvelle république américaine fondée, les Caroliniens commençaient à quitter les zones côtières, se déplaçant vers l’intérieur, vers le piémont et vers les Appalaches. New Bern se trouvait loin des nouveaux noyaux de populations, Par conséquent, la capitale fut déménagée à Raleigh, au centre géométrique de l’État. Aujourd’hui, entouré d’une muraille haute de trois mètres, à la manière des châteaux et logis de la royauté anglaise, le palais Tryon témoigne encore de ce rôle prestigieux de capitale.
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Plus d’une douzaine de maisons avoisinant le Palais Tryon sont classées « monuments historiques ». Parmi elles, le manoir Harvey, bâti en 1798, la maison Stanley, où sont nés en 1810 et 1817 respectivement, le gouverneur militaire des forces de l’Union en Caroline du nord, Edward Stanley, et son neveu, Lewis Addison Armistad, Général à la
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tête d’une armée confédérée défaite à la bataille de Gettysburg, et la maison Attmore-Oliver qui abrite aujourd’hui les archives de la société historique de New Bern. La plupart des maisons historiques ont connu à travers les années, selon le climat politique, de multiples fonctions : résidences familiales en temps de paix, quartiers généraux des forces de l’occupation, hôpitaux ou entrepôt en temps de guerre. Si l’histoire coloniale est mise en évidence ici, c’est la Guerre de sécession qui est célébrée le plus. La Caroline du nord a donné 125 000 soldats à la cause du Sud. Sur ce nombre, 40 000 ne sont jamais revenus. Aucun autre État de la Confederacy n’a autant contribué ni autant sacrifié.
Pas moins de neuf édifices à caractère religieux se trouvent à l’intérieur du kilomètre carré que constitue le centre historique de New Bern. Évidemment, les églises baptiste et méthodiste sont les plus imposantes. Plus modestes, les lieux de culte des catholiques et juifs dont la présence remonte à 1824 se font face sur la rue Middle, à proximité des autres.
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La guerre, la religion… deux sujets très sérieux qui ont laissé une marque indélébile sur le tissu urbain de cette petite ville du Tidewater. New Bern a aussi influencé la culture populaire du monde entier en donnant lieu à l’invention d’un produit très recherché qui désaltère et qui portait à préjugés dans le contexte de la belle province.Y a-t-il des gens à Montréal qui se souviennent de l’époque où ils se faisaient traiter de « pepsi » par des « blokes » ? Et bien, n’eut été l’élaboration en 1898 de la formule du Pepsi-Cola par Caleb Bradham, pharmacien de New Bern, il aurait fallu aux Anglâs choisir un autre nom pour abaisser les « Frenchies ».
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Fausse route? Oui, d’une certaine façon. Je n’ai pas trouvé à New Bern ce que je cherchais. Par contre, j’y ai eu droit à de belles surprises. C’est là la joie de voyager en dehors des sentiers battus. On est rarement perdu et jamais déçu.


Cape May, NJ

À l’extrême sud du New-Jersey se trouve le phare du Cap-May. Il n’est pas le seul dans ce petit État coincé
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entre deux mégalopoles, New York et Philadelphie. En tout, il y en a dix-neuf qui surveillent les baies et estuaires de la côte déchiqueté du « Garden State ». Celui-ci, le troisième à occuper ce lieu surplombant l’entrée de la baie du Delaware, fut érigé en 1859 et mesure 52 mètres. De nos jours, le phare clignote à toutes les 15 secondes. À une distance de 40 km au large, ce signal est visible.
Henry Hudson est le premier Européen à pénétrer la baie en 1609.En 1620, un capitaine hollandais Cornelius Jacobsen Mey donna au bout de la presqu’île son propre nom dont l’épellation fut modifiée par la suite. Les premiers habitants permanents ne viendront occuper ces côtes que presque cent ans plus tard. Ce seront des baleiniers en provenance de la Nouvelle-Angleterre qui fonderont le village de Cap-May qui deviendra un haut lieu de villégiature pour la classe supérieure du Nord et certains membres de l’aristocratie du Sud. Déjà en 1766, les liens étroits lient le village à Philadelphie, située en amont du Delaware sur l’autre rive. Par la suite, les planteurs bien nantis de la région du Tidewater, zones côtières des actuels États du Maryland, de la Virginie et de la Caroline du nord, découvriront les charmes de cette région à l’air frais et salin, aux plages blanches et à la température plus fraîche que chez eux. Donc, cohabitation jusqu’au moment de la Guerre de sécession par ceux qui deviendront des ennemis pendant ce conflit meurtrier qui marquera l’histoire des États-Unis.
Après la victoire du Nord, les grands industrialistes de cette région firent construire un chemin de fer de New-York à Cap-May. La région connut alors une croissance et une prospérité relative sans précédente qui est reflétée dans
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l’architecture victorienne recherchée par l’élite de l’époque. Mais il y a d’autres influences tout aussi saisissantes, comme la maison de Stephen Smith, homme d’affaires, philanthrope et abolitionniste, d’origine afro-américaine. Smith s’est construit en 1846, au moment où, comme pasteur, il fondait l’église A.M.E. (African Methodist Episcopal). Aujourd’hui, l’église méthodiste du Cap-May, aux allures gothiques, se situe en face de la maison Smith.
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Deux ans après avoir subi les ravages du terrible ouragan de 1962, l’accès à Cap-May à partir du sud s’est amélioré grâce à l’établissement d’un lien avec Lewes, situé à une quarantaine de km, sur l’autre rive, dans l’État du Delaware. Selon la saison, les voyageurs contemporains peuvent être desservis chaque jour aux heures variables par cinq traversiers de dimension appréciable.
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En quittant le quai de Cap-May en plein hiver, un Québécois pourrait se croire à bord du Alphonse Desjardins qui fait la navette entre Lévis et Québec—bouée en moins. Au milieu de la baie, toutefois, la largeur de l’estuaire empêche de voir les deux rives. Par contre, le trafic maritime se dirigeant vers Philadelphie est bien en vue. Quatre-vingts minutes après le départ, les passagers arrivent à Lewes..


Otage de la « tempête du siècle »

Aurais-je pu choisir un moment plus difficile pour reprendre la route ? Le choix a été dicté en grande partie par le calendrier chrétien, car je tenais absolument à être en Louisiane pour mardi gras qui arrive tôt cette année (8 février). Oui, la Louisiane! C’est un retour dans ce pays que j’ai commencé à fréquenter en 1969 à titre de touriste. J’y ai vécu en tant que chercheur en 1977 et 1978. Faisant partie d’une équipe de recherche canadienne bénéficiant d’un octroi de la Fondation Ford, j’étudiais, avec mes collègues, le renouveau ethnique et linguistique qui semblait s’y enclencher. Pour le faire, nous avons parcouru dans tous les sens la partie méridionale de cet État américain qui fascine tant le monde francophone. Nous y avons enregistré sur cassettes des entretiens chez des centaines de Cadiens et Créoles qui subissaient avec politesse, patience et enthousiasme nos interrogations. Les quelques 600 cassettes que nous avons rapportées du terrain constituaient—et constituent encore de nos jours—le meilleur échantillon du français parlé en Louisiane à cette époque-là—époque révolue, car malgré les efforts soutenus du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) et en dépit de nombreux appuis des pays de la Francophonie, le nombre de locuteurs du français continuent à diminuer. En 2005, plus d’un quart de siècle plus tard, il était temps que je rapatrie la partie de ce patrimoine louisianais qui avaient, toutes ces années durant, demeuré en ma possession.
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Partant de Québec par temps très froid (-26 C.), je croyais que les choses ne pourraient aller qu’en s’améliorant. Erreur! À la frontière, le douanier, après avoir étudié la lettre qui m’a été fournie par le directeur du Centre d’éco-tourisme autorisant le dépôt de mes « documents » dans ses archives à l’université de la Louisiane-Lafayette, et effectué une légère fouille, me demande si je suis au courant de la tempête qui sévira bientôt sur le territoire que je devrai bientôt traverser. En écoutant la radio des postes du Maine, du New-Hampshire et du Massachusetts, je le deviendrais. Les prophètes de malheur en ondes prédisent la « tempête du siècle ». Je me dis que le siècle est très jeune. Il n’a que cinq ans. Donc, histoire courte, tempête petite, surtout pour quelqu’un de Québec habitué aux intempéries de l’hiver.
Mais hélas, près de Hartford, au Connecticut, il devenait de plus en plus évident que poursuivre mon chemin
comporterait des risques importants. Emprunter par mauvais temps le pont Tappan See et, ensuite, le
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Garden State Parkway dans le but de traverser la grande région de NewYork s’annonçait particulièrement périlleux. J’ai pris refuge au Motel 6 de Southington, situé à la sortie 32 de la très passante I-84. Je n’étais pas le seul. Un brave homme remorquant un U-Haul a eu la même idée. Et plusieurs autres ont suivi notre exemple, stationnant leurs voitures près de ma Safari condo.
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Au lendemain matin, j’ai reçu un message de l’un de mes fils sur lequel je peux toujours compter pour donner de bons conseils :
Salut Ppa!
Ne bouge surtout pas de cet hotel tant que ce n’est pas sécuritaire. Tu devrais prendre la journée de demain pour écouter du bon football et relaxer
Et c’est exactement ce que j’ai fait. Otage de la « tempête du siècle », j’ai regardé à la télévision la victoire des Aigles de Philadelphie sur les Faucons d’Atlanta et des Patriotes de la Nouvelle-Angleterre sur les Forgerons de Pittsburgh.