Heureux jour…jour heureux: transformer son blogue en livre!

Les lecteurs assidus de ce carnet, aimeraient peut-être savoir que le 2 avril prochain paraîtra aux Éditions du Septentrion un nouveau livre, Voyages et rencontres en Franco-Amérique, qui récapitule et condense une décennie de mes déplacements à travers l’Amérique du Nord à la recherche de communautés francophones et de personnages qui en font partie.

https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/catalogue/livre.asp?id=3554

Le livre contient 69 des 322 billets inscrits au carnet. Neuf d’entre eux ont été rédigés dans les provinces de l’Atlantique, 21 dans le sud des États-Unis (surtout, mais pas exclusivement, en Louisiane), 8 dans le Midwest américain, 4 dans le nord-est des États-Unis, 12 dans l’Ouest américain, 10 dans l’Ouest canadien et 4 en Ontario. Un seul, le premier, a été écrit au Québec. Ils sont divisés en huit chapitres, chacun correspondant à un itinéraire emprunté dans le but de dévoiler la face cachée de la présence francophone en Amérique. Le texte qui compte 265 pages est amplement illustré de 89 photographies.

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Les itinéraires

Le 2 avril 2013 sera un jour heureux pour l’auteur qui tient à reconnaître l’expertise des amis et collègues chez Septentrion pour l’aide apportée à l’édition. En plus du directeur général de la Maison, Gilles Herman, je pense aux personnes suivantes : Pierre-Louis Cauchon, Sophie Imbeault, Marie-Michèle Rheault et Éric Simard.

Pour vous qui êtes de la région de Québec, nous espérons vous voir au Salon International du livre qui aura lieu du 10 au 14 avril 2013 au Palais des congrès.


Un bijou trouvé dans le « Gem State » : Mountain Man

Tout comme le Québec est « la belle province », l’Idaho est le « Gem State ». C’est écrit sur les anciennes plaques d’immatriculation! C’est aussi un État imprégné et empreint de la présence autrefois des voyageurs et coureurs de bois. Jean-Baptiste, fils de Toussaint Charbonneau et Sacagawea, est enterré à 100 km de Boise, capitale de l’Idaho (dans le comté de Malheur, en Orégon), cet État parsemé de toponymes français : Cœur d’Alène, Nez Percé, Pend d’Oreille, Montpelier, Payette et, bien sûr, Boisé, pour ne nommer que ceux-là.

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Capitole à Boisé

Cela ne devait donc pas être surprenant que je découvre dans une obscure librairie du quartier Hyde Park, secteur historique de la capitale, un livre d’un rare intérêt pour qui s’intéresse à la Franco-Amérique.

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Librairie Hyde Park

Il s’agit de Mountain Man publié en 1949 en édition limitée à Caldwell, en Idaho.

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Son auteur, Verne Bright, tout comme Henry Wadsworth Longfellow l’a fait pour le lectorat américain de son époque par son poème épique et romantique levant le voile sur la déportation des Acadiens, « Evangeline », nous livre un récit lyrique, en 24 chapitres, sur les « mountain men », ces coureurs de bois, ces voyageurs ces remarquables oubliés de l’histoire québécoise.

C’est celui intitulé « Winter’s Tales » qui a attiré mon attention car Bright emploie, en plus de l’anglais, du français, de l’espagnol et du jargon chinook pour nous faire entrer dans l’univers de Toussaint Charbonneau, d’Étienne Provost, d’Antoine Robitaille, de François Payette et de tant d’autres de ces ouvreurs de pistes, de ces chanteurs de la nature et de ces pagayeurs et marcheurs d’un continent en devenir qui, sans eux, ne serait vraisemblablement pas devenu ce qu’il est aujourd’hui.

Ici, je vous livre des extraits de « Winter’s Tales », faites-en un festin, enjoy, buen provencho.

              Old Batiste gazed

From the cabin door and talked of long ago :

« moi, by gar, oh, ten, twent’ year, maybe,

Long tam I leeve up Nor’land ware de snow

She’s deep lak one beeg house, vraiment! Ah oui!

She’s lak steeple, deep lak one spruce tree,

Enfant de garce! One night un carcajou

Ees come for Zhoe Zharvay. Oui, sacré Dieu!

*

The strepent scream

Of a panther split the dark. « Ah le bon dieu! »

Old Batiste swore : « Eet ees damn carcajou

Avec dat Zhoe Zharvay, mais je suis sur,

Enfant de garce! »

*

And then Batiste :

« Un beau garçon

Dat Zhoe, ah, oui! De sweet chanson

He mak en voyage. En la guerre

Avec dose Hinjun he no care

One damn for les sauvages, by gar,

Hees knife she’s lift de Hinjun’s ha’r

Or moi, Batiste, I non pas say

Eet, non. En aturefois he’s gay,

Dat Zhoe. He’s shoot de carabine

Plumb centair, oui, ah verra fine

He’s ride de cheval and hees squaw

La plus belle from Trois Fourches to Kaw…

He’s un ver’beau gran’ montagne man.

*

« Mais il est mort, m’en dit. Oh, tan,

Twelf year, long tam, maybe he’s die

En grovan fight…Mais non! Now, I, Batiste, will tell of Zhoe Zharvay.

*

« Mais, ‘vec la nuit hees stompin’ feet;

Nous ne pas hear. De storm she’s blow

Long tam. By’m-by she’s stop. De snow

She’s deep and white undair de tree.

Mais Zhoe, he’s no come : one, two, three

Days maybe, Den old trappaires cry :

‘ Vraiment, dat Zhoe Zharvey, he’s die! ‘

Dat Hinjun medicine man, he’s tol

Does stories till de blood she’s col’,

An pound hees drum. Zhoe’s squaw, she yell

Lak Cayeute. Den dos Hinjun tell

Dat Zhoe Zharvy he non come back;

He’s foller all tam black wolf track,

Nous ne pas find dat Zhoe Zharvery. »

Et cela continue. Cent quatre-vingt-neuf pages de texte—des chapitres portant des titres évocateurs tels : Hungry Heart, Fandango, Rendez-vous, Life out of Death, Land of the Evening Mirage, My Heart with Yours et Son of the Mountains.

Petit livre vendu 5$ en 1949, je l’ai payé ce matin 9$–un bijou à l’abri de l’inflation!


Kayenta, UT: fausses et vraies retrouvailles dans une communauté désertique

En novembre, au tout début de notre séjour à St. George, nous avons rencontré, lors d’un mini concert, un couple québécois nouvellement installé dans la région. Il s’agissait de M. André Fafard et Mme Suzanne Ménard, lui médecin, elle infirmière, les deux retraités (voir mon billet du 2 décembre 2012). À la suite d’un long entretien dans le stationnement, nous nous sommes quittés en nous promettant de nous revoir. Or, les retrouvailles n’ont jamais eu lieu. Je les cherche encore, ces braves gens, mais le temps commence à être court—pas pour eux, pour moi. Il se sont fait construire à Kayenta et sont en train de s’établir ici de façon semi permanente, c’est-à-dire six mois ici et six mois à Longueuil.

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Si je ne les ai pas revus, ce n’est pas parce que je ne les ai pas cherchés, au contraire. À plusieurs reprises, j’ai sillonné en auto et en vélo ce labyrinthe désertique qui est Kayenta à la recherche d’une voiture immatriculée « Je me souviens ». Ce n’était pas une perte de temps! Loin de là! Ces promenades m’ont tout de même permis de découvrir un lieu et de saisir une idée qui évoluent depuis 30 ans.

C’est à la fin des années 70 que Terry Marten, architecte et développeur de Californie, eut une vision de ce que pourrait être une communauté d’affaires et un vaste domaine domiciliaire en plein désert Mojave à 15 km à l’ouest de la ville de St. George et en bordure du somnolent village d’Ivins. Le développement et le progrès de l’endroit devaient se baser sur de solides principes écologiques. Le concept adopté fut celui de « live light upon the earth » (habiter légèrement ou harmonieusement la terre). L’aménagement de Kayenta, nom d’un ancien peuple (un sous groupe des Anasazi, ancêtres des Hopi), d’une région (la plus grande des Anasazi qui s’étendait sur une vaste portion du nord de l’Arizona, du sud de l’Utah et du coin sud-ouest du Colorado) et d’une formation géologique (faite de siltite et grès de couleurs rouge et mauve), respecte quatre grands principes : (1) construire des habitations et des commerces de profil bas, ce qui procure pour tous des vues dégagées; (2) utiliser les couleurs et les matériaux de construction qui se fondent dans le paysage; (3) employer une illumination focalisée dans le but de conserver le plus possible la noirceur de la nuit (protect the night sky); (4) préserver le paysage naturel du désert.

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Le Coyote Gulch & Art Gallery tient une grande place à Kayenta. Plusieurs galeries exposent et vendent des œuvres d’artistes locaux. On y accorde plus d’importance à la sculpture et à la poterie qu’à la production d’images.

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Le Xetava Gardens Café accueille à toute heure des friands de l’art, des amateurs du bon café et du bon thé, des gourmets, des gourmands…et surtout de vieux amis.

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C’est d’ailleurs ici que j’ai vécu des retrouvailles formidables, non pas avec André et Suzanne, des connaissances de fraiche date, mais avec Michael Drake, une fille que j’avais connue il y a 50 ans et que je n’avais pas revue depuis. Oui, Michael (à gauche dans la photo) et moi, faisions tous deux partie de la promotion de 1961 à Orem High School (en Utah). Elle et son mari, Ben, habitent aujourd’hui Crow’s Wing Drive à Kayenta.

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« Pisser sur un poteau » ou une petite Française découvre l’Amérique

Mais quelle Amérique? Celle des nomades des temps modernes, celle des caravaniers à temps plein…et celle d’une Amérique blanche!

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Un vrai délice cette étude ethnographique réalisée par Célia Forget dans le cadre de son doctorat effectué en cotutelle à l’université Laval et à l’Université de Provence sur une forme de mobilité continentale élaborée par les gens qui répondent à l’appel de la route et qui cherchent à être mobiles tout en restant chez eux. L’objectif de Vivre sur la route, version condensée de la thèse, est d’amener le lecteur en voyage à la découverte de cette population nomade. Pour mettre son étude en contexte, Forget cite les œuvres littéraires de Jack Kerouac (On the Road) et de John Steinbeck (Travels with Charley, Raisins de la colère), mais oublie celle plus près de nous de Jacques Poulin (Volkswagen Blues). Qui plus est, elle fait allusion à la myriade de voyages et de reportages entrepris à travers les États-Unis, en bus reconverti, par le légendaire journaliste télévisuel, Charles Kuralt, mais oublie ceux de l’ancien entraîneur de football professionnel, devenu commentateur sportif, John Madden qui, ayant peur des avions, préférait se déplacer de stade en stade, semaine après semaine, dans le « Madden Cruiser », un bus reconverti selon ses propres spécifications, portant l’effigie du « Joueur (NFL) de la semaine ». Malgré cette petite déficience et une défaillance linguistique que j’identifierai plus loin, Célia réussit son pari avec brio. En lisant ce petit livre captivant de 222 pages, j’avais envie, soit d’embarquer avec elle, soit de retourner moi-même là où j’ai tant de merveilleux souvenirs—sur la route

L’auteure prétend (page 100) que « la société nord-américaine, et principalement la société américaine, vit dans un climat de peur incessant entretenu par les médias ». Si tel est le cas, il faut admirer le courage de la chercheure qui, dans un premier temps, a sollicité un « lift » avec un parfait étranger, Byron, 63 ans, rencontré pour la première fois sur une halte routière en Caroline du Nord, et seule personne ayant accepté de l’accueillir à bord de son grand motorisé de douze mètres de long. Pendant deux mois, avec Byron comme guide, mentor, colocataire et ami, Célia a pu apprendre et mettre en pratique le mode de vie des caravaniers à plein temps. Dans un deuxième temps, seule, dans son propre motorisé loué pour l’occasion, elle a parcouru 14 000 kilomètres, sillonnant 21 États américains et deux provinces canadiennes, afin de pénétrer à fond et de comprendre ce monde de vagabonds de luxe. Elle est restée dans des campings, des déserts, des parc nationaux, des aires d’autoroute, des stationnements de Walmart, d’aéroport et d’hôtels et des truck stops. Alors, son expérience, comme la mienne—sur la route dans mon Safari Condo de manière plus ou moins continue depuis dix ans—contredit la thèse d’une société américaine dangereuse et violente. Elle dirait aujourd’hui, comme moi, qu’il y a « du bon monde » partout!

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Mon propre mini VR au lac Témiscouata

Entre ces deux expériences continentales de terrain, l’ethnologue avait également résidé dans un terrain de camping au nord de Montréal, auprès de caravaniers québécois dont certains se retrouveraient le long de son chemin par la suite.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser en observant passer des rutilants véhicules récréatifs que sont les motorisés, caravanes à sellette ou bus reconvertis, passage qui évoque une vie simple caractérisée par la liberté, la paix et la félicité, le phénomène du caravaning est complexe. (Qu’il soit dit en passant que l’utilisation par l’auteure des termes RVing (vie dans un véhicule récréatif) et RVer (celui ou celle qui la pratique) dans son ouvrage est agaçant sinon déplorable. Pourquoi ne pas adopter les équivalents français « caravaning » et « caravanier »?) Célia Forget décrit, dissèque et analyse ce phénomène à partir du moment où le caravanier en herbe opte pour ce mode de vie jusqu’au moment où il décide de l’abandonner, car selon elle, « leur faim de la route » doit obligatoire céder un jour à « leur fin de la route ». Dans les deux cas, ce sont des décisions déchirantes. Dans le premier, on coupe avec le passé, on vend la maison familiale, on s’éloigne des enfants, des petits-enfants et des amis, on se débarrasse des biens accumulés depuis des éons. À des fins administratives, on invente une adresse fictive car la société n’est pas faite en fonction des gens mobiles. Dans le deuxième, il faut découvrir comment réintégrer la société sédentaire, souvent avec des moyens réduits et une santé fragile. Entre les deux, il y a le choix du véhicule récréatif dont le style et le prix varient énormément, l’apprivoisement du véhicule en ce qui a trait à la conduite et à l’entretien, l’aménagement de son intérieur pour le personnaliser, l’apprentissage de la route (devenir « blueliner » en suivant les petites routes ou « redliner » en se limitant aux autoroutes), le défi de vivre en couple dans un espace réduit (un couple qui va mal ne peut y survivre), la solitude du (de la) célibataire (difficilement soutenable à la longue), le choix des stationnements… La liste pourrait s’allonger indéfiniment.

Malgré la nature fluide du caravaning à plein temps, il s’établit néanmoins des rapports de territorialité et de sociabilité. Faisant appel aux notions de « territoire nomade » et de « territoire circulatoire » élaborées par des chercheurs français, Forget propose le concept contradictoire de « territoire de mobilité » qui n’est officialisé par aucune frontière géographique qui le contraindrait à un espace fixe. Il s’agit d’un « territoire flottant » se fabriquant au gré des déplacements. Par contre, une fois arrêté ou stationné, le caravanier est conscient de ses droits territoriaux. Comme le chien qui pisse sur les poteaux pour bien définir son territoire, le caravanier, figurativement, fait la même chose (page 128), le territoire flottant se transformant ainsi pour quelques heures, quelques jours ou quelques semaines en « territoire ancré ».

Que ce soit au paradis des caravaniers, c’est-à-dire sur les terrains de camping ou dans les RV resorts qui fournissent au gros prix une multitude de services permettant au campeurs/caravaniers d’être confortablement chez eux ou dans la désolation des déserts d’Arizona et de Californie qui attirent un nombre surprenant d’aventuriers de la route, les réseaux de sociabilité se créent rapidement. S’apprivoisant, s’amusant ensemble et s’entraidant, les caravaniers à temps plein se tissent souvent des liens durables. Il n’est pas rare qu’ils se donnent rendez-vous au même endroit l’année suivante et l’année d’après et que, dans l’intérim, ils s’envoient des centaines de courriels et des dizaines de cartes postales illustrant leurs voyages et leurs exploits.

Un aspect du caravaning à plein temps que passe sous silence Célia Forget, mais qui est digne de mention est l’absence de caravaniers de couleur! Si, depuis 50 ans, la ségrégation raciale n’existe plus officiellement aux États-Unis, elle existe encore bel et bien dans le monde du caravaning/camping, que ce soit à plein temps ou pas. Autrement dit, sur la route les minorités visibles sont invisibles. Il s’agit d’un monde de blancs. Pourquoi? Peut-être en raison d’un statut socioéconomique inférieur, mais ce serait là une explication trop facile. Se fiant aux idées développées par Célia Forget qui veut que le caravaning d’aujourd’hui fasse partie de la longue tradition de mobilité en Amérique, qui donna lieu au XIXe siècle au peuplement progressif du continent d’est en ouest par des pionniers, coureurs de bois, voyageurs et chercheurs d’or—toutes des migrations libres motivées par l’espoir d’un gain économique—on pourrait conclure que les Américains et Canadiens de couleur qui, eux, n’y ont à peu près pas participé sont exclus de cette « tradition ». Ils possèdent un bagage culturel et historique différent et nourrissent d’autres rêves. Dans toute ma vie de caravanier averti, il m’est arrivé de rencontrer une famille noire et personne d’ascendance asiatique. De l’espagnol, j’en ai entendu de la bouche de ceux qui entretenaient le gazon et taillaient les arbustes sur les terrains de camping aux États-Unis. Je ne peux que me demander si l’expérience de Célia Forget est pareille. Elle ne le dit pas.

Chapeau à cette petite Française venue découvrir l’Amérique. En le faisant, elle nous dévoile une Amérique bien particulière, une Amérique nomade, une Amérique insolite, une Amérique blanche! Par son travail, elle nous convainc que le tourisme, le voyage et le caravaning à temps plein ne sont pas du pareil au même. Embarquons avec elle!