Ultime hommage à un ami

Mise en contexte : Le matin du 24 novembre, j’ai reçu un courriel qui m’a abasourdi. L’un de mes amis les plus chers venait de mourir. Il fallait s’y attendre, car cela faisait plusieurs années qu’il combattait avec acharnement cette maladie qui nous effraie tous, s’offrant aux protocoles expérimentaux pour prolonger sa vie et en souffrant les conséquences. Rémi m’a fait l’honneur de prendre la parole à ses funérailles qui ont eu lieu le samedi 26 novembre en la chapelle de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, avenue Pierre-Bertand, à Québec. Voici donc  les quelques remarques que j’ai livrées ce jour-là pour rendre hommage à ce grand ami qui était, à bien des égards, le frère que je n’ai jamais eu.

Ce carnet de voyages et rencontres en Franco-Amérique n’est peut-être pas la meilleure place pour en parler. Cela fait plus d’un mois que j’y pense. Il y a quand même une certaine logique. Rémi était l’un des premiers étudiants que j’ai rencontrés à l’Université Laval. Ni lui ni moi ne pouvions nous imaginer à ce moment-là l’influence que l’un en viendrait à exercer sur l’autre, et cela pendant une quarantaine d’années, au Québec et ailleurs.

Alors, je suis fier de vous présenter mon ami, Rémi Tremblay, disparu depuis peu. Je vous demanderais de me pardonner un récit aussi personnel et intime.

Rémi Tremblay, un homme d’exception

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Québec, 1971. Moi et ma famille venions de nous installer à Québec, immigrants des États-Unis. J’avais été engagé comme professeur de géographie à l’Université Laval. L’une de mes premières tâches fut de participer à un cours intitulé « Cas géographiques ». À tour de rôle, de semaine en semaine, un professeur se présentait devant les étudiants de première année pour parler de ses recherches. Puisque je venais d’écrire une thèse de doctorat à l’Université de Washington sur la croissance et la diffusion de l’Église mormone aux États-Unis entre 1850 et 1970, j’ai choisi de leur en parler. Je n’y ai pas ressenti un grand intérêt de leur part et suis retourné à mon bureau après un peu déçu. Tout à coup, un jeune homme de 20 ans fit irruption dans mon bureau en me saluant et en disant : « Hé, merci, c’était ben intéressant ça, c’est la première fois que j’entends parler des Mormons ! » Je lui demande son nom, « moi, mon nom, c’est Rémi Tremblay ! » et il est parti et je ne l’ai pas revu. Il a quitté la géographie après un an pour étudier en droit. C’était son droit !

Québec, 1978, sept ans plus tard. Je rentre en ville à la suite d’une année sabbatique passée en Louisiane. Un dimanche, en arrivant à la chapelle située au 765 Boulevard Charest Ouest, je vois plusieurs nouveaux visages dont deux particulièrement attrayants. Il s’agissait de ceux de Rémi et d’Hélène qui, après des mois et des mois d’études et de prières, avaient décidé de tenter leur chance auprès de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Et quelle chance que ce fut…et pour eux et surtout pour nous ! Rémi m’a vite rappelé notre seule rencontre d’il y a sept ans : « Tu vois, j’avais retenu quelque chose de ta causerie ! »

Quand je pense à l’historique de la foi mormone à Québec, deux noms surgissent : celui de Jerald Izatt qui a semé une graine en 1970 et celui de Rémi Tremblay, venu dix ans plus tard, soigner le jardin laissé légèrement à l’abandon afin de le restaurer en beauté et toujours avec un souci particulier pour les jeunes de la génération montante. Ces bâtisseurs sont partis maintenant à moins de deux ans d’intervalle. L’Église mormone à Québec leur doit tant. Personne, à mon avis, n’a autant fait à Québec pour l’Église et ses membres que celui dont nous célébrons aujourd’hui la vie.

Hier, j’ai vérifié les médias sociaux pour voir ce que les gens disaient de la disparition de Rémi. J’y ai glané une dizaine de commentaires. Sans exception, c’étaient des commentaires des jeunes, de deux générations différentes, qui avaient été influencés par cet homme. Je les  cite :

1ière génération

J’ai tellement de bons souvenirs et des moments heureux de jeunesse passés avec lui. Quelle profonde tristesse. (Michael Landry)

J’ai le cœur très lourd. Rémi faisait partie intégrante de ma jeunesse. (Jolyn Louder)

Hélène et Rémy occupent une partie considérable de mes souvenirs d’enfance. Ils me sont très chers. (Lysanne Louder)

Cher Rémi, parti trop jeune et trop vite. (Anne Baillargeon)

Rémi, Rémi, Rémi, t’es ben beau répondit l’écho. (rappel d’une chansonnette d’Anne Baillargeon, Lucie Garneau et Jolyn Louder)

A great, great man. (Katee Louder)

2e génération

Je suis triste d’apprendre la nouvelle. Il fait un peu partie de notre famille à Québec. (Xavier Louder)

Un autre phare qui s’en va, mon second père en quelque sorte. Au delà de toutes ses qualités, je n’oublierai jamais sa générosité inégalable et le fait qu’il s’est tellement oublié pour les autres. Et il aimait tellement la vie et ses deux princesses. (J-P Dion)

Repose en paix, Rémi. Tu peux maintenant te reposer de ton gros combat et continuer de veiller d’en haut sur tous les jeunes à qui tu as tant donné. Merci de m’avoir aidé à remettre la main sur la barre de fer. (Philippe LeBlanc)

Repose en paix, cher Rémi. Tu vas nous manquer. Tu étais une personne gentille, drôle, généreuse et tu étais un modèle pour tout le monde ! On t’aime. (Mariana Ferland)

Les Saints des Derniers Jours appellent leur lieu de culte « La Maison de Dieu ». C’est bien, c’est respectueux, c’est sûrement vrai. Mais si nous sommes ici aujourd’hui assis dans ce bel édifice, nous le devons à Rémi Tremblay. Nous sommes peut-être dans la Maison de Dieu, mais nous sommes également dans la Maison de Rémi. Il a trouvé le site ; il en a recommandé l’achat, il a géré le projet de construction et il a surveillé les travaux !

Ce que Rémi aimait, j’ai essayé d’en dresser une liste partielle :

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  1. Comme J-P l’a dit, il aimait ses « princesses ». Je me souviens d’une promenade avec Rémi. Où ? Je ne m’en souviens plus. Bois de Coulonge peut-être ou les Plaines ou le Domaine de Maizeret. Je sais que c’était un bel endroit et j’écoutais un Rémi, très sérieux, exprimer tout l’amour qu’il avait pour elles, ses princesses, et l’inquiétude qui l’habitait de l’avenir si quelque chose devait lui arriver. Un amour de jeunesse devenu un amour profond,  respectueux et compréhensif. Plusieurs années de vie de couple vécues dans l’espoir de voir arriver un enfant et, enfin, l’enfant tant attendue qui arrive apportant avec elle de la joie insoupçonnée et inimaginable. Cette belle fille tout à fait spéciale n’aurait pas pu mieux tomber que dans cette famille.
  2. L’Évangile de Mathieu nous raconte qu’un jour on a demandé à Jésus, « Seigneur, quel est le plus grand commandement ? » Jésus répondit, « Tu aimeras ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Rémi aimait-il Dieu ? Nicolas Beaubien, l’évêque de la paroisse vient de nous dire que Rémi avait sans cesse servi Dieu depuis 30 ans. À deux reprises et pour une période de plus de dix ans, il a occupé les postes qui sont, à mon avis, les importants dans la hiérarchie de notre église, ceux de Président de branche ou d’Évêque. C’est dans ces cadres-là, surtout, que l’on doit composer avec les problèmes réels des gens. J’aimerais que chaque personne dans cette salle à qui Rémi Tremblay ait rendu service lève la main. S’il vous a rendu plus d’un service, levez l’autre main ! Voyez-vous ? Il n’y a plus rien à dire à ce sujet ! Rémi, de toute évidence, a respecté sans faille les deux plus grands commandements.
  3. Rémi aimait voyager : chez son frère, Robert, en France, au pied des Alpes ; à son condo en Floride dont il n’a pas eu le loisir de profiter autant qu’il aurait voulu et qu’il avait obtenu grâce à son ancien patron, Serge, de multiples voyages en ma compagnie dont je voudrais vous en faire part de deux. D’abord, celui en Caroline du Nord. J’avais dit à Rémi que j’y allais pour participer à un congrès de l’Association américaine d’études religieuses. Il me dit : « ah oui, ça m’intéresse, je peux-tu y aller ? » « Mais oui », je réponds, « allons-y ». En arrivant, un peu pressés, on s’entend pour que j’aille nous inscrire et qu’il s’occupe de la location d’une voiture parce que nous avions envie de profiter du séjour pour visiter les grandes universités de la région : North Carolina, North Carolina, Wake Forest et Duke. Rémi tenait aussi à voir le stade à Charlotte où évoluaient les Panthers. On s’est donnés rendez-vous 45 minutes plus tard. L’inscription faite, je sors et je vois Rémi arriver au volant d’une Lincoln Continentale. « C’est tout ce qu’ils avaient » m’a-t-il dit, sourire en coin. Un voyage à Salt Lake est à un Saint des Derniers Jours ce que est une visite au Vatican pour un catholique ou un pèlerinage à la Mecque pour un musulman. En 1983, Rémi et Hélène et quatre autres amis de Québec (Lucille-Anne Landry et son fils, Michael, Robert Lavoie et la vieille Germaine Comtois) entreprirent le hajj mormon en notre compagnie. Nous avons parcouru l’État de l’Utah à visiter les merveilles naturelles et les sites historiques, mais ce dont je me souviens le plus, c’est la fête des noces d’or de mes parents. Du Québec, nous avions apporté des aliments que les gens là-bas ne connaissent pas : divers fromages, multiplicité de pâtés et de terrines. Nous avons tout étalé sur une longue table pour que les convives en prennent. Rémi s’est placé en arrière de la table et a sorti son meilleur anglais pour aider les amis de mes parents à faire leur choix. Il a assumé, sans qu’on ne lui demande, un rôle clé à cette fête, lui a donné un ton non seulement jovial et festif, mais français. Le plus drôle, c’est qu’un mois plus tard, un ami de mon père l’a appelé pour lui demander le nom de son traiteur parce qu’il désirait en engager le même.
  4. Rémi aimait les Canadiens de Montréal et les Remparts de Québec. À l’apogée de la grande rivalité Canadiens/Nordiques, Carole Turcotte et moi  avons tout essayé pour convertir Rémi, ce petit gars qui avait depuis toujours adoré la Sainte-Flanelle, en Nordique. Rien à faire ! Alors, jeudi soir, lorsque j’ai allumé la télévision pour regarder le match Canadien/Caroline joué au Centre Bell, j’étais en droit de m’attendre à ce qu’il y ait un moment de silence à la mémoire du Fan no. 1 des Canadiens de Montréal. Mais il n’y en a pas eu ! Depuis que les Remparts existent, Rémi et son frère, Aurélien, sont détenteurs de billets de saison. Maintenant, qui va accompagner Aurélien au Centre Vidéotron pour encourager les jeunes hockeyeurs, haranguer les entraîneurs et maudire les arbitres ?
  5. Rémi aimait son pays, le Québec. Cet été, il a eu 65 ans et, par conséquent, devint admissible à recevoir la pension de vieillesse du Canada. Il me dit, « hé, j’ai eu mon premier chèque du Fédéral ». Je réplique, « t’as pas honte, t’es pas gêné d’accepter du fric du Canada ? »  « Mé voyons, Dean, ça fait plus de 40 ans que j’envoie mon argent à Ottawa, il était temps qu’on commence à me rembourser ! »
  6. Rémi aimait recevoir. Oui, les individus chez lui, comme les jeunes missionnaires, les membres de la famille et parfois les parfaits étrangers. Il aimait aussi recevoir les groupes, pas à sa table, mais pour leur montrer sa ville. Combien de fois a-t-il reçu une demande en provenance des Saints des Derniers Jours aux États-Unis pour leur organiser le gîte et faire une visite de Québec et sa région ? Il m’appelait et disait. « viens-t-en, j’ai besoin de toi, on reçoit des Yankees ». Pourquoi aimait-il faire cela ? Pour rendre service, certes, mais aussi parce qu’il était fier du Québec, de Québec, de sa culture, de son peuple. Il savait que le Québec était différent, spécial, unique et désirait partager cette réalité avec tous ceux et celles qui voulaient bien l’entendre. Rémi, de Jonquière, du Saguenay, Québécois pure laine, s’il y en a, et fier de l’être.

Terminons sur les paroles d’un autre fier Québécois, mort récemment à l’âge de 100 ans, le père Benoît Lacroix, dont je garde toujours un livre à la portée de la main. Je vous fais lecture des extraits de son poème intitulé « Le Chemin » :

Mais on a un chemin à suivre


Aller rejoindre ceux qui nous écoutent


Aller où on doit aller et rencontrer les gens

Le chemin de la vie


Le chemin le plus long à vivre


Trop pressé d’arriver avant de partir


Relié à des horaires


On a peur d’inventer des chemins

J’ai des souvenirs nostalgiques reliés à la campagne


Chemin désert près du bois


Un événement beau à vivre


Mon père disait : on va ouvrir le chemin en premier


Inventer son chemin


Battre son chemin avant de le trouver


Ces événements sont significatifs.


Si un chemin n’est pas ouvert


Si on ne sait pas où on va c’est pénible

On n’ouvre pas le chemin seulement pour soi


On l’ouvre pour tous ceux et celles qui vont le prendre…

Rémi savait d’où il venait ; il savait où il allait et il était toujours en avant en train d’ouvrir ou de débrousailler le chemin.

Actes de courage, d’attente


Des amitiés où la route est difficile


L’avenir est là, il nous attend


On ne peut l’éviter


Il est au bout de mon présent


Annexé à mon passé.

S’habituer à réinventer son chemin


Quotidiennement j’avance sur le chemin du bonheur


Bonheur jamais parfait


Malheur jamais définitif


il y a bonheur partout


Il y a peine partout

 


La vieillesse est un risque


Au bout de la vieillesse, une échéance inévitable


Tunnel de la fin de ma vie


Si j’entre dans le chemin.

J’ai appris à corriger mes erreurs


Nous sommes plus forts


Nous sommes meilleurs que le découragement, l’échec


La route est en avant, pas en arrière


Le pire est en arrière


Courage–Amitiés—Espoir

Voilà l’héritage que le père Lacroix nous a laissés. Voici le legs spirituel que nous laisse mon frère, Rémi Tremblay.


Trump : héritier d’Irving et d’Astor

Mise en contexte : Michel Bouchard est originaire de Falher, en Alberta. Il est aujourd’hui professeur d’anthropologie à l’Université de la Colombie britannique du nord, située à Prince George. Au cours des années 90, il poursuivait ses études de maîtrise à l’université Laval où j’ai eu le bonheur de le connaître. Par la suite, nous sommes devenus amis et collègues. Deux de ses textes intitulés respectivement «  De l’Acadie à l’Alberta en passant par le Kansas sur les traces de la famille Comeau » et « Les Lamoureux de l’Alberta : un parcours vaste et complexe » figurent dans deux ouvrages réalisés sous notre direction : Vision et visages de la Franco-Amérique et Franco-Amérique. Le mois dernier, Michel et deux collègues, Robert Foxcurran et Sébastien Mallette, firent paraître chez Baraka Books un nouvel ouvrage Songs Upon the Rivers : The Buried History of the French-Speaking Canadiens and Métis from the Great Lakes and the Mississippi across to the Pacific.

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Ce sont les recherches menant à la publication de ce livre qui ont inspiré le court texte qui suit. Il s’agit d’une analyse fort originale de la victoire de Donald Trump à la récente élection présidentielle aux États-Unis. Scrutés sous tous les angles, personne ne pouvait imaginer que les résultats de cette élection pourraient peut-être trouver leur explication dans un processus historique impliquant les Canadiens [français], Métis et Créoles entamé il y a 200 ans. Comme de quoi, selon le vieil adage : « l’histoire se répète » Voici donc, son analyse :

* * *

Un riche capitaliste, propriétaire new-yorkais d’ascendance allemande, portant son regard vers l’Ouest, y a vu des sauvages et des étrangers polluant le paysage. Il fit écrire un livre afin de définir ce qu’est une nation, s’assurant que l’Américain idéal serait blanc, anglophone et viril. On ne parle pas ici du futur président Donald Trump, mais de l’homme d’affaires et magnat immobilier John Jacob Astor. Si Trump fit écrire The Art of the Deal par un journaliste, Astor a demandé à Washington Irving d’écrire Astoria, une œuvre qui définirait la nation et remettrait à leur place ces étrangers — majoritairement des Canadiens français, des Créoles et des Métis — tant détestés. Trump incarne l’héritage d’Astor et d’Irving : un pays blanchi, anglophone et machiste qui nie que ces communautés et autres groupes semblables n’aient jamais fait partie de l’histoire américaine.

Beaucoup d’encre, réelle et virtuelle, a servi à analyser les causes de la montée de Trump, mais rien n’a été dit sur le long parcours historique qui lui a donné naissance. Depuis près de deux siècles, on a construit une nation mythique américaine en écrivant notamment une histoire fictive basée sur la peur mêlée à une exubérance nationale débridée. Cependant, Trump est l’héritier d’un récit historique encore plus ancien dont l’objectif était de rendre les États-Unis « American » où les vrais héros archétypaux de la République seraient les self-made men, blonds, bronzés et anglo-américains.

Johann Jakob Astor, dont le nom anglicisé est John Jacob Astor, a quitté l’Allemagne pour l’Angleterre. Suite à la Révolution américaine, il s’installa à New York. D’abord vendeur de pianos, il s’impliqua ensuite dans le commerce des fourrures. Cette activité lucrative lui permit d’acheter de vastes terrains dans le petit bourg de Manhattan. Il deviendra rapidement le premier nabab immobilier, le premier multimillionnaire, et sa famille sera la plus riche d’Amérique. Si une partie de sa richesse vient de la traite des fourrures, il a aussi profité de ses réseaux mondiaux pour financer la contrebande d’opium vers la Chine, s’assurant ainsi des profits encore plus substantiels.

Mais comment diable a-t-il fait pour accumuler une telle richesse grâce à la traite des fourrures en Amérique ? Au Canada, le castor placé sur le revers des cinq sous nous rappelle que jadis la richesse venait du commerce international des peaux utilisées pour confectionner les très populaires chapeaux de feutre. Moins connu est le fait que la fortune d’Astor à Manhattan vient aussi de ce même commerce des fourrures. Pour arriver à ses fins, Astor s’est joint à d’éminents francophones de l’Ouest, Créoles et Canadiens, qui servaient d’intermédiaires entre les agents qui recueillaient les fourrures dans les postes éloignés et ceux du marché mondial. Pour s’assurer que son entreprise, l’American Fur Company, devienne prospère, Astor s’est aussi allié la famille fondatrice de Saint-Louis, le clan Chouteau. Cette famille faisait appel à des milliers de voyageurs et de commerçants francophones afin de s’assurer que les peaux tant convoitées pourraient être obtenues en commerçant avec les nations autochtones de l’Ouest américain. Le Canadien français et les Métis étaient les « Mexicains » de l’époque, c’est-à-dire une main-d’œuvre bon marché favorisant ainsi l’accroissement de la richesse de la prospère élite américaine. Astor vendit son entreprise dans les années 1830, avant la chute des prix des peaux de castor.

S’il avait été né aux États-Unis, Astor se serait sans doute présenté à la présidence, mais il a dû se contenter de Washington Irving et de son neveu, Pierre Munroe Irving, pour promouvoir son Amérique idéale. Dans Astoria, Irving a dû tourner la faillite du Pacific Fur Company, une « succursale » de l’Américan Fur Company, en une tentative de nation-building dans laquelle la vision d’Astor aurait facilité l’expansion de l’entreprise mère jusqu’au Pacifique. Dans son traité de 1836, Irving, en présentant un Astor plus grand que nature, a dénigré les hommes mêmes qui avaient assuré sa richesse. Il a, en somme, présenté les voyageurs canadiens comme des enfants à l’âme sauvage dont la culture était destinée à disparaitre à court terme. Il a décrit les habitants de l’avant-poste de la frontière du Missouri en ces termes : « [la] population de Saint-Louis est encore plus hétéroclite que celle de Mackinaw. Ici, on pouvait voir le long des berges de la rivière, les bateliers bruyants, extravagants et vantards du Mississippi [c’est-à-dire les Créoles francophones], et les gais, grimaçants, chantant et toujours de bonne humeur voyageurs canadiens [français]. » Rappelons que Mackinaw était anciennement le fort français de Michilimackinac situé sur le détroit qui sépare les péninsules supérieure et inférieure du Michigan ; ce lieu abritait alors une grande communauté francophone et métis, ou française et indienne.

Tout au long de ses travaux, Washington Irving ne cesse d’avilir les gens qui parlent français, un groupe linguistique qui, était encore majoritaire dans des villes telles que Saint-Louis et La Nouvelle-Orléans et qui l’avait été la génération précédente à Détroit. Il quantifie même la supériorité de l’Américain type. Dans The Adventures of Captain Bonneville, il cite un certain marchand, dont il tait le nom, qui déclarait : « En ce qui concerne la sagacité, l’aptitude à trouver des ressources, l’indépendance et l’intrépidité intellectuelle, je considère qu’un Américain vaut trois Canadiens. » Les Canadiens français n’ont pas la noblesse et la masculinité de l’Anglo-Américain idéal, et la description de ces hommes ressemble étrangement celle de l’« Autre » américain, qu’il soit mexicain ou musulman. Comme les Canadiens, Créoles et Métis d’antan, ces étrangers contemporains sont trop émotifs, trop vaniteux, trop paresseux, trop malhonnêtes pour être à la hauteur de l’Anglo-Américain idéalisé.

Les travaux d’Irving, qui ont été publiés sous forme de feuilleton dans les journaux et de romans bon marché, encensaient les vrais Américains de l’Ouest qui propageaient la « civilisation », et ce, au détriment des locuteurs français qui, pourtant, avaient joué un rôle si important dans l’histoire de la région. Le film How the West Was Won les a aussi complètement gommés du récit. Les Canadiens français, Créoles et Métis entre autres sont carrément évacués de cette épopée cinématographique d’époque ; seul un certain « Jacques » y apparait tout à fait par hasard, et c’est là l’unique référence à la présence de la langue française.

En gommant la présence du français, le récit américain a du même coup perdu un modèle convaincant de multiculturalisme. Sans nier les idéaux d’une pureté raciale, les Français s’étaient alliés à des femmes appartenant à diverses tribus autochtones. Des esclaves émancipés, tel que John — probablement Jean — Brazeau, pouvaient devenir d’importants commerçants à l’époque du commerce des fourrures. On était libre d’être Canadien dans l’Ouest américain, même si la plupart de ses ancêtres étaient amérindiens. Le français était la lingua franca du continent à l’époque. En plus de sa propre langue, règle générale, le Canadien parlait une ou plusieurs langues indigènes et ils ont volontairement adopté les pratiques culturelles autochtones.

Un cas révélateur s’est présenté dans les années 1830 alors qu’Alexis de Tocqueville s’est rendu dans ces régions sauvages. Là, il rencontre un homme vêtu à l’indienne qui s’adresse à lui dans un français typique de la Normandie. L’érudit français est étonné, il prétend qu’il n’aurait pas été plus abasourdi si son cheval lui avait parlé dans sa langue natale. L’homme lui explique qu’il a un père [canadien] français et une mère amérindienne. Tocqueville note dans son carnet comment une race singulière de peuple métissé était disséminée aux frontières du Canada et des États-Unis.

En oubliant le passé multiculturel, multilingue et multiracial qui caractérisait les États-Unis, le mythe d’une Amérique blanche est parvenu à dominer le récit national. Ce mythe veut que les Anglo-Américains blancs ne soient pas métissés au point de vue racial. Pour reprendre les mots codés du groupe d’extrême droite Alt-Right, ce sont de vrais mâles alpha. Dans ce récit du passé américain, les Anglo-Américains étaient de vrais hommes, et leur monumentalité, largement mythique, ne doit pas être oubliée. Ce récit continue d’en inspirer plusieurs, il a certainement contribué, du moins en partie, à l’étonnante victoire de Trump. Astor et Irving seraient sans aucun doute très fiers !

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Michel Bouchard et sa conjointe, Ekaterina aux chutes Montmorency, circa 2011

 

 


Trouver son bonheur à Saint-Arsène (Brioches & Babioles)

Il y a de ces endroits qui exsudent le bonheur! Hier, par temps brumeux, j’en ai trouvé un, à 15 kilomètres à l’est de Rivière-du-Loup, sur la route 291. Donc, à l’intérieur des terres, à sept kilomètres au sud du joyau de la villégiature d’autrefois, Cacouna, Saint-Arsène ! Ceux et celles qui se hâtent à se rendre de Montréal ou Québec à Rimouski sur la 20 ou en Gaspésie à toute vitesse passeront littéralement à côté de ce charmant village dont la population tourne autour de 1 250 habitants.

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En 1846, Saint-Arsène fut la première paroisse formée à l’intérieur des terres dans le diocèse de Rimouski. Mais « Arsène » ? D’où vient ce nom peu commun ? Certes, pas d’Arsène Lupin, personnage de fiction français créé par Maurice Leblanc et rendu célèbre dans le recueil Arsène Lupin gentleman cambrioleur. Non, cette appellation rendrait plutôt hommage à l’abbé Joseph-Arsène Mayrand (1811-1895), missionnaire de l’Ouest canadien (1838-1839) et curé de Saint-Zephirin (1845-1848), de passage à Cacouna au moment de la fixation du site de l’église de Saint-Arsène. Peut-être s’agissait-il aussi d’un hommage à Saint Arsène que l’Église catholique célèbre le 8 mai (autrefois le 19 juillet). Fils d’un riche sénateur romain qui, au Ve siècle, en entendant la voix de Dieu, s’est retiré pendant 50 ans dans le désert de Scété, en Égypte, Arsène y est enfin mort à 95 ans, sans cils, tellement il avait passé sa vie à pleurer !

Aujourd’hui, établi au milieu de la fertile plaine littorale, Saint-Arsène se trouve au cœur de la zone agricole la plus dynamique de la région. Les Arsénois qui ne font pas la navette quotidienne à Rivière-du-Loup  pour travailler tirent leur subsistance largement de l’agriculture, l’industrie laitière et la culture de pommes de terre de semence étant particulièrement prisées.

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Pendant si longtemps, il manquait aux Arsénois un endroit pour se détendre, pour prendre un café, pour se nourrir à la fois le corps et l’esprit. Depuis qu’Élaine Bélanger, son conjoint, originaire du village, et leurs enfants ont décidé d’y élire domicile en provenance de Saint-André-de-Kamouraska il y a trois ans, ce n’est plus le cas, car, situé en face de l’église et faisant partie de leur domicile se trouve le café boutique Brioches et Babioles. La bloggeuse Joliejojo (https://joliejojo.wordpress.com/2016/02/23/brioches-et-babioles/), qui aime partager ses découvertes, ses passions et son amour du Bas-du-Fleuve, capte en peu de mots, ce que le client ressent et voit en traversant le seuil de Brioches et Babioles : « Un sourire nous accueille avec chaleur, un décor nous enveloppe d’une ambiance qui se situe entre le magasin général d’antan et la boutique d’artisanat ».

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En aménageant les lieux, Élaine a su respecter la tradition de la maison, sûrement centenaire, qui servait autrefois de magasin de meubles appartenant à la famille Roy.

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L’ameublement reflète une vocation antérieure des lieux, celle d’un brocanteur. Des pièces recyclées, y compris un cheval de manège en bois, ramassées à droite et à gauche et étalées de manière ordonnée, incitent à la conversation. Chaque objet a son histoire à raconter.

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Quant aux tables rondes, ovales et carrées et aux chaises en bois de plusieurs couleurs et de design, peu d’uniformité. C’est voulu et c’est charmant !

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Brioches et Babioles sert de vitrine aux artistes locaux, grands et petits. Comme on peut le constater, en arrière de ce buveur de thé au béret basque, le grand mur principal est, en vérité, un mur d’exposition sur lequel les œuvres changent périodiquement. Par l’affichage sur le court mur vert de leurs dessins, Élaine met en valeur les talents des enfants du village et de leurs familles.

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Devrais-je parler du menu ? Il est affiché au-dessus du comptoir : cafés expresso, allongé, latté, capuccino ; thés et tisanes de tous arômes ; chocolat chaud. La soupe du jour, les sandwiches et les salades sont apprêtés sur place par Élaine à partir de produits du terroir : par exemple, les terrines de la Bergerie du Pont à Saint-Antonin et les produits d’érable de la Sucrerie Jean-Pierre de Saint-Arsène même. Pour se sucrer le bec, des biscuits maison et des pâtisseries et viennoiseries fraîches de Bis la Boulange à Rivière-du-Loup.

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Après avoir lancé tant de fleurs, le jet du pot s’impose…mais il est tout petit et très personnel. Je déplore la commercialisation de Noël en novembre. Le temps de Noël devrait débuter par l’Avent qui commence le quatrième dimanche avant Noël. Au café Brioches et Babioles, en pleine campagne, comme dans les grands centres commerciaux des villes, on oublie…ou on a trop hâte. Il n’y a pas encore de neige, même si le vieux traineau est tout prêt…et mon bonheur presque complet!


Mexicains à la Société de généalogie de Québec

FullSizeRender-3Le mercredi soir, une fois par mois, de septembre en avril, la Société de généalogie de Québec (http://www.sgq.qc.ca) reçoit un ou une conférencier (ère). Hier soir, au Centre Noël Brulart de Sillery, la cinquantaine de membres de la Société réunis ont eu droit aux deux : conférencier (Carlos Aparacio) et conférencières (Mariela Tardan Trevino) et Ana Laura Mendez Burgoin). Ils étaient accompagnés de la grand-mère de Mariela.

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Ce contingent en provenance de Monterrey nous a entretenus des sociétés et démographies d’un passé francophone dans le Nord-Est du Mexique.

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Dans un premier temps, le professeur Aparicio a pris la parole pour nous mettre dans le contexte d’une Amérique du Nord coloniale qui évoluait au gré des grandes puissances européennes : l’Angleterre, la France et l’Espagne.

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En regardant ses cartes qui illustrent si bien la convergence des francophones, à la fois canadiens et français, autour de Taos et Santa Fe et l’émergence, à l’époque, de routes telles que les pistes de Santa Fe, San Francisco et Chihuahua, le discours de l’Abbé Casgrain, courant au Québec en 1863 et qui nous semble aujourd’hui farfelu, prend tout son sens (voir ci-bas).

Une fois la table mise par leur professeur et les itinéraires historiques, les lieux et les aires d’influence culturelles francophones identifiés, les deux étudiantes ont tour à tour pris la parole afin de raconter l’histoire de leurs familles respectives et de montrer leurs arbres généalogiques.

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En 1880, Charles Tardan, du petit village de Bosdarros, dans les Basses-Pyrénées, près de Pau, débarque à Veracruz. On peut présumer à tort ou à raison, étant donné son lieu origine, qu’il maîtrisait des éléments de base de la langue espagnole en plus de bien parler sa langue maternelle. Il se dirigera rapidement vers Mexico où il se liera d’amitié avec un autre immigrant de France, Francisco Dallet, arrivé possiblement à l’époque où la présence française au Mexique atteignait son apogée, c. 1865, dont le métier est la fabrication de chapeaux. Tardan et Dallet deviennent partenaires, mais progressivement, Tardan prend le dessus et engage dans l’entreprise deux de ses frères. En 1899, la compagnie porte le nom « Tardan Hermanos ». Aujourd’hui, il s’agit encore de la chapellerie peut-être la plus importante du pays (http://tardan.com.mx/). Qui ne voudrait pas porter un sombrero Tardan. Charles Tardan est l’aïeul de Mariela.

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L’arrivée des Bourgoin, devenus Burgoin, remonte plus loin encore. Selon Ana Laura, qui parlait à l’aide d’un interprète, son ancêtre, Domingo Burgoin (Dominique Bourguin ?) aurait déserté un navire français au large de la péninsule de Baja-California, probablement dans la mer de Cortez, près des actuelles villes de La Paz et Los Cabos, car c’est là que demeurent encore aujourd’hui la plupart des Burgoin, se réunissant régulièrement pour festoyer sur les plages au sable blanc.

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De notre point de vue, l’histoire du professeur Carlos Aparacio est fascinante. D’abord, parce que son fils de 14 ans est Québécois. Comment cela ? C’est parce qu’il est né à l’hôpital Saint-Sacrement à la suite du mariage de Carlos et son épouse, elle aussi mexicaine, rencontrée à l’Université Laval dans le cadre des cours de français ! Ensuite, parce que M. Aparicio est devenu un proche collaborateur. Comment cela ? C’est qu’au début de 2017 paraîtra aux Éditions du Septentrion une nouvelle édition de Franco-Amérique.SCAN0286

Ce sera plus qu’une réimpression, mais moins qu’un nouveau livre. Le contenu de ce livre publié en 2007 est mis à jour. De plus, il réserve plein de petites surprises dont ce bijou de Carlos Aparico inspiré de ses recherches sur la présence française et canadienne-française dans son coin de pays :

Les francophones ont joué un rôle important dans la construction historique du Nord-Est mexicain, un héritage encore visible aujourd’hui, notamment sur le plan architectural. Si l’histoire des migrations françaises métropolitaines et l’influence culturelle et politique de la France sont bien connues au Mexique, l’apport des individus et des groupes en provenance de la vallée du Saint-Laurent à l’espace francophone mexicain – et cela dès l’époque de la Nouvelle-France – reste par contre largement inconnu.

L’implication de la France sur les territoires mexicains est ancienne. Vers 1540, le français Marc de Nice faisait partie des expéditions espagnoles en quête des sept mythiques cités d’or de Cibola, dans les environs de la ville de Culiacán (actuel État du Sinaloa), lieu de passage important vers le Nouveau-Mexique. Mais c’est surtout entre 1861 et 1867 – soit lors de l’arrivée des troupes de Napoléon III au Mexique et la Guerre de Sécession aux États-Unis – que la présence française s’accroit. Napoléon III, empereur des Français, souhaite établir un puissant empire latin et catholique au sud des États-Unis. Ce rêve est bien accueilli dans certains milieux cléricaux sur les rives du Saint-Laurent, au point où l’abbé Casgrain envisage même la fin de l’Amérique anglo-saxonne protestante prise en étau par l’inévitable rencontre entre les catholiques du Nord et les catholiques du Sud :

Ici, comme en Europe, et plus vite encore qu’en Europe, le protestantisme se meurt. Fractionné en mille sectes, il tombe en poussière, et va se perdre dans le rationalisme. Bientôt – pour nous servir d’une expression du Comte de Maistre – l’empire du protestantisme, pressé du côté du Golfe Mexicain et du Saint-Laurent, fendra par le milieu; et les enfants de la vérité, accourant du nord et du midi, s’embrasseront sur les rives du Mississippi, où ils établiront pour jamais le règne du catholicisme [sic] (Casgrain, 1864 : 69).

Grâce notamment à l’aide apportée au gouvernement mexicain par les États-Unis, l’intervention française s’est avérée un désastre. Cet échec a provoqué l’effondrement du rêve canadien-français catholique. Vingt ans après ces événements, le gouvernement mexicain recueille des témoignages d’expériences vécues par les gens au moment de l’occupation française. Pour le Nuevo León, les rapports de cette présence dans 11 villages sont compilés un siècle plus tard dans un livre de Meynard Vazquez,  Ecos del Imperio. Des textes des partisans du gouvernement de Benito Juárez parlent des héros de la milice mexicaine et des gens qui ont pris les armes pour lutter contre les « envahisseurs » et les « traitres ». L’intervention française au Mexique aura toutefois permis l’arrivée de civils français au Nuevo León. Ces derniers transmettront un patrimoine culturel visible encore aujourd’hui, tout particulièrement dans les domaines de la danse populaire et de l’art culinaire.

La pénétration française des territoires septentrionaux espagnols se fait également à partir de la vallée du Saint-Laurent. René-Robert Cavelier de La Salle entreprend un grand voyage d’exploration en 1678, voyage qui dure cinq ans et qui le mènera d’abord aux Grands Lacs et ensuite à l’embouchure du Mississippi. C’est ici qu’il prend possession, au nom du roi de France, d’un vaste territoire qui sera connu sous le nom de Louisiane. Il récidive en 1684, en partance de la France, fondant, en compagnie de son équipage de 300 hommes à bord de quatre navires (L’Amable, La Belle, Le Joly et Le Saint-François), la colonie de Fort-Saint-Louis, sur la baie de Matagorda, en territoire texan. Située plus de 500 km à l’ouest de l’embouchure du Mississippi, la colonie fut néanmoins bien positionnée pour empêcher l’expansion territoriale des puissances coloniales rivales, l’Espagne et l’Angleterre. Mais c’était rêver en couleurs ! La Salle et son contingent réduit, ne pouvant s’entendre avec les Karankawa, un peuple autochtone établi le long  du golfe du Mexique, sont partis vers le nord chercher du renfort. En 1687, à 200 km de Fort-Saint-Louis, près de l’actuelle ville texane de Navasota, La Salle est assassiné par ses propres hommes, mettant ainsi fin à cette courte expérience coloniale au Texas (Leprohon, 1984).

Une part non négligeable des francophones du Canada s’étant établis dans la vallée du Mississippi ont poursuivi plus loin leur route atteignant les territoires actuels du Texas et du Nord-Est mexicain. La plupart d’entre eux sont d’anciens trappeurs impliqués dans la traite des fourrures  provenant de la région de Saint-Louis en Haute-Louisiane. On trouve encore aujourd’hui les traces de ces migrations au Nuevo León et au Texas où il est possible de tomber sur des patronymes canadiens tels que Dubois, Bourgoin, Labadie ou Langlois, noms dont la prononciation se fait maintenant en espagnol ou en anglais.

Charles Beaubien est un bel exemple de migration canadienne dans ces vastes contrées. Né à Nicolet en 1800, Beaubien quitte le Séminaire de l’endroit où il a étudié jusqu’en 1821, l’année même de l’indépendance du Mexique et de l’ouverture du principal lien terrestre entre le Missouri et le Nouveau-Mexique, la fameuse piste de Santa Fé. Inspiré par les exploits d’antan de Cavelier de La Salle, Beaubien se rend à Kaskaskia, au cœur des pays des Illinois, pour ensuite se diriger vers la ville néo-mexicaine de Taos en 1823. Trois ans plus tard, en 1826, il ravive une ancienne route commerciale connue sous le nom de piste de Chihuahua qui relie les villes de Sante Fé et de Mexico, ouvrant ainsi la porte à un commerce florissant en plein cœur du Mexique. L’intégration de Charles « Don Carlos » Beaubien (Sabin, 1995 : 29) à l’économie mexicaine lui permet d’ailleurs d’obtenir, dès 1829, la nationalité mexicaine. Il devient maire de Taos en 1834 avant d’être nommé juge au milieu des années 1840. À la même époque, le gouverneur du Mexique, Manuel Armijo, lui concède en copropriété, avec son ami Guadalupe Miranda, une terre de près de 7 000 km2 à quelques dizaines de kilomètres au nord-est de Taos.  À la suite de la conquête de 1846 des territoires néo-mexicains et texans, les actes de propriété seront reconnus par le gouvernement américain (Demers, 2001). Du coup, Beaubien devient alors citoyen étatsunien en plus d’être nommé gouverneur par intérim du nouvel État à une époque où plusieurs francophones reprennent la piste de Santa Fé en vue de gagner la Californie.

L’histoire du gendre de Charles Beaubien n’est pas moins intéressante. Lucien Bonaparte Maxwell est né à Kaskaskia en 1818, il est le fils de l’Irlandais, Hugh Maxwell, et de la fille du coureur du bois, Pierre Ménard. Ayant appris de son grand-père les voies du pays, il est parti vers l’Ouest faisant équipe avec Kit Carson dans la compagnie d’exploration sous les ordres de John C. Frémont. En 1844, à Taos, il se marie avec Luz Beaubien, la fille de Charles. Grâce à cette alliance, Lucien se joindra à une famille notable et deviendra l’un des plus grands propriétaires terriens du Nouveau-Mexique. Sur une plaque commémorative au cimetière Mountain View dans la ville de Cimarron portant son nom il est inscrit : Mountain Man, Scout, Rancher & Farmer (Murphy, 1983).

Ancienne, l’existence du fait français en territoire mexicain diffère selon son origine : il peut, d’une part, provenir directement de la métropole française ou, d’autre part, avoir suivi les pistes commerciales continentales que s’approprient les trappeurs et commerçants canadiens-français et métis du Canada ou de la Louisiane. Toutefois, au-delà des différences d’origine, ces deux réalités s’adaptent au gré des circonstances historiques et des conflits politiques et militaires qui définissent l’espace mexicain au xixe siècle. Ce qui est certain, c’est que la frontière actuelle entre le Mexique et les États-Unis coupe en deux un espace franco qui accueillait jadis des composantes à la fois françaises et canadiennes.

Références

CASGRAIN, Henri-Raymond (dit abbé Casgrain) (1864), Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, première supérieure des Ursulines de la Nouvelle-France, Québec, Desbarats.

DEMERS, Maurice (2001), « Foreigners on the New Mexican Land Grants: A Case Study of the Beaubien-Miranda Land Grant », The Trans-Mississippi West/History 373, Albuquerque, University of New Mexico. (Inédit)

LEPROHON, Pierre (1984), Cavelier de La Salle : Fondateur de la Louisiane, Paris, André Bonne.

MURPHY, Lawrence (1983), Lucien Bonaparte Maxwell : Napoleon of the Southwest, Norman, University of Oklahoma Press

SABIN, Edwin L. (1995), Kit Carson Days, 1809–1868, vol. 1, Lincoln, University of Nebraska Press.

VÁZQUEZ, Meynardo (1994), Ecos del Imperio. Testimonios de la Intervención francesa en pueblos de Nuevo León, Monterrey, Universidad Autónoma de Nuevo León.

 


Des Français à Brigham

Malgré sa petite taille (18 000 habitants) la ville de Brigham, en Utah, a toujours assumé un rôle majeur au sein de la région culturelle mormone telle que définie en 1966 par le géographe, Donald Meinig. Pouvait-il en être autrement, compte tenu qu’elle porte le nom du prophète mormon qui, au milieu du 19e siècle, a dirigé la migration massive des Saints des Derniers Jours vers l’Ouest ? Une fois les Saints arrivés dans la Vallée du Grand Lac Salé en 1847, Brigham Young, mit son grand dessein à exécution, atteignant le statut du plus grand colonisateur que les États-Unis n’aient jamais connu.

En mai 1865, Young visita le village portant son nom, situé à une centaine de kilomètres au nord de Salt Lake City, et identifia l’endroit précis pour la construction d’un bâitment pour célébrer et adorer Dieu. « C’est ici que vous construirez votre tabernacle », a-t-il dit. Et progressivement les résidents de Brigham se mirent à l’œuvre, ne parachevant le tabernacle que 25 ans plus tard, en 1890. En 1896, le feu y fit rage, détruisant le tout et faisant place à l’édifice actuel dont la construction se fit beaucoup plus rapidement.

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Tabernacle de Brigham City, circa 1898

Si le vieux tabernacle demeure le symbole par excellence de l’héritage pionnier de la ville de Brigham, c’est le nouveau temple, situé juste en face qui rappelle la croissance du Mormonisme moderne et fait de cette petite ville un maillon dans la chaine des 177 temples mormons érigés à travers le monde.

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Temple de Brigham City

Ensemble, le tabernacle et le temple doublent l’offre touristique de ce chef lieu du comté de Box Elder qui se veut également la porte d’entrée à l’un des plus grands refuges aviaires au monde.

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Palais de justice du comté de Box Elder

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 » Gateway to the World’s Greatest Wild Bird Refuge « 

 

idleChaque fois que je passe par Brigham, je m’arrange pour manger à l’Idle Isle, un restaurant qui a pignon sur rue depuis 1921. Très bonne table, excellent service, ambiance d’antan. Divisé en deux salles de dimension à peu près égale, la deuxième sert surtout à accueillir des groupes. Assis dans la première salle, j’ai cru néanmoins entendre en provenance de la deuxième du français. Une fois mon repas terminé, j’ai esquivé vers l’autre salle où 42 Français prenaient leur repas. Surtout, mais pas exclusivement, des personnes âgées de diverses régions de l’Hexagone.

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Ils étaient montés à bord d’un avion à Londres à destination de Denver afin de réaliser un circuit touristique de 12 jours comprenant les parcs nationaux de Yellowstone, des Grand Tétons, des Arches et des Canyonlands. Évidemment, ils faisaient halte à divers points d’intérêt général… comme Brigham.

Sans pouvoir l’affirmer catégoriquement, je dirais néanmoins, d’après les brèves conversations que j’ai eues avec eux, que la plupart de ces voyageurs invétérés avaient déjà visité le Québec. Sans surprise, il y en avait un qui est venu m’annoncer fièrement que sa fille—ou était-ce sa petite fille—avait étudié l’an dernier à Chicoutimi et, honteusement, qu’elle avait trouvé l’hiver dur !

Ma rencontre avec ces Français m’a fait penser à un film que j’avais vu jadis : If It’s Tuesday, This Must be Belgium. Il s’agissait d’un groupe de touristes américains qui font un tour tourbillon de l’Europe, devant consulter leur itinéraire et le calendrier pour savoir où ils étaient. Il en était de même pour ces Français qui, pour le petit échantillon que j’ai consulté, semblaient avoir perdu le Nord…ou le Sud…ou l’Est…ou l’Ouest.