À la recherche de Victor Charigot, beau-père de Pierre Auguste Renoir

Il existe encore des gens qui se servent des postes pour envoyer des lettres d’amitié, d’amour et de reconnaissance et qui les écrivent à l’aide d’instruments périmés. J’en ai eu la preuve récemment en recevant deux courtes lettres tapées à la machine sur une vieille Smith-Corona ou une vétuste Underwood, je ne le sais. Ces lettres me sont parvenues de Monsieur Alain Renoir, 87 ans, d’Esparto, en Californie, petit-fils du grand peintre français Pierre Auguste Renoir, fils du cinéaste bien connu, Jean Renoir, et arrière petit-fils de Victor Charigot!
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Victor Charigot? Qui était-il et pourquoi son arrière-petit-fils m’écrit-il à son sujet? L’histoire mérite une grande diffusion. Je commence par citer l’avant-propos d’un petit bouquin intitulé Victor Charigot, son grand-père de Pierre Chartrand et Bernard Pharisien :
Père d’Aline Charigot (épouse de l’illustre peintre impressionniste Pierre Auguste Renoir) Claude (dit Victor) Charigot finit ses jours en 1898 à Bathgate, un minuscule village au Dakota du nord. Champenois d’origine, il transite par le Canada avant de s’installer aux États-Unis. On dit volontiers des marins qu’ils ont une femme dans chaque port. Victor a une épouse légitime dans chacun des pays où il séjourne. Trois prêtres bénissent ses unions successives : la première en France, la seconde au Manitoba, la troisième dans le Dakota du nord. La situation ne semble pas originale à une remarque près : les seconde et troisième cérémonies sont célébrées alors qu’il est encore uni à sa première épouse « devant Dieu, par les liens sacrés du mariage ».
Au début de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, le cinéaste Jean Renoir, petit-fils de Victor, émigre aux États-Unis. En 1943, il y fait la connaissance de Victoria Charigot-Quesnel, demi-sœur de sa mère qui lui révèle la fin de l’existence de son grand-père. En publiant, vingt ans plus tard, un livre de souvenirs intitulé
Pierre Auguste Renoir, mon père, Jean lève le voile sur une partie de la vie de ce grand-père pour lequel il éprouve une sympathie non dissimulée. Doué d’une imagination fertile, Jean mêle la réalité à la fiction et livre en abrégé, une version romancée des tribulations de son ancêtre.
En 1998, Bernard Pharisien, arrière-petit-neveu de la mère d’Aline Charigot, publie une histoire de Victor qui se rapproche davantage de la réalité. Cependant, il ne peut alors accéder à toutes les sources. C’est loin l’Amérique! Six ans plus tard, il croise Pierre Chartrand sur l’une des routes de l’information. Internet leur permet de communiquer, d’échanger des documents et des idées. C’est ainsi que reprennent les recherches. Aujourd’hui, ces deux passionnés vivant de chaque côté de l’Atlantique (Pharisien à Paris, Chartrand à Hemmingford, au Québec) et qui ne se sont jamais rencontrés livrent cet itinéraire aussi original que mouvementé d’un Champenois, natif de la même région que Paul Chomedey de Maisonneuve et Marguerite Bourgeoys : Victor Charigot, un obscur pionnier… Mais dont le gendre (Pierre Auguste) et le petit-fils (Jean) jouissent d’une notoriété internationale qui ajoute sans doute une légère pointe de piment au récit.

Au cours de ses recherches sur Charigot, l’internaute québécois, Pierre Chartrand, a pris connaissance des travaux du professeur Virgil Benoît de l’Université du Dakota du nord sur les Canadiens français de sa région et de mon propre intérêt, à moi, envers la Franco-Amérique et de mon amitié avec Virgil. Chartrand prend donc contact avec moi et nous nous faisons inviter, par la suite, tous deux, à participer au deuxième rassemblement annuel d’IfMidwest (Initiatives en français dans le Midwest) qui aura lieu à Belcourt, au Dakota du nord, du 1er au 3 mai 2008. Malheureusement, Pierre n’a pu accepter l’invitation, tandis que j’ai réussi à intégrer ce rassemblement à l’une de mes nombreuses traversées du Canada. Je lui ai promis de rapporter des photos.
Le passage de la Grande fourche (Grand Forks), site de l’université, à Belcourt nous a conduits par plusieurs villages dont Oakwood où les pierres tombales témoignent de la présence canadienne-française et de la vivacité de
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la langue française autrefois. Entre Oakwood et Grafton, notre hôte nous a raconté l’histoire rocambolesque de
Victor Charigot et nous a priés de sortir de l’autobus, par temps très venteux, afin de rendre hommage à cette figure insolite de la Franco-Amérique dont le parcours inusité suscite tant de questions.
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En lisant l’article de Virgil Benoît publié dans Franco-Amérique (Éditions du Septentrion, 2008), « De Minomin à Wild Rice en passant par la Folle Avoine : une histoire du Midwest », le lecteur prend connaissance du Père Jean-Baptiste Genin (1839-1900), prêtre missionnaire qui a consacré sa vie aux Métis et Canadiens de cette région, tout en souffrant du dédain de ses supérieurs. Or, aujourd’hui, grâce à Monsieur Bob Vaudrin, le père Genin revit. Dans le cadre des activités de reconstitution historique organisées par IfMidwest, Vaudrin le réhabilite.
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Charigot et Genin avaient le même âge, parlaient la même langue, habitaient le même territoire, voire le même village, Bathgate, à la fin de leur vie. Se connaissaient-ils? Sûrement. L’un y était commerçant, l’autre curé. Est-il possible que ce soit Genin qui ait présidé aux obsèques de Charigot, qu’il y ait chanté la messe? On ne saura probablement jamais, mais l’hypothèse semble plausible.
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Au retour du Dakota, j’ai transmis, tel que promis, des photos à MM. Pharisien et Chartrand qui les ont sûrement acheminées rapidement à l’arrière-petit-fils de Victor Charigot, Alain Renoir d’Esparto, en Californie, qui, très ému devant sa Smith-Corona (ou Underwood) ne pouvait assez me remercier de ces doux souvenirs d’un être à la fois mystérieux et familial !

3 thoughts on “À la recherche de Victor Charigot, beau-père de Pierre Auguste Renoir

  1. Quelle belle idée mon cher Dean, ce journal de voyage ! Ou plutôt ce carnet ouvert à tous vents ! J’ai lu, bien sûr, avec intérêt, les pages consacrées à NOTRE Victor Charigot et les belles images qui l’accompagnent. Puis, par curiosité de bon aloi, je n’ai pu m’empêcher de dérouler – à l’envers !!!! les 29 pages de ce début de carnet. Magnifique ! Toujours intéressant ! Maintes fois émouvant !
    Pour ce qui est de Victor Charigot, je n’ai eu qu’un regret : de ne pouvoir lire, dans votre carnet, quelques extraits en anglais de la prose d’Alain Renoir. Il le faudrait pourtant.
    Avec mes meilleures amitiés et longue vie au carnet de Dean Louder.
    Pierre Chartrand
    P.S. J’oubliais un second regret : de n’avoir pu vous accompagner jusqu’au Dakota du nord. En retrouvant à vos côtés le lieu de sépulture de Victor Charigot, je crois bien que je n’aurais pu m’empêcher de verser quelques larmes.


  2. Cher Dean !
    Cette photo de notre livre entre vos mains prise dans le cimetière de Bathgate auprès de la tombe de Victor Charigot est particulièrement émouvante… Le 8 mai 1946, Jean Renoir écrivait à son frère Pierre :  » Dès que j’aurai un peu de temps, j’ai l’intention d’aller faire un tour de ce côté que la tante Victoria me dit peuplé de nombreux cousins…  »
    En janvier dernier, j’ai posé à son fils Alain la question de savoir si son père avait effectué ce voyage… Réponse d’Alain Renoir  » Mon père n’a jamais réalisé son intention d’aller faire un tour à Bathgate.  »
    La couverture de notre ouvrage étant illustrée du portrait de Jean, j’identifie votre présence dans le cimetière de ce village du Dakota du Nord à une démarche par procuration. Vous réalisez, tel un messager, le souhait exprimé par Jean Renoir il y a maintenant 62 ans : se recueillir sur la tombe du grand-père d’Essoyes.
    Quelques mots à propos de la machine à écrire d’Alain. Elle méritera d’être un jour exposée dans un musée. Ayant subi en 1996 une légère opération qui le privait néanmoins de l’usage de sa main droite, Alain avait eu, à l’époque, beaucoup de difficultés à répondre aux nombreux courriers qu’il ne cesse de recevoir. Il m’avouait alors avec une sorte de tendresse :  » Je suis incapable d’écrire un mot sans me servir de ma vieille machine !  »


  3. Ce message rapide pour t’informer du décès d’Alain Renoir.
    Je t’avais signalé l’accident vasculaire cérébral dont il avait été
    victime… Hélas, il a quitté ses enfants et petits-enfants, ses
    proches, dans la journée du vendredi 12 décembre.
    Je suis bien triste car j’éprouvais pour lui beaucoup d’affection. Il
    m’a beaucoup encouragé et aidé dans mes travaux. C’était un homme de
    grande culture, à l’humour ravageur et d’une immense modestie.
    Je suis certain que tu aurais eu beaucoup de plaisir à faire sa connaissance.


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