Rencontre inattendue entre Québécois à Las Vegas

En 1905, lors d’un encan tenu au coin de Fremont et Main, le plan de la ville de Las Vegas se dessine. L’année suivante l’hôtel Golden Gate et son casino s’ouvrent sur les lieux mêmes. Ils sont encore là et font partie aujourd’hui de ce qui s’appelle la Fremont Experience. Il s’agit d’une nouvelle concentration de jeux au downtown, à deux kilomètres au nord du fameux « Strip », cette longue artère qui est le boulevard Las Vegas, regroupant une multitude de méga hôtels et casinos, depuis le Stratosphère au nord au Luxor au sud. Moins célèbre que le « Strip », la rue Fremont, depuis sa transformation, en 1995, en Fremont Experience, un vaste théâtre urbain tout en néon, couvert d’un toit qui, aux heures piles, une fois la nuit tombée, sert d’immense écran, long de quatre pâtés de maison, sur lequel sont projetés des spectacles de son et lumière à couper le souffle.

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C’est ici, en faisant la queue pour entrer au diner du Golden Gate, que nous avons rencontrés des compatriotes: Carel, Éric et Denis, fraîchement arrivés de Joliet pour une visite de cinq jours. Malheureusement pour eux, ayant réservé à quelques jours d’intervalle, ils n’ont pas pu avoir des accommodations dans le même hôtel. Le couple, Carel et Éric, pour qui c’était la troisième visite dans la capitale mondiale des jeux, dormaient–si on dort à Las Vegas–au Imperial Palace, tandis que leur copain, Denis, facteur de métier qui compte les jours avant de prendre sa retraite l’an prochain, devait se contenter de Harrah’s. Mais quel contentement, car Harrah’s est au « Strip » ce que est le Golden Gate au Fremont Experience, l’une de ses plus vieilles institutions!

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De gauche à droite: Éric, Carel et Denis

Lors de nos conversations, nous ne pouvions que remarquer l’influence du Québec à Las Vegas. Le Cirque du Soleil est partout–sur tous les enseignes–produisant des spectacle à profusion d’un bout à l’autre du « Strip ». Ne mentionnons que Ô, Kà, Mystère, Zumanity et Love qui dominent la marquise aux hôtels Bellagio, MGM Grand, Treasure Island, New York New York et Treasure Island respectivement. N’oublions pas non plus que c’est ici que Céline a atteint le statut de diva.


Deux Québécoises en Utah, au service de leur Église

Au Québec, il est souvent question des « nouvelles religions ». Parmi celles-ci, se classe bien sûr l’Église de Jésus-Christ des Saint des Derniers Jours, communément appelée l’Église mormone. Pour la plupart des Québécois et des francophones du monde entier, il s’agit là d’un « culte » ou d’une « secte ». C’est pour cela qu’il est fort instructif de voyager au pays des Mormons, de visiter Temple Square à Salt Lake City, le Vatican des Saints des Derniers Jours. On découvre que ce n’est pas tout à fait cela.

À 425 km au sud-ouest de là et à 200 km au nord-est de Las Vegas se trouve la ville de St. George (j’en ai déjà parlé dans une chronique écrite il y a 5 ans et publiée sur ce site). Autrefois, petite ville somnolente, jouissant des températures exceptionnellement chaudes pendant la saison froide, elle est bourgeonnante de nous jours. De moins de 10 000 habitants qu’elle comptait en 1970, elle en compte environ 100 000 aujourd’hui. Au coeur de cette agglomération se trouve le temple mormon, dédicacé en 1877. À cause de la douceur de son climat, Brigham Young (1801-1877), prophète aux yeux des fidèles et réputé colonisateur de vastes étendues de l’Ouest américain, a opté pour la construction de sa maison d’hiver à St. George


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Temple de St. George

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Centre d’interprétation du temple de St. George

Aujourd’hui, le Centre des visiteurs du temple de St. George, une mini version du Temple Square à Salt Lake, est très fréquenté par les voyageurs nord-américains, se déplaçant en voiture entre Los Angeles et Salt Lake ou Denver et des touristes internationaux à la recherche du wilderness. En fait, le temple de St. George et son centre d’interprétation font partie maintenant du circuit des parcs nationaux de la région (Bryce Canyon, Zion’s, Grand Canyon). Pour acceuillir les visiteurs dans leur langue, de nombreuse jeunes missionnaires, engagées bénévolement pour une période de 18 mois, sont sur place. Parmi elles–car ce sont toutes des jeunes femmes–sont deux Québécoises qui assurent une permanence en langue française, Soeur Poulin de Drummondville et Soeur Charette de Gatineau. Soeurs? Oui, car pendant la période de service missionnaire, on n’utilise jamais le prénom habituel, ce qui aurait tendance à inspirer une certaine familiarité qui n’est pas souhaitée.

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Soeur Charette

Soeur Poulin

Soeurs Poulin qui terminera sa mission en avril et rentrera au Québec par la suite et Soeur Charette qui a commencé la sienne en janvier 2009 se font un plaisir de rencontrer des passants au Centre afin de leur fournir par voie de la parole, du pamphlet, du film et de la musique des explications sur l’histoire et les principes de cette « nouvelle » religion que leurs parents ont adoptée au Québec il y a une génération.


Millard Fillmore, président anonyme!

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À l’occassion de l’inauguration du 44e président des États-Unis, le monde entier a l’impression, grâce aux médias modernes et à la longue campagne présidentielle, de connaître déjà à fond le nouveau président, Barack Obama. Or, il n’en a pas toujours été ainsi! Certains présidents ont été des personnages anonymes, oubliés par l’histoire. Hier, ma visite au premier capitole du territoire de l’Utah, Fillmore, aujourd’hui chef lieu du comté de Millard, me l’a rappelé.

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Première assemblée législative de l’Utah, circa 1855.

En 1850, au moment du décès du douzième président des États-Unis, Zachary Taylor, le vice-président, Millard Fillmore a assumé les lourdes responsabilités de président. N’étant pas réélu à l’élection suivante, ce dernier des Whig a sombré dans l’oubli, sauf en Utah où l’un des 29 comtés porte son prénom et la petite ville (2 253 habitants) son nom. Pourquoi donc?  

C’est que Millard Fillmore a accédé à la présidence trois ans après l’arrivée des premiers pionniers mormons dans la vallée du Grand lac salé. Pendant sa présidence, la colonisation du vaste territoire de l’Utah sous la direction du prophète Brigham Young, s’entamait. Malgré les tractations, tergiversations et persécutions subies par les Mormons aux mains des Américains du Missouri et de l’Illinois, avec le concours des autorités gouvernementales, qui nécessitèrent leur départ des États-Unis, Young, nouvellement nommé gouverneur du territoire récemment acquis par les États-Unis, suite à la guerre avec le Mexique, tenait à convaincre les autorités fédérales que ses ouailles étaient, malgré les rumeurs qui circulaient au sujet de de leurs moeurs étranges, des citoyens modèles, encore fidèles à l’Union. Quelle meilleure façon d’en faire la démonstration que de baptiser la capitale du nouveau territoire au nom du président de la République étoilée?

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Circa 1930

Aujourd’hui, à la veille de l’inauguration de Barack Obama comme 44e président des États-Unis, il peut être difficile de trouver dans cet État, le deuxième plus rouge des États rouges (après Oklahoma), quelqu’un ayant voté pour lui !


Rencontre dans les airs avec un Chevalier de Colomb

Comme c’est agréable de ne pas passer par Montréal pour se rendre aux États-Unis par vol commercial. Le 10 janvier, à 8h10, j’ai pris le vol 2869 de Northwest Airlink vers Détroit avec correspondance à Salt Lake City. À 14h10 (MST), je me trouvais déjà dans l’étreinte de ma soeur. Entre temps, assis dans mon siège 17-C de l’airbus 319, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Donald Bouchard, assis, lui, dans le 17-B, à côté d’une Américaine d’origine coréenne, dans le 17-A, qui ne cessait de lire de sa bible en prenant des notes à profusion. Donald partit tôt le matin de Portland, au Maine, à destination de Tucson, en Arizona, afin participer, avec 475 autres agents du KoC de partout aux États-Unis, à l’assemblée annuelle des agents des Chevaliers de Colomb dont Don est membre au quatrième degré. De chez lui, il s’occupe des dossiers des gens de sa région qui se prévalent de ses services pour l’obtention d’assurance vie et autres.

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L’histoire de Don est intéressante et en dit long sur l’évolution récente de cette capitale franco-américaine qui enjambe la rivière Androscoggin, au sud du Maine. Jeune homme, il n’a que 36 ans. Lui et son frère jumeau sont les cadets d’une famille de sept enfants dont le père est décédé en 1990 et la mère en novembre dernier à l’âge de 63 ans seulement. Sa grande soeur, la plus vieille de la famille n’a que 47 ans. Leurs parents sont nés aux États-Unis, enfants d’immigrants de Trois-Rivières, du côté paternel, et de Magog, du côté maternel. Don ne pouvait me dire avec précision la date d’arrivée dans le Maine de ses grands-parents, mais ils devaient faire partie des dernières vagues en provenance du Québec, avant la fermeture de la frontière canado-américaine en 1929. Sa mère était la dernière de douze enfants et a passé une partie de sa jeunesse, avant la fermeture de l’usine, à travailler dans le complexe industriel formé autour du Bates Mill, à Lewiston.

Mes conversations avec Don se poursuivirent évidemment en langue anglaise car son français était fort laborieux, ce qui le mettait visiblement mal à l’aise. Par contre, si j’avais eu affaire à sa soeur, cette situation ne se serait pas produite car elle parle couramment la langue de ses ancêtres. Pourquoi cette différence? Peut-être trois explications: école, relation filiale, société ambiante. D’abord, la grande soeur a eu l’occasion de fréquenter l’école paroissiale au moment où une partie considérable de son cursus s’offrait encore en français (années 1960). L’école paroissiale franco-américaine se trouvait alors dans ses derniers balbutiements, soit qu’elle fermerait soit qu’elle deviendrait une école comme les autres de point de vue langue d’enseignement. Lorsque Donald est arrivé à la même école, sa vocation linguistique avait changé, la langue française avait complètement disparu. Ensuite, la grande soeur, compte tenu du petit écart entre son âge et celui de sa mère jouissait d’une situation privilégiée auprès de celle-ci. Selon Don, leur relation ressemblait davantage à celle entre deux soeurs qu’entre mère et fille. Maman parlait français avec sa fille et l’initiait à une certaine vie française en l’emmenant régulièrement au Québec assister aux concerts de l’un de ses favoris, Johnny Farrago. Maman y achetait des disques qu’elle écoutait par la suite avec sa fille à Lewiston. Enfin, l’anglicisation/américanisation, la disparition de l’industrie du textile et la réussite économique tardive des Franco de Lewiston-Auburn faisaient en sorte que les Petits Canadas, avec leur institutions ethniques, disparaissaient rapidement les unes après les autres.

Le Messager de Lewiston, par exemple, cessa publication en 1966. Donald prétendait l’avoir vu sur la table de cuisine chez eux, ce qui est impossible compte tenu de sa date de naissance. Il reconnaît d’emblée son tort de ne pas parler français: after all, dit-il, it’s my heritage. Malgré ce voeu pieux et malgré le fait que bon nombre des vieux Chevaliers de Colomb qu’il dessert en tant que commis de bureau et responsable de leurs dossiers préfèrent obtenir le service en français, sa vie se poursuit exclusivement en anglais. Don connaît le Franco-American Heritage Center, nouvellement aménagé dans la magnifique église Sainte-Marie désacralisée, mais ne sait rien de la Collection franco-américaine, les plus importantes archives franco-amércaines de l’État du Maine, conservées sur le campus de l’University of Southern Maine, Lewiston-Auburn Campus. Il n’en savait pas plus sur l’excellent volume, Voyages: A Maine Franco-American Reader, publié l’an dernier par Barry Rodrigue et Nelson Madore.

Comme je fais toujours dans de pareilles circonstances, j’ai suggère à Donald de se réorienter géographiquement, de penser plus en termes « nord-sud » et moins en termes « est-ouest », et de séjourner au Québec afin de se retremper dans la culture de sa mère patrie. Il m’informe que depuis trois ans, il a fait deux voyages à Québec, une fois seul, une fois accompagné de son épouse d’origine irlando-américaine et de leur fille. Les deux fois, il s’est logé au « Château de Frontenac ». Ses promenades se limitèrent donc au Vieux-Québec où, dit-il, « tout le monde parle anglais ». Hélas…