Sacrilège chez les Sœurs dominicaines de la Trinité

Au 1045, Boulevard René-Lévesque, à Québec se trouve le pavillon Saint-Dominique, centre d’hébergement privé pour personnes âgées et couvent des Sœurs dominicaines de la Trinité, communauté fondée en 1887 par Philomène Labrecque, Mère Marie-de-la-Charité, sous le vocable de Sœurs dominicaines de l’Enfant Jésus. C’est seulement depuis le 18 janvier 1967, à la suite d’un décret de Rome sanctionnant l’union définitive avec les Dominicaines du Rosaire, que la nouvelle appellation est en vigueur.

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Jusque cette année, les jardins autour du pavillon étaient sublimes : une multitude d’arbres de plusieurs espèces, d’innombrables plates-bandes fleuries, des framboisiers produisant des fruits gros comme le pouce et un petit potager. Au cœur de cette scène bucolique, à l’intérieur d’une basse palissade blanche, le cimetière de la communauté. À son centre, le monument à la mémoire de Mère Marie-de-la-Charité et, autour, une centaine de pierres tombales au ras du sol rappelant en toute simplicité le nom de chaque sœur décédée.

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L’automne dernier, les fossoyeurs ont été à l’œuvre. Travaillant en sarrau blanc, gants et masques, ils ont profané cet espace sacré en le vidant de son contenu, le déplaçant au cimetière Belmont. Aujourd’hui, il n’y reste qu’un grand vide—un grand champ en friche, pourrait-on dire.

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Et pourquoi donc? La construction d’une annexe au pavillon pour accueillir un nombre plus grand de personnes âgées en perte d’autonomie? Pour vendre une lisière du terrain pour du développement domiciliaire? L’une ou l’autre des deux hypothèses recueillies sur le terrain pourrait se valider.

Les pauvres Sœurs dominicaines de la Trinité dont le repos éternel vient d’être rompu, que sont-elles devenues? Elles ont été transportées à cinq kilomètres de là et enterrées dans une fosse commune sur l’allée Marie-de-l’Incarnation, aux limites septentrionales du cimetière Belmont.

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Elles y sont entourées d’Eudistes, d’Ursulines et de religieux de Saint-Vincent de Paul, tous trois ayant connu, comme elles, la migration post mortem. Tant qu’il n’y aura pas de monument sur place pour rappeler l’existence de ses femmes engagées ayant consacré leur vie à ce qu’elles croyaient être l’œuvre de Dieu, on pourra parler d’un sacrilège.

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A rose is a rose…mais une tulipe n’est pas une tulipe!

Depuis 56 ans, grâce à son Festival canadien des tulipes, Ottawa, s’affiche comme capitale de la « girafe des fleurs » (Tulipa) en Amérique du Nord. Or, la capitale nationale n’a rien à envier à la capitale fédérale en ce qui concerne la beauté et la noblesse de ses tulipes. J’en ai eu la preuve la semaine dernière lorsque j’ai eu l’occasion de visiter les deux.

Le Festival canadien des tulipes, est né en 1953 sous le signe de l’amitié internationale. En fait, à l’automne 1945, la princesse Juliana des Pays-Bas a fait cadeau de 100 000 bulbes de tulipes à Ottawa, en reconnaissance de l’accueil que la famille royale en exil y a trouvé, pendant la Deuxième guerre mondiale, ainsi qu’en guise de remerciement du rôle assumé par des soldats canadiens dans la libération de son pays. Le Festival s’est déroulé cette année sur quatre sites dont un seul consacré aux fleurs (Parc des Commissaires). Les trois autres servent davantage aux activités ludiques ou culinaires. Devant l’hôtel de ville, le Chapiteau miroir accueille le monde en mesure de payer le gros prix pour assister à des spectacles ou des conférences d’envergure (Rick Mercer, Margaret Atwood, Angela Davis, Gilles Vigneault…). Au Parc Major’s Hill, en arrière de la colline parlementaire, les familles avec jeunes enfants peuvent se payer des tours de manège et au Parc Landsdowne s’installent des kiosques d’une quarantaine de pays. Des représentants de chacun d’eux préparent sur place et vendent leurs mets. Difficile à comprendre ce que ces trois sites ont à voir avec des tulipes. Donc, revenons à celles-ci.

Le Parc des Commissaires, situé sur les rives du lac Dow, genre de méandre artificiel du Canal Rideau, se transforme en mai en véritable jardin. De nombreuses plates-bandes regroupent des tulipes de diverses provenances. Le promeneur s’étonne de la grande variété de fleurs, de la multitude de couleurs et de la densité des plantations.

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À Québec, l’équivalent du Parc des Commissaires serait le Parc du Bois-de-Coulonge. Autrefois connu par le nom de Spencer Wood, l’endroit a été de 1870 à 1966 le lieu de résidence des lieutenant-gouverneurs du Québec. Sur 24 hectares, ce domaine est aujourd’hui un parc public qui porte en héritage des bâtiments patrimoniaux et qui recèle des espaces boisés et des aménagements horticoles. Au printemps, c’est ici que se trouve la plus grande concentration de tulipes à Québec. Malgré son cachet particulier, en 2009, le Bois de Coulonge demeure l’un des secrets les mieux gardés de la ville.

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Bien que moins diversifiées de point de vue espèces, couleurs et formes, les tulipes ici sont néanmoins imposantes par le nombre et par la beauté. L’encadrement des plates-bandes au cœur d’une forêt urbaine rend d’autant plus ébouriffant le spectacle floral.

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Heureux de m’être aventuré à Ottawa pour voir ses tulipes, mais déçu de ne pas en avoir vues autour du Parlement, je me contenterai dorénavant des miennes, celles de la ville de Québec, voire celle de l’avenue Maguire. Les gens de la ville de Québec sont choyés, prenez-en ma parole ! A rose is a rose….une tulipe une tulipe ?

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Le passage d’un « maudit Français »

Le 7 mai dernier se tint le service funéraire à la mémoire de Louis-Charles Bruniau. À cette occasion, sa veuve, Zina, m’a demandé de livrer quelques remarques à son sujet. Les voici:

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Louis Bruniau et moi partagions un certain vécu, celui d’immigrant, lui de France, moi des États-Unis. Louis est arrivé au Québec en 1966, un an après son épouse, Zina. Quant à moi, je me suis installé à Québec en 1971. Dès mon arrivée, j’entendais souvent de la bouche des gens d’ici une expression dont je comprenais les mots, mais pas le sens de ces mots. Ce n’est qu’en 1973, lorsque j’ai rencontré Louis Bruniau pour la première fois que j’ai compris vraiment ce que voulait dire « maudit Français » !

Plus je fréquentais Louis, plus je me rendais compte qu’il y a du vrai dans tous les clichés du genre. Par contre, il y a encore plus de faux, car sous le carapace dur d’un être qui vivait une relation doux-amer avec son pays d’adoption battait le cœur d’un homme généreux, instruit, intelligent, un homme ayant aussi appris les leçons de la vie à la dure école, car Louis, membre de la tristement célèbre, mais glorieuse Légion étrangère avait connu des atrocités des nombreuses conflits de décolonisation que menaient son pays au cours des années 50 : au Vietnam, en Algérie et au Maroc.

« Légionnaire, tu es fait pour mourir et on t’envoie où l’on meurt. »

Voilà la devise qui a défini les contours de la vie de Louis Bruniau des années durant lorsqu’il faisait partie de ce Corps d’élite de l’armée de Terre française.

Après avoir découvert le Québec, Louis, Zina et Éric ont découvert le Canada. Cela s’est fait lors d’un voyage inoubliable qui les a emmenés jusqu’à l’île de Vancouver. Louis me racontait une fois, il y a si longtemps, ce voyage. Il parlait surtout des grands espaces, ces plaines à l’infini, ce grand vide qui sépare l’Ouest de l’Est. Je le traverse souvent ce vide pour me rendre chez mes enfants en Alberta et chaque fois je pense aux peuples autochtones, amérindiens et métis, qui parcouraient, en rois et maîtres, cette vaste région au cours du dix-neuvième siècle et qui gagnaient leur vie de la chasse au bison dont la population était innombrable. Sans doute que Louis y pensait aussi parce que c’était un homme cultivé qui s’intéressait à l’histoire et à la culture. C’est un peu ironique qu’au moment où j’ai appris son décès, je lisais le dernier roman de Jacques Poulin dont l’œuvre fait découvrir pour les uns, et sert de rappel pour les autres, l’importante contribution des Français aux fondements et au développement du continent nord-américain. À la page 86 de L’Anglais n’est pas une langue magique, Poulin cite le grand chef des Pieds-Noirs, Patte-de-corbeau, ami et allié dans l’Ouest des Français et Canadiens français, qui réfléchit sur le sens de la vie :

Qu’est-ce que la vie ? C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit. C’est le souffle d’un bison en hiver. C’est la petite ombre qui court dans l’herbe et se perd au couchant.

Autrement dit, dans l’immensité de l’univers et à travers des vastes éternités, la vie est si brève, mais combien marquante.

J’aimerais terminer ces remarques par un poème de Baudelaire, ce poète qui ne fut compris que par quelques uns de ses pairs. En cela, il partageait avec notre défunt ami, Louis. J’ai trouvé trois poèmes de Baudelaire qui traitent de la mort : La mort des amants, La mort des artistes et La mort des pauvres. Je retiens le dernier.

C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;


C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir


Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,


Et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir ;

À travers la tempête, et la neige, et le givre,


C’est la clarté vibrante à notre horizon noir ;


C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre,


Où l’on pourra manger, et dormir, et s’asseoir ;

C’est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques


Le sommeil et le don des rêves extatiques,


Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;

C’est la gloire des Dieux, c’est le grenier mystique,


C’est la bourse du pauvre et sa patrie antique,


C’est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !


Une mère en mer: Mme Laurette réalise son rêve

Pendant plus d’un demi-siècle, une paire de jumelles sur le rebord de sa fenêtre, la propriétaire de la petite maison jaune regardait passer les bateaux en face de Saint-André-de-Kamouraska…et rêvait. Kayak, chaloupe, goélette, grand voilier, vraquier, pétrolier, porte-conteneur…elle en prenait note dans son petit carnet. À l’arrivée de l’automne, elle faisait venir de la garde côtière à Québec l’horaire des paquebots tels Queen Mary II, Queen Elizabeth II, Explorer of the Sea, Grand Princesse… Et elle les attendait à sa fenêtre se disant, « un jour, je ferai une croisière ».

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Ce jour est enfin arrivé en juillet 2006 quand Laurette, à l’âge de 77 ans, prit le bateau à Rivière-Ouelle pour réaliser une mini croisière de 2 jours qui l’emmènerait à Chicoutimi. Or, ce n’était que l’apéritif. Le plat principal lui serait servi l’année de ses 80 ans. Le 15 février 2009, Laurette, accompagnée de sa fille, Dorothée, eut son baptême de l’air. De l’aéroport Jean-Lesage à Québec, elles se sont envolées vers Miami. À Fort Lauderdale, elles se joignirent aux 2 970 autres passagers pour entreprendre à bord du Carnival Valor une tournée autour de la Caraïbe. Quatre escales prévues avant d’accoster de nouveau à Fort Lauderdale une semaine plus tard.  D’abord, les Iles Caïman, suivi de Roaton (Honduras), du Bélize et de Cozumel (Mexique).

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Le Carnival Valor

En haute mer, comme à la plage, assise par terre ou en VW Coccinelle, Laurette jouit de la plus belle semaine de sa vie. Elle écrivait dans son journal qu’elle conservait religieusement :

Un voyage pour moi, ce n’est pas arriver, c’est partir. C’est la saveur de la journée qui s’ouvre. C’est l’imprévu de la prochaine escale. C’est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose. C’est la curiosité de confronter ses rêves avec le monde. Repos, songeries, bonheurs, on ne vous goûte vraiment qu’en mer, sur un magnifique bateau. Vive l’eau, les bateaux et les capitaines.

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C’est la petite maison jaune qui fit de Laurette Morin et moi des amis. Au moment où elle cherchait à contre cœur à la vendre, je suis passé devant sa porte. N’eut été mon empressement de me rendre au Nouveau-Brunswick ce samedi après-midi-là, je l’aurais achetée sur le champ ! Le mardi, au retour, j’avais envie de visiter ce qui aurait pu être pour moi une maison de retraite formidable. À mon arrivée, la propriétaire, Laurette, arrosait ses fleurs. Ne voyant plus de pancarte, j’exclamai : « Madame, votre belle maison est-elle encore à vendre? » Ce à quoi, elle me répondit, la gorge resserrée d’émotion : « mon cher monsieur, vous arrivez trop tard, je l’ai vendue hier ».

Contrairement au beau rêve de Laurette qui s’est réalisé, le mien d’avoir un pied à terre au bord du Saint-Laurent, dans la douce région de Kamouraska. se fait encore attendre. Cependant, de cette rencontre fortuite, je garde quelque chose de plus précieux, une amitié sûre et durable avec la maîtresse de la petite maison jaune.


La petite maison jaune du Cap Saint-André (Kamouraska)

En 2005, en raison de son âge et en prévision d’une détérioration de son état de santé, Mme Laurette Morin Ouellet a dû se départir de sa petite maison jaune située sur le cap, en face de l’église à Saint-André-de-Kamouraska. Autrefois une maison de rang, elle avait été déménagée au milieu du siècle dernier sur ce site qui domine le village et donne sur le fleuve. C’est ici que la jeune Laurette fraîchement sortie du couvent et nouvellement mariée à un homme de beaucoup son aîné, s’établit et élèvera ses cinq enfants. C’était avec profond regret qu’elle quittait ce « petit coin de son coeur ». Le poème qui suit, écrit de sa propre main, reflète son état d’âme et son enracinement profond:

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Ma petite maison jaune

Ma maison est un endroit chaleureux et plein d’amour.

Ma maison résonne d’échos qui ne quittent jamais mes oreilles

Elle y garde des souvenirs sculptés comme de l’ivoire peint,

Délicatement colorés de nuances éclatantes ou plus douces,

Parfois effacés, presque oubliés, mais jamais rayés de mon existence.

Ma maison excelle d’images, de souvenirs, de rêves, jamais oubliés.

J’appréhende depuis quelque temps

Le jour où elle devra changer de nom.

Mais pour moi, elle sera toujours

Ma petite maison jaune.

Elle a été le témoin de très grands bonheurs.

J’y suis entrée le jour de mon mariage.

L’année suivante un premier fils est arrivé,

Puis trois autres sont venus augmenter ce bonheur.

Et enfin, une fille est venue compléter notre notre famille.

C’était en tes murs le paradis !

Si tu pouvais parler, petite maison jaune,

Que de belles choses tu aurais à dire !

Il me semblait que rien ne pouvait nous atteindre.

Il y eut bien des petits nuages qui laissèrent de le l’humidité,

Juste de quoi alimenter le grand amour que tu abritais.

Soudainement, une grande épreuve nous arriva:

La mort de ton propriétaire, mon mari.

Toi, ma vieille maison, tu es restée…

Je suis toujours très attachée à toi.

Bien que malgré moi,

J’aurai bientôt à prendre la décision de te laisser.

Tu nous a gardés tous… si longtemps dans tes murs,

Bientôt, ce sera nous qui te garderons dans nos coeurs.

Ma grande consolation,

C’est que mes enfants t’aiment et te cajolent

Comme je l’ai toujours fait.

Car notre maison est l’endroit où l’on a grandi…et d’où l’on part…

Et dont pourtant on se souvient et à laquelle on tient.

Pour moi et pour mes enfants, tu seras toujours:

« Notre bonne vieille petite maison jaune ».


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