Dictionnaire d’une langue qui meurt?

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Voilà la question un peu sournoise qu’un collègue québécois m’a posé en feuillant le tout nouveau Dictionary of Louisiana French as Spoken in Cajun, Creole and American Indian Communities, publié ces jours-ci à la Presse universitaire du Mississippi. Tout de suite m’est venu à l’esprit la remarque de Zachary Richard au sujet de son cher voisin, Barry Ancelet , parue à la page 12 de Vision et Visages de la Franco-Amérique. Ancelet aurait dit, en parlant de ce vieux cadavre de la culture cadienne : « chaque fois qu’on s’apprête à fermer son cercueil, il se lève pour demander une autre bière! »

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Résilience! Mot qui décrit si bien les cultures francophones du sud de la Louisiane, qu’elles soient d’origine acadienne, canadienne, antillaise, française, allemande, ibérique, autochtone ou un mélange de tout cela! Ce dictionnaire tant attendu témoigne non seulement de la résilience de la Louisiane française, mais de son originalité et de son savoir-faire. Pour en faire l’utilisation maximale, il vaut mieux posséder de bonnes connaissances de la langue anglaise, car il s’agit, avant tout, d’un dictionnaire destiné à un peuple francophone qui ne lit pas le français et qui s’est souvent fait dire que sa langue était une aberration, un dialecte bâtard, un français appauvri…voire pourri! Son existence aujourd’hui relève du miracle!

La dédicace de l’œuvre à la mémoire de Richard Guidry (voir chronique du 28 juillet 2008) souligne l’objectif principal de ce dictionnaire qui est de contribuer, sinon d’assurer, la pérennité de Louisiana French et sa transmission aux générations montantes. En second lieu, à mon avis, il s’agit de faire valoir au monde entier la richesse de cette langue menacée.

Le dictionnaire est divisé en deux parties : (1) Louisiana French-English, pp. 1-665; (2) English-Louisiana French Index, pp. 667-892. Pour aider les anglophones à prononcer correctement le français louisianais, un guide à la prononciation constitué de symboles phonétiques classiques est fourni. Pour les francophones non puristes, la prononciation ne pose pas problème! Pour ceux et celles qui connaissent la Louisiane française, ce qui est particulièrement intéressant dans la première partie c’est un code de localisation se trouvant à la fin de chaque entrée. Celui-ci indique la source géographique, selon la paroisse, ou livresque du terme ou de l’expression, car, comme partout en francophonie, au Québec comme en France, il existe en Louisiane des variations régionales importantes. Soyons clair! Il ne s’agit pas simplement, dans la partie I, de donner l’équivalent en anglais d’un mot en français. Au moins une expression en français accompagne chaque entrée. À titre d’exemple : le doux mot « becquer ».

Becquer : I. v. tr. 1. To peck . Ils ont des bec croches! Ça peut pas becquer. They have crooked bills! They cannot peck.. 2. To kiss. Il a becqué sa belle droit là devant tout sa famille. He kissed his girlfriend right there in front of his whole family. II. se becquer v. pron. 1. To kiss each other. Dans le vieux temps, ça pouvait pas se becquer comme asteur. In the old days, they couldn’t kiss each other like now. 2. To preen (of a bird) L’oiseau se becquait sur la branche. The bird was preening itself on the branch.

Des milliers et milliers de mots contenus dans la partie I du dictionnaire, prenons-en juste 10 en abrégé pour illustrer la richesse de ce que nous avons sous la main.

Bouquer : to refuse, back down. Il bouque pas sur l’ouvrage. He doesn’t refuse work; se bouquer : to pout, sulk, get peeved. Il est bouqué après moi. He’s angry with me.

Dégoter : to unstop, unclog, free of a blockage. Dégoter une tondeuse, une machine à coudre. To free up a sheep sheer, a sewing machine; to clear (unclog) one’s throat. Donne-moi de l’eau, j’ai besoin de me dégoter. Give me some water, I need to unclog my throat.

Folerie : madness, craziness, foolishness, folly. Un coup de folerie. A fit of madness. C’est par pure folerie qu’il fait ça. He did that out of sheer madness; joking, silly, bantering. Avoir une (graine de) folerie pour, to be crazy about. Il a une folerie pour les chevaux. He’s crazy about horses.

Jurement : curse, profanity, curse word. Les Cadiens sont des spécialistes dans les jurements en français (N.B. Les Québécois sont des spécialistes dans les sacres en français). Cajuns are specialists in swearing in French. Un jurement à tous les seconds mots elle dit. A curse word every other word that she says.

Nasonner : to grumble. A nasonne, alle est pas content. She’s grumbling, she’s not happy.

Pimpette : drubbing, severe beating. Il a foutu une pimpette à son beau-frère. He gave his brother-in-law a severe beating.

Pimper : to drink alcohol. Il peut pimper lui. He certainly can drink a lot.

Querellailler : to nag. Ma femme est tout le temps après me querellailler. My wife is always nagging me; to quarrel, fuss argue continuously or repeatedly. Ils estiont après querellailler entre eux-autres quand Mame a mis son pied par terre. They were kind of quarrelling among themselves when Mom put her foot down.

Sourge : soft, light, fluffy Le secret de faire des poutines sourges, c’est de les cuire doucement et couverts.. The secret of making fluffy puddings is to cook them slowly and covered; du pain sourge, soft bread; le gâteau est sourge, the cake is soft.

Vulière : clear, évident, apparent, obvious. Tes enfants mangent bien?—mais c’est vulière. Tu sais pas comment ils sont gros et gras? Do your children eat well? Don’t you see how portly they are?

La deuxième partie du dictionnaire n’est pas sans intérêt pour les francophones qui prétendent ne pas assez connaître l’anglais pour s’en servir. Au contraire! Prenons un petit exemple, le mot « talk ».

Talk : causer, charlanter, charrer, converser, jabloter, parler. Talk about : parler de (dessus,/après/pour). Talk deliriously : déparler. Talk endlessly : parle à l’en plus finir, radoter. Talk excessively : bagueuler, battre sa gueule, cacasser. Talk excitedly : faire des (grands) hélas. Talk idly : ramancher. Talk meaninglessly : rachanter. Talk much : quiaquer. Talk randomly : battre la berloque. Talk silly : blaguer, dire des bêtises (farces). Talk unintelligently : baranquer. Talk wildly : battre la beroque. Talk a lot : charader, flafla, parler un tas, pas avoir sa langue dans la poche. Talk bad about : médire. Talk to oneself : se parler. Talk too much : avoir la langue trop longue, se noyer dans son propre crachat. Talk without restraint : avoir le filet coupé. Talk behind someone’s back : parler en dessous. Talk endlessly about something : en faire tout un chapitre. Talk too much about nothing : en flanquer. Talk on and on : chanter des midis à quatorze heure. Talk in a senseless manner : fifoler. Talk in rapid staccato fashion : parler comme du tac-tac. Talk to in a soothing way : emmioler. Talk at top of one’s voice : parler à tue-tête/parler à pleine tête. Talk on without coming to the point : se noyer dans son propre crachat. Talk loudly and endlessly to the point of beinng annoying : tapager. Refuse to talk : se bouquer après. Nothing more to talk about : au boute de la boute. One who talks a lot : causard. One who talks too much : radoteur. Not know what one is talking about : être pas aux noces. One who talks much but does little : gros parleur, ti faiseur.

S’il fallait donc que le français louisianais meure, ce serait une maudite belle mort, car ce livre qui en témoigne est magnifique, digne de se retrouver dans la bibliothèque de tous ceux et celles qui aiment la langue de chez nous et qui la chantent avec Yves Duteil (http://www.youtube.com/watch?v=j3_SWk0xe-E).

À 38 piastres, il n’est pas cher!

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