Raymond, Alberta… mon chalet lointain!

J’envie mes amis, mes collègues et mes voisins à Québec qui ont un chalet dans Charlevoix, sur la Côte-du-Sud ou à Lac-Saint-Joseph. Je n’ai pas cette chance-là. Le mien se trouve à 3 800 km du domicile principal situé sur l’avenue du Cardinal-Bégin! Évidemment, je n’y vais pas à toutes les fins de semaine, mais cela fait quand même une dizaine de fois que j’y vais en trois ans. À quoi bon avoir un chalet à l’autre bout du continent? Et bien, cela fait découvrir du pays et les quelques récits qui vont suivre en rendront témoignage, car ils relèveront des faits saillants de deux voyages en trois mois entre Raymond et Québec. De plus, avoir un chalet à Raymond permet à son épouse de passer cinq ou six mois par année en Alberta « tropicale », loin de la neige et de l’hiver québécois, et près des trois enfants et dix petits enfants qui l’habitent!
À vrai dire, ce n’est pas un chalet que j’ai, mais un tout petit appartement situé dans un demi sous-sol d’une belle grande maison, à la cour immense et luxuriante, sur Broadway, à Raymond dont la population vient de franchir,
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après 105 années d’existence, le cap des 3 500 habitants. Les propriétaires, Sherrel et Maureen, un couple de mon âge, habitent au-dessus de ma tête. On ne les entend pas et ils ne nous entendent pas non plus.
Le maire, George Bohne, et les édiles municipaux sont en extase car le nombre de nouvelles constructions est passé de 10 par année, sur une très longue période, à 26 en 2006, à 69 en 2007 et à 33 pour les six premiers mois de 2008. Ils espèrent que la construction en cours d’une grande pharmacie—genre Jean-Coutu—sur une rue principale en déchéance depuis 40 ans, va ressusciter le commerce ici à l’ombre de Lethbridge (population 90 000) et ses multiples centres commerciaux dominés par les géants des industries de la consommation domestique.
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Raymond trace ses origines à l’arrivée dans la région en 1887 d’immigrants en provenance de l’Utah qui ont apprivoisé ce terroir aride en lui apportant une technologie permettant l’irrigation. Ils ont participé activement à la construction du canal Galt, précurseur du système St. Mary’s et d’autres schémas d’irrigation rendant possible la production de plusieurs céréales et l’élevage. Or, ce qui a fait le succès de Raymond dans un premier temps, ce sur quoi l’économie locale était basée pendant un demi-siècle est la betterave à sucre. Un industrialiste mormon bien
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nanti de l’Utah, Jesse Knight, vint ici au tournant du vingtième siècle construire une sucrerie, désaffectée depuis les années 60, et donna au village le nom de son fils Raymond qui deviendrait en quelque sorte le notable de la place. Aujourd’hui on lui attribue l’instauration du Stampede de Raymond, le plus vieux rodéo de tout le Canada. Le 1er juillet de chaque année, l’événement fait tripler la population du bourg.
Lorsque je suis ici, je m’ennuie au bout d’un certain temps. Je m’ennuie du Québec. Je m’ennuie de parler français. Mais j’ai découvert qu’en Amérique du Nord, quand on cherche le français, il est là, même dans le coin le plus conservateur de cette Alberta de William Aberhard. Ernest Manning, Peter Lougheed, Preston Manning, Ralph Klein et—yes—Stephen Harper! C’est pour cela qu’à l’été 2006, j’ai réussi à mettre sur pied, le temps d’un pique-nique, L’Amicale francophone de Raymond. Les membres sont très diversifiés : un menuisier originaire de Joly, au Québec, deux sœurs commerçantes et leurs vieux parents, originaires du sud de la France, un pompiste au poste d’essence, fils légèrement handicapé de l’une des commerçantes, des Québécois enseignant à l’école française de la Vérendrye à Lethbridge, un administrateur de Marseille ayant passé aussi par la Polynésie
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française, un ancien pilote de ligne et sa femme parisienne, chanteuse d’opéra et écrivaine, un Franco-Albertain d’Edmonton, de jeunes francophiles issus des écoles d’immersion et des anciens missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ayant séjourné au moins deux ans dans un pays de langue française. Ce qui soude ces gens ensemble et explique leur présence à Raymond, c’est leur foi religieuse et leur volonté de contribuer à la solidarité de cette petite ville généreuse et bonne.


Passer la nuit sur le quai à Tobermory, ON

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Si vous avez lu les récits qui précèdent, vous savez que j’allongerais un voyage de plusieurs centaines de kilomètres afin d’embarquer à bord d’un traversier. Aussi, quand je passe de Québec à Raymond, je suis toujours à la recherche de nouveaux itinéraires. Le chemin est quand même long (3 800 km) et le choix de routes limité compte tenu des Grands Lacs qui font obstacle. Prendre le M.S. Chi-Cheemaun à Tobermory, à l’extrême pointe de la péninsule Bruce, à 300 km au nord-ouest de Toronto permet de satisfaire à mes deux « besoins » : (1) prendre un traversier; (2) emprunter un nouveau chemin pour ce, ma douzième traversée terrestre du Canada en quatre ans.
Lorsque je me suis couché à 22h30, le Chi-Cheemaun n’était pas encore arrivé au quai. J’ai eu le temps d’apprécier le coucher du soleil sur le lac Huron. Le bateau accosterait à 23h45 et nous ferait embarquer le
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lendemain à 7h pour entreprendre une traversée d’une durée d’une heure et 45 minutes à South Baymouth sur l’Île Manitoulin. En raison de la multitude de naufrages à proximité, Tobermory est connue comme la capitale mondiale de la plongée sous-marine en eau douce. Les deux parcs nationaux avoisinants, Bruce Penninsula et Fathom Five Marine, offrent un éventail d’activités facilitant l’observation de la flore et de la faune et l’exploitation d’une biosphère réputée mondialement.
Au cours du passage de Tobermory à Manitoulin, la plus grande île au monde à se trouver dans un plan d’eau douce, se dévoile à l’occasion sur un îlot rocailleux un phare pittoresque. « L’île des esprits », car c’est cela que
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Manitoulin veut dire en langue ojibwé, mesure 112 km de long et 50 km de large et compte une population permanente de 12 600 et six réserves amérindiennes. L’été, la population augmente de 25%. L’ île est parsemée de 108 petits lacs et sert de trait d’union entre la péninsule Bruce et le nord-ouest de l’Ontario. Le pont suspendu à Little Current permet de rejoindre la terre ferme et d’atteindre la ville d’Espanola, située sur la Trans-Canadienne, à mi-chemin environ entre Sudbury et Sault-Sainte-Marie.
En 1648, le Jésuite, Joseph Poncet devint le premier Européen à mettre le pied à l’Île Manitoulin. Pour les voyageurs et coureurs de bois en provenance de la vallée du Saint-Laurent pagayant plus tard vers l’île Mackinac et les pays d’en haut, Manitoulin constituait un lieu de ravitaillement, certes, mais surtout un abri naturel les protégeant des eaux potentiellement tumultueuses du lac Huron.


Baie Georgienne : Penetangueshene et Lafontaine

Lorsque l’on traverse le Canada en voiture aussi souvent que je le fais (12 fois depuis quatre ans), on cherche chaque fois un nouveau chemin. Cette fois-ci, en partance de Québec le 19 juillet, j’ai décidé de faire une partie du voyage par bateau! Donc, après être passés par Ottawa et avoir passé la nuit à Renfrew, en route vers le traversier à Tobermory, nous nous nommes rendus à la baie Georgienne en traversant le magnifique Parc Algonquin.
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Penetagueshene, il y a 30 ans, un haut lieu de luttes des Franco-Ontariens. Au printemps de 1980, alors que le Premier ministre de l’Ontario, Bill Davis, faisait campagne au Québec, à côté de Claude Ryan et des forces fédérales, en faveur du « non » au premier Référendum sur le statut politique du Québec, les jeunes Franco-Ontariens de Penetangueshene le talonnait. À chacun des ses arrêts, ils prenaient la parole pour dénoncer l’hypocrisie d’un Premier ministre qui semblait bien aimer les francophones au Québec en leur chantant la pomme, mais qui, dans sa propre province, refusait le bien fondé des demandes des francophones de la région de la baie Georgienne d’une nouvelle école secondaire. Ceux-ci ont fini par avoir gain de cause. En 2008, l’École Le Caron existe bel et bien, une autre preuve de la ténacité des Franco-Ontariens.
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L’École secondaire Le Caron dessert également le village de Lafontaine—à proximité—dont l’École primaire Sainte-Croix alimente la première. Son église et sa Caisse populaire témoignent de la francité de ce magnifique village collé sur les rives de la baie.
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La présence française à Lafontaine remonte loin. Les premiers explorateurs français sont arrivés ici aux environs de 1610. Des commerçants de fourrure, des soldats et des missionnaires s’y sont maintenus de façon intermittente jusqu’en 1650. Un groupe de voyageurs canadiens-français et métis en provenance de l’île Drummond s’y installèrent en 1830. Ces colons ont été suivis de vagues successives d’immigrants du Québec. Les trois principaux groupes d’immigrants québécois venaient de Batiscan, de Joliette et des comtés de Soulanges et de Vaudreuil. L’église et la paroisse de Sainte-Croix ont été fondées en 1856. Le village baptisé porte le nom du grand homme d’État Louis-Hippolyte Lafontaine.
Chose intéressante, l’une des grandes familles de bâtisseurs de Lafontaine est celle des Marchildon, la même issue de Batiscan qui a fait œuvre de pionnier à Zénon Parc, en Saskatchewan!


Baie Georgienne : Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons

Aujourd’hui, lorsque l’on passe de Montréal à Midland, en Ontario, en à peine huit heures, il est facile d’oublier qu’au XVIIe siècle Étienne Brûlé, Samuel de Champlain, les Récollets et les Jésuites mettaient des semaines et des semaines à se rendre depuis la Nouvelle-France aux habitations Wendat de la baie Géorgienne. Dans des canots lourdement chargés, ils remontaient la rivière des Outaouais, surmontaient les rapides des rivières Mattawa et des Français avant de franchir le lac Nipissing et les chenaux de la baie Georgienne, saupoudrés d’îles pour enfin arriver à destination, 1 200 km plus tard.
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En fait, le poste de Sainte-Marie, fondé par les Jésuites en 1639, dans le but d’évangéliser les Wendat (Hurons), fut le premier grand établissement français du territoire qui forme aujourd’hui l’Ontario. Autochtones et Européens, en contact quotidien pendant toute une décennie, furent profondément marqués les uns par les autres. La dévastation de la Huronie par la maladie et par la guerre a incité les Jésuites, au cours de l’hiver de 1648 à 1649 à abandonner et à brûler Sainte-Marie. Ils se sont d’abord réfugiés, avec quelques fidèles Wendat, au large, sur une petite île (aujourd’hui connu par le nom de Christian Island), avant de repartir l’année suivante vers Québec par voie d’eau.
Étant donné que j’habite la paroisse des Saints-Martyrs-Canadiens à Québec et que quatre de mes enfants ont fréquenté l’école secondaire portant le nom de l’un de ces martyrs, Charles Garnier, je me devais de passer une journée à cet endroit afin de m’imprégner de son sens et de son histoire, car l’endroit offre autant au pèlerin en quête de spiritualité qu’à l’amateur d’histoire.
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Pour le pèlerin, une visite au sanctuaire des Saints Martyrs s’impose :
« Et voilà que demeure aujourd’hui le sanctuaire des martyrs canadiens, un symbole d’espoir et de foi, un symbole du triomphe de la croix ».
Ces paroles prononcées par le Pape Jean-Paul II lors de sa visite ici le 15 septembre 1984 lui a valu son effigie en bois, sculptée d’un pin blanc de la région ayant 400 ans. L’auteur, Thomas Penny de la ville d’Orillia, en Ontario.
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lui donna 11 pieds de hauts et quatre pieds de diamètre. Pesant 3 000 livres, la sculpture est située au cœur d’un vaste jardin parsemé d’innombrables statues et monuments de diverses provenances– du traditionnel au moderne, du classique au byzantin. Il s’agit donc d’un sanctuaire dynamique, vivant, en pleine évolution…reposant et agréable.
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L’amateur d’histoire n’a qu’à traverser la route 12 pour accéder à l’immense terrain du Lieu historique national du Canada Cartier-Brébeuf. Il s’agit de la reconstitution d’une brève tranche de l’histoire canadienne, celle décrite ci haut (1639-1649).
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Autant par l’authenticité des structures qui ont été aménagées pour rappeler le plus vraisemblablement possible l’histoire de la rencontre entre Européens et Autochtones que par les prestations de jeunes étudiants engagés l’été, et habillés en costumes d’époque aux fins d’interprétation, le visiteur oublie le présent en replongeant dans le passé.
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En cette journée pluvieuse, j’ai terminé ma visite par une longue conversation avec Marilyn, Ojibway originaire de la réserve de Christian Island. Elle prétend bien connaître l’actuel chef de la nation Wendat, Max Gros-Louis qui, bon an mal an, revient à la baie Georgienne renouer avec la terre de ces ancêtres dispersés et disparus.
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Marilyn m’a fait savoir qu’il n’y avait plus depuis longtemps d’Hurons près du lac Huron, autour de la baie Georgienne. Les plus ardents Catholiques, nouvellement convertis, seraient partis à Québec avec leurs maîtres de pensée, les Jésuites. Beaucoup d’entre eux auraient subi le sort de tant d’autres Amérindiens au contact avec l’Homme blanc : maladie, épidémie et mort. D’autres encore, vaincus et captifs par leurs adversaires iroquois, se seraient assimilés à cette nation. Devant, une réalité aussi sinistre et brutale, les derniers vestiges de ce peuple auraient pris la fuite vers le Sud, jusqu’en Oklahoma, Wendat devenant, selon Marilyn, Wyandotte. Est-ce possible ?