Joe, Joël et Joel à Québec

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Le 28 juillet 2011, à la suite d’une promenade en vélo le long de la promenade Champlain, je faisais état des merveilleuses sculptures de chevaux que la ville de Calgary avait offertes à la ville de Québec à l’occasion de ses 400 ans (https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2011/07/). L’auteur de cette œuvre magistrale est Joe Fafard, Fransaskois, né  en 1942.

Le 12 octobre dernier à Vancouver, Joe, Joël (son fils) et Joel (un ami musicien) entamèrent une tournée canadienne d’une durée de six semaines qui les verrait présenter 18 fois un spectacle d’art et de musique dans une quinzaine de villes. Le dernier eut lieu hier soir en la chapelle du Musée de l’Amérique francophone. C’était le seul arrêt du périple qui ne fasse pas salle comble. C’est triste, car les gens de Québec auraient pu rencontrer l’un des plus grands sculpteurs du Canada, sinon le plus grand, et un « cousin » de surcroît!

Une vingtaine d’œuvres de Joe, ici en conversation avec deux admirateurs, se trouvaient sur des socles installés autour de l’enceinte.

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Sculptures de deux sortes, des êtres—je n’ose pas dire « humains »–et des animaux. Je ne vous en présente qu’un maigre—mais combien impressionnant—échantillon.

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De 20h à 21h15, sur les guitares acoustiques, les deux Joël, l’un avec tréma l’autre sans, ont pigé dans le répertoire de chansons et pièces instrumentales composées par Joël inspirées de l’œuvre de son père. Le public pouvait se procurer leur album, « Borrowed Horses ».

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Au début du spectacle, on avait annoncé une soirée d’art, de langues et de générations. C’était bel et bien cela! Le père très présent par son œuvre, mais très effacé par sa présence, assis dans le fond de la salle. Le fils, en vedette, qui racontait des histoires de son père et de ses propres fils, Zachary, Tim et Théo, âgés respectivement de 17. 13 et 6 ans.

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Avant de s’asseoir, Joe s’était adressé très brièvement au public dans un français impeccable reflétant ses origines et son époque à Sainte-Marthe, près de Moosemin. Son fils a fait de son mieux pour exprimer dans la langue du peuple sa joie d’être à Québec, mais a vite « switché » à l’anglais, laissant parler davantage son copain, Joel, dont le français était passable parce que, jeune, il avait fréquenté une école d’immersion.

Voilà donc un bel exemple du drame que vivent les francophones de la Saskatchewan, là où les taux d’assimilation linguistique sont parmi les plus élevés du Canada.

Mais pas grave! Comme Joe a dit en intro, la musique est belle, même en anglais!

N.B. Quelques minutes après avoir terminé ce texte, un petit « coup de google » a révélé ce qui suit concernant Joe :

One of twelve children, his talent was encouraged by his mother, Julienne, a folk artist who made papier-mâché cows and who was a descendant of a Quebec wood carver, Louis Jobin.

 


Un dimanche avec Piaf

Tout comme JFK, elle est morte il y a 50 ans.

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J’avais 20 ans et j’étais à Paris. J’habitais le 16e arrondissement (3, rue de Lota), elle aussi (boulevard Lannes). À peine deux km et sept minutes séparaient nos demeures. J’ai vu des dizaines de milliers de Parisiens faire le pied de grue devant chez elle pendant des heures afin de lui rendre un dernier hommage. C’était évidemment Édith Piaf. Sa voix, sa personne, son destin tragique m’ont marqué profondément. À Paris, je ne manque pas l’occasion de visiter sa sépulture au cimetière Père-Lachaise. Lorsque Dany Bentz, animatrice à Radio-Galilée m’a invité en avril dernier à participer à son émission « Curriculum vitae » et à apporter quatre pièces de musique d’une signification inégalable pour moi, le choix de la première a été très facile, « Je ne regrette rien » de cette chanteuse tant regrettée.

C’est donc en apprenant cet été qu’il se tiendrait à Québec le dimanche 10 novembre 2013 un double hommage à la Reine de la chanson française que je me suis tout de suite inscrit au mini colloque de l’après-midi et me suis procuré un billet pour le spectacle du soir, les deux organisés avec le concours de l’Association Québec-France et trois de ses régionales (Seigneuries-La Capitale, Québec, Rive-Droite), la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs et la Société historique de Québec.

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Mini colloque sur la chanson française

En la chapelle du Petit Séminaire, programme en deux parties. Prenons la deuxième en premier. La table ronde annoncée s’est transformée en simple, mais stimulant, tête-à-tête entre deux brillants acteurs de la scène culturelle, Pierre Jobin, imprésario et professionnel de la chanson depuis des années à Québec, et Catherine Pépin, animatrice de l’émission « Le temps d’une chanson » sur les ondes de Radio-Canada.

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Ils nous ont appris le rôle important que la ville de Québec avait joué tout au long des années 50 et 60 dans le développement et la propagation de la chanson française. Selon eux, un tel essor n’aurait pas pu se produire à Montréal, axée comme elle était à l’époque sur la musique américaine, en anglais ou en traduction.  Cet entretien confirmait les propos du conférencier de la première partie, Jean-Marie Lebel, qui avait tracé un bilan divertissant des années folles de la chanson française à Québec. De plus, Jobin et Pépin soulignaient l’œuvre de pionnier de Félix Leclerc. Découvert par les Français en 1950, lors de son passage surprise à l’ABC, Félix permettra à toute une génération (…et plus tard une deuxième) de Québécois de percer en France. Leur contribution à l’évolution de la chanson française fut remarquable!

En parlant de Félix, Catherine Pépin nous rappelait le lien entre lui et Piaf. Il lui portait un grand  respect—une admiration sans borne pour son art et pour sa grande sensibilité :

      Elle savait le prix et le poids de chacun des mots de
      la langue française. Quand elle disait le mot peur,
      on avait froid aux poignets. Elle disait le mot guerre
      et c’était très laid. Le mot honte dit par elle nous
      faisait baisser les yeux.
      Quand elle disait le mot amour, nos genoux pliaient.

Pour sa part, Jobin soulignait l’importance que revêtait l’œuvre du troubadour québécois pour le chansonnier à la moustache, Georges Brassens.

Autant conteur que historien, Jean-Marie Lebel tenait l’auditoire en haleine pendant plus d’une heure, leur faisant vivre la ville de Québec d’après guerre et les convaincant qu’Édith Piaf avait ouvert la porte ici pour les autres grands artisans de la chanson française qui viendraient par la suite. Lebel a ébloui l’assistance par son sens de l’humour et de la repartie. Plus qu’une simple conférence, c’était un spectacle!

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Grâce à un « record » des Compagnons de la chanson que son père faisait parfois jouer sur le « pickup » à la maison, le petit Jean-Marie remarque, à sept ans, sur la pochette, le nom de Piaf. « Ce n’est pas un nom d’ici », se dit-il, « pourtant elle chante en français avec une intonation un peu médiévaliste qui fait vibrer les tambours, un peu comme dans mon émission radiophonique favorite, Robin des Bois ». Mais il est jeune et n’y apporte plus beaucoup d’attention jusqu’au jour en octobre 1963 où, jeune adulte à la recherche d’une vocation, il apprend la mort de Piaf!

Homme, devenu historien, Monsieur Lebel se penche sur l’histoire de sa ville dans la période d’après guerre et découvre l’importance de l’année 1948 : le parc industriel Saint-Malo ouvre ses portes, la construction du Colisée achève, un nouveau type de radiodiffusion à CKCV animée par Saint Georges Côté s’amorce, Roger Lemelin publie Les Plouffe…et Édith Piaf fait irruption pour la première fois! Il fallait bien l’éloigner de New-York où son amant de l’époque, Marcel Cerdan, s’entraînait en vue de son combat contre Tony Zale. Pourquoi ne pas l’envoyer 15 jours en tournée au Canada français? Piaf a pris les planches au nouveau Palais Montcalm, érigé contre toute attente au cœur de la Crise économique des années 30. Pendant ce court séjour, elle se liera d’amitié avec Gérard Thibault, propriétaire du Café Gérard. Thibault deviendra cabaretier et figure légendaire à Québec. Son établissement en face de la Gare du Palais accueillera les Trenet, Brell et Aznavour.

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En ouvrant son cabaret, la Porte Saint-Jean, dans la haute ville, Gérard veut Piaf. Devenue vedette internationale, elle a peu de disponibilité. Charles Trenet promet à Thibault d’intervenir auprès d’elle et réussit. Piaf reviendra à Québec en 1955, mais ce n’est pas la même Édith. Elle aura subi la perte de Cerdan, mort dans un écrasement d’avion, et deux cures de désintoxication. Elle aura vécu au moins deux autres relations affectives et Dieu sait quoi encore!

Selon Lebel, Piaf a adopté Québec en quelque sorte. Elle restait au Château Frontenac et aimait fréquenter le Kerhulu, situé dans la Côte de la Fabrique. La basilique l’attirait à cause de sa beauté, mais surtout en raison de la proéminence à l’entrée de la statue de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui lui avait rendu la vue à l’âge de huit ans.

Un bon jour, Édith annonce à Gérard Thibault qu’elle ne veut plus rester au Château Frontenac, qu’elle veut un appartement. Le cabaretier lui en trouve un chez le Dr Louis Larochelle, sur la rue Murray, parti en vacances! Elle pouvait alors arpenter le quartier Montcalm que la presse française qualifiait de « faubourg ».

L’année suivante, après un passage au Ed Sullivan Show à New York, elle reviendra une dernière fois et dira, selon la légende, « J’aime tellement Québec que je reviendrais chanter sans cachet sur ses trottoirs ».

En 1962, lorsque son mariage avec Théo Sarapo, 20 ans plus jeune qu’elle, fait scandale, le couple opte pour une cérémonie quasi privée. Toutefois, parmi le petit groupe d’invités, Gérard Thibault.

Édith : hommage au 50e anniversaire de la disparition de Piaf

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En 2007, cinq Césars furent attribués au film, La vie en rose, et un Oscar à sa vedette Marion Cotillard, qui incarnait la môme. Comme il fallait ne pas s’en douter, ce ne fut pas la voix de la vedette qui interprétait les chansons de Piaf, mais celle d’une jeune femme peu connue du nom de Jil Aigrot, née en Algérie et élevée à Cannes où elle est encore établie. De stature plus forte que Piaf, Aigrot lui doit néanmoins une ressemblance certaine sur scène. Après le spectacle d’une durée de deux heures au Théâtre Petit-Champlain, au cours duquel elle a fait le tour du vaste répertoire d’Édith—de ses plus grands succès aux chansons les plus obscures—elle m’a reçu dans un petit coin où j’ai pu réaliser un rêve de 50 ans : serrer la main et  donner l’accolade à Édith Piaf.

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Faisons semblant.


Ordre des francophones d’Amérique: cérémonie toujours riche en émotion

Hier soir, dans le Salon rouge de l’Assemblée nationale, sept personnes furent reçues à l’Ordre des francophones d’Amérique, décoration décernée annuellement depuis 1978 par le Conseil supérieur de la langue française. Cette distinction reconnaît les mérites d’individus qui se sont consacrés ou qui se consacrent au maintien et à l’épanouissement de la langue française en Amérique, ou qui ont accordé leur soutien à l’essor de la vie française sur le continent américain.

Pour la 35e année consécutive, une médaille et un parchemin ont été attribués à deux personne du Québec (Robert Boily et Diane Lapierre), une d’Acadie (Françoise Enguehard), une de l’Ontario (Anne Gilbert), une de l’Ouest canadien (Camille Bérubé), une autre des Amériques (Robert Lafayette) et une dernière des autres continents (Émile Lansman). Par la même occasion, pour son récit poétique intitulé Comment on dit ça, « t’es mort », en anglais?, publié aux Éditions de l’Interligne, le Conseil attribua à Claude Guilmain, auteur, concepteur, scénographe et metteur en scène, de Toronto le prix littéraire Émile-Olivier qui récompense une œuvre dans la catégorie du roman, de la nouvelle, du récit, de l’essai littéraire, de la poésie et du théâtre, publiée en français par une maison d’édition membre du Regroupement des éditeurs canadiens-français.

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Pour moi, cette cérémonie revêt une importance capitale. car il me rappelle un moment singulier de ma vie. En 1997, à ma grande surprise, je fus moi-même reçu à l’Ordre. Depuis, c’est toujours avec émotion que j’y assiste et que j’écoute les allocutions et témoignages des gens qui ont donné d’eux-mêmes pour que la langue française persiste et rayonne en Amérique. De la cérémonie d’hier soir, je retiens, entre autres, les deux craintes exprimées par Françoise Enguehard, née à Saint-Pierre et Miquelon et résidente de Terre-Neuve depuis 30 ans :

1.     Qu’en France, l’on continue à surévaluer l’anglais en le mettant de plus en plus en évidence dans la publicité, l’affichage, les écrits et le parler de tous les jours. Ce n’est pas chic, ce n’est pas « in »! Il s’agit plutôt d’un manque de respect de sa propre langue et d’un appauvrissement de sa culture.

2.     Que dans les Amériques, où, selon le Centre de la Francophonie des Amériques, il y aurait 33 000 000 locuteurs du français, ceux-ci ne s’en servent pas, car connaître une langue sans la parler ne sert à rien.

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Mon émotion fut d’autant plus forte cette année que l’une de mes anciennes étudiantes à l’Université Laval et bonnes amies et collègues, Anne Gilbert, aujourd’hui professeure de géographie et directrice du Centre de recherche en civilisation canadienne-française à l’Université d’Ottawa, eut droit aux mêmes honneurs.

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Dans la photo d’Anne et moi, près de son cœur, on aperçoit l’épinglette emblématique de l’Ordre des francophones d’Amérique. Regardons-la de près, décomposons-la et saisissons-en la signification telle que évoquée en 1978 par Marcel Dubé.

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Cette flamme qui dure comme une fidélité, comme un devoir, comme une patiente déchirure, comme une majesté insoumise et comme une nécessité depuis quatre cents ans d’histoire.

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Et ce cœur embrasé aux quatre saisons, ouvert comme un amour qui dure bondissant comme une rivière battant pavillon de la liberté et qui défie l’usure.

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Et ce dialogue engagé au-delà du temps dans les retrouvailles ces paroles échangées qui durent et se reproduisent comme des semailles.

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Et cette fleur et la patrie « lysérée » festonnée, malmenée et contrainte. Ce jaillissement de feu, de sang, de parole, ce cri comme une plainte, comme une mélopée, comme une épopée qui dure, qui n’a rien de frivole, qui n’est plus un symbole, mais un hymne d’amour retrouvé.

Aux sources premières du sang et de l’azur, les fils d’Amérique qui n’ont pas de frontière retournent s’abreuver à la fontaine tricolore comme une mémoire qui dure et que le temps à « fleurdelysée » en pleine aurore.


La voix d’un ami du Québec, celle de Jean-Marie Nadeau, patriote acadien

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Depuis dix jours, nous entendons des forts en gueule de la presse anglo-canadienne s’en prendre au Québec. Encore une fois, Québec bashing is IN. Comme c’est agréable et rafraîchissant d’entendre une voix de l’Est, d’Acadie. Ce n’est pas la première fois que je fais appel à Jean-Marie Nadeau, auteur, consultant en communication, militant acadien, ancien candidat du NPD et ancien président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, pour nourrir ce blogue. Le 15 août 2008, à l’occasion de la fête nationale des Acadiens tenue à Québec dans le cadre de notre propre célébration du 400e anniversaire de Québec, il nous a honorés par sa présence. Quatre jours plus tard, j’ai publié ses remarques. (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/deanlouder/2008/08/jeanmarie_nadeau_sur_quebec_la_1.php).

Originaire du Lac Baker, dans la République du Madawaska, pas loin de la frontière du Québec, Nadeau, qui habite Moncton depuis des éons, nous connait bien et nous suit depuis longtemps. Ses observations et analyses publiées chaque semaine dans l’Étoile et traduites et publiées dans le Telegraph Journal, passent, je crains, inaperçues au Québec, portés naturellement comme nous le sommes sur nos propres journaux et obsédés comme nous pouvons l’être par ce que la Gazette de Montréal et la presse torontoise pensent de nous.

Dans le contexte du débat sur la Charte des valeurs qui soulève tant d’émotion et de controverse par les temps qui courent, il est rassurant de lire le texte de Jean-Maire Nadeau qui se ferait indubitablement un plaisir de recevoir vos réactions à l’une ou l’autre des deux adresses suivantes : jmnacadie@gmail.com ou jmacadie@nb.sympatico.ca.

Éditorial

Valeurs et laïcité

Jean-Marie Nadeau

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Il est toujours délicat d’aborder des questions identitaires, incluant les concepts de valeurs et de laïcité. Le gouvernement québécois a encore une fois le courage, ou l’audace, ou la folie de plonger dans cette énigme, en essayant de clarifier pour la société québécoise ce que sont la neutralité religieuse et la laïcité de leur État, en tenant compte, en toile de fond, de leur patrimoine historique culturel. On peut appeler cela un terrain miné. Aborder de telles questions rend la tâche difficile, car on peut facilement tomber et se surprendre à tenir des propos que d’aucuns pourraient trouver réactionnaires, à notre grand désarroi.

Aucune société ou aucun pays ne naît de façon instantanée : c’est toujours le produit d’un long processus historique, rempli de spécificités propres à chacune et à chacun. Au gré du temps se dessine une personnalité propre à cette société. Autant je me reconnais le droit de célébrer les caractères démocratique, occidental, laïque (même si c’est non écrit) et même la prédominance chrétienne de mon pays, autant je reconnais à mes amis musulmans ou bouddhistes le droit de célébrer leur pays où le religieux et le politique se mêlent. Autant je reconnais que je ne pourrais pas fêter Noël, Pâques ou l’Assomption du 15 août de façon ostentatoire et spectaculaire en Inde ou en Israël, autant l’immigrant doit accepter qu’il ne puisse pas non plus le faire ici avec l’Aïd ou le Yom Kippour. Mais, ça n’empêche personne de célébrer ce qu’il veut où qu’il soit. Est-ce réactionnaire de dire et reconnaître cela? Je ne pense pas. Mais l’intégration se fait dans les deux sens, tenant compte que les différences culturelles de l’un enrichissent les différences culturelles de l’autre.

Ce qui est désopilant dans ce genre de débat, c’est qu’au lieu de saluer dans un premier temps la pertinence du débat comme tel, on discrédite avant tout l’initiative que nous-mêmes on n’a jamais eu le courage d’entreprendre, tout en sachant qu’il était nécessaire d’entreprendre un tel débat un jour ou l’autre. Certains diront qu’un tel débat ne serait pas nécessaire au Nouveau-Brunswick puisqu’on n’a pas la masse critique nécessaire de nouveaux arrivants. On a qu’à discuter de droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, qu’un pan d’anglophones fait de l’urticaire, et nos dirigeants politiques se défilent. On préfère le curatif au préventif, comme dans le domaine de la santé. Ce qui se passe actuellement au Québec est encore une fois de l’avant-garde, et finira un jour par influencer positivement le reste du Canada.

Pour en revenir au projet de la Charte comme tel, il semble y avoir un consensus sur la pertinence du gouvernement québécois d’exprimer clairement par écrit sa laïcité et sa neutralité religieuse. On semble d’accord sur les critères balisant les accommodements raisonnables futurs. De même, l’obligation de donner ou de recevoir un service public à visage découvert ne pose pas de problème. Là où ça achoppe, c’est principalement dans l’obligation qu’auraient tous les employés de l’État de ne plus porter visiblement, de façon ostentatoire, des signes annonçant leur appartenance religieuse. Comme cette Charte n’est qu’un projet soumis à des consultations publiques, on peut prédire que cette dernière exigence ne sera imposée qu’aux personnes en autorité comme les juges, les procureurs, les policiers et autres personnes du genre. Il est instructif par ailleurs d’apprendre que le seul autre pays au monde, avec la France (qui n’est pas un modèle d’intégration), qui bannit les signes religieux ostentatoires chez tous leurs fonctionnaires est la Turquie, un pays à 99 % musulman, et cela, depuis plus de 70 ans).

L’autre composante de ce projet de Charte qui semble déranger est l’expression de la primauté du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes. Et c’est là que je m’embrouille avec les juristes de ce monde. Ceux-ci prétextent qu’en donnant cette primauté à l’égalité des hommes et des femmes, on créerait une hiérarchisation des droits. Ça fait des milliers d’années qu’on privilégie la primauté des droits des hommes sur ceux des femmes par des abus, par la soumission, par le dénigrement, par l’exploitation. Pourquoi on ne privilégierait pas l’égalité entre les sexes? Et qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce droit à l’égalité soit au premier rang, et oui en haut de la hiérarchie des droits? Comme société occidentale, on n’a pas de leçons à donner à d’autres civilisations sur la façon dont on traite les femmes. Comme on le disait la semaine dernière, le sexisme n’est pas encore mort dans nos sociétés si prétentieuses. Bien sûr, il est plus facile de voir le sexisme des autres que son propre sexisme.

Il est déplorable que des gens que l’on croyait bien pensants soient tombés à bras raccourcis contre ce projet de Charte. On pense à l’erratique Justin Trudeau qui a comparé ce projet à la ségrégation raciale aux États-Unis; au décevant Thomas Mulcair qui a surtout concentré sa critique sur les éventuelles pertes d’emplois que pourraient subir certaines femmes voilées sans se référer au reste du document; au provocateur politicien Couillard parlant de charte de la chicane; aux accusations tous azimuts de racisme québécois provenant surtout du Canada anglais. Ça nourrit le «Québec bashing» ici comme ailleurs!

Tant qu’à pousser la réflexion plus loin, réalisons-nous que formellement, la Grande-Bretagne et le Canada sont des pays dont l’État et l’Église sont imbriqués, puisque notre souveraine Elizabeth II est à la fois chef d’État et chef de l’Église anglicane? Bien sûr que ça ne paraît pas dans la vie de tous les jours. Il serait peut-être temps que l’on ait aussi un texte signifiant clairement notre laïcité, soit la séparation de l’Église et de l’État. Avant de faire la leçon à ces affreux Québécois, il serait peut-être temps que l’on nettoie notre propre cour.