Témoignages de Québécois « louisianisés »

Il y a 40 ans, je me suis lié d’amitié avec Marc Boucher. Depuis, nos chemins se sont croisés à plusieurs reprises. À l’époque, ce Montréalais poursuivait ses études à l’Université du Maine avant d’y devenir professeur. Par la suite, il est entré dans la fonction publique québécoise, occupant tour a tour, sur une période de trente ans, des postes clés dans le « corps diplomatique québécois » : Lafayette, Atlanta, Washington, Londres, Los Angeles et Chicago.

Le croisement de chemin le plus récent eut lieu vendredi dernier dans le cadre du Grand Réveil Acadien à Lafayette où nous nous réunissions, lui et moi, pour faire part à la multitude rassemblée de nos expériences respectives en Louisiane, lui en tant que « diplomate », moi en tant que chercheur. Seulement, il n’y avait pas multitude, à peine 20 personnes, des centaines, sinon des milliers d’autres, étant éparpillées à divers ateliers, conférences et expositions ayant lieu en parallèle. Qu’à cela ne tienne, nous avons eu du plaisir à rendre témoignage de l’impact que le pays des Cadiens avait eu sur nos vies professionnelles et personnelles respectives en insistant sur les liens d’amitié forgés entre la Louisiane et le Québec à cette période charnière.

Ma présentation portait le titre : « Projet Louisiane  (1976-1979): genèse, réalisations et retombées » ; celle de Marc : « The Rise and Fall of the Québec Delegation in Lafayette ». La première rappelait l’existence d’un projet de recherche marquant subventionné par la Fondation Ford. Celui-ci avait réuni de jeunes chercheurs québécois et louisianais sous la direction de professeurs canadiens dans le but d’explorer l’état de la francophonie louisianaise dix ans après la fondation en 1968 du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL). L’un des jeunes Louisianais—moins jeune aujourd’hui—s’est joint à moi pour illustrer qu’un bon projet ne meurt jamais car nous avons depuis la belle époque du Projet Louisiane maintenu des relations soutenues avec Glen Pitre, cinéaste chevronné (https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2014/12/18/glen-pitre-pere-du-cinema-cadien-et-ami-de-longue-date/).

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Glen, Dean, Marc

La deuxième portait sur le contexte et les raisons de l’établissement d’une délégation du gouvernement du Québec à Lafayette et sur les facteurs, surtout financiers, qui ont contribué vingt ans plus tard à son démantèlement.

Glen Pitre prit la parole pour commenter une cinquantaine de ses photos prises en 1978 dans le cadre des recherches du Projet Louisiane. En voici cinq exemplaires.

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La séance fournissait l’occasion de retrouver certains collaborateurs et collaboratrices d’antan dont Amanda Lafleur et David Marcantel qui continuent à être au cœur du Mouvement français en Louisiane. Leur militantisme est sûr, solide et de durée infinie.

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Quelques instants avant nos prestations dans le grand hall B du CajunDome, un groupe de « jeunes militants » firent irruption : un mélange de Tintamarre et Mardi gras. Ce sont les jeunes de l’École primaire Prairie, école d’immersion la plus connue et, sans doute, la plus réussie en Louisiane, qui nous rappelaient à leur façon l’arrivée en Louisiane il y a 250 ans exactement, des premiers réfugiés acadiens.

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Un autre qui souligne de façon magistrale cet anniversaire important est Zachary Richard qui, la veille, à l’Acadiana Center for the Arts, devant salle comble, présenta un spectacle fort dynamique axé sur musique et multi-média, « Attakapas : Story of the Cajun People ».  Il serait bon que tous les « fans » de Zachary au Canada aient l’occasion d’assimiler le médium et le message d’Attakapas ».

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Si j’ai bien compris, une version canadienne du spectacle est prévue, mais j’ose affirmer que ce ne sera jamais comme voir Zachary aborder ce thème dans les confins de sa Louisiane natale !

 


Sainte-Geneviève, Missouri : trésor architectural de l’époque coloniale française

Sainte-Geneviève compte aujourd’hui environ 12 000 habitants. Il est le plus ancien village du Missouri, ayant été fondé par des Canadiens français en 1737. Il est parmi les plus anciens lieux d’habitation à l’ouest du Mississippi et au nord de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs, bien avant Saint-Louis, il constituait le chef lieu de la Haute Louisiane. Au moment de sa fondation, Sainte-Geneviève formait un des trois points d’un triangle enjambant le Mississippi, les autres étant Fort de Chartre et Kaskaskia, en Illinois. À partir de ce triangle, la France exerçait son contrôle sur le « Pays des Illinois ». Tout a basculé en 1763 avec la signature du Traité de Paris mettant fin à la guerre de Sept Ans qui a eu pour effet la cession de tous les territoires à l’est du Mississippi à la Grande-Bretagne.

Sainte-Geneviève se trouvant à l’ouest du grand fleuve connut à ce moment-là une augmentation rapide de sa population, les Canadiens et Créoles provenant de l’est qui ne désiraient pas vivre sous le drapeau britannique. Peu de temps après, ceux-ci apprennent le passage de Saint-Geneviève sous contrôle espagnol. L’influence espagnole demeurera minimale. La langue et la culture françaises continueront à dominer jusqu’au moment de la rétrocession de la Louisiane par l’Espagne à la France et de sa vente par la France aux États-Unis en 1803.

À partir de ce moment-là, le caractère ethnique de Sainte-Geneviève changera rapidement sous l’influence d’une forte émigration allemande. Malgré tous les aléas de l’histoire, de nombreuses maisons érigées et habitées par les Canadiens et Créoles sont encore visibles. En voici trois :

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La maison Bolduc

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La maison Ménard et Vallé

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La maison Marie Laporte

Ce n’est qu’un petit échantillon du trésor architectural et patrimonial qui est Sainte-Geneviève.


Fête d’automne à la Vieille Mine

Depuis 1977, existe l’OMAHS (Old Mines Area Historical Society). Son but est la préservation et la promotion de la culture et du patrimoine des Français et Canadiens qui ont peuplé le corridor qui est la vallée du Mississippi. La Vieille Mine fait partie du premier territoire peuplé de l’État du Missouri remontant au XVIIe siècle lorsque le gouvernement français octroyait à Philippe François Renault une vaste superficie à l’ouest du Mississippi au pied des Montagnes aux arcs (Ozarks). Il s’agissait d’un prolongement outre fleuve de ce que l’on appelait à l’époque « Le pays des Illinois ». C’est en 1836, après avoir été passées à l’Espagne (1763-1799) et achetées de la France par les États-Unis (1803), que ces terres furent cédées à 31 familles par le gouvernement. Elles forment aujourd’hui « the Old Mines Concessions » sur lesquelles bon nombre des descendants de ses premiers habitants continuent à vivre.

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Depuis une vingtaine d’années, ces gens, leurs amis et leurs voisins se réunissent le premier dimanche du mois d’octobre pour souligner leur présences en terre d’Amérique : « 300 ans et on est toujours icitte ». Voilà matière à célébration !

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Les participants se rassemblent autour d’un kiosque de musique, fabriqué par Kent Beaulne. Dennis Stroughmatt et son groupe L’Esprit créole tiennent la foule en haleine pendant des heures, entonnant en français de vieilles chansons de la région et, à l’occasion, des « tounes » en anglais à saveur bluegrass. Stroughmatt n’a rien de Français, sauf son âme. C’est sans doute l’aspect la plus important! Natif de la région, il a découvert la culture franco des Pays des Illinois et l’a faite sienne. Il a appris le français et vient régulièrement au Québec se ressourcer. À ma grande surprise, il s’est aperçu de moi circulant dans la foule  mon petit drapeau du Québec au bout des bras, et a crié au micro « Hé, le drapeau du Québec [pause]…mais n’es-tu pas Dean Louder ? On se connaît ! » Ému, je lui ai offert mon drapeau qu’il a mis bien en évidence avec les trois autres se trouvant sur des mâts.

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À l’époque des concessions, les ancêtres s’installaient dans les petites cabanes en rondins dont plusieurs, comme celle-ci, ont été déménagées et regroupées sur les lieux de la fête.

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Aujourd’hui, jour de fête, ils fréquentent les diverses expositions d’artisanat, d’alimentation et de généalogie.

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Il y en a bien sûr pour les enfants. À l’ancienne, le vieux pépère Thibo (Thibeaux, Thibeau, ou Tibo) apprend aux jeunes à faire de la corde..

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En fin de journée, les résultats du tirage seront annoncés. Le ou la gagnant(e) recevra ce magnifique couvre-lit fait à la main et orné d’une douzaine de fleurs-de-lys.

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À plusieurs reprises, ici même, j’ai raconté mes aventures à la Vieille Mine.

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2005/03/07/retour-a-la-vieille-mine-mo/

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2012/11/12/deux-journees-memorables-au-missouri-et-au-kansas/

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2012/11/21/journee-memorable-au-missouri-suite/

Je ne suis plus le seul.

http://courrierdefloride.com/2015/04/05/la-vieille-mine-un-village-francais-perdu-dans-le-missouri-etats-unis/

http://www.npr.org/2014/09/23/349853440/saving-a-french-dialect-that-once-echoed-in-ozarks

https://www.youtube.com/watch?v=cRDN5Axs-DI


Jesse Dubois, ami d’Abraham Lincoln

Springfield, en Illinois, est la ville d’Abraham Lincoln, c’est bien connu.

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Maison de Lincoln à Springfield

Ce qui l’est moins, c’est que l’un de ses voisins, bons amis et organisateurs politiques s’appelait Jesse K. Dubois dont le père, Toussaint, est né à Montréal. La relation entre Jesse et Lincoln, fut telle qu’à la suite de l’assassinat du président et lors de son enterrement, Jesse fut l’un porteurs du cercueil.

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Maison de Jesse Dubois à Springfield

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Toussaint Dubois est né à Montréal le 8 octobre 1762, fils de Charles Quintin dit Dubois et Cécile Couvret. Jeune, il s’est joint aux forces de la nouvelle république des États-Unis en émergence. La légende veut qu’il se soit battu du côté du héros français, le Marquis de Lafayette, mais rien n’est sûr. Ce qui est certain, c’est qu’après la Geurre de l’indépendance, il s’est pointé à Vincennes, en Indiana, où il devint coureur de bois et commerçant. Il s’est marié en premières noces à Jeanne Bonneau. Ils eurent quatre fils et une fille. Jeanne vit le jour à Vincennes en 1770 et y décède en 1800. Cinq ans plus tard, Toussaint se marie avec une Anglo, Jane Baird, qui lui donnera trois autres fils, dont Jesse le 22 novembre 1811. Toussaint décède accidentellement en 1816.

Quant à Jesse, après des études, il se lance en politique, étant élu à l’Assemblée de l’Illinois en 1834. Il sera réélu pour un mandat de deux ans en 1836, 1838 et 1842. C’est en 1837 qu’Abraham Lincoln s’établit à Springfield, capitale de l’Illinois, et lance sa carrière d’avocat. Les deux, Jesse et Abe, se voisinent et s’entraident pendant de longues années.

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Chariot de campagne électorale se trouvant devant la maison Dubois à Springfield

En 1860, Dubois participait vivement à la campagne présidentielle de son illustre collaborateur, sans doute dans l’espoir de pouvoir profiter du patronage de Lincoln, une fois élu, pour obtenir un poste prestigieux à Washington. Or cela ne s’est jamais réalisé. Après la disparition de Lincoln, Jesse s’est souvent plaint d’avoir tant donné à Monsieur Lincoln sans rien recevoir en retour.