La tonnelle du livre à Hurricane

En 1869, les fondateurs de cette ville qui compte aujourd’hui 14 000 habitants, Erastus Snow, David Cannon et Nephi Johnson, descendaient la côte sur une ancienne piste amérindienne lorsqu’un tourbillon soulevait le toit de leur boghei tiré par des mulets.

—Oups, dit Snow, ça, c’était un ouragan, on va baptiser cet endroit Hurricane.

nip3

Ici, depuis 11 ans, Margaret Sorensen tient le Book Arbor. Elle est originaire de Vancouver, en Colombie-Britannique.

IMG_3395

IMG_3396

« Qui prend mari, prend pays », n’est-ce pas ? Le couple a vécu et élevé leur famille en Californie du sud. Au moment de la retraite, Monsieur désire retourner en Utah, son pays d’origine. Comme tant d’autres ces dernières années, au cours desquelles Hurricane est passée une bourgade à une véritable petite ville, ils l’ont choisie en raison de son climat clément et de sa proximité de la ville de St. George et des villages ancestraux du mari. Madame a néanmoins imposé une condition : qu’elle puisse ouvrir une librairie pour occuper ses heures dans cette région désertique.

IMG_3398

IMG_3399

Margaret a un lien étroit avec la Franco-Amérique. Sa mère était une Bellerose dont la famille métisse venait de la région de Lac La Biche, en Alberta. Émue, elle m’a raconté son voyage d’il y a quelques années au cimetière de Kikino (40 km au sud de Lac La Biche) où elle a pu se recueillir devant les sépultures de ses grands-parents.

IMG_3397

Tous et toutes les libraires que je connais sont d’une gentillesse, d’une politesse et d’une serviabilité exemplaires. Margaret « Bellerose » (cela lui fait sourire !) ne fait pas exception. Elle montre fièrement sa collection de signets. C’est que tous ses livres sont des livres d’occasion à l’intérieur desquels les lecteurs et lectrices, en se débarrassant du livre, ont eu tendance à oublier le signet. En dépoussiérant et rangeant les bouquins dans les rayons bien catégorisées, Margaret enlève le signet et l’ajoute à sa collection collée sur une porte qui en déborde.

IMG_3400

*                                             *                                             *

Si la visite à Hurricane m’a permis de découvrir la Tonnelle du livre et sa gentille propriétaire descendant des Franco-Métis, mon principal but fut tout autre. Je devais y rencontrer Beverley que je n’avais pas vue depuis 1950, à l’époque où nous avions chacun 7 ans et étions tous deux élèves de Mme Irène Carlson, en deuxième année, à Park City (Utah).

Avant

SCAN0363

2e Année, École Marsac, Park City, Utah : Beverley Cook (deuxième rangée, quatrième de la gauche) ; moi-même (deuxième rangée, neuvième de la gauche)

Après

IMG_3404


The Piano Maker : un conte de la Franco-Amérique

Que de plus curieux qu’un roman sur la Franco-Amérique écrit en anglais par un auteur d’origine autrichienne, Kurt Palka ?

L’action se passe en France, à Montréal, sur la « French Shore » qui correspond à la région de la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle Écosse, et dans le Grand Nord canadien.

DSC06065

Qui est cette femme mystérieuse qui arrive à Saint-Homais de Montréal pour s’y établir, elle qui parle avec un accent français de France ? Elle s’appelle Hélène Giroux, née là-bas d’une famille de fabricants de pianos dont la réputation avant la Deuxième Guerre mondiale n’était plus à faire. De marque Molnar, on pouvait en trouver partout dans le monde, même dans la petite église de Saint-Homais. En le constatant, Hélène, excellente pianiste, convainc le père William, même si elle n’est pas très croyante, de lui accorder des responsabilités dans la paroisse quant à la musique. L’enthousiasme des membres de la chorale est à son comble jusqu’à ce que les secrets de la vie de la nouvelle venue commencent à se dévoiler au grand jour avec l’arrivée au village d’un homme de la loi qui la met sous arrêt. À partir de ce moment-là, les commérages s’enclenchent et le nombre de choristes chute.

L’occupation allemande mit fin à la très prospère usine Molnar. Pour se sauver, ainsi que sa fille, à la suite de la mort de son mari soldat,  Hélène fait confiance à Nathan Homewood, un homme d’affaires américain, spécialiste de la spéculation, qui aurait bien aimé l’épouser si le beau Pierre n’avait pas été dans le portrait. Homewood trahit sa confiance en la faisant participer à une arnaque. Elle est laissée à Montréal sans le sou, devant se débrouiller par les moyens du bord.

Les années passent et Nathan réapparaît lui promettant une petite fortune si elle l’accepterait de l’aider dans sa « business ». Hésitant et contre la volonté de sa fille qui se souvient trop bien de l’arnaque, Hélène accepte néanmoins. Rien d’illégal, juste des choses un peu louches : trouver et acheter peu cher des objets cachés ou perdus et les revendre au gros prix à des musées et collectionneurs. L’élégance, la douceur et la beauté de son accompagnatrice donnent à Homewood une certaine crédibilité devant ses clients qu’il n’aurait pas eue autrement. Leurs petites affaires vont bien, ce qui mène à un grosse affaire : un voyage dans le nord de l’Alberta récupérer des vestiges de dinosaures. Les profits seront inestimables ! Une fortune à leur portée avec risques minimaux. Sauf qu’ils n’ont pas compté sur la dureté et la rigueur de ce voyage en traineau à travers des espaces glacés et enneigés.

Nathan Homewood ne reviendra pas de ce voyage, Hélène si. Quand le cadavre est retrouvé, Hélène est accusé de meurtre. À Edmonton, elle est acquittée, retourne à Montréal et, enfin, se rend à Saint-Homais pour recommencer paisiblement sa vie.

Alors, pourquoi le flic s’est-il rendu au village l’arrêter ? Pourquoi un nouveau procès ? Pour le savoir, il faut lire The Piano Maker. La raison est d’actualité : meurtre ou euthanasie ?

Certains clins d’œil vers les Acadiens sont agréables à lire, d’autres agaçants. D’abord, l’auteur capte le drame des naufrages et noyades qui marquent l’histoire de communautés acadiennes axées sur la récolte de la mer :

A few days earlier the Coast Guard had abandoned the search and had officially declared them lost and perished at sea. « Very old words those are along here, » said Mildred. « Lost and perished at sea, old and too common, I should know. »

Ensuite, il tombe dans le piège de devoir agencer les Acadiens de Nouvelle-Écosse aux « Cajuns » de la Louisiane :

Acadians, mostly, she said. People who’d been deported or driven out , and many had moved south to Louisiana when it was still French and years later had come back from all over. »

Toute une simplification de l’histoire, mais un lapsus que l’on peut probablement pardonner à Kurt Palka compte tenu que le cœur de son conte est ailleurs.


Malheur à Malheur

Si on examine la carte toponymique de l’Orégon, on est frappé par le nombre de noms de langue française : Dalles, Saint-Paul, Saint-Louis, Gervais, Grande Ronde, LaGrande, Nonpareil, Coquille, Deschutes, Marion et, oui, Malheur !

oregon-county-map

Or, en ce moment, dans le comté de Malheur, il se passe un malheur. Juste avant Noël, un groupe d’hommes armés, organisés en milice, ont saisi les bâtiments et les équipements appartenant au Malheur National Wildlife Refuge, situé à une cinquantaine de kilomètres de la petite ville de Burns. Ils prétendent que le gouvernement fédéral n’a pas respecté la Constitution du pays en expropriant et en chassant de ces terres une centaine de ranchers et de fermiers qui les avaient depuis plus de cent ans exploitées.

ammon-bundy-640x436

Ammon Bundy qui prétend agir au nom de Dieu

La position de ces cowboys est de rester sur les lieux jusqu’à ce que le Fédéral rende aux victimes de la saisie leur bien ou, en d’autres mots, d’y rester « jusqu’à ce que Hell freezes over ».

Depuis peu, il y a un autre intervenant, la tribu Paiute, eux, dont l’histoire dans la région remonte à 9 000 ans et qui, en 1879, ont été chassés de ces terres, à la suite de la signature d’un traité, afin de faire place aux  ranchers and fermiers d’autrefois.

À l’heure actuelle, les autochtones jouissent d’une bonne relation avec le Refuge et tiennent à ce que la « milice » quitte au plus sacrant. La porte-parole des Paiutes—notez bien le nom—,Charlotte RODRIGUE, prétend que, dans les bureaux du Refuge. il existe des documents officiels attestant de la légitimité de leurs droits sur ce territoire que leurs ancêtres ont occupé et où ils sont enterrés.

Dans cette nouvelle guerre entre cowboys et Indiens, les cowboys ne sont, aux yeux de Charlotte Rodrigue et de Jarvis Kennedy, que les abrutis et les criminels. « Il est temps qu’ils fichent le camp », disent-ils.

Ce que je retiens, personnellement, dans toute cette histoire est que l’Orégon constituait un territoire de prédilection dans l’histoire de l’Amérique française et du Canada français.

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2003/11/24/french-prairie-oregon/

Lorsque les premiers Américains y sont arrivés, au cours des années 1840, en suivant l’Oregon Trail, qui est-ce qu’ils ont trouvé? Des voyageurs et coureurs de bois canadiens-français bien implantés avec leurs épouses amérindiennes. Les communautés franco-métis en Orégon ont devancé d’une génération celles des Américains. Sans pouvoir l’affirmer catégoriquement, je gagerais néanmoins un 20$ que Charlotte Rodrigue descende de ces intrépides francophones.

Autre petite note en passant, à quelques kilomètres du Malheur Wildlife Refuge se trouve la sépulture de Jean-Baptiste Charbonneau, fils de Toussant Charbonneau et Sacagawea, les deux principaux responsables du succès de l’expédition de Lewis et Clark, montée en 1804 par le président des États-Unis, Thomas Jefferson.

jb

Jean_Baptiste_Charbonneau

Alors, le célèbre « Pomp », ‘ti nom attribué à Jean-Baptiste, trouve aussi malheur dans le comté de Malheur.


Deux brefs comptes rendus: d’un documentaire, d’un livre

Film :

IMG_3331

Hôtel La Louisiane n’est pas en Louisiane. Non, il est à Paris, là où la rue de Buci et la rue de Seine se croisent, au cœur de Saint-Germain-des-Près. C’est ici, depuis 75 ans, que règne un esprit de créativité et de liberté devenu légendaire. C’est ici aux années 50 que Jean-Paul Sarte et Simone de Beauvoir se tenaient lorsqu’ils n’écrivaient pas au Café Flore, à côté. Les Américains, Ernest Hemingway and Miles Davis, entre autres, sont passés par là. Davis et Juliette Gréco y furent photographiés ensemble en 1949.

Michel La Veaux, directeur de la photographie d’une quarantaine de films tournés au Québec depuis 1982, dont les plus récents Pour l’amour de Dieu (2012) et Le démantèlement (2013), adore cet hôtel où il descend à chacun de ses séjours parisiens. Son nouveau  documentaire est un hommage à ce lieu dont la simplicité et la sobriété se maintiennent de nos jours et à des artistes, littéraires et philosophes qui y sont passés et qui y sont encore.

L’hôtel se laisse difficilement filmer. Les passages sont étroits, les chambres petites, le décor laid, la peinture défraîchie. Les jeunes écrivains et artistes qui y demeurent l’avouent sans ambages, mais reconnaissent d’emblée la nature quasi sacrée des lieux qui incitent à la réflexion et facilitent l’écriture jour et nuit.

J’ai particulièrement apprécié les brides de conversation avec Juliette Gréco et les « flashbacks » d’elle à l’autre époque. Peut-on parler de « vedette » quand il s’agit d’un film documentaire ? Si oui, la véritable « star » est Albert Cossery que je ne connaissais point. D’ailleurs, c’est à lui, décédé en 2008, que La Veaux dédie son film. Cossery, surnommé « le Voltaire du Nil », car né au Caire en 1913, vécut 63 ans à l’Hôtel La Louisiane, sortant chaque jour à 14h30 faire son tour en dandy. Pendant ses six siècles à l’Hôtel, Albert n’a écrit que huit romans, ce qui correspondait parfaitement à sa philosophie personnelle, à savoir que la paresse n’est pas un vice, mais plutôt une forme de contemplation et de méditation.

L’heure passée au Clap à visionner Hôtel La Louisiane, en pleine période de la cohue entourant les fêtes de Noël fut, pour moi, un pur délice. Je m’y sentais un véritable disciple d’Albert Cossery.

Livre :

2015-12-22 19.25.24

Quel lien existe entre l’Île d’Entrée, cet ilot peuplé de 800 anglophones faisant partie de l’archipel des Îles-de-la-Madeleine, et le canton de Lingwick en Estrie ? Pour le savoir ou pour l’approfondir, je suggère fortement la lecture du nouveau roman, Entry Island de Peter May, auteur écossais habitant la France.

Sime Mackenzie travaille à la Sureté du Québec, rue Parthenais, Montréal. Faisant partie de  la Division des enquêtes sur les crimes contre la personne, il est affecté, en raison de sa langue maternelle, à l’investigation d’un meurtre ayant été perpétré à Entry Island. En fait, Sime est de cette génération de jeunes Anglo-Québécois ayant maîtrisé sa langue seconde au point de bien se placer dans la fonction publique québécoise. Il vient de Bury, près de Scotstown et de Gould, dans le Canton de Lingwick, mais se considère néanmoins Québécois pure laine. Jeune, aux genoux de sa grand-mère, il écoutait les histoires de ses ancêtres chassés de leurs terres en Écosse à l’époque des fameux « clearings », ce processus brutal ayant conduit des milliers de paysans à quitter la patrie pour essayer de se tailler une place sur les marges de l’Amérique du Nord. Ces histoires, la grand-mère les avait pigées dans un journal intime comptant plusieurs chapitres, écrit par l’ancêtre et préservé de génération en génération.

À cause de son divorce d’avec Marie-Ange, agente elle aussi à la Sûreté, qui l’avait trompé à la faveur de son patron, Sime souffre de l’insomnie. Il est hanté par des rêves, sinon des cauchemars, concernant l’histoire de sa famille, mais il ne réussit jamais à ramasser tous les morceaux. C’est parcellaire son affaire ! Une fois rendu aux Îles-de-la-Madeleine, en interrogeant Kirsty Cowell, celle qui est soupçonnée d’avoir tué son mari mal aimé, la chose se complique. Sime est convaincu d’avoir déjà vu cette dame quelque part, sauf qu’elle n’a jamais quitté, à toute fin utile, l’Ile d’Entrée. Le hasard veut que pendant les interrogatoires les deux, le policier et le suspect, découvrent qu’ils possèdent des bijoux arborant des symboles identiques. Lui une bague, elle un pendentif qui font évidemment partie du même ensemble. Comment résoudre les deux mystères, celui du meurtre et celui de la familiarité et de la similarité ?

Ce n’est qu’après avoir été mis en disponibilité par son supérieur à la suite d’une altercation au sujet de Marie-Ange et après être retourné en Estrie, auprès de sa seule sœur avec laquelle il avait entretenu peu de contact depuis des années et en plongeant dans les récits de son ancêtre que possède la soeur qu’il arrivera à résoudre les deux mystères, à mettre Marie-Ange derrière lui, à développer une relation affective avec Kirsty…et à dormir enfin.

Entry Island est une histoire remarquable. Son genre est certes celui de crime-fiction, mais bien plus encore, car grâce aux « flashbacks » il lève le voile sur les abominations du capitalisme britannique telles que pratiquées à l’endroit des paysans écossais. Le lecteur ou la lectrice est plongé dans l’histoire tragique de ce pays. Le roman est d’autant plus poignant pour nous au Québec par le clin d’œil qu’il fait sur les questions identitaire et linguistique. Non seulement sur les rapports entre l’anglais et le français, mais aussi par rapport au gaélique, car à leur arrivée ici, comme les Irlandais, les Écossais parlaient cette langue.


Les santons de chez nous

Il y a sept ans à pareille date, nous nous trouvions à Marseille au début de l’avent. Quelle meilleure façon de souhaiter Joyeux Noël aux lecteurs et lectrices de ce blogue que de vous demander de relire ce que j’avais écrit à ce moment-là et de vous expliquer en suite comment les santons dont il est, en partie, question en sont arrivés à occuper une place de choix dans notre vie de famille ?

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2008/12/04/un-debut-de-lavent-a-marseil/

Des tenants de kiosque et vendeurs de la Canebière, nous avons acheté dix santons, l’un pour chaque membre de la famille.

P1090810

À chacun des huit enfants fut offert un santon avec une explication de sa signification et des instructions selon lesquelles le santon devait être gardé précieusement et ne devrait sortir de sa cachette qu’à l’occasion des retrouvailles familiales qui, dans notre cas, compte tenu de l’éparpillement des membres de la famille, n’ont lieu qu’à tous les deux ou trois ans.

Cette année, la famille s’est réunie la dernière semaine de juillet au pied du Mont Sainte-Anne, à Saint-Ferréole-les-Neiges : https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2015/09/01/heureuses-retrouvailles-26-31-juillet-2015/

En dépit de la présence des huit enfants aux retrouvailles, en raison d’oubli ou de perte, seulement six santons ont été du voyage. La prochaine fois, on se promet de faire mieux !

IMG_2888

En cette fin d’année, quand les familles et les amis se réunissent pour fêter et souligner les grandes valeurs de l’humanité, tirons-en profit.

FullSizeRender

Bien que l’illumination extravagante, sinon abusive, de cette maison, située dans un coin lointain et désertique de l’Utah, gaspille de nombreux kW, elle traduit néanmoins avec éclat mes voeux à vous pour un Joyeux Noël.