Le passage d’un « maudit Français »

Le 7 mai dernier se tint le service funéraire à la mémoire de Louis-Charles Bruniau. À cette occasion, sa veuve, Zina, m’a demandé de livrer quelques remarques à son sujet. Les voici:

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Louis Bruniau et moi partagions un certain vécu, celui d’immigrant, lui de France, moi des États-Unis. Louis est arrivé au Québec en 1966, un an après son épouse, Zina. Quant à moi, je me suis installé à Québec en 1971. Dès mon arrivée, j’entendais souvent de la bouche des gens d’ici une expression dont je comprenais les mots, mais pas le sens de ces mots. Ce n’est qu’en 1973, lorsque j’ai rencontré Louis Bruniau pour la première fois que j’ai compris vraiment ce que voulait dire « maudit Français » !

Plus je fréquentais Louis, plus je me rendais compte qu’il y a du vrai dans tous les clichés du genre. Par contre, il y a encore plus de faux, car sous le carapace dur d’un être qui vivait une relation doux-amer avec son pays d’adoption battait le cœur d’un homme généreux, instruit, intelligent, un homme ayant aussi appris les leçons de la vie à la dure école, car Louis, membre de la tristement célèbre, mais glorieuse Légion étrangère avait connu des atrocités des nombreuses conflits de décolonisation que menaient son pays au cours des années 50 : au Vietnam, en Algérie et au Maroc.

« Légionnaire, tu es fait pour mourir et on t’envoie où l’on meurt. »

Voilà la devise qui a défini les contours de la vie de Louis Bruniau des années durant lorsqu’il faisait partie de ce Corps d’élite de l’armée de Terre française.

Après avoir découvert le Québec, Louis, Zina et Éric ont découvert le Canada. Cela s’est fait lors d’un voyage inoubliable qui les a emmenés jusqu’à l’île de Vancouver. Louis me racontait une fois, il y a si longtemps, ce voyage. Il parlait surtout des grands espaces, ces plaines à l’infini, ce grand vide qui sépare l’Ouest de l’Est. Je le traverse souvent ce vide pour me rendre chez mes enfants en Alberta et chaque fois je pense aux peuples autochtones, amérindiens et métis, qui parcouraient, en rois et maîtres, cette vaste région au cours du dix-neuvième siècle et qui gagnaient leur vie de la chasse au bison dont la population était innombrable. Sans doute que Louis y pensait aussi parce que c’était un homme cultivé qui s’intéressait à l’histoire et à la culture. C’est un peu ironique qu’au moment où j’ai appris son décès, je lisais le dernier roman de Jacques Poulin dont l’œuvre fait découvrir pour les uns, et sert de rappel pour les autres, l’importante contribution des Français aux fondements et au développement du continent nord-américain. À la page 86 de L’Anglais n’est pas une langue magique, Poulin cite le grand chef des Pieds-Noirs, Patte-de-corbeau, ami et allié dans l’Ouest des Français et Canadiens français, qui réfléchit sur le sens de la vie :

Qu’est-ce que la vie ? C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit. C’est le souffle d’un bison en hiver. C’est la petite ombre qui court dans l’herbe et se perd au couchant.

Autrement dit, dans l’immensité de l’univers et à travers des vastes éternités, la vie est si brève, mais combien marquante.

J’aimerais terminer ces remarques par un poème de Baudelaire, ce poète qui ne fut compris que par quelques uns de ses pairs. En cela, il partageait avec notre défunt ami, Louis. J’ai trouvé trois poèmes de Baudelaire qui traitent de la mort : La mort des amants, La mort des artistes et La mort des pauvres. Je retiens le dernier.

C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;


C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir


Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,


Et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir ;

À travers la tempête, et la neige, et le givre,


C’est la clarté vibrante à notre horizon noir ;


C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre,


Où l’on pourra manger, et dormir, et s’asseoir ;

C’est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques


Le sommeil et le don des rêves extatiques,


Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;

C’est la gloire des Dieux, c’est le grenier mystique,


C’est la bourse du pauvre et sa patrie antique,


C’est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !


Une mère en mer: Mme Laurette réalise son rêve

Pendant plus d’un demi-siècle, une paire de jumelles sur le rebord de sa fenêtre, la propriétaire de la petite maison jaune regardait passer les bateaux en face de Saint-André-de-Kamouraska…et rêvait. Kayak, chaloupe, goélette, grand voilier, vraquier, pétrolier, porte-conteneur…elle en prenait note dans son petit carnet. À l’arrivée de l’automne, elle faisait venir de la garde côtière à Québec l’horaire des paquebots tels Queen Mary II, Queen Elizabeth II, Explorer of the Sea, Grand Princesse… Et elle les attendait à sa fenêtre se disant, « un jour, je ferai une croisière ».

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Ce jour est enfin arrivé en juillet 2006 quand Laurette, à l’âge de 77 ans, prit le bateau à Rivière-Ouelle pour réaliser une mini croisière de 2 jours qui l’emmènerait à Chicoutimi. Or, ce n’était que l’apéritif. Le plat principal lui serait servi l’année de ses 80 ans. Le 15 février 2009, Laurette, accompagnée de sa fille, Dorothée, eut son baptême de l’air. De l’aéroport Jean-Lesage à Québec, elles se sont envolées vers Miami. À Fort Lauderdale, elles se joignirent aux 2 970 autres passagers pour entreprendre à bord du Carnival Valor une tournée autour de la Caraïbe. Quatre escales prévues avant d’accoster de nouveau à Fort Lauderdale une semaine plus tard.  D’abord, les Iles Caïman, suivi de Roaton (Honduras), du Bélize et de Cozumel (Mexique).

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Le Carnival Valor

En haute mer, comme à la plage, assise par terre ou en VW Coccinelle, Laurette jouit de la plus belle semaine de sa vie. Elle écrivait dans son journal qu’elle conservait religieusement :

Un voyage pour moi, ce n’est pas arriver, c’est partir. C’est la saveur de la journée qui s’ouvre. C’est l’imprévu de la prochaine escale. C’est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose. C’est la curiosité de confronter ses rêves avec le monde. Repos, songeries, bonheurs, on ne vous goûte vraiment qu’en mer, sur un magnifique bateau. Vive l’eau, les bateaux et les capitaines.

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C’est la petite maison jaune qui fit de Laurette Morin et moi des amis. Au moment où elle cherchait à contre cœur à la vendre, je suis passé devant sa porte. N’eut été mon empressement de me rendre au Nouveau-Brunswick ce samedi après-midi-là, je l’aurais achetée sur le champ ! Le mardi, au retour, j’avais envie de visiter ce qui aurait pu être pour moi une maison de retraite formidable. À mon arrivée, la propriétaire, Laurette, arrosait ses fleurs. Ne voyant plus de pancarte, j’exclamai : « Madame, votre belle maison est-elle encore à vendre? » Ce à quoi, elle me répondit, la gorge resserrée d’émotion : « mon cher monsieur, vous arrivez trop tard, je l’ai vendue hier ».

Contrairement au beau rêve de Laurette qui s’est réalisé, le mien d’avoir un pied à terre au bord du Saint-Laurent, dans la douce région de Kamouraska. se fait encore attendre. Cependant, de cette rencontre fortuite, je garde quelque chose de plus précieux, une amitié sûre et durable avec la maîtresse de la petite maison jaune.


La petite maison jaune du Cap Saint-André (Kamouraska)

En 2005, en raison de son âge et en prévision d’une détérioration de son état de santé, Mme Laurette Morin Ouellet a dû se départir de sa petite maison jaune située sur le cap, en face de l’église à Saint-André-de-Kamouraska. Autrefois une maison de rang, elle avait été déménagée au milieu du siècle dernier sur ce site qui domine le village et donne sur le fleuve. C’est ici que la jeune Laurette fraîchement sortie du couvent et nouvellement mariée à un homme de beaucoup son aîné, s’établit et élèvera ses cinq enfants. C’était avec profond regret qu’elle quittait ce « petit coin de son coeur ». Le poème qui suit, écrit de sa propre main, reflète son état d’âme et son enracinement profond:

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Ma petite maison jaune

Ma maison est un endroit chaleureux et plein d’amour.

Ma maison résonne d’échos qui ne quittent jamais mes oreilles

Elle y garde des souvenirs sculptés comme de l’ivoire peint,

Délicatement colorés de nuances éclatantes ou plus douces,

Parfois effacés, presque oubliés, mais jamais rayés de mon existence.

Ma maison excelle d’images, de souvenirs, de rêves, jamais oubliés.

J’appréhende depuis quelque temps

Le jour où elle devra changer de nom.

Mais pour moi, elle sera toujours

Ma petite maison jaune.

Elle a été le témoin de très grands bonheurs.

J’y suis entrée le jour de mon mariage.

L’année suivante un premier fils est arrivé,

Puis trois autres sont venus augmenter ce bonheur.

Et enfin, une fille est venue compléter notre notre famille.

C’était en tes murs le paradis !

Si tu pouvais parler, petite maison jaune,

Que de belles choses tu aurais à dire !

Il me semblait que rien ne pouvait nous atteindre.

Il y eut bien des petits nuages qui laissèrent de le l’humidité,

Juste de quoi alimenter le grand amour que tu abritais.

Soudainement, une grande épreuve nous arriva:

La mort de ton propriétaire, mon mari.

Toi, ma vieille maison, tu es restée…

Je suis toujours très attachée à toi.

Bien que malgré moi,

J’aurai bientôt à prendre la décision de te laisser.

Tu nous a gardés tous… si longtemps dans tes murs,

Bientôt, ce sera nous qui te garderons dans nos coeurs.

Ma grande consolation,

C’est que mes enfants t’aiment et te cajolent

Comme je l’ai toujours fait.

Car notre maison est l’endroit où l’on a grandi…et d’où l’on part…

Et dont pourtant on se souvient et à laquelle on tient.

Pour moi et pour mes enfants, tu seras toujours:

« Notre bonne vieille petite maison jaune ».


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Rencontre dans les airs avec un Chevalier de Colomb

Comme c’est agréable de ne pas passer par Montréal pour se rendre aux États-Unis par vol commercial. Le 10 janvier, à 8h10, j’ai pris le vol 2869 de Northwest Airlink vers Détroit avec correspondance à Salt Lake City. À 14h10 (MST), je me trouvais déjà dans l’étreinte de ma soeur. Entre temps, assis dans mon siège 17-C de l’airbus 319, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Donald Bouchard, assis, lui, dans le 17-B, à côté d’une Américaine d’origine coréenne, dans le 17-A, qui ne cessait de lire de sa bible en prenant des notes à profusion. Donald partit tôt le matin de Portland, au Maine, à destination de Tucson, en Arizona, afin participer, avec 475 autres agents du KoC de partout aux États-Unis, à l’assemblée annuelle des agents des Chevaliers de Colomb dont Don est membre au quatrième degré. De chez lui, il s’occupe des dossiers des gens de sa région qui se prévalent de ses services pour l’obtention d’assurance vie et autres.

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L’histoire de Don est intéressante et en dit long sur l’évolution récente de cette capitale franco-américaine qui enjambe la rivière Androscoggin, au sud du Maine. Jeune homme, il n’a que 36 ans. Lui et son frère jumeau sont les cadets d’une famille de sept enfants dont le père est décédé en 1990 et la mère en novembre dernier à l’âge de 63 ans seulement. Sa grande soeur, la plus vieille de la famille n’a que 47 ans. Leurs parents sont nés aux États-Unis, enfants d’immigrants de Trois-Rivières, du côté paternel, et de Magog, du côté maternel. Don ne pouvait me dire avec précision la date d’arrivée dans le Maine de ses grands-parents, mais ils devaient faire partie des dernières vagues en provenance du Québec, avant la fermeture de la frontière canado-américaine en 1929. Sa mère était la dernière de douze enfants et a passé une partie de sa jeunesse, avant la fermeture de l’usine, à travailler dans le complexe industriel formé autour du Bates Mill, à Lewiston.

Mes conversations avec Don se poursuivirent évidemment en langue anglaise car son français était fort laborieux, ce qui le mettait visiblement mal à l’aise. Par contre, si j’avais eu affaire à sa soeur, cette situation ne se serait pas produite car elle parle couramment la langue de ses ancêtres. Pourquoi cette différence? Peut-être trois explications: école, relation filiale, société ambiante. D’abord, la grande soeur a eu l’occasion de fréquenter l’école paroissiale au moment où une partie considérable de son cursus s’offrait encore en français (années 1960). L’école paroissiale franco-américaine se trouvait alors dans ses derniers balbutiements, soit qu’elle fermerait soit qu’elle deviendrait une école comme les autres de point de vue langue d’enseignement. Lorsque Donald est arrivé à la même école, sa vocation linguistique avait changé, la langue française avait complètement disparu. Ensuite, la grande soeur, compte tenu du petit écart entre son âge et celui de sa mère jouissait d’une situation privilégiée auprès de celle-ci. Selon Don, leur relation ressemblait davantage à celle entre deux soeurs qu’entre mère et fille. Maman parlait français avec sa fille et l’initiait à une certaine vie française en l’emmenant régulièrement au Québec assister aux concerts de l’un de ses favoris, Johnny Farrago. Maman y achetait des disques qu’elle écoutait par la suite avec sa fille à Lewiston. Enfin, l’anglicisation/américanisation, la disparition de l’industrie du textile et la réussite économique tardive des Franco de Lewiston-Auburn faisaient en sorte que les Petits Canadas, avec leur institutions ethniques, disparaissaient rapidement les unes après les autres.

Le Messager de Lewiston, par exemple, cessa publication en 1966. Donald prétendait l’avoir vu sur la table de cuisine chez eux, ce qui est impossible compte tenu de sa date de naissance. Il reconnaît d’emblée son tort de ne pas parler français: after all, dit-il, it’s my heritage. Malgré ce voeu pieux et malgré le fait que bon nombre des vieux Chevaliers de Colomb qu’il dessert en tant que commis de bureau et responsable de leurs dossiers préfèrent obtenir le service en français, sa vie se poursuit exclusivement en anglais. Don connaît le Franco-American Heritage Center, nouvellement aménagé dans la magnifique église Sainte-Marie désacralisée, mais ne sait rien de la Collection franco-américaine, les plus importantes archives franco-amércaines de l’État du Maine, conservées sur le campus de l’University of Southern Maine, Lewiston-Auburn Campus. Il n’en savait pas plus sur l’excellent volume, Voyages: A Maine Franco-American Reader, publié l’an dernier par Barry Rodrigue et Nelson Madore.

Comme je fais toujours dans de pareilles circonstances, j’ai suggère à Donald de se réorienter géographiquement, de penser plus en termes « nord-sud » et moins en termes « est-ouest », et de séjourner au Québec afin de se retremper dans la culture de sa mère patrie. Il m’informe que depuis trois ans, il a fait deux voyages à Québec, une fois seul, une fois accompagné de son épouse d’origine irlando-américaine et de leur fille. Les deux fois, il s’est logé au « Château de Frontenac ». Ses promenades se limitèrent donc au Vieux-Québec où, dit-il, « tout le monde parle anglais ». Hélas…