Souvenirs d’un voyage en Louisiane et retrouvailles avec Warren Perrin

Au moment où je m’apprête à repartir vers la Louisiane, je me rappelle un voyage que j’y ai effectué il y a neuf ans. En fait, en octobre 2000, Cécyle Trépanier et moi avons emmené en Louisiane la quinzaine d’étudiants inscrits au cours GGR-16527, Le Québec et l’Amérique française. Il s’agissait de la vingtième excursion en milieu francophone minoritaire depuis 1980—des voyages qui nous ont conduits aux quatre coins de l’Amérique, de Terre-Neuve à Rivière-la-Paix, en Alberta, et de Rivière-la-Paix à la Floride avec plusieurs visites en Acadie, en Franco-Américanie et en Ontario français (voir carte des excursions). L’historique de cette extraordinaire expérience pédagogique est consigné à un article intitulé « Sur les routes de l’Amérique française : l’expérience des géographe lavallois », publié en septembre 2002 dans la revue Québec Studies. Si je reproduis ici la partie de l’article consacrée à cette excursion en pays cadien, c’est pour mieux parler d’un lancement de livre qui a eu lieu hier soir dans la Maison Fornel, sous le patronage de l’Association acadienne de la région de Québec, du Centre de la francophonie des Amériques et du Ministère des relations internationales.

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Carte des excursions, 1980-2001

L’année 2000 permet la réalisation d’un rêve : amener nos étudiant en Louisiane, où notre recherche nous avait régulièrement conduits depuis la fin des années 1970. Ainsi, nous prenions la route du sud, à la découverte de la Louisiane contemporaine. Notre port d’attache sera Abbeville, petite municipalité tout près de Lafayette, où nous avons bénéficié de l’hospitalité de Sœur Jeannette, au couvent de la communauté des Dominicaines, et d’Allen LeBlanc, notre ange-gardien, avant et pendant notre séjour. Notre programme de cinq jours visait à illustrer la diversité régionale du sud de la Louisiane et privilégiait quelques thèmes.


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Soeur Jeannette

La première journée, nous avons exploré la région du bayou Tèche (Pont-Breaux, Parks et Saint-Martinville), culturellement et racialement diversifiée, et caractérisée par la culture de la canne à sucre. Le moment fort de la journée a été la visite à Saint-Martnville, au Monument acadien, et au futur site du African-American Museum. Deux jeunes Créoles noirs, francophones, nous accompagnaient lors de cette visite. Ils se sont senti offensés par le nom de la future institution. Celle-ci devait célébrer leur culture créole, mais ne mettait en évidence que leur culture noire. La seconde journée fut consacrée à la découverte de la région des Prairies (Mamou et Eunice), fief de l’identité cadjine, et où l’économie agricole est dominée par la culture du riz et des fèves sojas. Cette journée fut marquée par la musique. D’abord celle de chez Fred’s, un bar à Mamou à partir duquel on diffuse une émission radiophonique, maintenant célèbre, tôt le samedi matin, puis au Lafitte National Cultural Center et au Liberty Theater d’Eunice, où différents orchestres cadjins étaient en vedette… pour le grand plaisir des touristes. Alors que l’on se préparait à aller écouter un orchestre Zydeco, la maladie a frappé. Diagnostic : empoisonnement alimentaire. C’est donc une troupe amoindrie qui, le troisième jour, se dirige vers le Mississippi. Il faut d’abord traverser le bassin de l’Atchafalaya, une barrière naturelle impressionnante entre le sud-est et le sud-ouest de la Louisiane française. Sur les rives du grand fleuve, à St. James, où une plaque historique rappelle l’arrivée des Acadiens, nous avons rencontré les paroissiens, des Créoles noirs, tous endimanchés et célébrant la fête des morts. À la Nouvelle-Orléans, berceau de la Louisiane française, nos étudiants nous ont surpris par leur dégoût du Vieux-Carré, quartier historique transformée en parc d’amusement…pour adultes. Les deux derniers jours étaient consacrés à la visite d’institutions et de différentes associations à vocation éducative (Prairie Elementary School, University of Louisiana at Lafayette), culturelle (Conseil pour le développement du français en Louisiane-CODOFIL, Radio Louisiane) ou économique (Louisiana Convention and Visitor Commission, le Centre international de commerce). Que retenir de toutes ces rencontrse et de toutes ces visites? Le rapport à la langue française est différent de celui observé ailleurs sur le continent. Malgré les efforts de nombreux individus et du CODOFIL, organisme gouvernemental qui fait des miracles avec un financement déficient, l’ensemble de la population soutient peu ses militants. Ici, on est avant tout Américain. Pourtant, l’industrie touristique, elle, reçoit des millions de dollars pour mettre en valeur la culture cadjine, afin de remplir les coffres de l’État. Une culture sans langue, voilà un des plus grands paradoxes louisianais. [Québec Studies, 33, pp. 36-37]

L’un qui travaille contre vents et marées pour minimiser, sinon effacer, les effets de l’américanisation du pays des Cadiens est Warren A. Perrin, président du CODOFIL depuis plusieurs années déjà, que nous avons aussi rencontré en 2000, à son bureau d’avocats, au cœur de Lafayette, où il nous expliquait la démarche qu’il avait entreprise afin d’obtenir des excuses de la Reine d’Angleterre pour la Déportation des Acadiens en 1755—démarche qui porta fruit en 2003 par la Proclamation royale.

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Hier, Warren était de passage à Québec pour le lancement de son livre Une Saga acadienne, de Beausoleil Broussard à la Proclamation royale, traduit par Roger Légère et Guy Thériault et publié aux Éditions Lambda. Il s’agit d’un petit livre en trois parties, ayant paru en anglais en 2005 sous le titre Acadian Redemption (avec le même sous-titre). La première partie du livre rend hommage au résistant acadien, Beausoleil Broussard, celui qui devint un héros, autant en Acadie qu’en Louisiane, pour ses actes de bravoure en face de l’ennemi. Perrin, dont la femme est une Broussard, suit l’ancêtre à la trace de son Acadie natale à sa nouvelle demeure en Louisiane. La deuxième partie n’a que peu à voir avec la première. C’est ici que Perrin décrit sa « démarche vers la justice », fondée sur une pétition présentée au nom des Acadiens à Margaret Thatcher et à la Reine, elle-même, demandant réparation de la part du gouvernement britannique pour les torts infligés aux Acadiens. La dernière partie du livre, composant plus que le tiers du volume (pages 145 à 232), est accessoire à la compréhension. Il s’agit de 15 annexes d’utilité variable : annexe 3, Marquage du bétail dans le Sud-ouest de la Louisiane (peu) ; annexe 10, Proclamation royale de 2003 (beaucoup).

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En prenant la parole au lancement, Me Perrin remerciait le Québec et les Québécois de leur appui constant depuis la fondation en 1968 de l’organisme qu’il préside. Cet appui est d’autant plus important depuis les événements du 11 septembre 2001, car le gouvernement des États-Unis ne permet plus le recrutement par CODOFIL de moniteurs du français et d’enseignants d’immersion en provenance des pays d’Afrique ou du Moyen Orient. Le Canada (Québec/Acadie), la France et la Belgique tiennent seuls le fort.

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Au lancement, l’éditeur aux Éditions Lambda a levé le voile sur un secret mal gardé. En ce moment, sur recommandation d’une Sénatrice de Louisiane, le président Barack Obama serait en train d’examiner la possibilité de nommer Warren Perrin ambassadeur des États-Unis dans un pays de la Francophonie.

À suivre donc…


Isle Dernière en spectacle à Québec

Dans le foulée des activités entourant le premier anniversaire du Centre de la Francophonie des Amériques, un groupe rock louisianais, Isle Dernière, mettant en vedette le jeune rockeur cadien (Cajun), Rocky McKeon, de Canal à Robinson (bayou Terrebonne, à 15 km en amont de Cocodrie), s’est produit hier soir au Cercle, bistro/bar/resto de la rue Saint-Joseph. Détendu et souriant avant le spectacle, Rocky s’est transformé vers 22h en bête de la scène. Accompagné de Ethan Jordan, Marc Poirier et Dustin Schultz, cet activiste, défenseur ardent de la langue et de la culture cadiennes, proposait une musique actuelle inspirée de classic rock et de delta blues, chantée tout en français bien sûr!

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La foule, un peu lasse au début, ne pouvait la demeurer longtemps se faisant entrainer par la bonne humeur de l’artiste, les rythmes endiablés et les paroles souvent touchantes.

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En première partie du spectacle de l’Isle Dernière, deux chanteurs guadeloupéens, G’Ny et Smiley. La première est une vedette montante des Antilles offrant une fusion entre les musiques modernes caribéennes et les courants acoustiques traditionnels, tandis que le deuxième se situe entre reggae et couleurs caribéennes—un spécialiste des nouvelles sonorités.

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André Gladu reçu à l’Ordre des francophones d’Amérique

Décerné annuellement par le Conseil supérieur de la langue française, l’Ordre des francophones d’Amérique a pour but de reconnaître les mérites de personnes qui se consacrent au maintien et à l’épanouissement de la langue de la Franco-Amérique. À la cérémonie de la remise des insignes de l’Ordre, tenue le 30 septembre en le Salon rouge de l’Assemblée nationale du Québec, en présence de la Ministre Christine Saint-Pierre, du maire de Québec, Régis Labeaume, et du président du Conseil supérieur de la langue de française, Conrad Ouellon et de nombreux amis, collègues et collaborateurs, ainsi que de son fils, Aléxis, André Gladu, cinéaste dont la profondeur, l’originalité et la sensibilité de l’œuvre sont reconnues au Québec et partout sur le continent dans les milieux universitaires et dans les communautés acadienne, cadienne, franco-américaine, franco-canadienne et métisse, a reçu les honneurs couronnant sa longue carrière de documentariste qui se poursuit inlassablement.


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Régis Lebeaume, Conrad Ouellon, André, Christine St-Pierre


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André et Aléxis Pilon-Gladu

L’octroi des insignes de l’Ordre des francophones d’Amérique signifie que le récipiendaire a travaillé au rayonnement de la francophonie au Québec ou dans les grandes concentrations francophones nord-américaines. Dans le cas d’André, ce n’est pas une question d’avoir travaillé au rayonnement au Québec OU dans les îles de l’Archipel franco d’Amérique. Non, dans son cas, le OU se transforme indubitablement en ET. Aucun artiste ou artisan en Franco-Amérique n’a autant travaillé à la fois sur le Québec ET le hors Québec. Son tout premier documentaire, Le Reel Pendu (1971), consacré aux liens entre les cultures du Québec, de l’Acadie et de la Louisiane, annonçait déjà ce qui serait la couleur de sa carrière. D’ailleurs, une analyse rapide—et probablement partielle—de l’œuvre de Gladu révèle la réalisation de 45 films documentaires. Ils sont de durée variable (10, 30, 60 et 80 minutes) et de thèmes divers (biographie, patrimoine, musique traditionnelle…). Sur ce nombre, 18 ont le Québec comme toile de fond et les Québécois comme sujet. À titre d’exemples : Gilles Vigneault : Portager le rêve (1997), La conquête du grand écran (1996), Gaston Miron : les outils du poète (1994), Marc-Aurèle Fortin (1983), Les dompteurs du vent (1981), Le quêteux Tremblay (1977), « Pitou » Boudreault, violoneux (1974). Vingt-et-un d’entre eux visent à mettre en valeur les autres Francos d’Amérique. Mentionnons Marron : la piste créole en Amérique [Louisiane] (2005), Tintamarre : la piste Acadie en Amérique (2004), Liberty Street Blues [Louisiane] (1988), Zarico [Louisiane] (1984), Les gens libres [Métis du Manitoba] (1979), C’est toujours à recommencer [Ontario] (1979), Le Petit Canada [Nouvelle-Angleterre] (1978), Le dernier boutte [Terre-neuve] (1978), C’est pu comme ça anymore [Missouri] (1976). Enfin, cinq autres films ont été tournés en Europe, quatre en France et un en Ireland : And a bit ou music… (1979), Parler breton, c’était un crime (1979), J’ai chanté, j’ai déchanté et je rechante (1979), Il faut continuer (1978), La terre d’Amitié (1978).

Son passage à Québec a fourni à André l’occasion de rencontrer au bureau des Éditions du Septentrion, lors d’une séance de travail en vue d’un prochain film consacré aux peuples métis du Canada et des Etats-Unis, Robert Foxcurran, chercheur de Seattle en visite chez moi. Celui-ci vient de terminer la rédaction d’un volumineux manuscrit intitulé « Washington Territory’s Tale of Two Frenchtowns » . Foxcurran, à la retraite depuis peu de la grande compagnie d’aviation Boeing, poursuit depuis une quinzaine d’années sa principale passion : le dévoilement—pour ne pas dire le « déterrement »—et la mise en valeur de la présence franco dans sa région. Il s’agit d’un pan d’histoire et d’un espace géographique qui manquent dans les manuels d’histoire, autant aux États-Unis qu’ici. Rob voudrait bien corriger la situation. Tout au long de son court séjour, il nous rappelait que la présence canadienne-française et métisse est historiquement et numériquement plus importante dans l’Ouest américain que dans l’Ouest canadien. Pourtant, on associe toujours ce phénomène aux provinces du Manitoba, de Saskatchewan et d’Alberta et rarement aux États de Dakota du Nord, de Dakota du Sud, du Montana, d’Idaho, de l’Orégon et de son propre État de Washington. Foxcurran insiste sur l’artificialité du 49e parallèle en ce qui a trait aux coureurs de bois et aux voyageurs canadiens du continent et à la nouvelle nation qu’ils ont engendrée, celle des Métis…des Bois-brûlés…des French Breeds !

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Séance de travail chez Septentrion

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Robert Foxcurran devant la Fontaine Tourny


Claudine, Cannoise de Californie: « French San Franciso »

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Au printemps 2008, dans la région de la baie de San Francisco, la Délégation du Québec à Los Angeles organisa deux activités, l’une universitaire à Berkeley, l’autre culturelle à l’Alliance française de San Francisco. Aux deux, j’ai eu le bonheur de partager la tribune avec Claudine Chalmers, ressortissante française ayant passé le plus clair de sa vie d’adulte en Californie où elle incarne aujourd’hui le patrimoine français perdu de cette région. Collectionneuse, archiviste, conférencière et auteure, Claudine fut de passage à l’université Laval cette semaine afin de participer au Séminaire de la CEFAN (Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord), consacré ce trimestre-ci à l’étude et à la compréhension de la formation associative en francophonie nord-américaine. Sa prestation intitulée « Mouvements associatifs dans la francophonie nord-américaine : cas particulier de San Francisco », copieusement illustrée de photos et de documents historiques a séduit l’auditoire composé d’une vingtaine d’étudiants qui ignoraient, pour la plupart, l’existence d’un fond français à San Francisco et la réalité francophone de la Californie d’aujourd’hui. Grâce à son exposé et au texte intitulé « Les Québécois au ‘pays des rêves’ : nouveaux enjeux, nouvelles tendances en Californie » écrit par Marc Boucher, ancien délégué du Québec à Los Angeles et actuel délégué à Chicago, publié dans le livre Franco-Amérique (Éditions du Septentrion, 2008), et offert aux étudiants comme complément d’informations, ce manque fut comblé.

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Lucille Guilbert, responsable du séminaire, et Claudine

Venue en Californie pour la première fois à l’âge de 17 ans comme l’un des cinq exchange students—la seule de France—dans une excellente école secondaire à Palo Alto, cette Cannoise a eu la piqûre de la Californie, y revenant pour de bon dix ans plus tard pour fonder foyer (deux fils) et poursuivre son rêve.

En plus de French San Francisco, publié en 2007, Splendide Californie!: Selections by French Artists in California History, 1786-1900, un livre haut de gamme publié en seulement 450 exemplaires, vit le jour en 2001. Tel qu’en témoigne l’extrait suivant tiré d’un numéro récent du bulletin de Sierra Writers, ses intérêts ne se limitent pas au fait français. L’engagement local de cette citadine transplantée au pied de la Sierra est exemplaire.

Even from her native Cannes, France, award winning author, Claudine Chalmers had a fascination with California’s Gold Rush and the artists that captured it. Chalmers’ fascination was more than a fleeting fancy. It became a passion prompting not only her doctoral dissertation but many articles and a 2001 Commonwealth Club of California Silver medal winning book.

In her most recent book, Grass Valley, Chalmers draws on her vast research as well as interviews with local families and museum curators to get at the lesser known local history. Chalmers describes this short book as a “memory lane” sort of experience that despite its length provides the first truly comprehensive look at Grass Valley’s transformation from the Maidu settlement to an industrial mining town. Rare photographs along with histories of the lesser known cultural groups such as African-American and Jewish pioneers help “Grass Valley” to find its place on the shelf among the other Gold Rush history books.

Chalmer’s love for the Gold Rush history brought her from France in 1974. After many years in the Bay Area, she moved to Nevada County where she now lives. After renovating several old Grass Valley homes from the 1890s, Chalmers found that the stories of the houses themselves mixed with her life-long interest in early French artists and pioneers. This propelled her search deeper into the history specific to Grass Valley. An historian and historical conservationist, Chalmers hopes that the light she sheds on corners of the past in “Grass Valley” will add more details to what is known about the region and will encourage the on-going efforts to protect local landmarks and cultural heritage.

Whether you are a writer, an art lover, a historian or just want to know a little more about your local history, an evening with Claudine Chalmers will provide a learning experience for all.

Le passage à Québec de la Cannoise de Californie l’a marquée pour la vie. La beauté des lieux en ce début d’automne, l’accueil des gens à l’université Laval, au Centre de la Francophonie des Amériques, dans les restaurants et dans les rues l’a convaincue que cette première visite à Québec ne sera pas sa dernière !

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Claudine au Bois de Coulonge