Quelle est cette idée fixe de toujours devoir célébrer ou commémorer des anniversaires aux 5, 10, 20, 25, 50, 60, 70 ou 75 ans? Jamais ne fête-t-on, de manière notoire, le onzième, le vingt-septième ou le trente-huitième anniversaire de quoi que ce soit. Le 4 juin, marqua 49 ans de vie commune chez nous. Personne n’en a soufflé mot et c’est tant mieux! L’année prochaine—si on se rend là—ce sera fort probablement le branle-bas autour du cinquantième. Tout le monde voudra en parler : enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, amis, parfaits étrangers et c’est tant pis!
Le 6 juin, n’eut été la tuerie à Moncton, il n’y aurait eu à la radio et à la télévision que pour le 70e anniversaire du Débarquement en Normandie. La CBC avait même déplacé son « anchorman », Peter Mansbridge, sur les lieux pour préparer des reportages spéciaux. La Société Radio Canada (ICI) n’a pas embarqué (ou débarqué ) préférant affecter sa présentatrice vedette, Céline Galipeau, à Moncton afin de médiatiser le plus possible la mort tragique de trois agents de la gendarmerie royale du Canada et la chasse à l’homme qui s’en suivit.
Je lisais cette semaine que si nous connaissions l’Histoire, nous n’aurions pas besoin de ces commémorations qui servent à nous rappeler des événements ponctuels qui ont influencé la société, le monde et parfois le destin humain. Pour l’individu ayant vécu de près l’événement commémoré, il doit chaque fois, à chaque commémoration, se poser l’inévitable question, souvent soulevée au sujet de l’assassinat de Kennedy : « où étais-je, que faisais-je au moment où je l’ai appris ». Donc, hier, en entendant parler du Jour J, en écoutant de très vieux anciens combattants se raconter, je ne pouvais que me poser cette question-là. Évidemment, le jour du Débarquement, je n’avais pas encore un an et demi, donc aucun souvenir. Par contre, celui que j’ai de la commémoration de son 20e anniversaire est vif. Le 6 juin 1964, à 21 ans, le petit gars de l’Utah se trouvait à Utah-Beach.
Ce jour-là, je marchais ces plages, scrutais les monuments et écoutais les innombrables discours alors que les drapeaux de la France, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada flottaient au-dessus de nos têtes. J’ai surtout essayé de me mettre dans la peau de mon cousin Lee, qui, en tant que membre de la troisième armée des États-Unis, sous la direction de George Patton, avait participé au Débarquement.
La France est parsemée de cimetières militaires témoignant des pires horreurs. Celui des États-Unis situé à Colleville-sur-Mer, sur les hauteurs surplombant Omaha-Beach, à une quarantaine de kilomètres à l’est de l’autre, est sans doute le plus célèbre en raison des médias américains et de l’industrie cinématographique qui l’ont glorifié, mais aussi en raison de sa beauté : environ 9 300 croix ou étoiles de David blanches parfaitement alignées sur un fond vert parfaitement tondu et entretenu.
De juin à août 1944, des milliers de jeunes Allemands sont tombés au cours de la bataille de Normandie. Six cimetières militaires allemands y contiennent leurs dépouilles mortelles, dont celui de La Cambe, le plus grand, où reposent 21 222 soldats, situé à une vingtaine de minutes de Colleville-sur-Mer.
Les sept mois que j’ai passés à Caen, de novembre 1963 à juin 1964, ont signalé un tournant dans ma vie. J’y ai fait des découvertes majeures sur moi-même et sur la vie. J’y ai laissé une partie de mon cœur et j’y retourne le plus souvent possible. En écrivant ces lignes, sonnent dans ma tête ces paroles qui me furent chantées, à mon départ de Caen, par un ami normand ayant passé cinq ans en Allemagne comme prisonnier de guerre :
« J’irai revoir ma Normandie, c’est le pays qui m’a donné le jour… »
Oui, je voudrais bien revoir MA Normandie et tous mes amis qui y demeurent : Christian et Michèle, Serge et Andrée, Olivier et Jocelyne, Pierre et Rosette, Dan et Juliette, Maurice, Thi-Sau, Hervé et Gisèle, Patrick…les Lerot!