Pour fêter le bicentenaire des États-Unis, Reid Lewis, un enseignant du français de niveau secondaire de l’Illinois, a proposé la reprise de l’expédition de René Robert Le Cavelier Sieur de La Salle depuis Montréal jusqu’au golfe du Mexique. Mettant à l’eau leurs canots à Lachine le 11 avril 1976, Lewis (Cavelier La Salle) et six autres adultes et 17 adolescents, chacun incarnant un personnage du voyage original, ont fait fi des idées reçues selon lesquelles une telle expédition serait impossible à l’ère moderne; ils sont arrivés à destination huit mois plus tard, le 9 avril 1977. (http://www.personal.psu.edu/faculty/g/a/gal4/LaSalleExpedition2.html)
Confortablement assis dans la voiture 5703 de Via Rail longeant les rapides de Lachine, avant d’arriver à la gare de Dorval, c’est à ces rêveurs que je pensais. La durée d’une cinquantaine d’heures de mon « expédition » me paraissait bien peu en comparaison à la leur.
À la fin d’une longue journée qui avait commencé à 6h à la gare du Palais de Québec, j’étais plus que heureux de me trouver à Windsor 15 heures plus tard, en face de Détroit dont la misère ne paraît pas la nuit…
…ni le jour (lendemain matin).
Avec trois autres passagers, je prends la « navette du tunnel » pour me rendre aux douanes américaines. En montant dans l’autobus, je paie le tarif en monnaie exacte (3,75$), les autres ont un laissez-passer. Ce sont, de toute évidence, les résidents de Windsor qui travaillent tous les jours dans l’ancienne capitale de l’automobile. Eux, montrent un petit document en étui clair et passent automatiquement. Pour moi, avec ma valise, aussi petite soit-elle, c’est un peu plus long, mais pas beaucoup! Je réponds poliment à deux ou trois questions et fais de beaux sourires à la douanière qui m’invite à passer ma valise dans la machine à rayons X. Tout est beau! Cela a pris moins de deux minutes—tout un changement par rapport aux aéroports et aux avions!
En 1982, mon collègue, Eric Waddell, et moi avions pris le train de Québec à Chicago pour participer à un séminaire sur les Métis organisé par la bibliothèque Newberry. Je me souvenais de la grande gare de Détroit qui ressemblait, malgré son état piteux, à la gare de Lyon à Paris. Ce n’est pas là que le chauffeur de taxi afro-américain, m’emmenait. Non, il me l’a pointé du doigt, au loin, en mentionnant que pour les raisons de sécurité, l’ancienne gare avait été laissée à l’abandon (« fall to pièces » a-t-il dit) —comme tant d’autres structures ici. Au lieu de cela, il m’a emmené sur la rue Baltimore, à la nouvelle station AMTRAK qui ressemble en grosseur sinon en beauté à la gare de Sainte-Foy. C’est ici que nous avons pris le Wolverine nous transportant jusqu’à l’Union Station, au cœur de Chicago, avec des arrêts à Dearborn, Ann Arbor, Jackson, Battle Creek, Kalamazoo, Niles, Michigan City et Hammond.
Le Wolverine ressemble aux trains de Via Rail qui sillonnent le corridor Windsor-Québec : wagons à bas étage, vitesse extrêmement variable, arrêts fréquents entre les stations pour laisser passer des trains à marchandises… La nourriture médiocre est servie autant à bord de l’un qu’à bord de l’autre, sauf qu’au Canada, le passager ne se déplace pas pour la chercher. Comme dans des avions commerciaux, elle est vendue et servie par un agent de bord qui traîne dans l’allée un chariot chargé de breuvages et de denrées plus ou moins mangeables. Le grand avantage du système de Via Rail est la présence à bord du fameux « wifi », le service d’internet sans fil.
Passer du Wolverine au City of New Orléans, légendaire train qui dessert depuis toujours le centre des États-Unis, reliant Chicago à la Nouvelle-Orléans, c’est comme passer de la Ford Escort à la Lincoln Continentale, de la VW Coccinelle à l’Audi, du Cessna à l’Airbus 360. J’exagère à peine! Wagons à deux étages, roomettes, couchettes, sièges spacieux de luxe, voiture d’observation vitrée, voiture salon, voiture restaurant…alouette.
À l’Union Station, absence totale de vérification d’identité et de fouille! Préférence donnée aux aînés (plus de 62 ans!), aux jeunes familles et aux gens à mobilité réduite. L’heure du départ et le parcours sont clairement affichés. Le train quitte à l’heure devant la silhouette illuminée de Chicago.
Fonçant dans la nuit, arrêtant dans des petites villes obscures d’Illinois, du Kentucky et du Tennessee, on ne reverra rien d’un « skyline » avant 6h le lendemain matin à Memphis où l’arrivée correspond au lever du jour.
Enfin, après une attente de 40 minutes ici, le grand train poursuit son chemin vers la ville dont le nom il porte. Cette fois-ci, je n’irai pas jusqu’au bout. À 9h, 200 km plus au sud, à Greenwood, MS, population 17 000, l’un de mes rêves d’enfance prendra fin. J’aurai pris le City of New Orleans. J’en suis descendu fort ému en le regardant s’éloigner.
Chercher l’erreur :
Québec à Windsor, 1 196 km; prix du titre de transport, 149$
Détroit à Greenwood, 1 408 km; prix du titre de transport, 103$