Deux incidents m’ont conduit ce jour (12 novembre 2012) au comté Cloud, au cœur du Kansas. Le premier s’est passé en Arizona à la mi-novembre 1985, le second pendant la campagne présidentielle des États-Unis de 2004.
I
À Tempe, alors que j’étais professeur invité à Arizona State University, le sort a voulu que je rencontre Vic et Mel Hamel. Ce sont mes parents qui jouaient aux cartes avec eux au Carriage Manor RV Resort à Mesa qui me les ont présentés. À ma question posée en anglais « d’où venez-vous », Vic a répondu, « Lodi, California ». Ce à quoi j’ai répliqué « non, non, avant de vous y installer, personne en Californie ne vient de Californie! ». « Kansas » a-t-il dit. « Ah, dis-je, le comté Cloud, les villages de Clyde, Saint Joseph ou Aurora? »
—How did you know? (comment le saviez-vous?)
—I just knew! (mon petit doigt!)…et avant cela?
—Illinois.
—Kankakee, Bourbonnais, Sainte-Anne?
—How did you know?
—I just knew.
Car chaque Québécois devrait savoir qu’une partie importante de son histoire s’est déroulée ailleurs sur le continent, voire au milieu du Kansas. Il devrait savoir qu’une tranche significative de la population du Québec s’est transportée au cours des années 40 et 50 du XIXe siècle jusqu’aux prairies de l’Illinois et qu’une vingtaine d’années plus tard, certains d’entre eux se sont rendus plus loin, dans le Kansas.
Puis, la question qui tue… exprimée en français!! : « Victor, parles-tu français? »
—Oui, mais comment le savais-tu?
—Ton nom (Hamel) te trahit, il y a des milliers de Hamel chez nous. As-tu déjà été au Québec?
—Non, mais c’est mon plus grand rêve!
Malheureusement, Victor n’a jamais réalisé ce rêve; il est mort avant. Un mois après cette première rencontre, nous avons connu un moment inoubliable auprès de lui et son épouse, Mel. Quelques jours avant Noël, avec nos enfants et quatre de leurs amis venus du Québec passer les fêtes, nous nous sommes rendus à la maison mobile des Hamel frapper à la porte. Lorsqu’ils ont ouverte, nous nous sommes mis à chantonner « Il est né le divin enfant », suivi de « Noël Nouvelet », deux chants de Noël qui ne se chantent pas en anglais. Les larmes ont coulé de part et d’autre, autant dans les yeux des Hamel que dans les nôtres. Victor a exclamé n’avoir jamais, depuis sa tendre enfance, entendu ces chants! Et nos jeunes ont appris que la belle langue française—la leur—pouvait être chérie, dans le lointain désert de l’Arizona, par les gens qui l’avaient presque oubliée!
II
En 2004, le catholique, John Kerry, se présentait contre le président sortant, George Bush. En lisant la presse américaine, je découvre ce qui semblait être une anomalie dans le monde politique. Mgr Charles Joseph Chaput, archevêque de Denver, appuyait publiquement la candidature du chrétien évangélique, Bush, contre le catholique, Kerry. Il s’agissait d’une prise de position par rapport au discours des deux candidats sur l’avortement, Bush étant pro vie et Kerry pro choix. Ce n’est pas autant la prise de position de Mgr Chaput, aujourd’hui l’archevêque de Philadelphie, qui m’ait surpris que son nom! Chaput, d’où vient-il? Justement, du comté Cloud, au cœur du Kansas!
III
En arrivant au village de Clyde la semaine dernière, le premier nom que je vois affiché en tant que raison sociale est nul autre que « Chaput » (voir billet précédent). Je constate rapidement sur la rue Principale la présence, entre autres, des Girard et des Boudreau.
Ayant froid et désirant me réchauffer, je décide d’entrer au restaurant prendre un thé. Avant de franchir le seuil de la porte, je dois attendre que sorte un couple de mon âge. Je leur demande si, par hasard, ils ont connu Victor et Mélanie Hamel? Quelle coïncidence! « Oui », dit Laverne Hamel, accompagné de sa femme, Roxanne Marcotte, « c’était mon oncle, je suis son neveu! » Très ému, moi! Vingt-sept ans après avoir rencontré en Arizona un Hamel du Kansas avec lequel je m’étais lié d’amitié en chantant les cantiques de Noël, je tombe pile sur son neveu dans la rue Principale de Clyde.
Mais ce n’est pas fini! Dix minutes plus tard se pointe devant moi et le groupe de femmes avec lesquelles je me tenais, Ray Hamel. Celui-ci n’a jamais connu Victor, mais il en avait entendu parler. Ray raconte l’histoire fascinante de sa famille et la mort en 1919 de son grand-père en Saskatchewan. À la création de cette province canadienne en 1905, la famille Hamel avait décidé d’abandonner leur « homestead » au Kansas pour retourner au Canada en prendre un autre en Saskatchewan. Se rapatrier, donc, après deux ou trois générations passées aux États-Unis! Or, l’installation en Saskatchewan fut de courte durée. Accompagné de son fils, le père de Ray, le grand-père est mort lors d’un accident de chasse. Son épouse, peu de temps après, prit la décision de retourner au Kansas avec sa marmaille. D’autres, comme Michel Bouchard, dans le contexte de sa famille franco-albertaine, ont documenté ce va-et-vient fréquent des Canayens entre les prairies canadiennes et américaines.
St. Joseph se trouve à dix minutes de Clyde. Il s’agit d’une église magnifique, mais désacralisée en raison du peu d’adeptes de nos jours, d’un magasin général qui fonctionne malgré tout et d’une demi-douzaine de maisons. C’est ici que nous avons fait la connaissance de Ray Tremblay qui nous a fait visiter l’enceinte et qui nous a raconté brièvement l’histoire de cette cathédrale de la prairie construite en 1910, autour de laquelle des centaines de familles d’origine acadienne et québécoise sont enterrées.
Les pierres tombales en témoignent.
Sans doute que l’ancien Ministre des finances du Québec, Raymond Bachand, serait surpris de voir qui est enterré ici.
Il en serait de même pour Gilles Kègle, la Mère-Theresa de la Basse-Ville de Québec.
Le lieu de rencontre par excellence à St. Joe est le magasin général. Pat et Jo Girard, jeune couple dynamique, offrent de succulents repas trois fois par semaine (lundi, mercredi et vendredi) et encouragent la vente de marchandise dont les profits servent au maintien de l’église désaffectée. En mangeant, nous avons parlé avec d’autres clients comme MM. Provost, Bachand, Leclerc et Michaud qui avaient quitté leurs champs le temps d’un repas en bonne compagnie.
Au restaurant de Clyde, j’avais constaté la popularité du jeu de cartes. À Saint-Joseph, c’était d’autant plus évident. Le jeu préféré des Canayens d’ici est la « pelote » dont les résultats des parties sont affichés au-dessus du comptoir
Venant d’apprendre d’où nous venions, Jolene, la propriétaire, était convaincue que je pouvais lui expliquer les origines de ce jeu et du nom qu’il porte. Hélas, je ne connais que la pelote basque qui est un jeu de balles et non de cartes!
S’il y en a parmi les lecteurs de ces lignes qui sauront aider Jo et Pat, je les invite à prendre contact avec eux au St. Joe Store afin de leur donner l’heure juste sur la « pelote ».