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La mémoire d’un pays rebelle

Compte-rendu du livre Un pays rebelle par Simon Rainville, L’Aut journal, 22 juin 2023
(https://www.lautjournal.info/20230622/la-memoire-dun-pays-rebelle)

En 2009, l’historien Éric Bédard a tenu à la radio une chronique sur la Conquête dans laquelle il disait en substance : « Je me suis rendu compte en préparant cette émission que je pouvais expliquer les différentes interprétations de l’impact de la Conquête sur l’histoire du Québec, mais que je connaissais très mal l’événement en lui-même. »
Quelques années plus tard, Jonathan Livernois remarquait dans La permanence tranquille (Boréal) qu’aucune des dates que l’on fête au Québec n’est liée à un événement précis. La fête des Patriotes, par exemple, n’est pas associée à une date clé du mouvement, comme c’est le cas du 4 juillet aux États-Unis qui célèbre la Déclaration d’Indépendance. Au Québec, rien de tel. Nous avons une « mémoire sans intention, donc sans intentionnalité », comme le dit si justement Yvan Lamonde dans Un coin dans la mémoire (Leméac, 2017).
J’ai repensé à tout ça en lisant Un pays rebelle (Septentrion, 2023) de Gaston Deschênes. Un peu à la façon de L’émeute inventée (VLB, 2014) de James Jackson, qui avait fait revivre, par une recherche rigoureuse en archives, les élections décisives de 1834 qui ont contribué à la radicalisation des Patriotes, le livre de Deschênes entre dans l’événement, dans le quotidien des rebelles qui ont participé à la guerre d’Indépendance américaine sur la Côte-du-Sud. L’étude rappelle Québec sous la loi des mesures de guerre : 1918 (Lux, 2014) de Jean Provencher, qui suivait les agissements des citoyens lors de l’imposition de la conscription.

Trois appréciations
Avec Deschênes, on suit ces hommes et ces femmes qui se sont tenus debout face à la Grande-Bretagne — qui venait de nous envahir une quinzaine d’années auparavant — et ont rêvé à un avenir meilleur. On peut presque voir, sentir, entendre ces personnes, comme Clément Gosselin ou Pierre Ayotte, qui ont parfois pris les armes (environ 500), mais plus souvent offert de l’aide logistique à l’avancée américaine pratiquement jusqu’à Québec en 1775 et 1776. Dans plus de la moitié des secteurs, « les Sudcôtois penchaient très majoritairement, voire massivement, pour les rebelles », précise l’historien. La situation était à ce point tendue que les capitaines, les officiers et sous-officiers de la milice ont presque tous subi des représailles de la part de la Grande-Bretagne.
Plusieurs des nôtres ont cependant préféré demeurer dans une « neutralité participative », position que nous tenons encore trop souvent, qui nous empêche de nous ériger réellement comme acteurs de notre propre histoire. Ils ont choisi d’être des spectateurs qui laissent le rôle principal aux Américains tout en ne nuisant pas à leur plan (ravitaillement, surveillance, etc.).
D’autres ont tout simplement été hostiles aux insurgés. Ils se sont bercés d’illusions sur les bienfaits culturels de l’Acte de Québec de 1774 en oubliant tout ce qu’il contient de néfaste en matière de soumission politique. Selon Deschênes, les Américains rappellent sans cesse à nos ancêtres « que l’Acte de Québec risque de les priver de cinq droits dont ils bénéficiaient à titre de “nouveaux sujets” britanniques depuis 1764, soit un gouvernement représentatif (ce qu’ils n’ont pas pour le moment et n’auront qu’en 1791), le procès devant jury, l’habeas corpus, la pleine propriété terrienne et la liberté de presse ». Une leçon de politique, en somme, que nous n’avons toujours pas comprise. Nous continuons à présenter cet Acte uniquement comme un garant de nos droits culturels.

Illusion et dénigrement
Nous nous berçons encore d’illusions quant à notre capacité de vivre dans ce beau et grand Canada. Dans son mandement, monseigneur Briand demandait aux nôtres de prendre le parti de la Grande-Bretagne plutôt que celui des treize colonies, prétextant que la « voix de la religion et celle de vos intérêts se trouvent ici réunies ». Il scellait ainsi notre compréhension du politique pour les siècles à venir : défendre notre culture, d’un côté, et la suprématie du pouvoir anglais, de l’autre, devaient représenter notre voie de salut.
Et cette illusion est entretenue par les amis du régime, britannique à l’époque, canadien aujourd’hui. Les Baby, Taschereau et autres d’autrefois sont remplacés par leurs semblables aujourd’hui, mais la logique demeure celle de la collaboration avec le plus fort afin d’asseoir son pouvoir de roitelet sur ses congénères.
Évidemment, ce sont eux, les vainqueurs, qui ont écrit l’histoire et ont forgé la mémoire que nous avons de ces événements, si tant est que nous en ayons une. Ainsi, les historiens fédéralistes et les purs et durs de la dépendance, relayés par le clergé qui nous a vendu la Conquête providentielle qui aurait permis aux nôtres de demeurer de bons catholiques, ont longtemps laissé entendre que les insurgés étaient minoritaires, agressifs, vagabonds et profiteurs. Comme si les puissants n’étaient pas une minorité de profiteurs à qui la bonne entente du Canada était bénéfique depuis toujours.
Deschênes montre qu’il n’en est rien, que les rebelles étaient pour la plupart des artisans et des paysans, de simples citoyens, en somme, de ceux et celles par qui les vrais changements historiques se produisent, loin des prétendus grands hommes qui façonneraient l’histoire.
Ces gens de peu, qui n’avaient que leur sens de la liberté, de la justice et du courage, n’avaient pas d’éducation. C’est le malheur qui s’est longtemps abattu sur le Québec. S’ils n’avaient pas les fins mots de l’analyse politique, ils étaient debout. « La “tyrannie” dont [Gosselin parle est l’absence de représentation au sein du gouvernement, conclut l’historien ; la liberté, c’était une autre façon de dire “indépendance”. »

L’absence d’organisation politique
Deschênes remarque à juste titre que, ce qui manquait à ces hommes debout, c’était une organisation politique. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons encore en partie. Malgré la création de partis indépendantistes comme les patriotes, le RIN, le PQ, ou QS, le Québec est encore en déficit d’organisation proprement politique, c’est-à-dire qui ne joue pas selon le jeu du colonisateur. C’est la compréhension du politique qui nous fait défaut. Deschênes lui-même conclut en disant que Londres n’avait pas intérêt à donner des institutions représentatives à nos ancêtres après la Conquête, malgré l’Acte de Québec. C’est inverser le problème : ce sont nos ancêtres qui auraient eu intérêt à renverser le pouvoir, à le saisir. Attendre après la gentillesse du colonisateur est une aberration.
Nous nous retrouvons donc encore aujourd’hui avec une mémoire à laquelle échappe la réalité du pouvoir. C’est pourquoi des livres comme celui de Deschênes sont précieux. D’abord parce qu’ils redressent une partie de la réalité historique en montrant que notre passé n’est pas fait que de bonne entente et qu’il y a une tradition de rébellion en nous. Ensuite, parce qu’ils exemplifient les relations de pouvoir qui, bien que plus douces, sont essentiellement les mêmes aujourd’hui. Finalement, parce qu’ils sont des fondements sur lesquels pourrait reposer une mémoire plus politique, plus concrète de nous-mêmes. Une mémoire qui se fonderait sur des événements, sur des symboles bien précis, identifiables dans ce qu’ils ont de simple : la réalité du pouvoir que l’on subit.
La fête des Patriotes, qui remplace celles de Dollard-des-Ormeaux et celle de la reine que le Canada aime tant, a le mérite d’évacuer tranquillement le symbole colonialiste britannique. Mais elle ne cimente aucune conception de notre domination dans notre imaginaire, là où le 4 juillet cristallise dans la mémoire collective américaine le symbole de la conquête politique contre la Grande-Bretagne. C’est pourquoi il faut chérir des créateurs de symboles comme Pierre Falardeau, qui a su faire du 15 février 1839 une date facilement reconnaissable, celle de la pendaison du rêve de l’indépendance du Québec.
En lisant James Jackson, je rêve d’une série sur l’élection mensongère du pouvoir britannique de 1834. En lisant Jean Provencher, je rêve d’une série documentaire sur la conscription de 1917-1918. En lisant Gaston Deschênes, je rêve d’un film sur ces insurgés de 1775-1776. Je rêve d’une mémoire fondée sur le réel. Je rêve d’un pays rebelle.

François Sentier, royaliste ou rebelle?

(Quand les « Bostonnais » en rébellion contre l’Angleterre ont essayé de prendre Québec en 1775, les Canadiens, particulièrement ceux de la Beauce, de Lévis et de la Côte-du-Sud, leur ont majoritairement manifesté de la sympathie. Certains se sont même enrôlés dans l’armée révolutionnaire et quelques-uns, après l’échec du siège de Québec au printemps 1776, ont poursuivi la guerre d’indépendance à leurs côtés dans les colonies de Nouvelle-Angleterre.)

Pendant son séjour en France (où il sollicitait l’appui des Français à la guerre d’Indépendance), Benjamin Franklin a reçu une lettre énigmatique signée « Sentier ».
Les éditeurs des Franklin Papers ont daté de janvier 1778 ce document adressé « A Son altesse serenesime monseigneur le milor franquelin a paris » :

Monseigneur

Le nommée françois Sçentier a l’honneur de vous faire sa révérence pour supliez tres humblement vôtre altesse de luy rendre service comme je suit debarqué an france du quatre janvier et que je me suit sauvez de la nouvel Angleterre ou jé été détenut dans les prison par Les Anglais Lespasse d’un mois Edemit [et demi] et me suit Rendu à bor de la frégatte Ranger par le moÿens d’un ôfisier fransais qui m’a promit d’avoirs mon conger En arivans En france d’ou je me suit rendu dans mon péÿis. Comme je me trouve dans L’indigance et hort d’états de pouvoirs vivre et me rendre au port de mer je recour a vôtre bonté ordinaire comme aÿent servit dans leurs corps amériquien l’espace de six mois Edemit dans la compagnie des voluntaire de la pointe de lévie dans la compagnie du capitaine aÿote cor du régiment du colonel arnol commandé par Le général mongommery.

Benjamin_Franklin_with_bust_of_Isaac_Newton_by_David_Martin (2)

Si on commence par la fin, l’auteur de cette lettre écrit qu’il se serait porté volontaire à Pointe-Lévy, dès l’automne 1775, dans la compagnie de Pierre Ayotte, pour appuyer les troupes d’Arnold; après la déroute des rebelles en mai 1776, il aurait poursuivi la guerre auprès des rebelles en Nouvelle-Angleterre, aurait été fait prisonnier par les Britanniques, se serait évadé et aurait eu l’aide d’un officier français pour s’embarquer à bord du Ranger qui est effectivement arrivé à Nantes en décembre 1777; débarqué le 4 janvier, il s’est rendu dans sa région natale (son « pays ») où, sans ressources, il demande à Franklin de l’aider à se rendre dans un port de mer pour revenir en Amérique.

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Qu’est-ce qui ne va pas dans cette histoire?
Le nom Sentier est très rare en Nouvelle-France. Le seul qui aurait pu se porter volontaire en 1775-1776 est François Sentier, aussi nommé « Santier » ou « Contois » et parfois prénommé « Jean-Baptiste ». Dans des actes de 1774 et 1776, le notaire Saint-Aubin le nomme « François Sentier dt Comptois » et son client signe de la même façon, sauf qu’il écrit « Contois ».
Sentier aurait vécu à Saint-Pierre-les-Becquets avant de se marier à L’Islet le 25 janvier 1768 avec Marie-Euphrosine Bélanger; l’acte de mariage indique qu’il serait originaire de « vesouve en franche-compte », soit Vesoul en Franche-Comté. Le couple a deux enfants à L’Islet (1768 et 1770) et deux autres à Rivière-Ouelle (1772 et 1775). Les registres d’état civil ne donnent pas d’information sur la profession du père, mais un document notarié de 1774 précise qu’il était maître cordonnier à Rivière-Ouelle.
Cet acte règle un conflit avec Nicolas Bouchard et son épouse contre lesquels Sentier avait commis « des excès et voyes de fait, parolles injurieuses et frauduleuses ». Arrêté et emprisonné, Sentier doit régler l’affaire devant notaire. Il reconnait que les Bouchard sont des « gens d’honneur », leur demande pardon et promet « de s’absenter de la dte paroisse de la Rivière-Ouelle avec femme, enfants et bagage sous très peu de temps ».
Il ira vivre à Kamouraska puisque le Rapport Baby mentionne un « Frans Santier » parmi les habitants de cette paroisse qui ont fait partie de l’expédition loyaliste dirig.e par le seigneur de Beaujeu en mars 1776 pour aller déloger les Américains de Pointe-Lévy.
C’est là que l’histoire de Sentier accroche : au printemps 1776, il ne pouvait être avec Ayotte et Beaujeu en même temps. En outre, en décembre 1776, un contrat de vente concernant des terrains appartenant à sa femme l’identifie comme « François Sentier dt Comptois de présent au service de sa majesté […] demeurant ordinairement dans la paroisse de Camouraska ». Sentier aurait donc servi en Nouvelle-Angleterre avec l’armée britannique et non pour les Américains. Pourquoi alors aurait-il été mis en prison par les Anglais?

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Le Ranger a quitté Portsmouth le premier novembre. Son inventaire et sa liste de passagers ont malheureusement été perdus. Le New Hampshire Committee of Safety avait permis à « 20 french Prisoners to Enlist on board the Ranger if they incline ». Sentier était-il du lot? Le navire arrive à Nantes le 2 décembre. Débarqué le 4 janvier, selon son témoignage, Sentier est ensuite parti vers son « péÿis », vraisemblablement la Franche-Comté.
Ensuite, c’est le brouillard. Est-il revenu? On ne trouve pas sa sépulture.
Au mariage de deux enfants, à Sainte-Anne, en 1798 et 1799, il n’y a pas d’informations sur le père, mais il est dit défunt en 1802, au mariage de la cadette, Charlotte, chez qui son épouse est probablement décédée, à Saint-André, en 1823. L’acte d’inhumation indique qu’elle est veuve de « Pascal Chanquier », le rédacteur ayant peut-être confondu le prénom du défunt mari avec celui de son fils, cordonnier à Sainte-Anne.
On trouvera peut-être un jour, ici ou en France, la trace de ce personnage énigmatique, et peut-être tout simplement menteur.
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Note: Les références apparaîtront dans la version imprimée.

Augustin Lévesque, dit Levake, soldat de la Révolution

(Quand les « Bostonnais » en rébellion contre l’Angleterre ont essayé de prendre Québec en 1775, les Canadiens, particulièrement ceux de la Beauce, de Lévis et de la Côte-du-Sud, leur ont majoritairement manifesté de la sympathie. Certains se sont même enrôlés dans l’armée révolutionnaire et quelques-uns, après l’échec du siège de Québec au printemps 1776, ont poursuivi la guerre d’indépendance à leurs côtés dans les colonies de Nouvelle-Angleterre.)

Augustin Lévesque est né à Rivière-Ouelle, le 31 mai 1754, premier enfant issu du mariage de Jean Baptiste Levesque avec sa seconde épouse, Marie Marthe Michon. Il était donc en âge de s’impliquer dans le conflit en 1775. Le Rapport Baby ne le mentionne pas comme enrôlé avec les rebelles américains, mais, en 1820, John Baptiste Vinet, Louis Marnay et Basil Nadeau (tous résidents de Champlain, N.Y.) témoigneront en sa faveur auprès du Bureau des pensions en disant que le nommé « Augustus Levake », « who in French was called Augustin Leveque », a participé au siège de Québec avec eux et a retraité du côté d’Albany avec l’armée américaine au printemps 1776. Les trois anciens soldats de la révolution ne l’ont cependant pas vu après 1779 ou 1780.

Sa carrière

Selon sa déclaration du 2 avril 1818, Augustin s’enrôle en janvier 1776 dans la compagnie du capitaine Campbell au sein du régiment du colonel (Alexander) McDougall, soit le First New York Regiment. Après la retraite des Américains, il continue de servir dans ce régiment jusqu’en décembre alors qu’il est embrigadé, à Albany, dans la compagnie du capitaine Robichaud au sein du régiment de Livingston, ce que confirme son dossier militaire. Les fiches permettent de suivre ses déplacements qui ressemblent à ceux de son compagnon Chrétien. D’après sa déclaration de 1818, il aurait participé au siège du Fort Stanwix (août 1777), aux batailles de Saratoga (septembre-octobre 1777) et à la bataille du Rhode Island (août 1778); il aurait été blessé lors des deux derniers engagements.

La dernière fiche au dossier réfère à l’appel (« muster roll ») du 16 janvier 1780, à Morristown ; on peut y lire : « Deserted dec. 24 1779 ». Une liste des troupes de New York indique aussi qu’il a déserté ce jour-là, en même temps que Francis Leclaire.
Le régiment de Livingston été dissous le 1er janvier 1781 et ses hommes furent en partie intégrés au régiment Hazen, mais on ne trouve pas de Lévesque, quel que soit l’orthographe utilisé, dans les dénombrements de ce régiment. Sa dernière « présence » dans les archives militaires semble bien être sa désertion du 24 décembre 1779, même s’il déclare, 40 ans plus tard, qu’il a été « honourably discharged at Morristown in the State of New Jersey » en décembre 1782. On peut en douter, surtout qu’il n’en produit pas de preuve (son certificat normalement signé par Washington).

L’après-guerre

On manque d’informations sur ce qu’il a fait à la fin (quelle qu’elle soit) de sa carrière militaire. Il a épousé Lucy Clark, probablement au Connecticut en 1783, et aurait possédé une terre à Hanover, N. H., où est né au moins un de ses six enfants. En 1791, il figure au recensement de Bolton, au Vermont, où il a possédé un hôtel.
En 1818, Augustus obtient une pension de $8 par mois, mais, deux ans plus tard, quand la loi est resserrée pour écarter les faux nécessiteux, il ne répond plus aux critères d’admissibilité parce qu’il a une propriété. D’après son petit-fils, George J. Levake, il serait devenu très pauvre à la fin de sa vie. Désormais sans propriété, il aurait à nouveau demandé une pension, mais serait mort avant de l’obtenir.
Augustus Levake est décédé le 1er septembre 1822 à Bolton, Vermont, laissant une succession déficitaire. Dans le cimetière de East Bolton, sa stèle funéraire a perdu sa partie supérieure, mais une plaque commémorative, au sol, rappelle sa participation à la guerre de la Révolution.

Levage-grave
En 1846, George J. Levake s’adresse au secrétaire de la Guerre pour exposer les mérites de son grand-père, soldat de la Révolution, de son père et de deux oncles, soldats de la guerre de 1812, et d’un autre oncle, le major William W. Lear, qui vient de mourir pendant la guerre du Mexique. L’objectif de ce panégyrique est de demander l’aide de l’honorable Marcy pour trouver les documents prouvant qu’Augustus était admissible à la pension, le tout dans l’espoir que ses héritiers puissent la toucher. « We are needy », écrit-il en post-scriptum.
La réponse du Pension Office est sans appel : Levake a touché une pension du 2 avril 1818 au 4 mars 1820 « when it ceased as he did not exhibit a schedule of his property in compliance with the provisions of the act of May 1, 1820. There is no law under which his children can obtain any amount of pension whatever on account of his revolutionary service ». Dossier fermé.

La légende familiale

Un siècle après la mort d’Augustus Levake, au moins trois de ses descendants se sont adressé au Bureau des pensions pour avoir des renseignements sur l’origine et les états de service de leur ancêtre. « My mother, écrivait Mrs A. G. Seitz, de Syracuse, en 1922, has always said his great grand father came over with Lafayette and was in the Revolution but she never knew where he enlisted ».
Deux ans plus tard, Emma Levake Gifford, de Maplewood, N. J., reprenait la même légende, légèrement embellie :

The marquis de La Fayette, as I understand, came to America during the Revolution bringing with him eleven chosen companions as his « staff » or suite… I have reason to believe that my great grand father was one of the eleven and would like to verify my belief, if possible. […] My great grand father name was Augustus Levake (anglicized) spelled originally De L’Eveque [sic]. His picture, I was told, was in the French Building at the Chicago World’s Fair.

Augustus Levake avait-il son portrait à l’exposition universelle de 1893? Ce serait très étonnant. La réponse du fonctionnaire du Bureau des pensions a détruit la légende: c’était un simple soldat du Bas-Canada.

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Note: Les références apparaîtront dans la version imprimée.

Julien et Noël Bélanger, deux fils du seigneur de L’Islet enrôlés pour le Congrès en 1776

(Quand les « Bostonnais » en rébellion contre l’Angleterre ont essayé de prendre Québec en 1775, les Canadiens, particulièrement ceux de la Beauce, de Lévis et de la Côte-du-Sud, leur ont majoritairement manifesté de la sympathie. Certains se sont même enrôlés dans l’armée révolutionnaire et quelques-uns, après l’échec du siège de Québec au printemps 1776, ont poursuivi la guerre d’indépendance à leurs côtés dans les colonies de Nouvelle-Angleterre.)

Le Rapport Baby (1776) identifie les Sudcôtois enrôlés au service des rebelles et mentionne, pour L’Islet, « deux fils de feu Frs Bélanger ». Il s’agit de Julien Victor Bélanger, né le 13 et baptisé le 21 octobre 1752, et Noël Bénoni Bélanger, né le 12 et baptisé le 13 mai 1754, tous deux fils de feu Jean-Francois Bélanger dit Bonsecours, de son vivant seigneur de L’Islet[1].

Selon les registres officiels, les frères Bélanger se sont enrôlés dans le 2d Canadian Regiment, dirigé par Moses Hazen, le 1er décembre 1776[2]. En fait, ils se sont engagés aux côtés des Bostonnais avant cette date puisque le rapport Baby a été rédigé en juillet. Le nom de Noël Bélanger figure dans la liste des volontaires[3] embauchés par Jean Ménard dit Brindamour à l’automne 1775. Il pourrait donc avoir participé à l’attaque contre Québec. Il figure aussi sur une liste de personnes recrutées par Alexandre Ferriole en février 1776 pour 12 mois[4]. Julien est plus explicite : dans une déclaration faite en 1818, il dit « that he was in the battle of Québec before his enlistement[5] ».

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On sait peu de choses de Noël. Il appartenait à la compagnie du capitaine Olivie et il a obtenu sa « décharge » le 21 juin 1783. En août 1787, il était parmi les soldats canadiens réfugiés au lac Champlain avec une « famille » de deux personnes[6]. Avait-il déjà une conjointe? Il s’est marié deux ans plus tard, le 26 janvier 1789, à Chambly. L’acte indique qu’il résidait à « Rivière Chazy, Lac Champlain », tout comme son épouse Marie-Ursule Boileau, fille d’Amable Boileau qui était aussi réfugié. Il se pourrait bien qu’ils aient vécu ensemble avant de régulariser leur union.

En 1788, Noël cède à Benjamin Mooers les 500 acres de terres qu’il a obtenus de l’État de New York, à « Chazy River », à titre de soldat réfugié[7]. Au recensement de Champlain en 1790[8], il n’y a toujours qu’une personne avec lui. On ne sait rien à son sujet par la suite, que ce soit le nom de ses enfants (s’il en a eu[9]) ou la date et le lieu de son décès, sûrement antérieur à 1818, date de la création du régime de pension des anciens combattants.

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Yorktown

Le siège de Yorktown, 1783

On en sait plus sur son frère Julien qui a bénéficié d’une pension. Il fait sa première demande, en vertu de la loi de 1818, probablement à Plattsburg, le 30 mars 1818[10] :

I Julian Belanger, one of the Canadian refugees, now of the town of Chazy [declare] that I was a private in the company commanded by captain Olivie in the regiment commanded by col. Moses Hazen called one of the Congress Regiment in the armies of the United States of America […] in the war of revolution, that I enlisted at Albany the spring that the army which had been under command of general Montgomery retreated from Canada which I believe was in the year 1776 in the regiment of col. Hazen, that I served about seven years & upward & was enlisted to serve during the war, that I was discharged at New Windsor in the state of New York in the spring or the summer after peace was made with Great Britain, that my discharge was destroyed by fire in my brother’s house, that by reason of my reduced circumstances in life I am in need of assistance from my country for support.

La déclaration[11] qu’il fait le 3 octobre 1820, pour se conformer à la loi de la même année, présente à la fois des différences et des précisions :

he enlisted in october 1776 in captain Oliver Company col. Moses Hazen Regiment called the Congress Regiment for during the war and continued to serve until June 1783 when he was honorably discharged[12] at Pompton, New Jersey, that he was in the battle of Quebec before his enlistement, White Plains [1776], Germantown [1777], Long Island [1776], Brandywine [1777], and the taken of Cornwallis [Yorktown, 1781] after his enlistment.

En août 1787, il est avec son frère parmi les soldats canadiens réfugiés au lac Champlain, avec une « famille » de deux personnes. Un an plus tôt, le 14 août 1786, il avait épousé Marie Marguerite Vigeant dite Taupier (née en 1769) à Pointe-Olivier (Saint-Mathias), la cousine de celle qui deviendra sa belle-sœur en 1789. Le marié est identifié dans l’acte de mariage comme résident de la « paroisse Saint-Joseph », soit Chambly.

Comme son frère, il a cédé en 1789 ses droits sur la propriété qu’il avait obtenue à titre de réfugié; d’après l’acte de baptême d’un enfant né à « pointe aux Roches » près de Plattsburg, en 1801, il aurait été « journalier », mais, dans sa demande de pension de 1820, il se dit « farmer ».

Le Programme de recherche en démographie historique lui attribue sept enfants nés entre 1788 et 1802. Les actes de baptême sont enregistrés à Chambly, sauf le dernier qui est à Saint-Mathias. L’avant-dernier, en 1798, mentionne que les parents résident toujours au lac Champlain et le dernier précise que l’enfant est né à « la pointe aux Roches, lac Champlain »; il est toutefois évident que tous ces enfants sont nés ailleurs, comme nous le suggère le délai entre la naissance et l’acte de baptême qui varie entre un mois et seize mois[13].

Nom                             Naissance        Baptême          Lieu du baptême

Antoine                       1788-01-27        1788-02-27        Chambly
Jean                             1789-03-02        1790-06-13        Chambly
Julien                          1793-11-02         1795-05-25        Chambly
Marguerite                 1794-03-19?      1795-05-25        Chambly
Marie Catherine      1796-02-09?       1796-06-19        Chambly
François                      1798-05-26        1799-05-26         Chambly
Marie Josephe         1801-04-?           1802-09-14         Pointe-Olivier (Saint-Mathias)

Le couple a cependant eu d’autres enfants aux États-Unis, car Julien en déclare quatre plus jeunes en 1820, soit John, 14 ans, Michaël, 11 ans, Mary, 10 ans, et Thomas, 7 ans. Les sept premiers, s’ils ont vécu jusqu’à l’âge adulte, avaient alors plus de 20 ans et avaient vraisemblablement quitté la maison.

Le juge qui reçoit sa demande de pension en 1818 certifie que ses témoins sont crédibles et qu’il est « in reduced circumstances and stands in need of the assistance of his country for support ». Le 1er février 1819, Julien Bélanger obtient une pension de 8$ par mois rétroactive au 30 mars 1818 (no 6852).

Le 3 octobre 1820, il doit faire une nouvelle demande[14] en précisant l’état de ses biens. Il déclare devant la Court of Common Pleas qu’il n’a aucun bien immobilier et, « excepting necessary bedding and clothing », seulement « one Peg [?], one pot, on tea kettle, 2 plates, one platter, 2 cups and saucers, 2 old chairs and a jacknife ». Ces biens sont évalués à 3,69$ par la Cour. Ils sont bien minces pour une famille de six…

Au sujet de sa condition personnelle et de sa famille, il déclare :

I am by occupation a farmer but for age and infirmity am unable to labor much, my family consists of my wife Pegg Belanger aged about sixty four[15] and four children aged as follow John aged 14 years, Michael, aged 11 years, Mary, aged 10 years and Thomas aged 7 years, my wife and children are tolerably healthy but unable to do much towards their support.

La pension de Julien Bélanger est maintenue jusqu’à son décès, à Chazy en novembre 1831. Sept ans plus tard, le Congrès adopte une loi accordant une pension aux veuves. Le 25 août 1838, munie d’un extrait des registres de Chambly et appuyée par Alexander Ferriole, « Margaret Bélanger » fait enregistrer une déclaration[16] pour établir qu’elle est bien la veuve de Julien Bélanger, mais qu’elle ne peut aller témoigner en cour à cause de ses infirmités (« bodily infirmity »). Le 13 octobre 1838, elle obtient une pension de 80$ par année rétroactive à 1836.


[1] Sur les deux frères, les meilleures pistes ont été trouvées sur WikiTree, en ligne,https://www.wikitree.com/wiki/Belanger-1507 et https://www.wikitree.com/wiki/Belange-8.

[2] U.S. National Archives, Revolutionary War Rolls List of Officers and Men of Colonel Moses Hazen’s 2nd Canadian Regiment […], en ligne https://catalog.archives.gov/id/601003.

[3] U.S. National Archives, Revolutionary War Rolls, États des paiements […], en ligne, https://www.fold3.com/image/246/10124830.

[4] U.S. National Archives, Revolutionary War Service Records, dossier Noël Bélanger, en ligne https://www.fold3.com/image/12152249.

[5] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, dossier Julian Bélanger, en ligne https://www.fold3.com/image/11406946.

[6] Papers of the Continental Congress, Pétitions…, en ligne, https://www.fold3.com/image/436181?terms=antill%20ayot.

[9] Il y aurait des recherches à faire du côté américain.

[10] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, dossier Julian Bélanger, https://www.fold3.com/image/11406969. Témoins, Benjamin Mooers, à l’époque adjudant dans le régiment de Hazen, et Peter Roberge, concitoyen de Chazy.

[12] Sa « décharge » est datée du 21 juin 1783 selon son dossier militaire. U.S. National Archives, Revolutionary War Service Records, Continental Troops, Hazen’s Regiment, https://www.fold3.com/image/1/12152210.

[13] Il y a sûrement erreur dans la date de naissance de Julien ou de Marguerite, ou des deux, qui ne peuvent être nés à quatre mois d’intervalle.

[14] La Loi sur les pensions de 1818 (Revolutionary War Pension Act) prévoyait des pensions à vie pour ceux qui avaient servi au moins neuf mois dans l’armée continentale et qui étaient « in reduced circumstances » et « in need of assistance from [their] country for support ». Les difficultés financières du pays et les accusations selon lesquelles certains demandeurs simulaient la pauvreté pour obtenir des prestations en vertu de cette loi ont amené le Congrès à corriger le tir en 1820 pour exiger que chaque pensionné recevant des paiements en vertu de la loi de 1818, et chaque pensionné potentiel, soumette un état certifié de ses actifs et de son revenu au secrétaire de la Guerre.

[15] Si elle est bien née en 1769 (PRDH), elle n’en aurait que 51.

[16] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, dossier Julian Bélanger, https://www.fold3.com/image/11406977.

Joseph Labbé (c.1754-1835), brave soldat qui revient de guerre…

(Quand les « Bostonnais » en rébellion contre l’Angleterre ont essayé de prendre Québec en 1775, les Canadiens, particulièrement ceux de la Beauce, de Lévis et de la Côte-du-Sud, leur ont majoritairement manifesté de la sympathie. Certains se sont même enrôlés dans l’armée révolutionnaire et quelques-uns, après l’échec du siège de Québec au printemps 1776, ont poursuivi la guerre d’indépendance à leurs côtés dans les colonies de Nouvelle-Angleterre.)

Le cas de Joseph Labbé illustre l’ambivalence de certains Sudcôtois envers la cause des rebelles américains et les conséquences de l’éloignement sur la vie de couple.

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Labbé est né vers 1754 du mariage de Jean-François Labbé (1731-1790) et de Marie-Josephe Gaulin, veuve de Charles Caron. Les deux parents étant de Saint-Jean-Port-Joli, Joseph est probablement né dans cette paroisse, alors desservie par le curé de L’Islet, plus précisément à la Demi-lieue (petite seigneurie située à l’est de Saint-Jean-Port-Joli), où se trouvait la terre familiale.

Joseph a donc environ 22 ans, au printemps 1776, quand le seigneur de l’île aux Grues, à la demande du gouverneur Carleton, rassemble une troupe loyale à Sainte-Anne pour aller déloger les Bostonnais qui campent à Pointe-Lévy depuis l’automne précédent. Ce bataillon improvisé se met en marche le 23 mars et augmente en nombre sur sa route vers Saint-Thomas. Joseph se joint à la troupe avec une douzaine d’habitants de Saint-Jean. Il s’est probablement rendu à Saint-Thomas, mais l’opération s’est arrêtée là : l’avant-garde envoyée à Saint-Pierre est défaite le 25 mars par une force supérieure formée de soldats américains venus de Pointe-Lévy et de sympathisants rebelles des paroisses situés à l’ouest de Saint-Thomas. Chacun rentre chez soi et le siège de Québec continue jusqu’au début de mai.

Le 3 novembre, Joseph Labbé épouse une jeune fille qui n’a pas encore 17 ans (née le 26 décembre 1759), Marie-Ursule Ducros dite Laterreur[1], fille d’Antoine Laterreur fils qui aurait brièvement porté les armes pour les rebelles américains, selon le Rapport Baby. En cadeau de noces, Joseph reçoit en donation la terre familiale de la Demi-lieue[2]. Un premier enfant, Marie-Ursule, est baptisé à Saint-Jean le 1er octobre 1777 en présence du père et de la mère.

Le père a vraisemblablement quitté la paroisse dans les jours suivants car, 15 jours plus tard, il fait partie de l’armée du général Burgoyne qui subit la défaite aux mains des insurgés à Saratoga, N.Y., le 17 octobre 1777. Joseph Labbé se retrouve prisonnier.

Saratoga-défaite brit. 1777

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Sans nouvelles de son mari et en deuil de sa fille morte en mai 1778, Marie-Ursule se console dans les bras d’un navigateur, Thomas Fonjamy dit Vadeboncoeur (Québec, 1853-Saint-Jean-Port-Joly, 1828), ce qui déplait au beau-père qui veut protéger le bien familial et éviter que sa terre se retrouve entre le mains de Fonjamy. Le 10 août 1780, il se rend chez le notaire Cazes pour s’opposer

à l’insinuation d’une donation cy-devant par lui faite en faveur de Joseph Labbé, son fils, détenu prisonnier dans l’affaire de monsieur Bourgogne [sic], général dans le temps des armées de Sa Majesté, encore détenu par les sujets infidèles à leur Roi, vu le mauvais commerce de la femme du dit Labbé[3].

Mais Joseph Labbé n’est pas prisonnier!

En fait, il l’a été quelques jours après la bataille de Saratoga, le 17 octobre 1777, mais, sollicité par les rebelles qui lui donnent le choix entre l’emprisonnement et le service militaire, Labbé a viré capot et s’est enrôlé pour toute la guerre dans le régiment du colonel Livingston le 22 octobre 1777. Les dossiers des soldats (service records) qui ont servi durant la guerre d’indépendance[4] permettent de suivre son parcours, son transfert dans le régiment de Moses Hazen vers 1780, son incorporation dans la compagnie du capitaine Clément Gosselin en 1781 et sa libération (discharge) par Washington le 30 juin 1783. Il a touché alors la prime (gratuity) de 80$ promise en mai 1778 aux soldats qui auront servi jusqu’à la fin de la guerre.

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Entre-temps, à Saint-Jean-Port-Joli, le père Labbé est devenu bedeau, mais ne paraît pas avoir mis fin au « mauvais commerce » des amants Laterreur-Vadeboncoeur, quand, sans avoir donné de nouvelles depuis des années, semble-t-il, Joseph Labbé se pointe à la Demi-lieue à l’automne 1783. L’affaire se corse : le curé de Saint-Jean (dont la Demi-lieue relève depuis 1775) demande conseil à son évêque au sujet d’un jeune homme arrivé à l’automne « de chez ‘les Bostonnais’ où il avait été fait prisonnier […] et dont la femme a fauté en son absence »; il raconte que l’amant a battu le conjoint légitime en sortant de grand’messe, mais que ce dernier « est prêt à reprendre sa conjointe à condition que le jeune effronté, qui navigue tout l’été, quitte la paroisse[5] ». L’évêque ne veut pas s’en mêler : c’est aux juges civils, écrit-il le 19 décembre, qu’il appartient de chasser Fonjamy de la paroisse[6].

Tout semble se régler sans intervention des tribunaux. De février 1785 à juillet 1795, Labbé et son épouse retrouvée font baptiser neuf enfants à Saint-Jean-Port-Joli! De son côté, Vadeboncoeur se marie au même endroit le 12 février 1787 avec Marie-Brigitte Couture qui lui en donnera sept. C’est finalement Labbé qui, vers 1796, quitte Saint-Jean pour Kamouraska où son épouse accouche encore au moins quatre fois. Plusieurs enfants du couple Labbé-Laterreur se marient dans cette paroisse entre 1807 et 1821.

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En mai 1828, le Congrès des États-Unis adopte une loi pour aider les anciens combattants de la guerre d’Indépendance. Cette loi accorde un plein salaire à vie aux soldats qui avaient bénéficié de la prime accordée par le Congrès en 1778.

La première demande de Labbé, probablement à la fin de 1828, n’est pas dans son dossier. Elle a été acceptée puisqu’il se rend aux États-Unis, en avril 1829, pour toucher l’argent qui lui est dû (soit $80 par an). Le 2 avril, il s’identifie devant un juge de paix comme « Joseph Labe, of Rouse’s Point[7], in the county of Clinton », ancien soldat du régiment du Congrès commandé par le colonel Hazen. Joseph Labbé fils et un certain Charles Whyte témoignent en sa faveur devant le juge Averill[8].

La suite est compliquée et exigerait de longs développements. Disons pour résumer qu’une confusion s’est installée entre son dossier et celui de Joseph Labo[9] – certains croyant que c’était la même personne –, ce qui a amené le juge Averill à convoquer les deux hommes, le 19 février 1830, pour clarifier la situation. Dans la déclaration faite à cette occasion, Labbé est un peu mêlé dans ses souvenirs. Il déclare s’être engagé en 1776 dans la compagnie de Gosselin; il n’est pas certain du moment où il a reçu sa « décharge », qu’il a d’ailleurs perdue. Il précise toutefois – dans la mesure où on peut se fier à la mémoire de l’ancien combattant d’environ 75 ans – qu’il a participé aux batailles de Long Island, White Plains, Delaware et à quelques escarmouches[10]. Pas un mot, évidemment, de Saratoga…

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Joseph Labbé est mort, à Saint-Pascal, le 24 février 1835, à environ 80 ans. Sa veuve s’est ensuite rendue aux États-Unis pour obtenir les arrérages de sa pension[11]. À cette époque, la veuve d’un ancien combattant ne pouvait toucher que la partie d’une pension qui n’était pas encore versée au moment du décès de son mari, mais, en vertu d’une loi adoptée en 1836[12], certaines veuves d’anciens combattants de la guerre d’Indépendance obtiennent le droit à une pension, si elles se sont mariées avant la dernière période de service du défunt, ce qui était le cas de la veuve de Labbé, mariée 60 ans plus tôt!

Le dossier de Labbé ne pas permet de voir si sa veuve a demandé de bénéficier de cette loi dès son adoption, mais elle l’a fait 10 ans plus tard.

Le 11 août 1846, probablement à Champlain, N.Y., Ursule Labbé enregistre une déclaration devant le juge de paix Everest en vue de bénéficier de la loi de 1836. Âgée de (presque) 87 ans, elle ne peut se présenter en cour à cause de ses handicaps physiques (« from bodily infirmities[13] »). Quatre jours plus tôt, son petit-fils Magloire (« McGloi ») Labbé, de Saint-Pascal, avait aussi fait une déclaration, exposant qu’il hébergeait son grand-père durant les dernières années de sa vie et qu’il était présent à sa mort le 24 février 1835 et avait assisté à son inhumation le 26, à Saint-Pascal[14].

Un agent à Champlain, Silas Hubbell, probablement un avocat, s’occupe d’acheminer la demande Washington. « The old lady is destitute & very infirm » (la vieille femme est sans ressources et très handicapée), écrit-il le 14 août. Quelques détails retardent le règlement du dossier, qui lui semble pourtant clair. Il donne d’autres renseignements le 28 septembre, pendant que « the old woman is at a private boarding house waiting[15] ».

Le dossier semble réglé le 16 octobre 1846[16], mais Ursule Laterreur n’aura pas le plaisir d’en bénéficier : elle n’a que le temps de revenir à Saint-Pascal où elle décède le 28 novembre suivant.


[1] Elle était la demi-sœur de Marguerite qui sera une des concubines de Malcom Fraser.

[2] Paul-Henri Hudon, « Les premiers habitants du fief de L’Islet-à-la-Peau » L’Ancêtre, 31, 3 (printemps 2005), p. 197-210; sur Labbé, p. 205-206.

[3] Cité par P.-H. Hudon, op. cit., p. 206.

[4] U.S. National Archives, Revolutionary War Service Records, https://www.fold3.com/title/470/revolutionary-war-service-records.

[5] Gérard Ouellet résume l’incident dans Ma Paroisse, Québec, Éditions des Piliers, 1946, p. 72.

[6] RAPQ, 1929-30, lettre du 19 décembre 1783.

[7] Dans d’autres documents, il se dira Champlain ou Plattsburg.

[8] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, https://www.fold3.com/image/25058025.

[9] Le dossier de ce Labo semble un cas de fraude.

[10] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, https://www.fold3.com/image/25058035.

[11] Elle aurait eu l’aide du major général Skinner, ibid., https://www.fold3.com/image/25058005.

[12] « Pensions Enacted by Congress for American Revolutionary War Veterans », https://sites.rootsweb.com/~fayfamily/pensions.html.

[13] U.S. National Archives, Revolutionary War Pensions, https://www.fold3.com/image/25057951.