Trois court-métrages d’André Gladu

L’œuvre d’André Gladu est immense. Elle lui a valu en 2009 d’être reçu à l’Ordre des francophones d’Amérique (voir mon billet : https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2009/10/02/andre-gladu-recu-a-lordre-des-francophones-damer/). Je pensais les avoir tous vus, ces 40 quelques documentaires consacrés à la francophonie nord-américaine, mais non. Cette semaine à l’invitation de la Société québécoise d’ethnologie de, il revint au Musée de la civilisation présenter dans le cadre d’un hommage aux Métis francophones trios courts métrages. Sur les trois, il y en a deux qui avaient jusque-là échappé à mon œil attentif.

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Les gens libres fut tourné il y 33 ans à Saint-Ambroise et Saint-Laurent, au Manitoba. Il y a une entrevue classique avec l’historien métis de l’Ouest, Antoine Lussier, partiellement voilé par la boucane de sa cigarette, qui explique, entre autres, pourquoi les Métis de l’Ouest étaient davantage francophone qu’anglophone, le phénomène du métissage ayant été beaucoup plus répandu chez les voyageurs canayens de la Compagnie du Nord-Ouest que chez les commerçants anglais de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le fait saillant du film est l’échange entre le cinéaste et le vieux Paul Lavallée à qui André demande à chanter l’hymne de la nation métisse composée par le légendaire Pierre Falcon. Monsieur Lavallée exécute avec brio.

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Presque 30 ans plus tard, Gladu est retourné dans l’Ouest, cette fois-ci à Batoche, en Saskatchewan, filmer Mitchif, l’esprit de Riel et de Dumont. Le mitchif, c’est la langue ancestrale des Métis, mélange de français et de cri. Batoche est ce lieu quasi sacré des Métis où leur nation fut anéantie en 1885 par les Forces canadiennes sous la direction du Général Frederick Middleton, déployées par John A. McDonald. On se souviendra que le général avait sous sa commande, le capitaine A.L. Howard, un militaire américain, qui se servait des Métis pour tester une nouvelle arme, le « Gatling gun ». Avant leur reddition, les Métis, sous les ordres militaires de Gabriel Dumont et spirituels de Louis Riel avaient eu le temps à la coulée des Tourond (Fish Creek) d’infliger une défaite sur Middleton et ses hommes. Un des leaders contemporains des Métis, Paul Chartrand, accepte d’accorder une entrevue à Gladu à condition qu’elle ait lieu à la coulée des Tourand , symbole de la victoire des Métis sur les Canadiens et non à Batoche, symbole de leur défaite.

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Cerise sur le sundae pour Gladu, lors du tournage, sa rencontre avec Margaret Gladue et son fils avec lesquels il partage un ancêtre lointain.

Les Houma constituent une « tribu indienne » sans statut en Louisiane. Aujourd’hui, ils habitent, pour l’essentiel, le bayou Terrebonne au sud de la Nouvelle-Orléans. Autrefois, ces Métis devenus francophones par la force des cultures françaises en Louisiane à l’époque coloniale, occupaient un territoire plus vaste qui couvrait ce qui est aujourd’hui la grande ville. C’est sur l’une de leurs terres sacrées, au cœur de la Nouvelle-Orléans, Congo Square, réputé aujourd’hui comme berceau du jazz et réclamé par les Afro-Américains, que Gladu rencontre et fait jaser, jouer et chanter Charly Dhutu et Calvin Parfait.

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Comme toujours avec André Gladu, lors de la période des questions, animée cette fois-ci par l’ethnologue, Jean Simard, la discussion déborde le sujet des trois films. Riche d’une carrière de 40 ans où il a côtoyé de près et collaboré avec les grands documentaristes du Québec, comme Michel Brault et Pierre Perreault, il n’est point surprenant que Gladu soit le réalisateur de La conquête du grand écran qui raconte cent ans de cinéma au Québec, depuis la première canadienne du Cinématographe Lumière, qui a eu lieu le 27 juin 1896, à Montréal jusqu’à nos jours.

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Longue vie aux films d’André Gladu!

 

 


« Un rêve américain » en projection à Québec

Le dimanche 16 mars, j’ai eu l’occasion de visionner, en présence de son scénariste (Claude Godbout) et de son réalisateur (Bruno Boulianne), leur nouveau documentaire, « Un rêve américain » qui rappelle, pour ceux et celles qui l’auraient oubliée, la dimension continentale de la civilisation canadienne-française.

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Je l’avais déjà vu, en octobre dernier, mais dans une petite salle stérile (Benoît-Pelletier) du Centre de la francophonie des Amériques, en compagnie d’un petit groupe de « spécialistes » de l’Amérique française—ou comme je préfère dire—de la Franco-Amérique. Il était bien meilleur la deuxième fois! J’ai demandé à Claude Godbout pourquoi et ce cinéaste de grande renommée (Les Ordres, Les Bons Débarras) m’a répondu en toute simplicité que c’était avant tout à cause de l’effet de la salle et du public, car nous étions dimanche 175 cinéphiles dans ce qui est peut-être la plus belle salle de spectacle de la ville de Québec, l’ancienne chapelle du Petit Séminaire.

« Un rêve américain » est un « road movie » mettant en vedette le musicien originaire de Lafontaine, en Ontario, Damien Robitaille, qui part de Montréal à la rencontre des Franco d’Amérique—un peu comme j’ai fait en 2003 pour entamer la production d’un petit livre intitulé Voyages et rencontres en Franco-Amérique, mais lui, appuyé par une modeste équipe cinématographique de haut calibre. Son chemin est pas mal différent du mien, mais il y a quand même des croisements importants, notamment au Missouri où celui qui figure sur la page couverture de notre livre Franco-Amérique, Kent Beaulne, occupe une place de choix dans le film.

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Kent Bone/Beaulne chez lui à la Vieille Mine, au Missouri

Robitaille, assumant un air plutôt naïf, quitte Montréal par une belle journée d’automne. Après avoir traversé un plan d’eau important—j’ai dû mal à comprendre lequel car il n’y en a pas dans la direction qu’il emprunte—arrive à Waterville, dans le Maine, où il rencontre un groupe de Franco-Américains d’un certain âge réunis pour parler français. Ils lui racontent leurs histoires de famille. De là, il se rend à Lewiston, destination de prédilection pour des milliers et milliers de Beaucerons à l’époque de l’exode. Dans une usine de filature abandonnée, il jase avec Bob Roy qui représente la génération en perte de la langue française. Monsieur Roy, un homme d’affaires, relate, tantôt en anglais, tantôt en français, non pas autant la misère et les épreuves des Franco-Américains en sol américain que les défis auxquels ils ont eu à faire face et leurs réussites. À Boston, Damien raconte quelqu’un de son âge, Adèle Saint-Pierre, qui parle couramment français, mieux de son propre aveu que Damien qui, dans son adolescence, a failli abandonner sa langue maternelle et s’assimiler tout simplement!

Du nord-est des États-Unis, le voyageur dirige ses pas vers le Mid-west, vers le Michigan, où l’héritage canadien-français est partout inscrit au paysage. Ce patrimoine saute aux yeux! La rencontre à Détroit, avec Suzanne Boivin-Sommerville et Gail Moreau-Desharnais, toutes deux de la Detroit Historical Society, est particulièrement poignante. Elles ont la carte du Québec en tête et situent avec précision les lieux d’origine de leurs ancêtres.  J’aurais donc aimé que ces deux-là assistent à ma conférence prononcée à Détroit le 4 octobre dernier, mais il paraît que le mot ne s’était pas donné!

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Suzanne et Gail, avec Damien

C’est au Michigan, près de la rivière au Sable, parmi les « lumberjacks » que Damien entendra parler de Paul Bunyan et fera de lui son Saint-Christophe, installant son effigie sur le « dash » de son « char ». Pour les  fins de ce documentaire, cette figure mythique prend son origine chez les bucherons canadiens-français de la région.  C’est une théorie, Damien le dit bien. « Bunyan », il s’agirait là d’une vulgarisation réductrice des deux mots « bon Jean ». Notez bien que l’on m’a déjà dit que cela venait plutôt, à cause des mœurs de ce géant, de « bon à rien »! Peu importe, la légende de Paul Bunyan, que celui-ci soit Canadien français ou Suédois, comme le prétendent les bons citoyens d’origine suédoise à Bemidji, au Minnesota, où se trouve une autre énorme statue du bonhomme, s’est propagée partout aux États-Unis. Elle se prête bien à la quête de Damien Robitaille.

Le voyageur des temps modernes, accompagné de Philip Marchand, auteur de Ghost Empire : How the French Almost Conquered North America, fait une saucette à Chicago, fondée par Jean-Baptiste Pointe du Sable, et passe ensuite à travers le pays des Illinois, aboutissant à Sainte-Geneviève, sur le Mississippi, sans nous montrer les plus beaux exemples d’architecture coloniale française aux États-Unis qui s’y trouvent.

Au piedmont des montagnes aux Arcs (Ozarks), à une centaine de kilomètres au nord-ouest,  à la Vieille Mine, c’est la fête, un « bouillon » chez la famille de Kent Beaulne qui montrera à Damien les fours à pain de sa propre fabrication. La construction est basée sur ses observations réalisées à l’Ange-Gardienne et à Château Richer, autrement dit sur le Chemin royal entre Québec et Sainte-Anne-de-Beaupré. En faisant écouter à son visiteur la guignolée chantée par Natalie Villmer et en lui montrant les pierres tombales au cimetière de la Vieille Mine, Kent répondra à la question tant de fois lui posée :  « pourquoi parles-tu encore français?»  Laconiquement: « Parce que je fais l’effort ». Il pourrait ajouter « parce qu’elle est mienne »!

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Pierre tombales (Pashia=Pagé, Degonia=Desgagnés, Osia=Auger, Courtaway=Courtois)

Poussée vers l’Ouest. Le Wyoming : découverte des Robitaille dans le bottin téléphonique de Casper. Le Montana, gouverné tout récemment (1993 à 2001) par Marc Racicot : rencontre avec les Lozeau, couple métis, qui explique la présence de Canayens dans la région lors de la ruée vers l’or, et une autre au Palais de justice de Missoula avec le juge Robert « Dusty » Deschamps. Celui-ci dévoile son arbre généalogique bien garni de patronymes d’ici.

Après le Montana, je m’attendais à ce que Damien traverse les Cascades afin d’explorer l’Orégon si riche en patrimoine canadien-français, et de renouer avec les Pambrun, Jetté et Gervais, mais hélas le budget du film commençait à s’effriter. Il fallait bien le terminer et ils ont choisi pour le faire la Californie, qui, elle aussi, possède un passé marqué indélébilement par les Français et Canadiens français. Après s’être baigné dans les eaux du Pacifique à Santa Monica, c’est sur le sommet du Mont Rubidoux, près de Riverside, que Damien Robitaille rencontrera Art Robitaille et sa famille de motards. Originaires de Putnam, au Connecticut, ceux-ci ont, à leur façon, réalisé le « rêve américain ».

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En philosophe…en parlant des racines communes des Robitaille d’Amérique, Art exprime la satisfaction d’avoir « created something to be proud of ».

De leur côté, Claude Godbout et Bruno Boulianne peuvent être fiers de ce film qu’ils ont créé. À mon avis, les Québécois qui l’auront vu ne pourront plus jamais voyager en Amérique du Nord de la même façon. Ils devront obligatoirement mieux saisir l’ampleur et l’importance des gens de la Vallée du Saint-Laurent dans l’histoire  et le peuplement de ce continent!

Je l’ai souvent dit, le Québec est une mère patrie pour une population deux fois et demie plus grande que la sienne. Nous en rendons-nous compte? Comprenons-nous la portée d’une telle affirmation?

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Petit velours personnel:  dimanche après la projection, Martin Morneau et sa conjointe se sont présentés à moi en se disant fidèles lecteurs de ce blogue. Merci à vous deux! Merci à vous tous, où que vous soyez, qui me lisez

 


Canada, un drôle de titre pour un excellent roman

Le 7 novembre dernier, écrivant dans Le Devoir, Gilles Archambault se réjouissait du choix du romancier américain, Richard Ford, comme récipiendaire du prix Femina étranger pour son roman Canada. Préférant ne pas lire en traduction (Éditions de l’Olivier en France et chez Boréal au Québec), j’ai attendu mon arrivée aux États-Unis le 12 décembre pour m’offrir ce livre en cadeau de Noël, d’autant plus que je voulais le lire dans son contexte, le coin sud-ouest de l’Utah n’étant pas si différent, à bien des égards, des vastitudes vides du Montana et de la Saskatchewan où l’action du roman se situe. Premier attrait de ce livre en ce qui me concerne, c’est que l’histoire se déroule en 1960, l’année de mes 16 ans, à seulement 900 km de chez moi, et que le protagoniste principal et sa sœur jumelle, Dell et Berner Parsons, enfants d’un couple dysfonctionnel habitant Great Falls, dans le Montana, ont 15 ans. Deuxième attrait pour moi, c’est que le roman raconte une expérience immigrante qui pourrait, à prime à abord, ressembler à la mienne, celle d’un Américain choisissant de poursuivre sa vie au Canada.

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En bref, Canada raconte une tragédie familiale. Pour renflouer leurs finances familiales déclinantes, Bev Parsons, appuyé de son épouse, Neeva, décide d’aller dans un minuscule village du Dakota du Nord braquer une banque. Le couple finira ses jours en prison où Neeva, après avoir laissé un journal personnel de ses échecs, mettra fin à sa vie. L’on n’entendra plus parler du père. Ne voulant pas que ses enfants soient livrés à eux-mêmes, Neeva, avant d’être incarcérée, s’entend avec une connaissance, Mildred Remlinger, de faire en sorte que les enfants soient conduits de l’autre coté de la frontière, en Saskatchewan, où ils seraient pris en charge par un mystérieux exilé américain, Arthur Remlinger, frère de l’autre. Berner, fille indépendante, têtue et brave, prend la clé des champs. Elle rêve de San Francisco. C’est l’époque de « peace and love ». Dell, timide, studieux et surtout obéissant, suit la volonté de sa mère. Les jumeaux ne reverront plus jamais leurs parents.

Le récit suivra la vie de Dell qui devra s’adapter à son nouveau pays dont il ne sait rien. Le processus n’est pas facile. Les gens portent en eux des valeurs différentes. La ruralité de la Saskatchewan est envahissante, le climat est changeant et rude. Dell vit presque en otage! Comme Archambault le dit dans son article : il s’agit à la fois d’un récit initiatique convaincant et d’une chronique d’un pays, les États-Unis, aux prises avec la violence.

Bien que son tuteur attitré soit Arthur Remlinger, c’est le Métis, Charley Quarters, qui s’occupe de lui, qui dirige ses premiers pas, qui lui révèle les secrets de son nouveau pays, qui lui parle du drame de son peuple et de Louis Riel. Et c’est la copine de Remlinger, Flo La Blanc [oui, La Blanc, au lieu de Le Blanc], dont l’origine n’est jamais précisée, qui viendra à sa rescousse et réorientera sa vie au Canada par l’envoi du jeune chez son frère à Winnipeg. Celui-ci l’inscrira dans une bonne école catholique de l’endroit.

Dell Parsons se posera souvent la question « retourne-je aux States, oui ou non », mais en fin de compte il ne vivra plus aux États-Unis. Il se contentera de l’observer de Windsor où, en tant que professeur d’université, il enseignera pendant une trentaine d’années à ses étudiants de se projeter en dehors d’eux-mêmes et de regarder plus loin que le bout de leur nez. Reverra-t-il sa sœur? Qu’est devenue cette « hippie », cette sœur aux tâches de rousseur, plus vielle que lui de six minutes, qu’il aimait tant? Ce n’est qu’à la toute fin du livre, dans deux chapitres extrêmement touchants que nous le découvrons. Deux parcours si différents l’un de l’autre. Deux destins divergents. Deux pays qui se ressemblent…oui, mais avec de grosses nuances.

Tout au long de ma lecture, je cherchais dans ma tête un autre titre pour ce livre, car Canada n’évoque en rien la réflexion philosophique et existentielle qui sous-tend le récit et ne reflète que très partiellement son contenu. La beauté de ce roman, selon Archambault, oppose sans concession la naïveté et la résignation contenue d’un adolescent à la brutalité du monde. Bien d’accord avec lui, mais l’adolescent grandit, il devient homme et à la fin du récit, en tant que septuagénaire, rend un bilan sur des questions graves de la vie, du bonheur, de la solitude et de la survie.

 


Rencontrer l’Autre chez soi: le documentaire Québékoisie

Hier (mardi), je devais passer ma journée dans l’avion entre Québec et Las Vegas, avec escale à Philadelphie. À 8h30, quatre heures avant l’envolée, le téléphone cellulaire sonne. Voix enregistrée m’informant gentiment que le vol US Airways 4055 est annulé : « l’équipement n’a pu se rendre » et me priant d’appeler un numéro 800 pour changer mon itinéraire. Puisqu’il faisait assez beau à Québec, j’ai conclu que le CRJ (Canadair Regional Jet fabriqué par Bombardier) était collé au sol dans la ville de l’Amour fraternel. Une vérification sur internet des vols en partance de Québec confirma :

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Trois heures plus tard, après avoir fait la file téléphonique tout ce temps, j’apprends qu’en raison de la tempête ayant balayé le « Middle Atlantic » dimanche, et de la réaffecation des places dans les avions, je ne pourrai poursuivre mon voyage que jeudi matin. Des casinos, des spectacles et des bordels doivent attendre mon arrivée tardive!

Non, mais sérieusement, je ne vais à Las Vegas ni pour joueur, ni pour m’amuser ni pour me distraire de quelque manière que ce soit. J’y resterai seulement le temps de monter dans la navette me conduisant les 150 km qui séparent la Capitale du jeu de la petite ville tranquille de St. George, en Utah, là où je passerai les deux prochains mois en espérant vous y faire, à l’occasion, de petits reportages intéressants. Vous vous souvenez, n’est-ce pas, de ceux de l’hiver dernier et de l’hiver 2011?

Alors, hier en après-midi, me trouvant devant rien, quoi faire? Le cinéma, pourquoi pas? Je scrute les films à l’affiche aux deux seuls cinémas que je fréquente à Québec. Entre Le démantèlement, au Clap, et Québékoisie, au Cartier, je choisis le dernier. Je ne regretterai pas.

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Documentaire tourné par deux jeunes voyageurs et cinéastes de Québec, Olivier Higgins et Mélanie Carrier, qui, ayant parcouru le monde à la recherche et à la rencontre de l’Autre, retournent chez eux pour découvrir des « autres » dont ils ignoraient l’existence et dont ils n’avaient jamais eu le plaisir d’entendre la sonorité de la langue. Il s’agit bien sûr des onze « premières nations » qui parsèment le territoire québécois.

Higgins et Carrier enfourchent leurs vélos à Sainte-Foy ou à Charlesbourg—il n’est pas dit et toutes les banlieues se ressemblent—et empruntent la 138 jusqu’au bout…Natashquan. À Baie-Saint-Paul, rencontre avec un « pure laine » en moto qui les met en garde contre les « sauvages » qu’ils vont rencontrer et dont il se méfie énormément, même s’il n’en a jamais rencontrés. « D’autres m’en ont parlé, » dit-il.

À Pessamit, des rencontres émouvantes avec de jeunes Innus tels que Isabelle Kanapé et Malcom Riverin. À Malitenam, cueillette de fruits sauvages avec des Innues d’un certain âge, Anne-Marie et Evelyne Saint-Onge qui, avec leur sœur, Fernande, organisent partout au Québec des ateliers dans les écoles dans le but faire valoir leur culture ancestrale et de contribuer à une meilleure compréhension entre les peuples. À Sept-Îles, découverte de la fameuse lisière de la forêt abattue qui sert d’écran pour séparer les quartiers nouvellement aménagés de la ville et de la réserve!

Mais ce court documentaire (1h18) est plus qu’un « road movie ». Il intègre les propos colorés  et mordants de Serge Bouchard et de Pierrot Ross-Tremblay, anthropologue et sociologue bien connus au Québec, qui dénoncent les idées reçues et rejettent de manière non équivoque la version « officielle » de l’histoire de ce pays qui nie le métissage et continue à promouvoir la notion de « deux peuples fondateurs ».

Lors de la Crise d’Oka en 1990, Higgins et Carrier n’étaient que des gamins. Ils n’en gardent que de vagues souvenirs. Comment un quart de siècle plus tard, revivre le moment afin de mieux comprendre les tensions de l’époque et de suivre leur évolution depuis. Ils se rendent à Rigaud rencontrer la sœur du caporal Marcel Lemay, membre de la Sureté du Québec, qui a perdu la vie lors de la confrontation. Madame Lemay leur raconte son calvaire et sa réconciliation qu’il lui a fallu un retour à Kanestake, à la pinède, là où son frère est tombé sous les balles. Il lui a fallu forger des liens d’amitiés et de respect avec des membres de la communauté mohawk dont elle ne savait absolument rien avant la tragédie.

La question identitaire semble être autant présente chez les autochtones que chez les allochtones. Deux exemples, tirés de Québékoisie servent à illustrer :

Enoma Awashish, peintre atikamekw et autochtone, en amour avec un Québécois (allochtone). Ils lient leur destin. Ils auront des enfants. Que (Qui) seront-ils? Elle en parle.

Marco Bacon, Innu, se rend à Caen, en Normandie, et y découvre que l’ancêtre qui lui a laissé son nom était Normand. Doit-il en être fier ou en avoir honte? Car dans les milieux autochtones, l’idée d’avoir des ancêtres européens n’est pas particulièrement bien vue. Toutefois dit Bacon « les ancêtres nous permettent de comprendre l’histoire, mais la communauté nous aide à la bâtir ».

Québékoisie arrive pile dans le contexte des débats sur la « charte des valeurs ». Mélanie Carrier trouve « indécent » que la voix des Premières Nations n’y soit pas entendue. Laissons trancher Serge Bouchard dont la voix mélodieuse et sûre fait appel au gros bon sens : « Notre avenir, c’est non seulement de récupérer nos liens avec les Premières Nations, mais que les Autochtones eux-mêmes redeviennent fiers, que nous, on devienne fiers de danser avec eux. C’est exactement le même raisonnement avec l’immigration ».

Alors, demain, si Dieu le veut, comme le dit si bien Evelyne Saint-Onge dans le film, je décollerai de l’aéroport Jean-Lesage à 6h20. Grâce à cette malheureuse annulation de vol, je me serai assagi et vous aurez eu le plaisir de lire ce billet!

 


« Écrire au féminin »: commentaires sur une soirée littéraire

Tenue à la chapelle du Musée de l’Amérique francophone—nouveau nom mal choisi pour rebaptiser le Musée de l’Amérique française—la série « Les Amériques littéraires » convie, pour une deuxième année de suite, le public à explorer et  à découvrir la littérature de langue française produite en Amérique et à dialoguer avec ses artisans. Hier soir, trois écrivaines de marque, se sont réunies autour du thème « L’écriture au féminin » afin de  poursuivre la réflexion sur l’espace de plus en plus grand, mais encore limité, qu’occupe la femme dans la littérature nord-américaine d’expression française. Il s’agissait de France Daigle de Moncton, de Madeleine Gagnon, originaire d’Amqui avec laquelle elle maintient des liens étroits et résident de Montréal, et de Christine Eddie, Française de naissance, Acadienne d’adolescence et Québécoise de Québec depuis 30 ans. La soirée fut animée par Bernard Gilbert.

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L’animateur a amorcé la discussion en invoquant la notion de « révolution ». Selon lui, il s’est produit au cours des années 1970 une révolution dans le domaine littéraire, alors que les femmes se faisaient de plus en plus remarquer par la quantité et la qualité de leur production littéraire. Parmi les combattantes de première ligne se trouvait Madeleine Gagnon. Or, Mme Gagnon n’a aujourd’hui rien d’une « combattante révolutionnaire ». Au contraire, son discours est d’une douceur et d’une humilité remarquables. Cette « révolution », selon elle, cherchait justement à remplacer les rivalités entre les femmes, à développer de la tendresse et de la solidarité entre elles et à créer un esprit de collaboration. Dans son autobiographie, Depuis toujours, publiée cette année chez Boréal que je n’ai pas encore lue, mais dont il était beaucoup question tout au long de la soirée, Madeleine trace à la loupe son cheminement au sein d’une société en pleine ébullition, d’une petite fille de campagne, l’une parmi 19 enfants, à une des voix fortes du féminisme québécois. Ne sachant pas comment terminer son livre, Gagnon fabule, en guise de conclusion, une fable qui est en réalité une ode à la femme, mais pas juste à la femme, à tous ceux et celles qui luttent pour l’égalité entre les êtres humains. « La Terre est mon jardin », exclame-t-elle.

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Si Madeleine Gagnon est de la première génération de combattantes, France Daigle et Christine Eddie, en raison de leur âge, nées respectivement en 1953 et 1954, seraient de la deuxième, sauf que Daigle ne participe pas activement au combat. Elle a peur d’être enfermée dans une littérature féminine. « Tout ce que je voulais, dit-elle, c’était d’écrire ». Auteure de plusieurs ouvrages, il fut surtout question ici de Pour sûr, grosse brique publiée chez Boréal en 2011, dans laquelle elle a investi dix ans de sa vie. Roman peu orthodoxe comptant plus de 1 000 pages divisées en 1 728 « fragments », le chiffre 12 ayant une signification particulière (12x12x12=1 728), il intègre dans ses dialogues les « parlures » de Moncton, y compris le chiac. D’ailleurs, selon France Daigle, il serait impossible de rédiger un vrai roman acadien modern sans faire appel à ce « dialecte », honni par les uns et vantés par les autres. Dans ses ouvrages précédents, elle avait justement évité de se servir de dialogue en raison de l’interdit du chiac. À l’intervention de Bernard Gilbert qui insistait qu’Antonine Maillet avait écrit le chiac, Daigle a répondu, « non, ce n’est pas là le chiac » ! Le chiac est le produit du frottement du français acadien à l’anglais. Ce n’est pas cela qui figure dans l’œuvre d’Antonine.

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Avant d’avoir été sollicitée  à prendre la parole par l’animateur, Christine Eddie était intervenue dans la discussion pour affirmer haut et fort que tous ceux et toutes celles qui aiment la langue française se doivent de lire Pour sûr.  Elle l’avait lu en deux jours et demi. Elle lit vite !!

Mme Eddie dont la formation littéraire est surtout néo-brunswickoise avoue avoir commencé à écrire sur le tard. Grande lectrice depuis toujours, elle était « terrorisée », par l’écriture. Cela a pris des années de réflexion, de lecture et une grosse peine d’amour pour la mettre en marche. En 2007, chez Alto, parut Carnet de Douglas et en 2011 Parapluies. Cœur de crevette est en bonne voie et deux autres romans lui trottent dans la tête. Pour elle, la forme du roman est plus importante que le fond. Le lyrisme prend le dessus. Carnets de Douglas et Parapluies se lisent comme des poèmes. L’importance pour Christine Eddie de la poésie s’est manifestée lorsque, de sa bouche, est sortie la perle de la soirée : « Une écriture nationale ne peut naître que si on a des poètes ! »

Il n’y a pas si longtemps, lorsque Madeleine Gagnon avait l’âge des jeunes écrivaines telles que Sophie Létourneau ou Olivia Tapiero, on ne reconnaissait ni la littérature québécoise, ni la littérature acadienne. À peine parlait-on de littérature canadienne-française qui comprenait des éléments embryonnaires des deux. Ce soir, certains membres de l’auditoire ont pu découvrir l’une ou l’autre et d’autres ont pu les explorer plus à fond. Personne dans la salle n’a pu malheureusement dialoguer avec les trois invitées, faute de temps. C’est dommage ! L’animateur, aussi compétent soit-il, prenait trop de place, parlait trop, lisait inadéquatement des extraits des livres de Gagnon, Daigle et Eddie. Qui mieux que France Daigle pour lire ses propres textes. Le public aurait pu se rendre compte de la complexité du registre linguistique acadien, apprécier la sonorité de l’accent acadien et sourire à l’écoute du chiac.

Enfin, il manquait une chaise à la table, celle qui aurait dû être occupée par une écrivaine de la troisième génération, quelqu’un de l’âge et de la trempe des Mmes Létourneau et Tapiero