L’arrondissement de Cap-Rouge s’enrichit cette semaine d’un monument dédié à Jacques-Cartier, un second pour ce personnage car il a déjà une stèle en face de l’église.
Cette commémoration n’est pas sans pertinence sur les bords de la rivière Cap-Rouge, même si le passage du navigateur malouin n’y fut pas des plus glorieux. Cartier séjourne à Cap-Rouge lors de son troisième voyage, en 1541-1542. Il a été remplacé par Roberval comme chef de l’expédition mais ce dernier ne réussira à s’embarquer qu’au printemps 1542. Entre temps, Cartier a fait édifier un fort au confluent du Saint-Laurent et de la rivière du Cap Rouge. En 1542, il met le cap sur la France, malgré les ordres de Roberval qu’il croise à Terre-Neuve. Cartier est anxieux de présenter au roi des pierres précieuses, de l’or et des diamants, croit-il, qui se révéleront plutôt de la pyrite et du quartz sans valeur.
La statue dévoilée à Cap-Rouge l’a été une première fois dans le quartier Saint-Roch en 1926, au coin des rues Saint-Joseph et de la Couronne, sur un socle, au centre d’une place où on trouvait, dès le XIXe siècle, une halle et un marché portant le nom de Jacques-Cartier.
Dans les années 1960, la construction d’un stationnement souterrain entraîna le réaménagement de la place Jacques-Cartier et le monument se retrouva au-dessus de l’entrée des voitures. Puis, avec la construction de la bibliothèque Gabrielle-Roy, au début des années 1980, la place fut réaménagée et le monument semblait alors promis à un bel avenir.
Mais, manque de chance, le stationnement s’avéra vite « pourri », comme c’est trop souvent le cas des ouvrages de ce genre, et Cartier prit le chemin de l’entrepôt, plus exactement celui d’un champ de débarras, avec des poubelles et d’autres éléments excédentaires du mobilier urbain.
De grands travaux sont maintenant en cours à la place Jacques-Cartier : on y refait le stationnement, une tour d’habitation est en construction mais on n’a pas prévu d’espace pour la statue de Jacques-Cartier et l’arrondissement de Cap-Rouge en a hérité. En fin de compte, on déshabille Saint-Roch (de Québec) pour habiller Saint-Félix (de Cap-Rouge).
N’y avait-il aucun espace pour cette statue au centre-ville ? Elle aurait pu faire partie du futur réaménagement de la bibliothèque Gabrielle-Roy. Sinon, on aurait pu en profiter pour atténuer cette bizarrerie « monumentale » que constitue l’absence de Cartier dans la façade de l’Hôtel du Parlement. Dès 1883, Eugène-Étienne Taché lui avait prévu un espace dans la tour principale (qui lui est dédiée) mais, pour des motifs qu’il reste à expliquer, son plan ne s’est pas réalisé et c’est plutôt un duo de religieuses, Marie de l’Incarnation et Marguerite Bourgeois, qu’on installa en 1969 à la place d’honneur prévue pour le « découvreur du Canada » !
Les déplacements du monument Cartier rappellent ceux du monument Louis-Hébert érigé en 1918 devant l’hôtel de ville de Québec et lui aussi « victime » d’un stationnement souterrain construit au début des années 1970. Trop lourd, disait-on, il fut démantelé et les bronzes qui le composaient ─ Hébert, sa femme Marie Rollet et son gendre Guillaume Couillard ─ furent réinstallés sur des socles minuscules, « dans le but de démocratiser la sculpture », selon le maire Lamontagne… !
La Société historique de Québec protesta contre le sort réservé à la première famille québécoise, dont les membres se retrouvaient « comme de vulgaires piétons anonymes descendus dans la rue ». Le monument fut reconstitué, avec son socle et ses inscriptions, mais déplacé dans un coin sombre du parc (fédéral) Montmorency. Et, sur l’emplacement initial du monument, il y a maintenant des jeux d’eau.
Cette fois, il est trop tard pour réagir et empêcher Cartier de quitter Saint-Roch. Qui avait prévu que le réaménagement de sa place entraînerait son exil à Cap-Rouge ? La Société historique de Québec n’en savait rien. Et, à quoi bon réclamer le retour de ce monument à sa place ? La tour d’habitation en construction ne sera-t-elle pas elle-même une « œuvre d’art », d’après le promoteur? Elle a d’ailleurs « été baptisé tour Fresk, en référence à une œuvre picturale »… La nommer en français était probablement au-delà des forces de la société Cromwell. On aurait pu au moins penser que ce mot breton signifiant frais, nouveau, propre, dans le pays de Jacques Cartier, constituerait le classique clin d’œil qu’on fait à l’Histoire quand on veut justement faire oublier qu’elle est évacuée.
On ne sait pas encore à quoi ressemblera la place Jacques-Cartier, si tant est que le toponyme subsiste, une fois les travaux terminés. « Ne cherchez pas la future place publique sur les nouvelles images de la tour de la place Jacques-Cartier, écrivait Le Soleil en octobre 2015. Le promoteur a bien pris soin dans ses documents de ne pas présenter l’angle des rues Saint-Joseph et de la Couronne. Il reviendra à la Ville de Québec de présenter la place publique lorsqu’elle sera prête. » Parions pour des jeux d’eau, comme à l’hôtel de ville. Ça amuse les enfants mais c’est bien insignifiant.
On ne fait pas de quartier à nos découvreurs…
Je regrette de ne pas y avoir pensé!
Merci de votre article.
Dans deux lettres au lecteurs du Soleil, j’ai déploré la disparition de la place publique historique de St-Roch avec la construction de la tour. Sans cette construction, il aurait été possible de faire de cette place une place publique de prestige. En facade de la bibliothèque, je crois que Québec et St-Roch auraient bénéficié d’un tel aménagement. La tour aurait pu être construite à l’angle Dorchester et du Roi, un terrain de stationnement du RTC depuis 35 ans environ (il n’y a qu’à St-Roch où on tolère ces laideurs pendant 35 ans, même, on ne les voit plus). Le déplacement du monument de Jacques-Cartier était malheureusemnent prévisible, étant donné le peu d’espace qui restait sur cette place, qui n’en a plus que le nom.
Je dois vous dire que j’ai aussi écrit à la société historique pour solliciter son appui contre la construction de la tour. Je n’ai jamais eu de réponse.
Au dela du monument Jacques-Cartier, c’est la disparition d’une place publique historique, celle de St-Roch, qui désole. Trop tard maintenant.
Louis Bélanger