Sudbury: quartier Moulin-à-fleur

Il n’y a plus d’eau dans le château d’eau de Sudbury. Il est question de lui trouver une nouvelle vocation, mais pour le moment, il sert de grand panneau publicitaire et toujours de point de repère majeur dans cette ville du Moyen-Nord de l’Ontario qui compte aujourd’hui 160 000 habitant dont environ 30% de langue française, ce qui en fait un important centre culturel franco-ontarien.

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C’est au pied du tertre sur lequel repose le château d’eau que la rue Notre-Dame perce le centre-ville après avoir traversé le quartier Moulin-à-fleur, traduction « libre » de Flour Mill, traditionnellement francophone. Dans son livre choc, Hors du Québec point de salut?, publié en 1982, la journaliste Sheila McLeod Arnopoulos décrivait ainsi le comportement linguistique des résidents du quartier :

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C’était le temps de Noël. Un mineur et sa femme discutaient d’étrennes à offrir à leurs enfants tout en déambulant le long de la rue Notre-Dame dans le quartier Moulin-à-fleur de Sudbury. « Une bicyclette pour Marie peut-être…des patins pour Jean-Charles? » Je marchais quelques pas derrière eux tout en les écoutant parler. En arrivant à proximité du complexe commercial situé au centre-ville et alors que la foule se fit plus dense, ils devinrent étrangement muets tous les deux. La conversation ne reprit qu’une fois qu’ils eurent pénétré à l’intérieur. Or ce n’était plus leur langue qu’ils parlaient, mais un anglais qui accusait un fort accent français. Une transformation mystérieuse s’était opérée au moment de quitter leur quartier : sur leurs visages français ils posèrent des masques anglais. Le passage d’une personnalité culturelle à une autre se fit tout à fait inconsciemment, comme un réflexe appris depuis longtemps. (p. 122)

Trente-deux ans plus tard, ce reflexe existe-il encore? J’ai profité de deux heures de temps libre au Salon du livre du Grand Sudbury pour essayer de trouver une réponse. Je n’ai pas réussi. Je ne peux que rendre mes impressions qui sont au nombre de trois et je laisserai les lecteurs de ce blogue qui connaissent mieux que moi le coin faire le point par le biais de leurs commentaires :

  1. Le quartier demeure un haut lieu de la francophonie sudburoise.
  2. Sur le plan ethnique et linguistique, le quartier s’est diversifié, la part franco-ontarienne ayant diminué.
  3. La charge patrimoniale est omniprésente.

D’abord, les institutions traditionnelles et symboles de la communauté francophone sont très visibles : drapeaux canadien et franco-ontarien, école secondaire du Sacré-Cœur, église Saint-Jean-de-Brébeuf, caisse populaire Desjardins.

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Aperçu du quartier en arrivant du centre ville

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De point de vue de l’affichage, hormis les institutions, la Bouquinerie du Moulin et le dépanneur Lagacé brillent par leur francité dans un paysage autrement dominé par l’affichage de langue anglaise. Le « Cartouche argenté », bien en évidence sur la rue Notre-Dame. offre au passant l’occasion de déguster de la poutine authentique!

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Les silos désaffectés du moulin rappellent la fonction originale du secteur qui a donné au quartier son nom.

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À quelques mètres des silos jaunes, un panneau indique le chemin vers le Musée du moulin à fleur, constitué d’un bâtiment principal en bois rond et quelques maisons d’époque (des années 20 et 30). Comme il arrive souvent dans ce pays de neige que nous habitons, les équipements à vocation touristique sont fermés en mai. Ce musée ne fait pas exception!

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En parlant de l’hiver, j’ai appris en me promenant autour de l’église que les paroissiens réussissaient tant bien que mal à financer l’entretien de leur beau temple en louant à des fins d’entreposage de leurs engins l’immense salle située au sous-sol à des propriétaires de motos. Il paraît qu’il y en a des centaines! Ingénieux…astucieux! J’aurais bien aimé en prendre une photo, mais la salle est vide. Les motards ont déjà envahi les routes!

Moulin-à-fleur : nom exotique, nom musical qui rimait autrefois avec pauvreté et misère, nom au cœur de l’identité franco-sudburoise. Écoutons encore la journaliste qui cite Albert Ouellet, résident de Sudbury :

Les Canadiens français étaient les gens les plus pauvres de Sudbury. Les salaires payés aux mineurs étaient bas et leurs familles étaient nombreuses. À Moulin-à-fleur il n’y avait pratiquement rien que des taudis… (p. 176)

Le quartier n’est plus ce qu’il était lorsque Sheila MacLeod Arnopoulos l’arpentait. À Sudbury une nouvelle classe moyenne franco-ontarienne sûre d’elle n’ayant plus peur de parler sa langue devant les Anglâs se créa. Cette transformation a joué sur la géographie linguistique de la ville. La population de langue française n’est plus cantonnée dans un ghetto ethnique ou linguistique. Elle est à peu près partout dans la zone urbaine. Elle occupe, à divers degrés, les hauteurs de la ville, les nouveaux quartiers du sud et de l’est et les beaux espaces reboisés et verdoyants autour du lac Ramsey près de l’ Université Laurentienne.

Il y a un quart de siècle environ, nous avons invité le grand poète originaire de Sudbury, Patrice Desbiens, à venir s’adresser à nos étudiants à l’Université Laval. Il a décrit son parcours personnel, des raisons qui l’avaient emmené à s’installer à Montréal, puis à Québec. Un étudiant lui a posé une question : « Monsieur, tant qu’à partir pour vivre en français, pourquoi n’êtes-vous pas allé jusqu’à Paris? »

Ce à quoi Patrice a répondu, « Mon jeune, quand tu viens de Sudbury, Québec, c’est Paris! »

Ce serait moins le cas aujourd’hui.


Vagabonder par monts et par mots

Voilà le thème de la sixième édition du Salon du livre du Grand Sudbury.

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Quelle ne fut pas ma joie d’y participer en fin de semaine dernière. Je partage parfaitement les sentiments de l’auteure acadienne, France Daigle, qui n’avait jamais auparavant visité cette ville nord-ontarienne dont la grandeur est disproportionnée par rapport à sa petite taille. Elle écrivait dans sa chronique publiée ce matin dans Acadie Nouvelle que « les auteurs y ont été accueillis avec chaleur et ont eu l’occasion de faire connaissance dans une ambiance fort sympathique…tout à fait comme si nous nous étions toujours connus. »

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C’était justement avec France que j’ai amorcé mon action au Salon, aussi bien qu’avec Hélène Koscielniak, romancière de Kapuskasing, et Erika Soucy, jeune poète originaire de la Côte-Nord. Il s’agissait d’un dîner littéraire, tenu au Speakeasy de la rue Durham, consacré au thème « C’est quoi ta langue ».  Dans le cas d’Hélène et de France, il était surtout question du niveau de langage. Comment écrire en tenant compte à la fois de la langue universelle dite standard et de la langue populaire. Certains semblaient surpris par des affinités entre la « parlure » du nord de l’Ontario et le » chiac » du sud-est du Nouveau-Brunswick. Erika, par sa poésie, arrive à rendre beau le vulgaire et trouve la laideur de Sudbury inspirante. Quant à moi, il a bien fallu expliquer mon choix d’écrire en français au lieu de le faire dans ma langue maternelle. Étant le seul à la table à être universitaire de formation—mais pas en littérature, mais plutôt en sciences sociales—j’ai tenté de faire valoir l’idée qu’une formation « scientifique » étouffe la créativité littéraire. Un chercheur écrit obligatoirement pour ses pairs, souvent dans un jargon universitaire qui peut ressembler à la langue de bois des politiciens, afin de monter l’échelle académique et salariale. Une fois libéré des contraintes de sa discipline et sa fonction, le prof/chercheur trouve à l’occasion le moyen d’atteindre un public plus vaste par une écriture originale et colorée à la portée de tous.

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Le Speakeasy sur Durham

Comme deuxième activité au Salon, j’ai eu le plaisir de me joindre sur la scène de Radio-Canada à l’un des grands penseurs de l’archipel de la francophonie de l’Amérique du Nord. François Paré, auteur, entre autres, de Le fantasme d’Escanaba, La distance habitée et Les littératures de l’exiguïté brille par son érudition et sa simplicité.

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Nous avons dû en premier lieu, tous les deux, expliquer les raisons de notre passion respective pour cet univers « de la trace et de la marge », comme le dit Paré en décrivant la Franco-Amérique. Puis, nous avons abordé les écueils de vivre pleinement sa francité en milieu minoritaire, autant aux États-Unis qu’au Canada et les tensions qui persistent au Canada entre les francophonies minoritaires et celle majoritaire, autrement dit le Québec. Enfin, après avoir présenté le schéma de la Franco-Amérique historique et contemporaine que voici,

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j’ai proposé aux fins de la discussion la notion de « Québec mère patrie » que les Franco des États-Unis acceptent d’emblée, mais que ceux du Canada ne peuvent pas blairer. François en a expliqué les raisons.

À la Fromagerie sur Elgin, le thé fut servi, accompagné de délicieuses « grignoteries ». Pendant que le public dégustait, Thomas Hellman, Éric Charlebois et moi, trois « écrivains vagabonds », nous attaquions de front au thème du Salon.

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Par l’emploi du Petit Robert, l’animatrice, Johanne Melançon, nous a lancés  : 1. « Fait de vagabonder, d’aller ça et là, à l’aventure. » v. errance. 2. « Fait de voyager beaucoup, d’effectuer de nombreux déplacements. » 3. Au figuré : « État de l’imagination entraînée d’objet en objet par association d’idées. » v. rêverie. Éric a enchaîné : « Le vagabondage, c’est l’autocréation comme elle se doit : fragmentaire et colmaté. » Thomas, musicien et poète, hybride de culture, parlait de « vagabonder entre musique et parole, entre l’anglais et le français, entre le Canada, les États-Unis et la France. » Il a évoqué la notion de « flânerie romantique », ce à quoi j’ai répliqué par le concept cher à mon cœur de « flânerie savante » . Pour le géographe que je suis, le vagabondage constitue une quête géographique…de l’exploration et de la découverte de lieux chargés de sens!

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En écoutant parler Thomas Hellman et me rappelant son spectacle de la veille au Moose Lodge de la rue Frood, où, accompagné de deux excellents musiciens, Sage Reynold et Olaf Gundel, il avait chanté et récité Roland Giguère, ainsi que d’autres auteurs marquants des Amériques, notamment Eduardo Galeano, Patrice Desbiens et Woodie Guthrie, une idée m’est venue à l’esprit et je l’ai exprimée : « Un vagabond avec une guitare, c’ est un troubadour, Thomas Hellman est le jeune troubadour de la Franco-Amérique! Digne successeur à Zachary Richard! »

Sans aucun doute, les vedettes incontestées de cette sixième édition du Salon du livre du Grand Sudbury étaient au nombre de deux :  le troubadour lui-même, Thomas Hellman, et celle qui épate le lectorat québécois et franco-canadien depuis la parution en 2009 de son premier roman, Ru, Kim Thuy, les deux vus ici en ondes en compagnie de l’animateur bien connu de Radio Canada, Éric Robitaille, ainsi que Danièle Vallée et Daniel Marchildon.

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De g. à d.: Thomas Hellman, Danièle Vallée, Éric Robitaille, Kim Thuy, Daniel Marchildon

Pour leur hospitalité, leur responsabilité, leur dévouement et leur sens de l’organisation, Sylvie Lessard et Roxanne Charlebois, codirectrices de l’événement, ont toute mon admiration.


Pour compenser l’absence de Sudbury dans mon livre…

J’arrive à l’instant de Sudbury où la publication de mon livre Voyages et rencontres en Franco-Amérique m’avait valu une participation à la sixième édition du Salon du livre du Grand Sudbury. Je reviendrai un peu plus tard sur cet événement d’importance capitale, mais je me dépêche, à présent, de publier ici un court extrait d’un article intitulé « Sur les routes de l’Amérique française : l’expérience des géographes lavallois » , paru en 2002 dans la revue Québec Studies (p. 31), où je décrivais une soirée mouvementée vécue à Sudbury il y a 19 ans par moi-même et mes étudiants. Je le fais pour répondre à la « critique » de mon livre par un « chauvin » du Salon qui me taquinait sur les ondes de Radio Canada dans le cadre de l’émission Grands Lacs Café, animée par Éric Robitaille, du fait que je ne faisais pas de place pour Sudbury dans mon bouquin. Je ne voudrais pas que les gens de la ville du « Big Nickel » pensent que je ne les aime pas ou que je les oublie! Alors voici ce que je disais d’eux en 1995.

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De retour en Nouvel-Ontario, pour la première fois depuis 1983, nous avons passé la soirée du deuxième référendum québécois sur la question nationale, celui du 30 octobre 1995, dans les locaux des étudiants franco-ontariens de l’Université Laurentienne, à Sudbury. Que d’émotions! À quelques exceptions près, les étudiants de l’Université Laval, qui avaient déjà voté par anticipation, manifestaient une préférence pour l’option souverainiste soit pour le OUI, tandis que les Franco-Ontariens semblaient unanimement en faveur de l’option fédéraliste soit pour le NON. Inutile de dire qu’en début de soirée l’inquiétude régnait du côté franco-ontarien. Lorsqu’en fin de soirée, les résultats commençaient à rentrer de Montréal et que la flèche rouge (NON) se rapprochait petit à petit de la flèche bleue (OUI), les sourires revenaient. Et quand le résultat du vote de Westmount, riche ville anglophone, fut affiché (plus de 95% en faveur du NON), les Franco-Ontariens ne pouvaient plus contenir leur joie. Ils criaient et applaudissaient à tout rompre. Par le fait même, ils brisaient de manière non équivoque les liens de solidarité historique, culturelle, et linguistique entre eux et le Québec et se ralliaient autour du plus grand symbole de la domination anglaise au Québec.

Quoi qu’il en soit, le lendemain, le journal de langue anglaise de Sudbury publiait une photo de l’un de nos étudiants en pleurs à la suite de l’annonce des résultats et soulignait la douleur ressentie chez les « séparatistes ». Nous avons bien ri! Andrew était un anglophone bilingue de la Colombie-Britannique inscrit à Laval pour bonifier son français et un fédéraliste convaincu. Il pleurait sa joie! Le lendemain, une visite chez le Père Germain Lemieux, ethnologue de formation, qui nous fit connaître la richesse du patrimoine franco-ontarien, nous rapprocha de nos hôtes. Mais nous savions, à la suite des événements de la veille, que nous n’étions pas sur la même longueur d’onde. Le serions-nous un jour? Si l’histoire peut parfois nous rassembler, la géographie, elle, pèse de plus en plus dans nos façons de voir. Ainsi le présent est tout en défi étant donné la méconnaissance et la méfiance que nous avons les uns des autres.

Au moment de la parution de Voyages et rencontres, Paul-François Sylvestre de l’Express de Toronto m’en voulait légèrement de ne pas avoir fait paraître dans mon récit sa région d’origine, celle de Windsor. Par contre, les Franco-Ontariens de Penetangueshene et de Lafontaine semblent très fiers de se trouver dans mon bouquin. Comme de quoi, on ne peut faire plaisir à tous tout le temps!


Trois court-métrages d’André Gladu

L’œuvre d’André Gladu est immense. Elle lui a valu en 2009 d’être reçu à l’Ordre des francophones d’Amérique (voir mon billet : https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2009/10/02/andre-gladu-recu-a-lordre-des-francophones-damer/). Je pensais les avoir tous vus, ces 40 quelques documentaires consacrés à la francophonie nord-américaine, mais non. Cette semaine à l’invitation de la Société québécoise d’ethnologie de, il revint au Musée de la civilisation présenter dans le cadre d’un hommage aux Métis francophones trios courts métrages. Sur les trois, il y en a deux qui avaient jusque-là échappé à mon œil attentif.

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Les gens libres fut tourné il y 33 ans à Saint-Ambroise et Saint-Laurent, au Manitoba. Il y a une entrevue classique avec l’historien métis de l’Ouest, Antoine Lussier, partiellement voilé par la boucane de sa cigarette, qui explique, entre autres, pourquoi les Métis de l’Ouest étaient davantage francophone qu’anglophone, le phénomène du métissage ayant été beaucoup plus répandu chez les voyageurs canayens de la Compagnie du Nord-Ouest que chez les commerçants anglais de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le fait saillant du film est l’échange entre le cinéaste et le vieux Paul Lavallée à qui André demande à chanter l’hymne de la nation métisse composée par le légendaire Pierre Falcon. Monsieur Lavallée exécute avec brio.

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Presque 30 ans plus tard, Gladu est retourné dans l’Ouest, cette fois-ci à Batoche, en Saskatchewan, filmer Mitchif, l’esprit de Riel et de Dumont. Le mitchif, c’est la langue ancestrale des Métis, mélange de français et de cri. Batoche est ce lieu quasi sacré des Métis où leur nation fut anéantie en 1885 par les Forces canadiennes sous la direction du Général Frederick Middleton, déployées par John A. McDonald. On se souviendra que le général avait sous sa commande, le capitaine A.L. Howard, un militaire américain, qui se servait des Métis pour tester une nouvelle arme, le « Gatling gun ». Avant leur reddition, les Métis, sous les ordres militaires de Gabriel Dumont et spirituels de Louis Riel avaient eu le temps à la coulée des Tourond (Fish Creek) d’infliger une défaite sur Middleton et ses hommes. Un des leaders contemporains des Métis, Paul Chartrand, accepte d’accorder une entrevue à Gladu à condition qu’elle ait lieu à la coulée des Tourand , symbole de la victoire des Métis sur les Canadiens et non à Batoche, symbole de leur défaite.

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Cerise sur le sundae pour Gladu, lors du tournage, sa rencontre avec Margaret Gladue et son fils avec lesquels il partage un ancêtre lointain.

Les Houma constituent une « tribu indienne » sans statut en Louisiane. Aujourd’hui, ils habitent, pour l’essentiel, le bayou Terrebonne au sud de la Nouvelle-Orléans. Autrefois, ces Métis devenus francophones par la force des cultures françaises en Louisiane à l’époque coloniale, occupaient un territoire plus vaste qui couvrait ce qui est aujourd’hui la grande ville. C’est sur l’une de leurs terres sacrées, au cœur de la Nouvelle-Orléans, Congo Square, réputé aujourd’hui comme berceau du jazz et réclamé par les Afro-Américains, que Gladu rencontre et fait jaser, jouer et chanter Charly Dhutu et Calvin Parfait.

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Comme toujours avec André Gladu, lors de la période des questions, animée cette fois-ci par l’ethnologue, Jean Simard, la discussion déborde le sujet des trois films. Riche d’une carrière de 40 ans où il a côtoyé de près et collaboré avec les grands documentaristes du Québec, comme Michel Brault et Pierre Perreault, il n’est point surprenant que Gladu soit le réalisateur de La conquête du grand écran qui raconte cent ans de cinéma au Québec, depuis la première canadienne du Cinématographe Lumière, qui a eu lieu le 27 juin 1896, à Montréal jusqu’à nos jours.

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Longue vie aux films d’André Gladu!

 

 


Parler devant une salle vide

Pas très réjouissant, mais agréable tout de même! Mais il fallait s’y attendre, car il est difficile de concurrencer un « Académicien ». Je m’explique. Moi-même, Nicolas Landry, et Mario Mimeault avaient été invités à prendre la parole le vendredi 11 avril à 16h30, au Musée des Ursulines, dans le cadre d’une table ronde organisée par la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (Cefan) de l’Université Laval.

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Landry, Martin Pâquet (animateur), Mimeault, Louder

En même temps (17h), à quelques rues de là, dans le cadre du Salon international du livre, le Centre de la Francophonie des Amériques, faisait le lancement de sa nouvelle bibliothèque numérisée (https://www.bibliothequedesameriques.com/) dont le parrain est nul autre que le nouveau membre de l’Académie française, Dany Laferrière. Deux événements, un public! La masse des participants potentiels s’est sûrement ruée vers le Centre des Congrès, car il n’y avait que des « restants » au Musée, cinq personnes, y compris l’épouse de M. Mimeault et l’adjointe du titulaire de la Cefan.

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La nouvelle bibliothèque virtuelle offre une pléthore de livres jusqu’ici inaccessibles à ceux et celles qui voudraient peut-être les lire. Le parrain du projet s’exprime en ces termes :

Pourquoi j’accepte d’être le parrain d’une bibliothèque numérique? C’est que ce projet ouvre, pour beaucoup de gens dans ce monde gorgé d’inégalités, de fantastiques possibilités. Brusquement une grande partie de cette Amérique aura accès à un savoir jusque là hors de leur portée. Certains voudraient s’instruire, d’autres se divertir, le spectre étant si vaste. C’est une source inépuisable. On peut à peine imaginer les conséquences de cette démocratisation du savoir. Je me souviens d’un temps où je me sentais loin du monde, ne pouvant pas avoir accès aux livres dont j’entendais parler. Ce temps n’est pas terminé pour certains mais il sera grandement réduit grâce à cette Bibliothèque numérique de langue française…

La portée de notre table ronde consacrée au thème « Écrire l’Amérique française » sera évidemment beaucoup plus humble. Peut-être une petite publication de la part de la Cefan, qui sait? Il était toutefois très enrichissant d’écouter les propos de Nicolas Landry, professeur d’histoire à l’Université de Moncton/Shippagan, nous entretenir sur sa pratique d’écriture, lui qui a tant publié sur l’histoire de sa région (Histoire de l’Acadie, La Cadie : frontière du Canada, Éléments d’histoire des pêches et Plaisance : Terre-Neuve, 1650-1713).

Contrairement à M. Landry qui connaît une carrière universitaire, Mario Mimeault a exercé la profession d’enseignant au Secondaire à Gaspé, ce qui ne l’a pas empêché d’obtenir une maîtrise et un doctorat et de devenir l’un des grands spécialistes de l’histoire maritime au Canada (Destins des pêcheurs) et ardent promoteur de sa Gaspésie bien aimée. S’intéressant également à l’histoire épistolaire, Mario a publié récemment L’Exode québécois, 1852-1925 : correspondance d’une famille dispersée en Amérique, livre particulièrement cher à mon cœur de nomade. M. Mimeault nous a fait rigoler par son style pince-sans-rire et réfléchir par l’originalité de sa pensée et la justesse de sa critique des conventions de la pratique savante.

Quant à moi, rien de nouveau. Par mon titre, « Écrire la Franco-Amérique, c’est la parcourir », je m’écrivais en faux contre la notion périmée d’« Amérique française » lui préférant celle de « Franco-Amérique » qui décrit mieux la réalité contemporaine au cœur de mes préoccupations. Mettant l’emphase sur ma dernière publication Voyages et rencontres en Franco-Amérique, j’ai néanmoins mentionné les autres ouvrages, fruits d’un effort collaboratif avec des collègues du Québec et d’ailleurs.

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Des six titres cités, cinq visaient principalement un lectorat universitaire tandis que le dernier, basé sur mes voyages des 10 dernières années en solitaire, est destiné davantage au grand public. Celui-ci est divisé en huit chapitres. Les sept premiers racontent des rencontres réalisées lors de sept péripéties entreprises entre 2003 et 2010 et le huitième celles, sporadiques, d’une demi-douzaine de déplacements par la voie des airs, chacun donnant lieu à des rencontres inoubliables.

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Afin de permettre aux membres de ce « vaste auditoire » réuni au Musée des Ursulines de ressentir l’esprit des lieux visités et de tâter le pouls des gens rencontrés, j’ai fait lecture de huit courts extraits, un par chapitre, de mon bouquin :

Montréal, le 3 octobre 2003

Hier, en empruntant à Québec le pont Pierre-Laporte, au début de mon voyage, je ne pouvais m’empêcher de penser à Jack Waterman. Vous souvenez-vous de lui? Il s’agit bien sûr du héros de Volkswagen Blues, ce roman de la route écrit par Jacques Poulin en 1989, sans doute sous l’inspiration de l’œuvre du grand écrivain franco-américain Jack Kerouac.

La Vieille Mine, Missouri, le 7 mars 2003

Faisant référence à un séjour antérieur en 1978 : Dans sa petite maison en bois rond, Charlot Pashia [Pagé] a sorti son violon et m’a joué des airs de chez lui qui étaient aussi, sans qu’il le sache, ceux du Québec, de l’Acadie et de la Louisiane. Son épouse, Anna, m’a offert de l’eau fraiche puisée à la pompe, car il n’y avait pas encore d’eau courante dans la maison.

Drummond, Nouveau-Brunswick, le 15 juin 2005

Si je fréquente depuis sept ans le village de Drummond, au Nouveau-Brunswick, (population 900), c’est grâce à Laura Beaulieu qui me l’a fait connaître et qui m’a appris à aimer cette région aux paysages panoramiques, pittoresques et « patatisés ».

« Éden » : Lebret, vallée de la Qu’appelle, Saskatchewan, le 1er septembre 2008

La pancarte à l’entrée du hameau annonce bien les lieux : Welcome to Paradise. La monotonie des plaines verdoyantes est enfin rompue par les paysage de la vallée de la Qu’appelle, entrecoupée de quatre lacs et d’une rivière, et, au cœur de cette vallée, le village de Lebret (population 206).

Wickenburg, Arizona, le 3 février 2009

Au terrain de camping Horspitality (oui, HORSpitality, et non HOSpitality), à Wickenburg, en Arizona, assis devant la buanderie à attendre mon lavage, j’entends crier : « Hé le Québécoué, t’es ben loin de chez toé ». Je lève la tête. Un homme d’à peu près mon âge arrive en courant :

—Chu du Nouveau-Brunswick, moé, Ronald est mon nom, Ronald Burrell.

 —Éyou, au Nouveau-Brunswick? Lui demande-je.

—De Grand-Sault, répond-il.

J’ai mon voyage! Je connais beaucoup de monde à Grand-Sault, de grandes familles : des Beaulieu, Morin, Ouellet(te), Michaud Gervais, Laforge, Laforest, Thériault…mais pas de Burrell.

Oxford, Mississippi, le 18 mars 2010

En arrivant à Oxford, l’une des premières personnes que j’ai rencontrées à la bibliothèque généalogique est « Will » St-Amand. Évidemment, avec un nom pareil, celui qui passe tous ses après-midi à agir comme personne-ressource auprès des gens en quête de leurs aïeux ne pouvaient qu’être francophone. Il a suffi de lui adresser la parole en français pour que son histoire se dévoile.

Walla Walla, Washington, le 8 octobre 2010

Dans un moment fort de la soirée, Frank Bergevin a pris la parole en français pour exprimer ses sentiments à l’occasion d’une visite au Québec en 1970. En faisant allusion à la devise inscrite sur les plaques d’immatriculation québécoises, il rendait hommage à la mère patrie, un pays qui a de la  mémoire, un pays qui se souvient, un pays qui a su survivre contre vents et marées.

Utah, le 13 octobre 2011

Josette Lemire, témoin vivant de la diaspora québécoise, s’est mariée il y a 44 ans avec Brent Nay, un de mes amis d’enfance…. C’est le grand-père de Josette, Élie Lemire, charpentier, né en 1861, qui aurait décidé de tenter sa chance aux États-Unis, probablement autour de 1880, car il s’est marié en 1884 avec Marie Josephine Philamine LaBore (Labord?) à White Bear Lake, au Minnesota, à proximité du village de Little Canada. Les deux endroits sont aujourd’hui situés en banlieue de Saint-Paul, capitale de l’État et autrefois centre névralgique de l’activité commerciale pour les Métis et Canadiens de l’Ouest… Bien qu’elle en rêve, Josette n’a jamais mis les pieds au Québec. « Un jour » dit-elle « un jour »!

Décevant, oui un peu, mais que voulez-vous? Dean Louder n’est pas Dany Laferrière! Je serais allé au lancement, moi itou