Rencontrer l’Autre chez soi: le documentaire Québékoisie

Hier (mardi), je devais passer ma journée dans l’avion entre Québec et Las Vegas, avec escale à Philadelphie. À 8h30, quatre heures avant l’envolée, le téléphone cellulaire sonne. Voix enregistrée m’informant gentiment que le vol US Airways 4055 est annulé : « l’équipement n’a pu se rendre » et me priant d’appeler un numéro 800 pour changer mon itinéraire. Puisqu’il faisait assez beau à Québec, j’ai conclu que le CRJ (Canadair Regional Jet fabriqué par Bombardier) était collé au sol dans la ville de l’Amour fraternel. Une vérification sur internet des vols en partance de Québec confirma :

aéroport

Trois heures plus tard, après avoir fait la file téléphonique tout ce temps, j’apprends qu’en raison de la tempête ayant balayé le « Middle Atlantic » dimanche, et de la réaffecation des places dans les avions, je ne pourrai poursuivre mon voyage que jeudi matin. Des casinos, des spectacles et des bordels doivent attendre mon arrivée tardive!

Non, mais sérieusement, je ne vais à Las Vegas ni pour joueur, ni pour m’amuser ni pour me distraire de quelque manière que ce soit. J’y resterai seulement le temps de monter dans la navette me conduisant les 150 km qui séparent la Capitale du jeu de la petite ville tranquille de St. George, en Utah, là où je passerai les deux prochains mois en espérant vous y faire, à l’occasion, de petits reportages intéressants. Vous vous souvenez, n’est-ce pas, de ceux de l’hiver dernier et de l’hiver 2011?

Alors, hier en après-midi, me trouvant devant rien, quoi faire? Le cinéma, pourquoi pas? Je scrute les films à l’affiche aux deux seuls cinémas que je fréquente à Québec. Entre Le démantèlement, au Clap, et Québékoisie, au Cartier, je choisis le dernier. Je ne regretterai pas.

quebecoisie

Documentaire tourné par deux jeunes voyageurs et cinéastes de Québec, Olivier Higgins et Mélanie Carrier, qui, ayant parcouru le monde à la recherche et à la rencontre de l’Autre, retournent chez eux pour découvrir des « autres » dont ils ignoraient l’existence et dont ils n’avaient jamais eu le plaisir d’entendre la sonorité de la langue. Il s’agit bien sûr des onze « premières nations » qui parsèment le territoire québécois.

Higgins et Carrier enfourchent leurs vélos à Sainte-Foy ou à Charlesbourg—il n’est pas dit et toutes les banlieues se ressemblent—et empruntent la 138 jusqu’au bout…Natashquan. À Baie-Saint-Paul, rencontre avec un « pure laine » en moto qui les met en garde contre les « sauvages » qu’ils vont rencontrer et dont il se méfie énormément, même s’il n’en a jamais rencontrés. « D’autres m’en ont parlé, » dit-il.

À Pessamit, des rencontres émouvantes avec de jeunes Innus tels que Isabelle Kanapé et Malcom Riverin. À Malitenam, cueillette de fruits sauvages avec des Innues d’un certain âge, Anne-Marie et Evelyne Saint-Onge qui, avec leur sœur, Fernande, organisent partout au Québec des ateliers dans les écoles dans le but faire valoir leur culture ancestrale et de contribuer à une meilleure compréhension entre les peuples. À Sept-Îles, découverte de la fameuse lisière de la forêt abattue qui sert d’écran pour séparer les quartiers nouvellement aménagés de la ville et de la réserve!

Mais ce court documentaire (1h18) est plus qu’un « road movie ». Il intègre les propos colorés  et mordants de Serge Bouchard et de Pierrot Ross-Tremblay, anthropologue et sociologue bien connus au Québec, qui dénoncent les idées reçues et rejettent de manière non équivoque la version « officielle » de l’histoire de ce pays qui nie le métissage et continue à promouvoir la notion de « deux peuples fondateurs ».

Lors de la Crise d’Oka en 1990, Higgins et Carrier n’étaient que des gamins. Ils n’en gardent que de vagues souvenirs. Comment un quart de siècle plus tard, revivre le moment afin de mieux comprendre les tensions de l’époque et de suivre leur évolution depuis. Ils se rendent à Rigaud rencontrer la sœur du caporal Marcel Lemay, membre de la Sureté du Québec, qui a perdu la vie lors de la confrontation. Madame Lemay leur raconte son calvaire et sa réconciliation qu’il lui a fallu un retour à Kanestake, à la pinède, là où son frère est tombé sous les balles. Il lui a fallu forger des liens d’amitiés et de respect avec des membres de la communauté mohawk dont elle ne savait absolument rien avant la tragédie.

La question identitaire semble être autant présente chez les autochtones que chez les allochtones. Deux exemples, tirés de Québékoisie servent à illustrer :

Enoma Awashish, peintre atikamekw et autochtone, en amour avec un Québécois (allochtone). Ils lient leur destin. Ils auront des enfants. Que (Qui) seront-ils? Elle en parle.

Marco Bacon, Innu, se rend à Caen, en Normandie, et y découvre que l’ancêtre qui lui a laissé son nom était Normand. Doit-il en être fier ou en avoir honte? Car dans les milieux autochtones, l’idée d’avoir des ancêtres européens n’est pas particulièrement bien vue. Toutefois dit Bacon « les ancêtres nous permettent de comprendre l’histoire, mais la communauté nous aide à la bâtir ».

Québékoisie arrive pile dans le contexte des débats sur la « charte des valeurs ». Mélanie Carrier trouve « indécent » que la voix des Premières Nations n’y soit pas entendue. Laissons trancher Serge Bouchard dont la voix mélodieuse et sûre fait appel au gros bon sens : « Notre avenir, c’est non seulement de récupérer nos liens avec les Premières Nations, mais que les Autochtones eux-mêmes redeviennent fiers, que nous, on devienne fiers de danser avec eux. C’est exactement le même raisonnement avec l’immigration ».

Alors, demain, si Dieu le veut, comme le dit si bien Evelyne Saint-Onge dans le film, je décollerai de l’aéroport Jean-Lesage à 6h20. Grâce à cette malheureuse annulation de vol, je me serai assagi et vous aurez eu le plaisir de lire ce billet!