Aminata : la Pélagie des nègres

Pélagie-la-Charrette (1979), roman d’Antonine Maillet raconte le voyage épique de la veuve Pélagie LeBlanc. À la fin des années 1770, Pélagie quitte la Géorgie pour ramener son peuple acadien, déporté par les Anglais en 1755, à Grand Pré. Son voyage est une double odyssée : les « gens des charrettes » sont hantés par la charrette fantôme, la charrette de la mort associée à Bélonie, le vieux conteur d’histoires qui accompagne les pèlerins. Ils sont aussi hantés par le bateau fantôme, plus concret, une goélette anglaise prise par le bien-aimé de Pélagie, le capitaine Beausoleil-Broussard, lui aussi dévoué au rapatriement de son peuple. En 1979, le roman a valu à son auteure le Prix Goncourt et le changement du nom de sa rue à Outremont, de « rue Wilder » à « avenue Antonine-Maillet ».

phpela

Aminata (2011), roman de Lawrence Hill raconte le voyage épique d’une femme libre dans la peau d’un esclave, Aminata Diallo. Née à Bayo, en Afrique occidentale en 1745, capturée par des marchands d’esclaves en 1757 et transportée contre son gré dans un négrier insalubre et puant jusqu’à Charles Town, en Caroline du Sud, à la porte de la Géorgie, Aminata devient « Meena », vendue dans une plantation dont la spécialité est la production de l’indigo. Cinq ans plus tard, victime de la cupidité et de la cruauté se son maître qui lui arrache et vend son bébé, elle est revendue. Son acheteur, Solomon Lindo, Juif et inspecteur d’indigo de toute la province de la Caroline du Sud, la ramène en ville (Charles Town) et lui permet de développer ses capacités de lire, d’écrire et de compter, ce qui est évidemment très rare chez les esclaves. Meena tiendra même les livres de son maître qui lui fait confiance à ce chapitre. Devant les politiques d’imposition injustes de la part de la Grande-Bretagne envers ses colonies, Lindo, accompagné se son « comptable », se rend à New-York plaider sa cause et celle de ses compatriotes, cultivateurs d’indigo. L’esclave découvre New York et constate que les Noirs y sont affranchis. Profitant de la présence et de la connivence d’abolitionnistes, Aminata réussit à retrouver sa liberté et se met au service des autorités britanniques inscrivant de sa propre main dans le Registre des nègres les noms et le statut des centaines de Noirs auxquels les Britanniques offrent, à la fin de la guerre d’Indépendance (1783), feu et lieu en Nouvelle-Écosse.

aminata

L’automne 1783, des bateaux britanniques quittent le port de New York à destination de Port Roseway et d’Annapolis Royal, avec leur cargaison humaine. Meena, enceinte d’un deuxième enfant, dont le père devait l’attendre à Annapolis Royal, accoste à Shelburne, le nouveau nom attribué à Port Roseway. Misère, discrimination, faim, violence, promesses non tenues, les « transfuges affranchis » se voient obligés de créer un camp de fortune, Birchtown, à l’écart des Blancs et des « bons British ».

Neuf ans plus tard, devant l’échec appréhendé de l’expérience néo-écossaise, un nouveau projet s’ouvre aux malheureux. Le retour en Afrique, la réalisation du rêve que chérit Aminata Diallo depuis son arrivée en Amérique en 1757. Le 15 janvier 1792, 15 navires levent l’ancre dans le port d’Halifax transportant 1 200 hommes, femmes et enfants à Sierre Leone afin d’établir la nouvelle colonie britannique de Freetown.

Tout en subissant des affres de la pire espèce, Aminata et Pélagie, réussissent à boucler la boucle. Arrachées de leur foyer, bafouées par le racisme, la barbarie, la brutalité, voire le sadisme, elles sont rentrées dans les terres de leurs aïeux. Leur courage, leur bravoure, leur résilience, leur détermination méritent, en cette Journée internationale de la Femme 2012, que l’on s’y attarde et que l’on réfléchisse.

Le Mois de l’histoire des Noirs (février) m’a incité la lecture d’Aminata, roman inspiré par un document historique authentique, mais peu connu, le Book of Negroes, d’où le titre du roman publié au Canada par Lawrence Hill et pour lequel il a reçu en 2009 le Commonwealth Writers Prize. Aux États-Unis, par contre, compte tenu de la nature péjorative du mot « Negro », par souci de rectitude politique et, sans doute, pour assurer de meilleures ventes possibles, le livre porte le titre moins évocateur de Someone Knows My Name.

SCAN0222

Lors d’une entrevue accordée à Michel Lacombe le 20 février dernier sur les ondes de la Première chaîne de Radio Canada, Lawrence Hill, lève le voile sur son propre passé qui explique sa passion pour son sujet. Il décrit aussi ses années d’études en sciences économiques à l’Université Laval (1978-1980) et son « love affair » avec le Québec et la langue française.

http://www.radio-canada.ca/emissions/le_21e/2011-2012/chronique.asp?idChronique=202767

Ce n’est pas là le seul lien qui existe entre Book of Negroes et Québec. S’il existe en version française Aminata, c’est grâce à Carole Noël, ancienne éditrice aux Presses de l’Université Laval et ancienne adjointe au recteur de cette même université, aujourd’hui traductrice reconnue et primée, qui en a assuré la traduction.

En lisant Aminata, je ne pouvais m’empêcher de penser à Pélagie. Tellement de parallèles et de similitudes ! Expériences génocidaires dans les deux cas ! Perte de liberté ! Souffrance ! Les deux passent par les basses terres de la Géorgie et la Caroline du Sud…en même temps ! Les deux se retrouvent en Nouvelle-Écosse…en même temps ! Est-il possible qu’elles se sont vues, qu’elles auraient pu se côtoyer, qu’elles auraient pu être au courant et sensible au drame que vivait l’autre ?

Tant d’atrocités perpétrées au cours de la dernière moitié du XVIIIe siècle sur le territoire de la Nouvelle-Écosse !


Ode à l’amitié: C’était au temps des mammouths laineux de Serge Bouchard

On pense bien connaître l’homme à la voix de soie, celui qui, sur les ondes de Radio Canada, nous entraîne régulièrement dans les sillons dissimulés de la Franco-Amérique, sur les traces des remarquables oubliés de notre histoire et vers plein d’autres sujets et phénomènes tout aussi beaux et bons les uns que les autres. On le redécouvre et l’apprécie encore davantage à la suite d’une lecture attentive de la plus récente publication de cet anthropologue-poète-philosophe-toponymiste-géographe—et avant tout humaniste—dont la plume est aussi douce que la voix.

SCAN0216

C’était au temps des mammouths laineux rassemble 24 essais écrits sur une période de onze ans (2000-2011). Ils sont divisés en quatre rubriques : (1) De quelques morceaux d’une vie; (2) De la grosse peine; (3) De beaux mensonges; (4) Du pays de nos âmes.

La première, très personnelle, voire autobiographique, raconte les joies et les peines d’un enfant intelligent né dans une famille canadienne-française peu orthodoxe à bien des égards, de Pointe-aux-Trembles. Le gamin vit à l’ère des « mammouth laineux », c’est-à-dire avant la venue de la télévision, de l’ordinateur, des jeux vidéo, du courriel électronique, de l’Ipod, de l’Ipad, du wifi… Garçon qui tombe en amour avec des autobus de couleur beige qui lui permettent d’apprivoiser l’île de Montréal. Individu gâté par la malchance. Jeune homme épargné des événements entourant la Crise d’octobre par son affection et son attachement aux peuples autochtones du Québec. Chercheur indépendant et original avec tous les risques que cela comporte pour la carrière. Conférencier très recherché qui s’use en parcourant le Québec, l’hiver comme l’été, pour gagner sa vie. Érudit sachant passer scrupuleusement de l’ère des « mammouths laineux » à l’ère des Modernes, voire des post Modernes.

La deuxième, tout aussi autobiographique, et très émouvante soit dit en passant, nous transporte dans le domaine de la vie et de la mort. Bouchard, par ses trois exemples—Ginette, sa conjointe et complice dans la vie, morte d’un cancer après une lutte de 13 ans, Petit George, son meilleur ami Innu, décédé en Minganie à l’âge de 58 ans et Émélienne, sa maman, en attente de mourir dans un hospice de la métropole—développe, aussi étrangement que cela puisse paraître, la thèse que mourir peut libérer de la mort!

De la troisième rubrique, je retiens les essais traitant particulièrement de la Franco-Amérique, dont le premier « Tous le chemins mènent en Oregon », constitue une attaque en règle à l’endroit de Christoph Colomb et du culte qui l’entoure, ainsi qu’une critique sévère des mythes immortalisant des Jacques Cartier, Samuel de Champlain et Merriweather Lewis de ce monde. Pourquoi ne pas mettre en valeur, pourquoi ne pas faire connaître la vérité de l’histoire : l’existence des gens du peuple sans qui il n’y aurait eu ni mythes, ni héros? Dans le second, « Pardon à Détroit », Bouchard souligne la valeur symbolique de la ville de Détroit pour les Franco d’Amérique. Cette ville, honnie de nos jours, devrait constituer pour eux un point de repère essentiel à la compréhension de leur histoire, un haut lieu de leur héritage. Il est d’autant plus vrai pour autochtones, car c’est ici qu’est mort en 1812, selon l’auteur, le dernier espoir des Premières Nations d’Amérique. Au vingtième siècle, nous avons assisté à la récupération par les géants de l’industrie de l’automobile des Franco et des Indiens. À chacun sa Cadillac, sa Chevrolet, sa Pontiac!

Les textes de la quatrième rubrique rappellent des écrits de Thoreau et d’Emerson qui explorent les rapports entre l’homme et la nature et rejoignent ceux de Luc Bureau sur le paysage, les saisons et les rythmes de la vie. Le chapitre intitulé « Éloge de la platitude » va à l’encontre du discours des « lucides » qui prêchent pour une productivité à outrance. Ici, il s’agit d’un plaidoyer en faveur de l’ennui. L’être humain se doit de ralentir et de respirer par le nez. Rares ont les sages, laisse entendre Serge Bouchard, qui sont des « paquets de nerfs ».

C’était au temps des mammouths laineux est aussi une ode à l’amitié partagée avec un homme de grande valeur. Double dédicace à Bernard Arcand, copain, collègue et compagnon de route de Serge Bouchard, décédé en 2009. D’abord en frontispice, comme il se doit (À Bernard, dont la vie me manque), mais en épilogue également. Vingt-cinquième essai et bel hommage à un autre grand anthropologue : « Salut Bernard ».

*            *            *            *            *            *            *            *            *            *            *            *

Au moment de publier ces lignes, il m’est arrivé via Facebook, la citation qui suit. Elle cadre particulièrement bien avec l’œuvre de Serge Bouchard. Probablement que Serge la connaissait déjà. Moi, pas. Merci Réjean Beaulieu, militant de la culture franco en Colombie-Britannique, de me l’avoir fait parvenir :

SCAN0220

Durant des siècles on les vit s’enfoncer dans tous les déserts, sonder les plus impénétrables forêts, remonter le cours de tous les fleuves, parcourir tous les grands lacs, explorer les régions les plus reculées, résoudre les problèmes géographiques les plus inabordables. Depuis les gorges du Nouveau-Mexique jusqu’aux extrémités hyperboréennes de l’Alaska, pas un sentier, pas une plaine, pas un sommet, pour ainsi dire, qui n’ait été foulé par le pas de ces sublimes aventuriers qui, avec un courage et une vigueur physique dont l’histoire n’offre point d’autre exemple, s’étaient ainsi constitués les avant-coureurs de la civilisation sur les trois quarts d’un continent. Leurs descendants ont hérité de leur énergie, de leur esprit d’investigation et de leur amour des voyages. L’inconnu leur parle avec un attrait irrésistible. Chez grand nombre d’entre eux, l’homme est incomplet s’il n’a dans ses souvenirs des récits plus ou moins merveilleux de lointaines excursions, de périlleuses entreprises, de luttes, de fuites, d’évasions, d’aventures de toutes sortes, dans des pays étranges dont la description enthousiasme la jeunesse qui, plus tard, ne sera jamais satisfaite; qu’après avoir tenté les mêmes exploits. Le fait est que les Canadiens français ont tellement fouillé l’Amérique en tous sens, qu’ils se sont un peu implantés partout. Allez dans tous les centres américains, pénétrez dans les recoins les plus sauvages des Montagnes Rocheuses, si vous n’y trouvez pas une colonie canadienne, vous y trouverez des individus isolés, ou tout au moins la trace de leur passage et de leurs travaux. Cela est tellement vrai que les Anglais eux-mêmes racontent là-dessus les histoires les plus invraisemblables.

Louis Fréchette (1890) dans la préface de Six mois dans les Montagnes-Rocheuses de Honoré Beaugrand

SCAN0221


J’aurais aimé vous écrire de mon « camion » … pour dire Bonne Année!

Nous devions prendre la route le 15 décembre. Il était prévu que nous passions la veille de Noël à l’hôtel Peabody, point de repère majeur à Memphis—l’équivalent tennesséen du Château Frontenac—et le Jour de l’an au chic hôtel Alluvian, situé dans la « capitale mondiale du coton » à Greenwood, au Mississippi.

DSC01886.JPG

Hôtel Peabody (voir billet du 6 mars 2010)

Hôtel Alluvian (photo manquante)

gree

J’avais prévu quelques jours de « flânerie savante » à Memphis, ville que j’avais trouvée particulièrement attirante lors de mon dernier passage. Nous aurions pu nous promener sur la Beale, là où la musique des blues règne en roi et maître, manger des côtes levées BBQ chez Charles Vergo’s Rendezvous, explorer le quartier malfamé qui a produit Michael Oher, plaqueur étoile des Rebels de l’Université du Mississippi avant d’atteindre les rangs professionnels avec les Ravens de Baltimore et héros du film Blind Side (Éveil d’un champion en québécois), basé sur le livre The Blind Side : Evolution of a Game de Michael Lewis publié en 2006. Ensuite, il y aurait eu à Greenwood une journée de bouquinage à la librairie Turn Row, spécialisée dans des œuvres consacrées l’État du Mississippi et, plus précisément, à celles de la région du Delta au cœur de laquelle elle se trouve. De Greenwood, notre couple devait se séparer, l’une se dirigeant vers l’ouest afin de passer deux mois chez ses sœurs à Shreveport, en Louisiane, l’autre montant dans le City of New Orleans (train reliant la Nouvelle-Orléans à Chicago) pour retourner au Québec.

DSC01935.JPG

Hélas, tout cela est tombé à l’eau lors d’une urgence médicale qui frappa le 14 octobre nous clouant à la maison pour un certain temps.

Il a fallu, donc, que je trouve une autre façon de prendre la route. Je me suis rabattu sur un livre dont j’avais pris connaissance grâce à l’émission télévisuelle Tout le monde en parle diffusée le 20 avril 2011 (http://www.youtube.com/watch?v=qPlWBKx4Dus). Il s’agit, en fait, du journal de bord d’une femme exceptionnelle de 35 ans, Sandra Doyon du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont la première idole, Fifi Brin d’acier, faisait fi des conventions et défrichait son propre chemin. En dix ans, Sandra conduit son camion semi-remorque à 18 roues sur 3 000 000 kilomètres (équivalent de 75 tours de la Terre). Des allées et retours innombrables à partir de et vers Montréal : la Californie en six jours, Laredo, au Texas, paradis des camionneurs et lieu de transbordement des marchandises en provenance du Mexique, Winnipeg par 40 en dessous de zéro, l’Arkansas sous le verglas où on parcourt 90 kilomètres en cinq heures, livraison de litière à cheval (coupeaux de bois) à la ferme Poplar en Georgie, cargaison de dynamite vers l’Indiana, rencontre avec « Dez » en Saskatchewan, un Québécois des Forces canadiennes en train de perdre son français et responsable de l’entreposage des obus millésimés (« Dez » parce que c’est trop difficile pour la Anglâs de prononcer « Desautels ». Tant de souvenirs et d’amitiés recueillis sur la route et livrés ici de manière poétique.

SCAN0202

Les pages de Je vous écris de mon camion sont embellies et agrémentées d’encarts dont les mini textes sont plus que parlants. Ils nous font sentir la route, nous font vibrer, nous incitent à voyager comme Sandra, les yeux et le cœur ouverts, l’âme assoiffée. Quelques échantillons.

Route du bouclier canadien

Veines et nervures dans le granit. Rose et gris anthracite. C’est ce que le Bouclier canadien a dans les tripes.

Épinettes, bouleaux. Bouleaux épinettes. Copier-coller un milliard de fois chaque côté. C’est la route 17 entre Nipigon et Sault Sainte-Marie.

Novembre

Mois des morts et des souvenirs de guerre. Temps morne et mortifère.

Sur mes ongles, j’ai mis du vernis bleu électrique. Quand je vois mes doigts sur le volant. Ça met un peu de couleur en avant-plan. Dix petits bouts d’azur pour narguer le ciel gris.

En route vers la Californie

Entre l’Arizona et l’Utah, je lis un grand livre de géologie sans quitter la route des yeux. Y a des livres de plusieurs millions d’années écrits dans les strates des Rocheuses.

Yellowstone. Ce n’est pas que le nom d’un parc, c’est la couleur du Wyoming, de ses rochers, de ses vallons, de sa végétation.

Los Angeles

Le ciel de L.A. est couvert de smog jaune. Les libertés individuelles dans tatouées dans le ciel. Mes poumons se mettent à siffler.

Livraison de canneberges séchées dans une fabrique de biscuits. Tout près, des pauvres habitent des roulottes miteuses. Odeur sucrée d’une fournée de biscuits.

Livraison de probiotiques dans un entrepôt près d’un parc d’engraissement de bœufs. En face, de grandes maisons cossues. Odeur d’urine chauffée au soleil.

Qui choisit de vivre dans une maison cossue où la fétidité empoisonne chaque souffle ?

Et pour terminer :

Je roule vers l’horizon nouvellement né, rose et bleu comme des pyjamas de bébés. Je maintiens le cap à l’est. Bonne journée

Ce qui m’inspire ceci :

2012, horizon nouvellement né, blanc où je suis, verdâtre où je pensais être. Mais peu importe l’espace, le temps est venu : Bonne Année à vous!


À toi : un exercice épistolaire-É en géopolitique et géopoétique

Lire À toi, de Kim Thúy et Pascal Janovjak, c’est parcourir le courriel intime de deux âmes sœurs. Cent dix messages écrits entre le 3 octobre et le 26 décembre : 80 en octobre, 21 en novembre, 9 en décembre; 59 par Pascal, 51 par Kim

thuy

Qui sont Kim et Pascal et qu’est-ce qu’ils se confient qui pourrait mériter la publication de ce nouveau livre chez Libre Expression?

La quatrième de couverture résume :

Née au Vietnam, Kim Thúy est arrivée au Québec à l’âge de dix ans. Elle a publié Ru, lauréat des prix littéraires du Gouverneur général 2010.

Pascal Janovjak est né à Bâle (Suisse), d’une mère française et d’un père slovaque. Après avoir travaillé en Jordanie, au Liban et au Bangladesh, il réside désormais à Ramallah en Cisjordanie, où il se consacre à l’écriture.

Ils se sont rencontrés un soir, dans un hôtel de Monaco et se sont racontés, au petit déjeuner, le lendemain matin. Puis, elle est repartie à Montréal, et il a gagné Ramallah. Des conversations se poursuivirent. Ce livre en est la preuve.

Quelle délice cette gage d’amitié et de respect! Les deux jeunes écrivains d’horizons et de cultures si différents trouvent un terrain d’entente, un vécu similaire—ceux d’exilés et de réfugiés—et le moyen de plonger le lecteur, par le biais de leur échange épistolaire, au cœur des intrigues de la géopolitique tout en l’initiant aux charmes de la géopoétique, et cela grâce à la maîtrise et à l’amour d’une langue qui n’était pas, à l’origine, la leur.

Deux exemples :

Pascal, 14 décembre 10h31 (géopoétique) :

Traverser les Alpes, la neige aveuglante sous le soleil qui accompagne la course du train. Au fond des vallées coulent les ruisseaux glacés, j’aperçois un héron sur une roche, comme perché sur un radeau, il s’éloigne vite. Le tonnerre d’un tunnel, les routes parfois viennent longer les rails, une voiture solitaire et brillante qui prend un virage parfait, comme dans une publicité pour voitures. Une villa à vendre, des hameaux où ne fume aucune cheminée. (p. 160)

Kim, 26 décembre 8h36 (géopolitique)

J’ai pensé à toi quand nous étions aux douanes américaines hier. Je me demandais ce que le douanier en gilet pare-balles ferait avec un passeport comme le tien, rempli de tampons de tous ces endroits dont les noms à eux seuls évoquent les peurs les plus insensées ici, en Amérique du Nord. Ramallah, où est Ramallah? Pourquoi Ramallah? Quel est le chemin qui t’a emmené jusqu’à Ramallah? Est-ce que l’amour serait une raison suffisante? (p. 165)

* * *

Il peut arriver qu’un livre ne nous attire pas à tout coup. Déçu, on passe à autre chose. Voilà ce qui m’était arrivé en lisant Ru, ouvrage primé en 2010 méritant à son auteure un passage à la Grand-messe du dimanche soir sur les ondes de Radio Canada. Même si son livre ne m’avait pas épaté, sa prestation à Tout le monde en parle m’avait séduit. Je tenais absolument à la voir lors de la séance de signature pour son nouveau livre, À toi, qui devait avoir lieu à la Librairie Vaugeois le 28 octobre. J’ai donc donné une deuxième chance à Ru. Je n’ai pas regretté.

Cette histoire, je l’ai racontée à Kim. Par conséquent, elle a dédicacé ma copie de À toi de la manière suivante :

À Dean. J’espère qu’il saura vous accrocher dès la première lecture, contrairement à Ru. Quelle chance que j’ai eue que vous soyez revenu une deuxième fois. Kim Thúy

Puis, elle a ajouté son adresse électronique pour que je lui fasse part de mes sentiments en ce qui concerne À toi. Trois jours plus tard, nous avons entamé un petit échange épistolaire à la manière de Kim et Pascal :

Dean, 1er novembre 20h59

Comme ça doit être agréable d’avoir un « penpal » de la trempe de Pascal!

Oui, en effet, À toia su m’accrocher. Je savoure chaque mot, chaque expression, chaque soupir. Merci.

Ce fut pour moi un honneur et un plaisir de faire connaissance chez Vaugeois.

J’ai récemment eu l’occasion de retourner dans mon pays d’origine et de renouer avec des garçons et des filles que je n’avais pas vus depuis 30, 40 ou 50 ans–aujourd’hui tous des aînés comme moi. Que d’émotion. Des rires, des pleurs, … et c’était comme si nous nous étions vus la veille!

Des sentiments forgés il y a si longtemps qui revenaient à la surface!

Lorsque nous nous sommes rencontrés, vous m’avez suggéré un titre à lire: They Brought je ne sais quoi de M. O’Brian. Sans crayon, je ne pouvais l’écrire. À 18 ans, je m’en serais souvenu. À 68 ans, le voile d’oubli filtre certaines images les plus brillantes. Veuillez me le rappeler. Merci.

Amitiés,

Kim, 1er novembre, 23h00

Quel bonheur de recevoir un mot de vous!

Oui, les vieilles amitiés sont précieuses parce qu’elles ne peuvent s’inventer du jour au lendemain. Il faut avoir vécu avec le temps et ses frasques.

Alors, le livre dont je vous ai parlé avec beaucoup d’enthousiasme et d’affection s’appelle The Things They Carried de Tim O’Brien. Vous me direz ce que vous en pensez. Le meilleur chapitre de ce livre s’appelle ‘How to Tell a True War Story » selon moi.

Au plaisir de vous lire de nouveau.


Que ce billet tienne lieu de témoignage à l’endroit du nouvel ouvrage : livre passionnant, percutant, probant, provoquant dont la conception originale et simple crée chez le lecteur et l’internaute le désir de l’imiter, A+.


Après Alma, Amédé

1977, l’année de la naissance de Georgette LeBlanc, je me promenais entre les paroisses de Calcasieu et Cameron, aux confins sud-ouest de la Louisiane. Assoiffé en arrivant à Grand Chenier, petite localité qui domine l’une des nombreuses ceintures boisées et surélevées par rapport au pays plat, vestiges d’anciennes plages aujourd’hui isolées de la mer par des lisières de marais (ou de mèches, comme on dit en français louisianais), où trônent chênes, latanier et cheptel, j’épie, dans un bar, des hommes portant des chapeaux de cow-boy. Évidemment des Texans (ou Texiens en cadien), m’étais-je dit. Mais non, en tendant l’oreille, je m’aperçois qu’ils jasent en français. Des cow-boys cadiens! J’avais mon voyage!

Dans son deuxième recueil de poésie, Amédé, pour lequel le Conseil supérieur de la langue française vient de lui attribuer le prix Émile-Olivier, Georgette LeBlanc, originaire de la Baie Saint-Marie, en Nouvelle-Écosse, par le biais de son personnage, Alma, sujet de son premier recueil, primé en 2007 par les instances acadienne et québécoise (Antonine-Maillet-Acadie Vie/Félix-Leclerc), nous livre une histoire de camaraderie entre deux de ces cow-boys, Amédé et Lejeune, qui s’occupent de leurs troupeaux quelque part dans ce tumultueux univers qui s’étend depuis la Louisiane jusqu’au Grand Texas.

SCAN0181

Selon les jurés du prix Émile-Olivier, ce recueil constitue « une véritable célébration de la langue ». Et j’ajouterais « de la langue orale », car il est écrit comme les gens du peuple acadiens et cadiens le parlent. Quelques extraits pour s’en rendre compte :

et c’est du fond de la cale que ça venit

un son comme une pluie

fine

comme une poussière de loin

oreilles creuses dans la mer de la coquille

un braquement

une chaleur

une pesanteur

du sable trempe entre les orteils

et j’étions pus dans le logis

j’étions derrière les rideaux

* * * * *

le Village avait été trop pris par la mort

par les sacs remplis, par la récolte finie

trop pris par la boucane des serpents

pour entendre les gros vents qu’aviont braqué

pour sentir le courant que la vision de Rose

avait fait passer à travers Amédé

* * * * *

Amédé aurait pu dire à cte moment-là

il aurait pu chanter que c’était une grande déchirure

qu’il avait entendu le skirt du ciel se défaire

chaque fibre, chaque point de travail

comme si le corps qui l’avait habitée était rinque venu trop plein

trop plein de vie, trop plein de tout ça qui guette

comme s’il y avait plusse de place dans le ciel

À l’avis de Raoul Boudreau, professeur de littératures à l’Université de Moncton et récipiendaire du prix Maguerite-Maillet, attribué la semaine dernière par la Société nationale de l’Acadie (SNA) et l’Association des professeurs des littératures acadiennes et québécois de l’Atlantique (APLAQA) pour souligner la contribution d’un professeur retraité ou en fin de carrière au développement et à l’étude des littératures acadiennes et francophones d’Amérique, la publication d’Alma, suivi de celle d’Amédé, marque un tournant dans le cheminement de la littérature acadienne, mise en route il y a une cinquantaine d’années par Antonine Maillet.

P1100714

DSC03845 copie

Robert Viau, fondateur de l’APLAQA et Raoul Boudreau, lauréat, Hôtel Clarendon

Pour pouvoir se consacrer entièrement à sa plume, cette jeune poète, nouvelle mère de famille et figure de proue émergente de la littérature acadienne a renoncé à un poste de professeure à l’université Sainte-Anne (Nouvelle-Écosse). En plus de louanger son grand talent d’écrivaine, il faut évidemment admirer son audace, son courage et sa confiance !