Maggie, Maggie, Maggie

J’admire tellement les gens capables de jouer sur plusieurs plans ou registres. On connaît bien l’œuvre de Gérard Bouchard, frère de l’autre et co-président de la Commission d’enquête sur les accommodements raisonnables. Ses analyses érudites et parfois percutantes de la société québécoise, de son histoire et de son destin font de lui un intellectuel engagé et, par conséquent, un polémiste redoutable. À l’occasion, cependant, il se transforme en romancier. Mistouk, Pikauba et Uashat, publiés respectivement aux Éditions du Boréal en 2002, 2005 et 2009, lui ont permis d’atteindre un autre public.

Il en est de même pour Daniel Lessard, ce Beauceron que nous apprécions depuis 30 ans à l’antenne de Radio-Canada. Fin observateur de la scène politique, Daniel animait pendant de nombreuses années l’émission hebdomadaire d’affaires publiques « Les Coulisses du pouvoir ». En assumant un rôle moins actif au sein de l’équipe de journalistes du diffuseur public, Lessard, lui aussi, s’est transformé en romancier, publiant en quatre ans, en raison d’un livre par année, quatre romans dont l’action se situe dans sa Beauce natale. Après avoir lu son ouvrage le plus récent, Le Puits (Pierre Tisseyre, 2014), inspiré d’un fait divers publié dans le journal local, je suis tombé par hasard, il y a 15 jours, sur son excellente trilogie qui suit Maggie, jeune hybride irlando-canadienne-française, depuis sa jeunesse pendant la Première Guerre mondiale jusqu’aux débuts de la Révolution tranquille.

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Maggie est une femme d’avant son temps. Très indépendante, elle ne peut sentir des curés—sauf un qui deviendra son ami et confident. Ils profitent du confessionnal pour se raconter des choses pas toujours très catholiques. Elle ne connaît pas « sa place ». Elle se croît égal aux hommes. Elle ne fait pas son « devoir » auprès d’un bon mari catholique qui lui est imposé par les paroissiens. Elle fréquente des Protestants de la petite communauté avoisinante de Cumberland et tombe amoureuse de Walter Taylor. Pour se libérer de l’emprise campagnarde de leurs deux communautés, les deux amoureux feront leur vie à Québec pendant une vingtaine d’années, jusqu’à temps que la mort emporte son compagnon et que Maggie retourne à Saint-Benjamin veiller sur sa vieille tante Mathilde qui lui avait servi de mère à la suite de la mort de sa propre mère insouciante et déséquilibrée. En y arrivant, elle découvre rapidement que les paroissiens n’ont pas oublié ses frasques d’autrefois et qu’ils ne demanderaient pas mieux qu’elle s’en retourne à Québec au plus sacrant ! Sauf un, le veuf, Athanase Lachance, père de deux filles, qui est éprise de cette femme pas comme les autres.

Maggie doit choisir : lier son destin à celui d’Athanase et ses filles, Laetitia et Madeleine, ou retourner à Québec poursuivre sa vie seule. L’amour étant parfois plus fort que la raison, elle reste à Saint-Benjamin. Elle et Athanase auront un fils, Maxime. Mais Maggie n’est pas à sa place. Se sentant constamment jugée et diminuée par les gens autour et limitée dans sa propre quête d’une vie à la hauteur de ses ambitions, Maggie se donne pour mission de convaincre Athanase, très attaché à sa terre et à ses animaux, de déménager en ville. Non, pas Québec, la distance de la Beauce et la grosseur de la ville ne jouant pas en sa faveur, mais plutôt Waterville dans le Maine, destination de prédilection pour tant d’émigrants beaucerons, y compris des cousins d’Athanase, ou Saint-Georges, ville en plein essor économique en raison de la guerre et grâce à ses légendaires entrepreneurs.

Un court voyage aux États suffit pour convaincre les deux, Maggie et Athanase, que, pour eux, cela ne pourrait pas marcher. C’est trop différent, surtout pour Athanase qui ne parle pas anglais. Sa vie avec Walter avait permis à Maggie de franchir la barrière linguistique. Non, ce serait injuste de demander à son mari de quitter le Canada. Ils se porteront plutôt acquéreurs d’une beurrerie à Saint-Georges et s’y installeront.

Athanase apprend vite son nouvel métier, les enfants s’adaptent à leur nouveau milieu, mais Maggie tarde à s’accomplir tant et aussi longtemps qu’elle restera à l’intérieur des quatre murs. Elle s’engage dans l’une des grandes usines du textile où elle observe les conditions de travail exécrables, tout en étant, comme les autres travailleurs et travailleuses, déplorablement exploitée par les patrons. Elle se lance évidemment dans le syndicalisme naissant, ce qui l’emmènera en conflit avec le gouvernement de l’époque : Duplessis et ses chasseurs de « communisses ».

Au printemps 1947, la Chaudière déversera son fiel sur les habitants de ses rives  et emportera la beurrerie et son mari. La vie de famille de Maggie en sera à jamais transformée. Quand la trilogie, prend fin—en 1962—Maggie se trouve enfin en paix, à sa manière, avec la religion, car Laetitia, toujours excessivement pieuse comme son père, prennent ses vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Ô qu’Athanase aurait été fier ! À 62 ans, dans ce nouveau Québec dont les vents de changement soufflent si fort, elle fera face à de nouveaux défis à la mesure de ses aspirations et capacités.

Pourrait-on donc s’attendre à un quatrième tome qui accompagnera Maggie jusqu’à la mort. C’est à souhaiter, car Daniel Lessard, ce journaliste défroqué (à la retraite) a le don de faire vivre à ses lecteurs et lectrices, par le biais de ses connaissances profondes, de son imagination féconde et de sa plume si belle, les soubresauts et aleas de notre histoire !

 

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