Les abat-jour de l’avenue Cartier

Pour souligner les 72 ans de l’un des meilleurs clients du café-boulangerie Picardie et des Provisions Inc. situés sur l’avenue Cartier à Québec, moi en l’occurrence, la ville a choisi d’allumer le 15 janvier, de nombreux (j’aurais dû les compter !) nouveaux réverbères qui ressemblent à des abat-jour géants.

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Il est encore trop tôt pour apporter un avis définitif sur ces « objets » qui sont censés contribuer à faire du secteur un quartier à vocation culturelle ou artistique. Le jour, en raison des structures tubulaires, grosses et lourdes, sur lesquelles les abat-jour se reposent, ces lampadaires nuisent à la beauté de la rue. Par contre, le soir, ne pouvant voir les « tuyaux » laids, j’ai plutôt aimé la nouvelle allure.

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À chacun de se rendre sur la rue possiblement la plus agréable de Québec pour se faire une idée.


« Québec est comme une femme, désirée, mais pas possédée »

Ces paroles ne sont pas de moi! Elles aurait pu être de mon collègue et ami, Luc Bureau, qui a écrit plusieurs essais aux titres tout aussi évocateurs les uns que les autres : Le Rat des villes, Terra Erotica, Il faut me prendre aux maux, L’idiosphère, Pays et mensonges… , mais elles ne le sont pas non plus. Elles sont de Roger Lemelin, qui décrit sa ville natale. Je les ai apprises hier en réalisant ma troisième promenade littéraire de l’année, celle qui a conduit une vingtaine d’hommes et de femmes du Parc des Braves jusqu’ à la résidence des Franciscains, en descendant la Pente douce, en traversant une partie du quartier Saint-Sauveur et en remontant l’escalier des Franciscains. Autrement dit, nous avons arpenté l’ancienne paroisse Saint-Joseph, rendue célèbre par Lemelin dans ces trois romans Au pied de la pente douce, Les Plouffe et Le Crime d’Ovide Plouffe, le premier publié en 1944 et situé en1937, le deuxième en 1951 et 1948 et le dernier en 1982 et 1951.

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Départ du Parc des Braves, aux années 30 et 40, oasis des ouvriers de la Basse-Ville

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Au sommet de la Pente douce

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Le calvaire situé au pied de la Pente douce, érigé en année sainte 1950

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L’énorme presbytère de l’Église Saint-Joseph

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Le trou béant créé par la démolition il y a deux ans de l’église Saint-Joseph, laissée en décrépitude depuis des années, coin Franklin et Montmagny

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L’ancienne Caisse populaire en face de l’église

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La maison blanche « boîte à beurre » de la famille Lemelin

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L’escalier des Franciscains

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Vue sur la Basse-Ville à partir de l’escalier des Franciscains

Lorsque Au pied de la pente douce paraît en 1944, il fait fureur, vendant dans le temps de le lire 40 000 exemplaires. Du jamais vu! Il fut rapidement mis à l’index, ce qui a sûrement eu pour effet d’en accélérer la lecture! À l’âge de 24 ans, Roger Lemelin devient une figure littéraire de proue. Peut-être ce succès le doit-il à la maladie qui l’a  cloué à un fauteuil roulant pendant cinq ans, des années où, s’il avait été en santé, il aurait fort probablement entamé sa vie d’ouvrier comme les autres membres de la famille et les jeunes de son âge et de son entourage. De 16 à 21 ans donc, il eut l’occasion d’étudier, de scruter et d’analyser son milieu, et de rencontrer—parfois au Parc  des Braves—certains résidents de la Haute-Villé dont l’intellectuel Jean-Charles Bonenfant qui lui servit en quelque sorte de mentor.

En plus d’être un littéraire très doué, Lemelin possédait le sens des affaires et un réseau de contacts très élaborés qui lui ont permis, à la suite de la publication de son deuxième roman, de gravir les échelons de la société, de s’établir à la campagne (Cap-Rouge) et, plus tard, Montréal où il devint PDG du journal La Presse, frayant avec, entre autres, Paul Démarais et les Trois Colombes (Trudeau, Pelletier et Marchand). Lemelin réussit également à gravir la falaise, se portant, bien avant que le gouvernement du Québec ne le fasse, acquéreur de la maison située au 1080, Avenue des Braves, celle que l’on appellerait « L’Élysette », très brièvement résidence officielle, à la fin des années quatre-ving-dix, du Premier Ministre du Québec, Jacques Parizeau en l’occurrence.

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Compte tenu de son vécu, de son ascension fulgurante et de la place qu’il a atteinte dans le tissu social, culturel et politique du Québec avant de mourir en 1992, Il aurait été salutaire que Roger Lemelin  écrive au moins un quatrième roman faisant entrer la famille Plouffe, modelée sur la sienne, dans les tourments, trépidations et transformations de la Révolution tranquille.

Si Québec est comme une femme, Roger Lemelin, l’a rendue séduisante, moins par sa beauté que par sa personnalité attachante. Sylvain Lelièvre chantait « Quand on est d’la basse ville, on n’est pas d’la haute ville ». Roger Lemelin fit preuve du contraire!

* * *

À chaque promenade littéraire à Québec, je retrouve, sans avertissement et avec émoi, de mes anciens étudiants de l’Université Laval. Cette fois-ci, il s’agissait de Stève Dionne et Lucie Rochette.  Rencontrés au cours de leur formation en géographie à l’Université Laval il y a une vingtaine d’années, Ils se sont établis par la suite à Saint-Roch-des-Aulnaies, d’où ils étaient venus en cette belle matinée automnale rendre hommage à l’auteur dont l’œuvre fit découvrir à Stève la société urbaine québécoise de la génération avant lui. Heureux de renouer, Stève, Lucie et moi sommes fiers de partager ce moment avec Roger-Lemelin à sa Place (coin L’Aqueduc et Saint-Gemain).

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Vieux-Carré et Vieux-Québec, 35 ans plus tard

En 1979, j’ai publié dans les Cahiers de géographie du Québec un article intitulé « Vieux Carré et Vieux Québec : Vestiges urbains de l’Amérique française » dans lequel je comparais ces deux quartiers historiques déplorant le virage touristique qu’avait pris le premier et louangeant légèrement le maintien de l’authenticité historique et culturelle du deuxième.

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Vieux-Carré vu de l’International Trade Mart, circa 1978

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Vue aérienne du Vieux-Québec et ses environs, circa 1977

Je ne reprendrai pas ici le texte au complet. Contentons-nous de l’introduction et de la conclusion.

Introduction :

Pour un Québécois, se trouver à 3 000 km de chez lui sur des rues portant les noms de Chartes, Bourbon, Esplanade, des Ursulines et des Remparts est une expérience émouvante. Son ravissement risque cependant de devenir désarroi lorqu’il entendra les gens dans la rue « vociférer », avec un fort accent américin, ces doux noms français : Char-ters, Bur-bun, Esplan-aid, Ram-parts et St. Peter ! L’orgueil de ce Québécois, tout comme son oreille d’ailleurs, sera piqué à vif.Il se trouve à la Nouvelle-Orléans, dans le Vieux-Carré, la vieille ville française située au-dessous du niveau d’un Mississippi qu’il ne peut apercevoir, caché qu’il est par des levées alluviales et artificielles. Il vient de Québec, peut-être du Vieux-Québec, le berceau de la civlisation française en Amérique,une cité vieille de 370 ans, construite à trois niveaux autour et sur un promontoire rocheux qui s’élève à 125 mètres au-dessus du Saint-Laurent. Dans ces deux vieilles cités (Vieux-Carré et Vieux-Québec) qui ne forment plus aujourd’hui que de petits quartiers submergés dans des grandes agglomérations, se trouve une substance physique et spirituelle qui leur accorde un charme et unesplendeur rappelant les grands explorateurs français d’autes fois et l’existence d’une Amérique française s’étendant, en amont, sur les rives du Saint-Laurent, depuis le golfe jusqu’à Montréal, puis à travers la vallée de l’Outaouais jusqu’aux Grands Lacs, et de là, au Golfe du Mexique en passant par la vallée du Mississippi.

Depuis quelques années la singularité de ces villes intra-muros est devenue un objet vendable, nécessitant de fait l’intervention publique afin de freiner les projets parfois trop ambitieux des promoteurs. On peut discuter longuement sur l’efficacité de ce freinage. On se demande d’ailleurs aujourd’hui jusqu’à quel point le Vieux-Carré et le Vieux-Québec sont des vestiges urbains authentiques de l’Amérique française ?

Conclusion :

Certes, le Vieux-Québec et le Vieux-Carré sont des endroits sans pareils. Constituent-ils des vestiges urbains de l’Amérique française ? En dépit de toute la rhétorique d’un « Disneyland nordique », on peut répondre dans l’affirmative pour le Vieux-Québec. Pour l’instant il est le symbole d’un passé, d’un présent et d’une culture vivante. Bien sûr, il existe des cancers au sein du Vieux-Québec, dont Place Royale, un artefact rappelant le passé mais ne le symbolisant guère et encore moins le présent. Ce diagnostic est encore plus précis pour le Vieux-Carré ! Ce qui se passe à Place Royale et un peu partout dans les rues et ruelles les plus fréquentées du Vieux-Carré constitue l’appropriation de la culture pour des fins commerciales. L’utilisation des formes culturelles vidées de tout rapport organique avec leur contenu est non seulement absurde, mais elle entraine l’aliénation. Aux yeux de plusieurs, le French Quarter est aussi français que Ronald McDonald !

Trente-cinq ans plus tard, force est de constater qu’à Québec, la vieille ville n’est plus l’ombre d’elle-même. Elle a pris la voie du Vieux-Carré. Sa population résidente continue à diminuer, chassée par l’envahissement constant de touristes à la recherche de sensations fortes, de la bonne bouffe et de l’éternel t-shirt. Essayez d’y trouver une école publique ou une épicerie ! Aux yeux de certains, le Vieux-Québec, est aussi québécois que Red Bull.

 


Rendez-vous manqué à Gaspé

Immigrant des États-Unis, je demeure à Québec depuis 43 ans. Hormis mon père et ma mère qui, jusqu’à ce qu’ils meurent, venaient nous rendre visite régulièrement, ma sœur qui est venue deux fois, accompagnée de son mari, et deux oncles qui sont venus une fois chaque, personne de mon ancienne vie—jusqu’au 30 septembre dernier—ne s’était jamais rendu à ma porte. Ce jour-là, John Young, un bon ami d’il y a 50 ans avec lequel j’avais passé de magnifiques moments sur un terrain de basket et son épouse, Ann Byard, ont descendu de l’avion à l’aéroport Jean-Lesage dans le but de passer une journée et demie chez nous avant de monter à abord du Ruby Princesse pour réaliser une croisière automnale de neuf jours les emmenant de Québec à New York, avec escales à Saguenay, Gaspé, Charlottetown, Sydney, Halifax, Bar Harbor et Boston!

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Un couple assez spécial, John et Ann! Ils étaient ce que nous appelions à l’époque des « high school sweethearts ».  Ils se sont connus à 15 ans, se sont fréquentés tout au long de nos années d’études secondaires et se sont mariés à l’âge de 19 ans. Ils ont élevé une bonne famille et jouissent aujourd’hui de la vie. Pour Ann, sa neuvième croisière, pour John, sa septième. Ils sont confortablement installés là où nous avons grandi ensemble, leurs enfants et petits-enfants habitant tous à proximité.

Que faire à Québec en si peu de temps sans verser dans le vulgaire tourisme. Je n’avais pas envie de leur montrer le Vieux-Québec qui me déçoit de plus en plus. En 1979, j’avais publié dans les Cahiers de géographie du Québec un article intitulé « Vieux Carré et Vieux Québec : Vestiges urbains de l’Amérique française » dans lequel je comparais ces deux quartiers historiques déplorant le virage touristique qu’avait pris le premier et louangeant légèrement le maintien de l’authenticité historique et culturelle du deuxième. Aujourd’hui, il ne pourrait plus y avoir d’éloges—ou si peu. À Québec, comme à la Nouvelle-Orléans, on joue au maximum la carte touristique en mettant en vedette les vieilles villes et en accentuant la vente de T-shirts. Or, il y a autre chose, comme le Bois de Coulonge, sa beauté et son histoire, le Jardin Jeanne-d’Arc faisant partie des Plaines d’Abraham et la Fontaine Tourny, objet étranger cadrant si bien localement.

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Très émue par la tranquillité des lieux de l’ancienne résidence du Gouverneur Général du Québec dont la maison a brûlé en 1966, Ann s’amusait à observer et à courir après les écureuils noirs.

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John est un ardent lecteur de tout ce qui touche à la deuxième Guerre et se trouvait particulièrement fier de poser à côté du Général De Gaulle d’où il pouvait  admirer, tout comme le général, les fleurs du Jardin Jeanne-d’Arc et ses décorations d’Hallowe’en.

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Contrairement à ce que peuvent penser les visiteurs, le jet d’eau se trouvant devant l’Assemblée nationale n’est à sa place que depuis six ans, depuis que l’homme d’affaires, Peter Simon, qui aime tant sa ville, lui en a fait cadeau à l’occasion de ses 400 ans. John n’en revenait pas d’apprendre que M. Simon avait trouvé cette relique de la ville de Bordeaux dans un marché aux puces et l’avait fait transporter jusqu’à Québec pour l’embellir et renforcer les liens entre ces deux villes jumelles.

Puisque dans leur (mon ancien) coin de pays, il existe les « Bridal Veil Falls », je tenais à ce qu’ils voient de haut notre équivalent québécois, mais en plus grand, la chute Montmorency. La passerelle au-dessus de la chute offre des panoramas époustouflants!

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Rendus à la chute Montmorency, aussi bien poursuivre quelques kilomètres plus loin sur le Chemin royal  afin de goûter à l’érable chez Marie. C’est là en mangeant du pain ménage beurré d’érable et des brioches à la cannelle et aux raisins, que nous avons décidé de prolonger les retrouvailles à Gaspé. Pendant que John et Anne s’y rendraient par la voie des eaux, nous nous y rendrions par la voie des terres, excellente occasion de faire le tour de la Gaspésie. Rendez-vous donc le dimanche 5 octobre à 10h à la marina de Gaspé!

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C’est le vendredi à 17h que le Ruby Princesse quitta le quai à Québec. Pendant que John et Ann passaient la journée à arpenter seuls le Vieux-Québec, nous filions vers l’est, vers Gaspé, au bout du monde, 750 km plus loin. Un dodo à Matane, puis, nous sommes arrivés à Gaspé vers 16h le samedi après-midi. Confortablement installés au gîte la Normande, le temps de décompresser, de marcher la ville, de manger au Café des artistes, de bien dormir et de prendre le « petit déj » avec un groupe de Français faisant partie de la horde de Français qui font chaque automne le tour de la Gaspésie. À 9h30, mon téléphone mobile sonne. C’est John, très déçu, presque en pleurs et faisant mille excuses : « Vous êtes venus de si loin, nous voulions tant vous revoir, mais nous ne pourrons pas nous retrouver. Impossible d’accoster. La mer est trop agitée ». Merde!

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Pas grave. Si vous ne pouvez pas nous voir, nous allons vous voir. Sur la voie du Parc Forillon, en Volkwagen coccinelle, nous apercevons le Ruby Princesse qui s’éloigne de plus en plus du havre de Gaspé, en route vers Charlottetown et ses autres destinations. Mélancoliques, nous faisions des « bye bye » à nos amis invisibles.

DSC05599DSC05600 Rendez-vous manqué  à Gaspé, oui, mais combien agréable tout de même! La Gaspésie à l’automne! Imbattable!


Au revoir Mde Charlotte

Depuis huit ans, l’une de mes destinations préférées à Québec est le 1209, 1ère Avenue à Limoilou. J’y ai emmené des dizaines d’amis de partout dans le monde pour partager la belle ambiance chaleureuse et la succulente nourriture maison servie avec amour par Charlotte Morel. Le 20 avril 2009, j’en parlais sous cette rubrique (https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/?s=charlotte).

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En novembre dernier, par temps très froid, assis dans l’autobus no 1, j’ai rencontré sur la rue Saint-Vallier, une jolie jeune Colombienne en visite à Québec. Photographe de métier, Alexa Vanegas, se rendait, tout comme moi, au Musée de la civilisation.  En y entrant, nous nous sommes donnés rendez-vous dès la fermeture pour poursuivre notre rencontre fortuite et pour partager un repas chez Mde Charlotte. Les cinq photos, y compris la « selfie » faisant partie de cette chronique, sont d’elle.

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En raison de son âge (la jeune soixantaine) et d’une santé chancelante, Charlotte vient de prendre la décision, combien difficile, de tirer sa révérence de ce restaurant qu’elle aime tant et dont elle a toujours été la seule maîtresse à bord. C’est elle qui s’occupe de la gestion, prépare les repas, sert les tables, échange avec les convives et fait la vaisselle.

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Charlotte va me manquer terriblement. Son pâté chinois, son hachis au poulet, ses lasagnes, son ragoût aux boulettes vont me manquer. Ses soupes aux légumes et au melon/navet, tout autant!  La salade apprêtée avec tant de finesse! Et que dire de sa tarte au sucre et de ses renversés à la rhubarbe et aux bleuets? Sans parler de la tisane à la menthe infusée juste au point!

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Pour ceux et celles à Québec qui liront ces lignes, il ne vous reste que 15 jours pour vivre l’expérience de Mde Charlotte. Le 1er octobre, elle passera le flambeau à Jean-Thomas et Sarah qui promettent de poursuivre l’art culinaire si bien établi ici depuis huit ans.

Pour les habitués du Facebook, vous aurez peut-être intérêt à consulter la page de Chez Mde Charlotte (https://www.facebook.com/pages/Chez-Mde-Charlotte/109647672393680?fref=ts)