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La mémoire d’un pays rebelle

Compte-rendu du livre Un pays rebelle par Simon Rainville, L’Aut journal, 22 juin 2023
(https://www.lautjournal.info/20230622/la-memoire-dun-pays-rebelle)

En 2009, l’historien Éric Bédard a tenu à la radio une chronique sur la Conquête dans laquelle il disait en substance : « Je me suis rendu compte en préparant cette émission que je pouvais expliquer les différentes interprétations de l’impact de la Conquête sur l’histoire du Québec, mais que je connaissais très mal l’événement en lui-même. »
Quelques années plus tard, Jonathan Livernois remarquait dans La permanence tranquille (Boréal) qu’aucune des dates que l’on fête au Québec n’est liée à un événement précis. La fête des Patriotes, par exemple, n’est pas associée à une date clé du mouvement, comme c’est le cas du 4 juillet aux États-Unis qui célèbre la Déclaration d’Indépendance. Au Québec, rien de tel. Nous avons une « mémoire sans intention, donc sans intentionnalité », comme le dit si justement Yvan Lamonde dans Un coin dans la mémoire (Leméac, 2017).
J’ai repensé à tout ça en lisant Un pays rebelle (Septentrion, 2023) de Gaston Deschênes. Un peu à la façon de L’émeute inventée (VLB, 2014) de James Jackson, qui avait fait revivre, par une recherche rigoureuse en archives, les élections décisives de 1834 qui ont contribué à la radicalisation des Patriotes, le livre de Deschênes entre dans l’événement, dans le quotidien des rebelles qui ont participé à la guerre d’Indépendance américaine sur la Côte-du-Sud. L’étude rappelle Québec sous la loi des mesures de guerre : 1918 (Lux, 2014) de Jean Provencher, qui suivait les agissements des citoyens lors de l’imposition de la conscription.

Trois appréciations
Avec Deschênes, on suit ces hommes et ces femmes qui se sont tenus debout face à la Grande-Bretagne — qui venait de nous envahir une quinzaine d’années auparavant — et ont rêvé à un avenir meilleur. On peut presque voir, sentir, entendre ces personnes, comme Clément Gosselin ou Pierre Ayotte, qui ont parfois pris les armes (environ 500), mais plus souvent offert de l’aide logistique à l’avancée américaine pratiquement jusqu’à Québec en 1775 et 1776. Dans plus de la moitié des secteurs, « les Sudcôtois penchaient très majoritairement, voire massivement, pour les rebelles », précise l’historien. La situation était à ce point tendue que les capitaines, les officiers et sous-officiers de la milice ont presque tous subi des représailles de la part de la Grande-Bretagne.
Plusieurs des nôtres ont cependant préféré demeurer dans une « neutralité participative », position que nous tenons encore trop souvent, qui nous empêche de nous ériger réellement comme acteurs de notre propre histoire. Ils ont choisi d’être des spectateurs qui laissent le rôle principal aux Américains tout en ne nuisant pas à leur plan (ravitaillement, surveillance, etc.).
D’autres ont tout simplement été hostiles aux insurgés. Ils se sont bercés d’illusions sur les bienfaits culturels de l’Acte de Québec de 1774 en oubliant tout ce qu’il contient de néfaste en matière de soumission politique. Selon Deschênes, les Américains rappellent sans cesse à nos ancêtres « que l’Acte de Québec risque de les priver de cinq droits dont ils bénéficiaient à titre de “nouveaux sujets” britanniques depuis 1764, soit un gouvernement représentatif (ce qu’ils n’ont pas pour le moment et n’auront qu’en 1791), le procès devant jury, l’habeas corpus, la pleine propriété terrienne et la liberté de presse ». Une leçon de politique, en somme, que nous n’avons toujours pas comprise. Nous continuons à présenter cet Acte uniquement comme un garant de nos droits culturels.

Illusion et dénigrement
Nous nous berçons encore d’illusions quant à notre capacité de vivre dans ce beau et grand Canada. Dans son mandement, monseigneur Briand demandait aux nôtres de prendre le parti de la Grande-Bretagne plutôt que celui des treize colonies, prétextant que la « voix de la religion et celle de vos intérêts se trouvent ici réunies ». Il scellait ainsi notre compréhension du politique pour les siècles à venir : défendre notre culture, d’un côté, et la suprématie du pouvoir anglais, de l’autre, devaient représenter notre voie de salut.
Et cette illusion est entretenue par les amis du régime, britannique à l’époque, canadien aujourd’hui. Les Baby, Taschereau et autres d’autrefois sont remplacés par leurs semblables aujourd’hui, mais la logique demeure celle de la collaboration avec le plus fort afin d’asseoir son pouvoir de roitelet sur ses congénères.
Évidemment, ce sont eux, les vainqueurs, qui ont écrit l’histoire et ont forgé la mémoire que nous avons de ces événements, si tant est que nous en ayons une. Ainsi, les historiens fédéralistes et les purs et durs de la dépendance, relayés par le clergé qui nous a vendu la Conquête providentielle qui aurait permis aux nôtres de demeurer de bons catholiques, ont longtemps laissé entendre que les insurgés étaient minoritaires, agressifs, vagabonds et profiteurs. Comme si les puissants n’étaient pas une minorité de profiteurs à qui la bonne entente du Canada était bénéfique depuis toujours.
Deschênes montre qu’il n’en est rien, que les rebelles étaient pour la plupart des artisans et des paysans, de simples citoyens, en somme, de ceux et celles par qui les vrais changements historiques se produisent, loin des prétendus grands hommes qui façonneraient l’histoire.
Ces gens de peu, qui n’avaient que leur sens de la liberté, de la justice et du courage, n’avaient pas d’éducation. C’est le malheur qui s’est longtemps abattu sur le Québec. S’ils n’avaient pas les fins mots de l’analyse politique, ils étaient debout. « La “tyrannie” dont [Gosselin parle est l’absence de représentation au sein du gouvernement, conclut l’historien ; la liberté, c’était une autre façon de dire “indépendance”. »

L’absence d’organisation politique
Deschênes remarque à juste titre que, ce qui manquait à ces hommes debout, c’était une organisation politique. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons encore en partie. Malgré la création de partis indépendantistes comme les patriotes, le RIN, le PQ, ou QS, le Québec est encore en déficit d’organisation proprement politique, c’est-à-dire qui ne joue pas selon le jeu du colonisateur. C’est la compréhension du politique qui nous fait défaut. Deschênes lui-même conclut en disant que Londres n’avait pas intérêt à donner des institutions représentatives à nos ancêtres après la Conquête, malgré l’Acte de Québec. C’est inverser le problème : ce sont nos ancêtres qui auraient eu intérêt à renverser le pouvoir, à le saisir. Attendre après la gentillesse du colonisateur est une aberration.
Nous nous retrouvons donc encore aujourd’hui avec une mémoire à laquelle échappe la réalité du pouvoir. C’est pourquoi des livres comme celui de Deschênes sont précieux. D’abord parce qu’ils redressent une partie de la réalité historique en montrant que notre passé n’est pas fait que de bonne entente et qu’il y a une tradition de rébellion en nous. Ensuite, parce qu’ils exemplifient les relations de pouvoir qui, bien que plus douces, sont essentiellement les mêmes aujourd’hui. Finalement, parce qu’ils sont des fondements sur lesquels pourrait reposer une mémoire plus politique, plus concrète de nous-mêmes. Une mémoire qui se fonderait sur des événements, sur des symboles bien précis, identifiables dans ce qu’ils ont de simple : la réalité du pouvoir que l’on subit.
La fête des Patriotes, qui remplace celles de Dollard-des-Ormeaux et celle de la reine que le Canada aime tant, a le mérite d’évacuer tranquillement le symbole colonialiste britannique. Mais elle ne cimente aucune conception de notre domination dans notre imaginaire, là où le 4 juillet cristallise dans la mémoire collective américaine le symbole de la conquête politique contre la Grande-Bretagne. C’est pourquoi il faut chérir des créateurs de symboles comme Pierre Falardeau, qui a su faire du 15 février 1839 une date facilement reconnaissable, celle de la pendaison du rêve de l’indépendance du Québec.
En lisant James Jackson, je rêve d’une série sur l’élection mensongère du pouvoir britannique de 1834. En lisant Jean Provencher, je rêve d’une série documentaire sur la conscription de 1917-1918. En lisant Gaston Deschênes, je rêve d’un film sur ces insurgés de 1775-1776. Je rêve d’une mémoire fondée sur le réel. Je rêve d’un pays rebelle.

« Le Jour de l’An matin »

C’était une fin d’après-midi du Jour de l’An, au début des années 1970. On se préparait à monter au « deuxième rang » pour le souper traditionnel à la « maison paternelle ». À la radio, un air du Jour de l’An, inconnu mais entrainant, parle de vœux, de mets et de cadeaux : « Bonne santé à monsieur l’curé… Du bon tabac pour le grand-papa… D’autres liqueurs pour les enfants de chœur… » On en retient surtout la ligne qui revient comme un refrain à la fin des couplets :

« Une bouteille de Geneva pour les jobbeurs du Canada ».Maison familiale

Qui de nous a eu l’idée de parodier cette chanson pour nos oncles et tantes? C’est vite fait. Ça ne vole pas toujours bien haut, mais c’est de bon cœur : « De la teinture pour Marc-Arthur » qui grisonne, « un baby doll pour Marie-Paule », mariée sur le tard, une cure (poste de curé) pour « notre oncle supérieur » du collège.

Ma sœur tape le texte et réussit à en reproduire quelques copies avant le souper. Inutile de dire que « l’œuvre » improvisée a été le clou de la soirée et qu’on l’a chantée pendant plusieurs années.

***

J’ai plusieurs fois essayé de trouver les paroles de cette chanson dont on ne connaissait ni le titre ni l’auteur ni l’interprète…

C’est finalement grâce à Google que la lumière est venue, sur le site Identitaires québécois (http://www.mustrad.udenap.org/tounes/TQ294_reel_quebecois.html), curieusement disparu du web depuis.

La chanson s’intitule Le Jour de l’An matin et sa musique est inspirée d’un reel enregistré par Isidore Soucy (1899-1963) et Donat Lafleur (1892-1973) en 1929 sous le titre Reel québécois (https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/films-videos-enregistrements-sonores/gramophone-virtuel/Pages/Item.aspx?idNumber=1007637317). Le disque de la compagnie Starr précise que c’est une « danse de campagne » (country dance). On peut l’écouter sur le site Gramophone virtuel (https://www.collectionscanada.ca/obj/m2/f7/13253.mp3).

Jour de l'an-Reel québécois

Dans les années 1950, probablement vers 1954, si on se fie à une publicité du Courrier de Saint-Hyacinthe (10 décembre 1954) (https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2591476?docsearchtext=LE%20JOUR%20DE%20L%27AN%20MATIN%20oscar%20%20thiffault), Oscar Thiffault en fait une chanson et l’enregistre sous le titre Le Jour de l’An matin, comme s’il avait traduit littéralement New Year’s Day morning.

Thiffault était un artiste qui, ne parvenant pas à vivre de sa musique, a exercé bien des métiers, dont bûcheron dans les chantiers; il a donc sûrement connu des jobbeurs qui aimaient le gin Geneva. C’est à lui qu’on doit aussi Le Rapide blanc (https://www.youtube.com/watch?v=3YmnYbpqSzk) et Y mouillera pu pantoute.

Jour de l'an-Oscar

Le Gramophone virtuel donne des détails techniques sur la première version enregistrée sur78 tours (https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/films-videos-enregistrements-sonores/gramophone-virtuel/Pages/Item.aspx?idNumber=1289710907), mais ne précise pas la date de lancement et ne permet pas de l’écouter.

On peut cependant l’entendre maintenant sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=qu9ttSDjCYw) ainsi que le « 33 tours » au complet (https://www.youtube.com/watch?v=CJVjpPsFcp4) lancé par MCA Coral en 1973, époque probable de notre succès au « deuxième rang ».

Jour de l'an-Disque Thiffault

***

Le jour de l’an matin

1.
C’est le jour de l’an matin,
On voit tous les paroissiens
Quand la messe est terminée,
Ils se souhaitent une bonne année
Bonne santé à monsieur l’curé,
Joie et bonheur pour les enfants d’chœur
Une poignée d’main pour les paroissiens
Les filles embrassent les garçons
Le jour de l’An y en profit’ront

2.
C’est dans l’temps du jour de l’An
On va voir tous nos parents
Il faudra pas trop fêter
Pour ne pas se déranger
Du brandy pour les invités
D’autres liqueurs pour les enfants d’chœur
Un verre de vin pour les paroissiens
D’la bière et du whisky blanc
Pour les jobbeurs du Lac-Saint-Jean

3.
Au jour de l’An, on s’régale
De tourtière et de salade
De ragoût d’pattes de cochon
J’vous assure qu’on trouve ça bon
Du pâté pour les invités
Du pain du beurre pour les enfants d’chœur
Tarte aux raisins pour les paroissiens
Des binnes et d’la soupe aux pois
Pour les jobbeurs du Canada

4.
C’est dans l’temps du jour de l’An
On visite tous nos parents
On apporte les cadeaux
Dans un joli portemanteau
Du bon tabac pour le grand-papa
Des jolis gants pour la grand-maman
Un beau violon pour Gédéon
Une bouteille de Geneva
Pour les jobbeurs du Canada

5.
Mais le soir après souper
On s’prépare pour danser
On dira à Gédéon :
« Frotte l’archet’ sur l’arcanson »
Un set carré pour les invités
Une valse à deux pour les amoureux
Set canadien pour les paroissiens
Et on dansera-t-une polka
Pour les jobbeurs du Canada

Excusez-la!

Qui a écrit « Souvenir d’un vieillard »?

Qui ne connaît pas la chanson « Souvenir d’un vieillard » ?
« Petits enfants, jouez dans la prairie… »

Souvenir d'un-Bonne chanson en-tête

Dans le troisième volume de C’était l’bon temps (Montréal, Éditions T.M., 1979), Philippe Laframboise présente « cette chanson sans âge et sans auteur » comme « la plus grande et la plus émouvante de tout le répertoire folklorique québécois ».

Elle a été popularisée au vingtième siècle par Conrad Gauthier et Eugène Daignault, notamment, puis reprise par de nombreux interprètes, dont les chanteurs country Georges Hamel, André Clavier (né Gobeil), Paul Daraîche et Patrick Normand, au point où certains ont cru que ces derniers l’avaient composée (https://www.youtube.com/watch?v=CxOqDMJVpJw).
« Souvenir d’un vieillard » a été enregistré sur disque et reproduit dans plusieurs recueils, mais les éditeurs de livres et de disques n’ont pas donné le nom de l’auteur.
Les deux plus anciens enregistrements seraient ceux d’Eugène Daignault (1895-1960) et de Conrad Gauthier (1885-1964), tous deux en 1930, semble-t-il, soit

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Dans les deux cas, l’étiquette mentionne seulement « Vieille chanson », ce qui porte à croire qu’elle date du dix-neuvième siècle. Dans les deux cas,  « Souvenir » est au pluriel.

Une première publication ?
Uldéric-S. Allaire, de Victoriaville, aurait été le premier à publier les paroles de « Souvenir d’un vieillard » dans Le chansonnier canadien édité chez Beauchemin (p. 22) en 1931, mais il ne donne pas l’origine de la chanson.

Chansonnier Canadien

 

Souvenir-Allaire 1931

L’année précédente, Conrad Gauthier avait aussi publié un recueil intitulé Quarante chansons d’autrefois, chez Archambault (Le Devoir du 15 mars 1930), mais on n’y trouvait pas Souvenir d’un vieillard. Il l’inclura cependant dans la deuxième série, 40 autres chansons d’autrefois (chez Archambault, probablement en 1947), et regroupera les deux ouvrages dans son répertoire intitulé Dans tous les cantons en 1963. À aucun endroit, Gauthier ne mentionne le nom de l’auteur.

Gauthier 1930  Capture d’écran 2023-12-26 190358

Entre-temps, « Souvenir d’un vieillard » apparaît dans le troisième cahier de La Bonne chanson en 1938, puis dans Les 100 plus belles chansons, publiées à Saint-Hyacinthe, par Les Éditions de la Bonne chanson, en 1948, avec la mention « Chanson d’autrefois ».

Cent plus belles... 1948

D’où vient donc cette chanson ?
La consultation du catalogue de BANQ et de son moteur de recherche qui donne accès aux journaux et revues du Québec n’a pratiquement rien donné; même chose pour le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.
Une chansonnette intitulée « Les souvenirs d’un vieillard » figure dans la Bibliographie de la France en 1859 sous le nom de Victor Robillard (Paris, 1827 — Paris, 1893), compositeur et chef d’orchestre, et les paroles sont de Louis-Adolphe Turpin de Sansay (Selongey, 1832 — Paris, 1891), auteur dramatique, chansonnier et écrivain français. Impossible toutefois de trouver les paroles.

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Cette « chansonnette » est annoncée dans une publicité du septième tome de Collection musicale, recueil choisi pour le chant, de chansons populaires, romances, mélodies, barcarolles, chansonnettes, airs d’opéras, etc. (édité à Lyon en 1865), mais n’est pas reproduite dans le recueil. Impossible d’en vérifier le texte.

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C’est probablement la « chansonnette » annoncée par J.-B. Rolland & fils dans La Minerve, à Montréal, le 21 juillet 1860, mais s’agit-il de notre « Souvenir d’un vieillard » ?

Deux auteurs proposés
Dans L’Union des Cantons de l’Est du 19 novembre 1931, l’auteur anonyme d’une recension du Chansonnier canadien d’Uldéric Allaire avance que « les paroles [de “Souvenir d’un vieillard”] sont de notre bon poète Pamphyle [sic] Lemay » (Lotbinière, 1837 — Deschaillons, 1918), ce qui est bien peu probable, car cet auteur était bien connu à l’époque où la chanson est devenue populaire après les enregistrements de 1930. Gauthier le connaissait sûrement et lui aurait reconnu la paternité de la chanson dont il a fait un succès. La piste mériterait cependant d’être suivie.
« L’auteur serait Albert Larrieu, un Français né en 1872 et mort en 1925 », selon ce qu’écrit @RepaireDuRadio sur Youtube. Larrieu a séjourné au Québec de 1917 à 1922 et composé plusieurs chansons dont certaines sont reproduites dans La Bonne Chanson. S’il avait composé « Souvenir d’un vieillard », l’abbé Gadbois l’aurait su, et Gauthier aussi. Ce serait au début du vingtième siècle et on ne parlerait pas d’une « chanson d’autrefois ».
Nous voilà donc fort peu avancés.

Le texte
Le texte publié par Allaire (et ensuite par La Bonne chanson) comptait six couplets. Gauthier et Laframboise l’ont réduit à quatre. Certains interprètes conservent l’ensemble du texte « original », mais chantent deux couplets (1-2, 3-4, 5-6) avant d’aller au refrain.
La deuxième ligne du premier couplet reproduit par Allaire se lit « Chantez, chantez le doux parfum des fleurs », mais certains interprètes chantent « Chantez, sentez… », ce qui est probablement plus près du texte de l’auteur.
De même, à la troisième ligne du deuxième couplet, le vieillard serait « plein d’alarmes » (d’inquiétude, d’anxiété) plutôt que « plein de larmes ».

Souvenir d’un vieillard
1
Petits enfants, jouez dans la prairie,
Chantez, chantez [sentez] le doux parfum des fleurs
Profitez bien du printemps de la vie
Trop tôt, hélas, vous verserez des pleurs

(Refrain)
Derniers amours de ma vieillesse
Venez à moi, petits enfants
Je veux de vous une caresse
Pour oublier, pour oublier mes cheveux blancs

2
Quoique bien vieux, j’ai le cœur plein de charmes
Permettez-moi d’assister à vos jeux
Pour un vieillard outragé, plein de larmes [d’alarmes]
Auprès de vous, je me sens plus heureux
3
Petits enfants, vous avez une mère
Et tous les soirs près de votre berceau
Pour elle au ciel, offrez votre prière
Aimez-la bien jusqu’au jour du tombeau
4
En vieillissant, soyez bons, charitables
Aux malheureux prêtez votre secours
Il est si beau d’assister ses semblables
Un peu de bien embellit nos vieux jours
5
Petits enfants, quand j’étais à votre âge
Je possédais la douce paix du cœur
Que de beaux jours ont passé sans nuage
Je ne voyais que des jours de bonheur
6
En vieillissant, j’ai connu la tristesse
Ceux que j’aimais, je les ai vus partir
Oh ! laissez-moi vous prouver ma tendresse
C’est en aimant que je voudrais mourir

——
1. Il existe un poème d’Eugène Chatelain (1829-18..?) intitulé « Les Souvenirs d’un vieillard » (Paris, Imp. de Moquet, 1855 ?), mais les paroles sont totalement différentes (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58091803.r=eugene%20chatelain?rk=21459;2).

2. Le fonds Pamphile LeMay est conservé au Centre d’archives de Québec de BANQ.

Une épouse huronne pour Jacques Cartier?

 

Dans une entrevue publiée le 15 avril dernier, l’historien George Sioui « affirme que Jacques Cartier a bel et bien épousé une Huronne-Wendat en 1535 », très précisément le 17 septembre, « une date importante » de l’histoire de sa nation. « Premier historien à affirmer que ce mariage a bel et bien eu lieu à Stadaconé au second voyage de Cartier, Sioui soutient que l’histoire officielle a complètement oblitéré le consentement du Français. Elle a plutôt retenu que Jacques Cartier, de confession chrétienne, refusa la femme et la “donna à ses hommes” ». (Mathieu-Robert Sauvé, « L’épouse de Jacques Cartier aurait été une Huronne-Wendat », Journal de Québec, 15 avril 2023. https://www.journaldemontreal.com/2023/04/15/lhistoire-des-premiers-peuples-lepouse-de-jacques-cartier-aurait-ete-une-huronne-wendat).

***
À moins que monsieur Sioui ait découvert des documents qui auraient échappé aux historiens qui l’ont précédé (dont Marcel Trudel et Michel Bideaux), la seule source tangible disponible sur le sujet est la relation du deuxième voyage de Cartier (Relations, Édition critique par Michel Bideaux, Bibliothèque du Nouveau Monde, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1986 – https://diffusion.banq.qc.ca/pdfjs-1.6.210-dist_banq/web/pdf.php/hLmxVXKv4VKPUgZvklOTUg.pdf#page=146).
Selon cette relation, le 17 septembre, Donnacona et ses gens apportent du poisson à Cartier et se mettent à chanter et à danser. Puis, le chef

« commança une grande harangue tenant une fille de l’aige d’envyron dix ans en l’une de ses mains puys la vint presenter a notre cappitaine et lors tous les gens dudit seigneur se prindrent a faire troys criz en signe de joye et alliance. Et puis de rechef presenta deux petitz garcons de moindre aige l’un apres l’aultre desquelz firent telz cris et serimonyes que davant duquel present fut ledit seigneur par notre cappitaine remercye. Et lors Taignoagny [fils de Donnacona] dist audit cappitaine que la fille estoit la propre fille de la seur dudit seigneur Donnacona et l’un des garçons frere de luy qui parloit […]. Et sur ce ledit cappitaine fict mectre lesdits enffans dedans les navires et fict apporter deux espees ung grand bassin plain et ung ouvré à laver mains et en fict present audit Donnacona lequel fort s’en contenta et remercya ledit cappitaine […] » (Bideaux, p. 142-143).

Les Relations n’en disent pas plus sur ce « mariage ». D’où viennent alors les détails que donne Georges Sioui, dont le nom de « l’épouse » ?

***
Georges Sioui a évoqué cet « événement » dans un texte intitulé « Le racisme est nouveau en Amérique » publié dans le collectif Écrire contre le racisme : le pouvoir de l’art (Montréal, Les 400 coups, 2002), repris dans un recueil sur la littérature amérindienne du Québec en 2004, puis dans ses Histoires de Kanatha en 2009.
En 2004, dans Littérature amérindienne du Québec (p. 161 et ss.), son texte est présenté de la manière suivante :

« Sur le modèle des Dialogues avec un Sauvage du Baron de Lahontan, Georges Sioui imagine en effet, dans un langage recherché, que Lahontan a été rappelé du monde des esprits pour éclairer une société moderne aux prises avec le racisme. Le baron rapporte alors aux humains les répliques des sages, parmi lesquels figurent les chefs wendat Kondiaronk et Donnacona qu’il convoque dans le monde des âmes afin de débattre de la question ».

On comprend donc qu’il s’agit d’une œuvre d’imagination où Donnacona dialogue avec sa nièce Mahorah (et non Mamorah) au sujet de ce qui s’est passé le 17 septembre 1535. Et, comme l’indique la présentation, c’est fait avec « humour et créativité », ce qui laisse à l’auteur toute la liberté nécessaire pour romancer l’événement. Il fait dire à Mahorah :

« J’étais celle par qui les deux peuples allaient devenir un seul, tel que vous, mon oncle, l’aviez dit en m’offrant au Capitaine Cartier. […] La cérémonie de notre mariage fut si belle : jamais je n’avais vu tant de solennité, tant d’espoir et de joie sur les visages des miens. […] Lorsque vint le soir et qu’il fut temps de partir avec mon époux, il reprit ma main et me mena dans une barque. […] Le Sieur Cartier ne me regardait pas. [n]ous arrivâmes au bateau et on me fit monter la première, par une échelle de corde, sans m’aider, sans me parler. […] Rendue à bord, je fus conduite dans une pièce où quelques hommes dormaient […]. Mon mari me conduisit à une autre pièce, très petite, m’y enferma, puis partit sans me regarder et ne revint plus de la nuit.
Au milieu de la nuit, je fus éveillée par deux hommes ivres. […] Ils voulurent m’arracher mes vêtements mais je me sauvai ».

Cette fuite est mentionnée dans Les Relations, mais tout ce qui précède, sur la « nuit de noces », est sorti de l’imagination de Sioui. À moins que ce soit d’une tradition orale? Si c’est le cas, elle serait bien récente, car il n’est pas question de ce « mariage » avec Cartier dans La Nation huronne de Marguerite Vincent Tehariolina (publié en 1984 avec une préface de Max Gros-Louis), ni de Donnacona, dans le chapitre sur les « Hurons illustres », puisque l’historienne de la communauté ne le considérait pas comme Huron-Wendat, tout comme l’auteur de la biographie du chef de Stadaconé dans le Dictionnaire biographique du Canada  (publiée en 1966 et révisée en 1986) qui l’identifiait comme Iroquois. Dans l’état actuel de la recherche, les Hurons-Wendats sont arrivés dans la région de Québec un siècle plus tard.

***
La question était de savoir si Cartier a épousé une Huronne-Wendat comme on l’affirme dans le texte du Journal de Québec. Or, Cartier avait une épouse en France et l’histoire du « mariage » de Mehorah est relatée dans une œuvre de fiction. L’écrivain peut imaginer; le journaliste devrait être prudent.
Par ailleurs, on dira qu’il ne faut pas juger nos ancêtres, qu’il soient européens ou amérindiens, avec les yeux d’aujourd’hui, mais il est difficile de concevoir que des parents donnent ainsi de jeunes enfants (un chef de la région de Portneuf a aussi offert des enfants à Cartier, dont un garçon de 2 ou 3 ans que Cartier refusa), quel que soit « l’usage » auquel ils peuvent être destinés ou réduits (« trophées » à ramener en France, interprètes à former, serviteurs voire partenaires sexuels?).
Les cadeaux entretiennent l’amitié, mais il s’agit ici d’humains. Dans le « témoignage » de Mahorah, l’auteur omet de dire que la fugitive a été ramenée à Cartier, comme le rapporte la relation du deuxième voyage :

« Et le landemain lesdits Donnacona Taignoagny Domagaya et plusieurs aultres vindrent et amenerent ladite fille la representant audit cappitaine lequel n’en tint compte et diet qu’il n’en voulloyt poinct et qu’ilz la ramenassent. A quoy respondirent faisant leur excuse qu’ilz ne luy avoient pas commande s’en aller et qu’elle s’en estoit allee pource que les paiges [mousses] l’avoyent batue ainsi qu’elle leur avoit diet. Et pryerent ledit cappitaine de la reprandre et eulx mesmes la menerent jusques au navire. Apres lesquelles choses le cappitaine commanda apporter pain et vin et les festoya puys prindrent conge les ungs des aultres » (Bideaux, p. 161).

Autrement dit, Mahorah s’est enfuie de son propre chef (sans avoir été commandée par qui que ce soit) et, malgré ses plaintes, son oncle et ses cousins l’ont ramenée à son « mari » et ont festoyé avec lui. Que ce soit dans Les Relations ou dans les dialogues imaginaires, il n’est pas question d’enlèvement par les Français. Sioui évoque la violence des « hommes blancs » contre les femmes : ce n’est pas si simple.

Hymnes et chants nationaux (1)

Un hymne national est une œuvre musicale destinée à représenter la nation. C’est un symbole identitaire (comme le drapeau, les armoiries et les emblèmes floraux et autres). L’hymne identifie la nation, exprime son passé, son présent et son avenir. C’est parfois un chant patriotique qui s’est imposé par l’usage ou une œuvre commandée spécifiquement par le gouvernement. L’hymne n’exclut pas l’usage de chants patriotiques, comme on en a déjà interprété, autrefois, dans certains matchs de hockey à Philadelphie.
De son côté, l’hymne royal est un hommage du peuple au souverain. En Nouvelle-France, on chantait l’hymne Domine salvum fac Regem (Seigneur, sauve le roi) à la fin des offices et dans ces cérémonies civiles (À rayons ouverts, 41, juillet-sept. 1998). Depuis la Conquête, l’hymne royal est God save the King (ou Queen), selon le cas.

1. Des chants nationaux canadiens à l’hymne national du Canada

Les chants nationaux
Les Canadiens, comme on désignait les habitants de souche française de la province de Québec (1763-1791) et du Bas-Canada (1791-1838), ont eu quelques chants nationaux dont À la claire fontaine qui, selon ce qu’écrivait Ernest Gagnon en 1865, a tenu lieu « d’hymne national en attendant mieux ».
À la claire fontaine
Dans son Répertoire national (1848), James Huston soutenait que cette chanson était l’œuvre des voyageurs des pays d’en haut qui l’entonnaient pour rythmer la cadence de leurs avirons. Dans les Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec (1980), Conrad Laforte précise qu’il s’agit d’une chanson « de la tradition orale francophone » apportée de Normandie dont on connaît plus de quatre cents versions, partout où il y a des Français. Selon Marius Barbeau (Alouette, 1946), À la claire fontaine aurait été composée par un jongleur du XVe ou du XVIe siècle. En 1842, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec l’adopte comme « chant national » (https://www.youtube.com/watch?v=30y8CjzikmQ).

À la claire fontaine, chanson anonyme.
À la claire fontaine
M’en allant promener
J’ai trouvé l’eau si belle
Que je m’y suis baigné
(Ref.)
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai.

Sous les feuilles d’un chêne,
Je me suis fait sécher.
Sur la plus haute branche,
Un rossignol chantait.
(Ref.)
Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai.
Tu as le cœur à rire…
Moi je l’ai à pleurer.
(Ref.)
J’ai perdu ma maîtresse
Sans l’avoir mérité.
Pour un bouquet de roses
Que je lui refusai…
(Ref.)
Je voudrais que la rose
Fût encore au rosier,
Et moi et ma maîtresse,
Dans les mêmes amitiés.
(Ref.)

Vive la Canadienne
Dans leurs assemblées, les patriotes entonnaient aussi « Vive la Canadienne ». On en trouve une version dans L’Argus du 29 novembre 1826. Selon Ernest Gagnon (Chansons populaires du Canada, 1865), cette vieille mélodie française (qui deviendra la marche rapide du Royal 22e Régiment, https://www.youtube.com/watch?v=3F_utoVg4nM) est issue de « Par derrièr’ chez mon père », tandis que les paroles seraient celles d’un canotier, selon Barbeau (Alouette, 1946) (https://www.youtube.com/watch?v=l1rKP0mAt80).

Vive la Canadienne, version d’Ernest Gagnon, 1865
Vive la Canadienne, vole, mon cœur, vole,
Vive la Canadienne, et ses jolis yeux doux.
Et ses jolis yeux doux, doux, doux, et ses jolis yeux doux. (bis)

Nous la menons aux noces, vole, mon cœur, vole,
Nous la menons aux noces, dans tous ses beaux atours.
Dans tous, etc.

La, nous jasons sans gêne, vole, mon cœur, vole,
La, nous jasons sans gêne, nous nous amusons tous,
Nous nous, etc.

Nous faisons bonne chère, vole, mon cœur vole,
Nous faisons bonne chère, et nous avons bon goût.
Et nous avons, etc.

On danse avec nos blondes, vole, mon cœur, vole,
On danse avec nos blondes, nous changeons tour à tour.
Nous changeons, etc.

On passe la carafe, vole, mon cœur, vole,
On passe la carafe, nous buvons tous un coup.
Nous buvons, etc.

Mais le bonheur augmente, vole, mon cœur, vole,
Mais le bonheur augmente, quand nous sommes tous saouls.
Quand nous sommes, etc.

Alors toute la terre, vole, mon cœur, vole,
Alors toute la terre, nous appartient en tout !
Nous appartient, etc.

Nous nous levons de table, vole, mon cœur, vole,
Nous nous levons de table, le cœur en amadou.
Le cœur, etc.

Nous finissons par mettre, vole, mon cœur, vole,
Nous finissons par mettre, tout sens dessus dessous.
Tout sans dessus, etc.

Ainsi le temps se passe, vole, mon cœur, vole,
Ainsi le temps se passe, il est vraiment bien doux !
Il est vraiment, etc.

Ce n’est toutefois pas la version que les Québécois ont chantée au 20e siècle avec les cahiers de La Bonne chanson ! Entretemps, l’abbé F. -X. Burke avait publié son Chansonnier canadien-français (1921), un recueil de chansons populaires, nouvelles ou « restaurées ». D’après l’abbé Burke, Vive la Canadienne, par exemple, ne s’entendait plus nulle part dans les « milieux distingués », parce que « tous ses couplets, hors le premier, ne sont que des ineffabilités de débauche et d’ivrognerie ».
Burke se consacra à « purifier » les chansons populaires, dont Vive la Canadienne, qu’il « enrichit » de plusieurs couplets ; il y en a donc 22 dans la version la plus longue publiée dans ses Élévations poétiques en 1906, 17 dans le deuxième cahier de La Bonne chanson et 10 « seulement » dans Les cent plus belles chansons, ce qui donne quand même un bon aperçu de l’œuvre de l’abbé Burke (https://www.youtube.com/watch?v=LSXnXecMNAk0).

Vive la Canadienne, version des Cent plus belles chansons (La bonne chanson)
Vive la Canadienne, vole mon cœur vole, vole, vole
Vive la Canadienne et ses jolis yeux doux
Et ses jolis yeux doux doux doux, et ses jolis yeux doux (bis)

Elle est vraiment chrétienne, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle est vraiment chrétienne, trésor de son époux
Trésor de son époux pou pou, trésor de son époux (bis)

Elle rayonne et brille vole mon cœur vole, vole, vole
Elle rayonne et brille, avec ou sans bijoux
Avec ou sans bijoux jou jou, avec ou sans bijou (bis)

C’est à qui la marie, vole mon cœur vole, vole, vole
C’est à qui la marie, les garçons en sont fous
Les garçons en sont fous fou fou, les garçons en sont fous (bis)

Que d’enfants elle donne, vole mon cœur vole, vole, vole
Que d’enfants elle donne, à son joyeux époux
À son joyeux époux pou pou, à son joyeux époux (bis)

Elle fait à l’aiguille, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle fait à l’aiguille nos habits, nos surtouts
nos habits, nos surtouts touts touts, nos habits, nos surtouts (bis)

Elle fait à merveille, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle fait à merveille la bonne soupe aux choux
La bonne soupe aux choux chou chou, la bonne soupe aux choux (bis)

Jusqu’à l’heure dernière, vole mon cœur vole, vole, vole
Jusqu’à l’heure dernière, sa vie est toute à nous
Sa vie est toute à nous nou nou, sa vie est toute à nous (bis)

Ce n’est qu’au cimetière, vole mon cœur vole, vole, vole
Ce n’est qu’au cimetière que son règne est dissous
Que son règne est dissous sou sou, que son règne est dissous (bis)

Allons fleurir sa tombe, vole mon cœur vole, vole, vole
Allons fleurir sa tombe, un grand cœur est dessous
Un grand cœur est dessous sou sou, un grand cœur est dessous (bis)

Sol canadien partition

Sol canadien

Le 1er janvier 1829, la Gazette de Québec publie une chanson écrite par Isidore Bédard, 23 ans, fils de Pierre-Stanislas Bédard, autrefois chef du Parti canadien. L’œuvre est présentée comme « hymne national ». C’est la version améliorée d’un premier jet (publié le 6 août 1827) qui ne comptait que deux strophes.

Sol canadien

Sol canadien, terre chérie !
Par des braves tu fus peuplé ;
Ils cherchaient loin de leur patrie,
Une terre de liberté.
Nos pères sortis de la France
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants, de leur vaillance,
Ne flétriront pas les lauriers.

Qu’elles sont belles nos campagnes l
En Canada qu’on vit content !
Salut, ô ! sublimes montagnes,
Bords du superbe St. Laurent.
Habitant de cette contrée,
Que nature sait embellir,
Tu peux marcher tête levée,
Ton pays doit t’enorgueillir.

Respecte la main protectrice
D’Albion, ton digne soutien ;
Mais fais échouer la malice
D’ennemis nourris dans ton sein.
Ne fléchis jamais dans l’orage,
Tu n’as pour maître que tes lois.
Tu n’es pas fait pour l’esclavage,
Albion veille sur tes droits.

Si d’Albion la main chérie
Cesse un jour de te protéger,
Soutiens-toi seule, ô ma patrie !
Méprise un secours étranger.
Nos pères sortis de la France
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants de leur vaillance
Ne flétriront pas les lauriers.

La poésie de Bédard, écrit Jeanne d’Arc Lortie, « résume bien les sentiments des Canadiens de l’époque qui, soupçonnés de manquer de loyauté, respectent le régime britannique et abhorrent l’idée de l’annexion aux États-Unis ».
Bédard est élu député en 1830. En 1831, il accompagne Denis-Benjamin Viger, tout juste nommé agent de la Chambre à Londres. À la fin de 1832, il est victime d’une hémorragie pulmonaire et il meurt à Paris le 14 avril 1833.
Le 1er janvier 1840, onze ans après la première publication et sept ans après la mort de son auteur, une nouvelle version de Sol Canadien paraît dans Le Patriote canadien, dirigé par Ludger Duvernay, alors réfugié à Burlington. Les deux premières strophes sont maintenues, mais les deux dernières sont très différentes.

Renverse le pouvoir perfide
Qui ne cherche qu’à t’écraser.
La LIBERTÉ est ton égide,
Sous elle tu peux triompher.
Ne fléchis jamais dans l’orage,
Tu n’as pour maître que tes lois.
Tu n’es point fait pour l’esclavage,
Le destin veille sur tes droits.

Le sang de tes fils fume encore,
Ne sauras-tu pas le venger ?
LIBERTÉ, fais naître l’aurore
Du jour qui te verra régner !
Nos pères sortis de la France,
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants de leur vaillance
Ne flétriront pas les lauriers.

Le seul enregistrement connu de Sol canadien se trouve sur le disque « Musiques du Québec, I’époque de Julie Papineau », un des sept CD de la première « Anthologie de la musique historique du Québec » (produite par l’Ensemble Nouvelle-France dirigé par Louise Courville). Robert Huard chante les trois premières strophes de la version de 1840. 

Ô Canada, mon pays, mes amours !
Ardent patriote dans les années 1830, premier ministre sous l’Union puis père de la Confédération, George-Étienne Cartier avait 20 ans lorsqu’il interpréta une œuvre de son cru, Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! lors du banquet du 24 juin 1834.

Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! Version de La Minerve, 30 juin 1836
Air : Je suis Français, mon pays avant tout.

Comme le dit un vieil adage :
Rien n’est si beau que son pays ;
Et de le chanter, c’est l’usage ;
Le mien je chante à mes amis (bis)
L’étranger voit avec un œil d’envie
Du Saint-Laurent le majestueux cours ;
À son aspect le Canadien s’écrie :
Ô Canada ! mon pays ! mes amours !
Ô Canada ! mon pays, mes amours ! (bis)

Maints ruisseaux, maintes rivières
Arrosent nos fertiles champs ;
Et de nos montagnes altières,
De loin on voit les longs penchants. (bis)
Vallons, côteaux, forêts, chutes, rapides,
De tant d’objets est-il plus beau concours ?
Qui n’aime pas tes lacs aux eaux limpides ?
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Les quatre saisons de l’année
Offrent tour à tour leurs attraits.
Le printemps, l’amante enjouée
Revoit ses fleurs, ses verts bosquets. (bis)
Le moissonneur, l’été, joyeux s’apprête
À recueillir le fruit de ses labours,
Et tout l’automne et tout l’hiver on fête.
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Chaque pays vante ses belles ;
Je crois bien que l’on ne ment pas ;
Mais nos Canadiennes comme elles
Ont des grâces et des appas. (bis)
Chez nous la belle est aimable, sincère ;
D’une Française elle a tous les atours,
L’air moins coquet, pourtant assez pour plaire,
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Le Canadien, comme ses pères,
Se plaît à rire, à s’égayer.
Doux, aisé, vif en ses manières,
Poli, galant, hospitalier, (bis)
À son pays, il ne fut jamais traître,
À l’esclavage il résista toujours ;
Et sa maxime est : Ia paix, le bien-être
Du Canada, son pays, ses amours. (bis)

Ô mon pays, de la nature
Vraiment tu fus l’enfant chéri ;
Mais I‘étranger souvent parjure,
En ton sein, le trouble a nourri. (bis)
Puissent tous tes enfants enfin se joindre,
Et valeureux voler à ton secours !
Car le beau jour déjà commence à poindre…
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

La version originale publiée dans La Minerve du 29 juin 1835 compte six couplets, tout comme celle de La Canadienne du 10 août 1840, mais, cette fois, une ligne a été changée dans le dernier couplet : « Mais l’étranger souvent parjure » devient « Mais d’Albion la main parjure », ce qu’on peut aisément rapprocher du « pouvoir perfide » introduit dans la version 1840 de Sol canadien, après les rébellions lui aussi.
En 1854, Le Chansonnier des collèges ne retient que quatre couplets et revient à la version de 1835 en ce qui concerne le dernier. Dans le premier cahier de La Bonne chanson, il ne reste que trois (1, 5 et 6) des six couplets originaux, et le dernier a toujours son vague « étranger ». On chante désormais le tout sur une musique de Jean-Baptiste Labelle, mais il ne reste souvent que deux couplets (https://www.youtube.com/watch?v=BZc7lwSvmrY).
Dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Laurent Mailhot traite cette œuvre avec ironie :

Le pays est propre, gentil, limpide : le fleuve suit son « majestueux cours », Ies montagnes (« altières ») suivent leurs « penchants » ; vallons, forêts, chutes, tout est concours d’« objets ». Les sujets sont absents, réduits à « I’aimante enjouée » (printemps), au « moissonneur, l’été [qui| joyeux s’apprête » ; « Et tout l’automne et tout l’hiver, on fête. » On ne travaille pas, on attend le touriste, on soigne son image de marque, son folklore ; joie de vivre, galanterie, hospitalité spoken. Le mot d’ordre est : paix, tranquillité, bien-être. Ce pays idyllique est naturellement identifié à la femme, ou plutôt à la « belle » : « D’une Française elle a tous les atours,/L’air moins coquet, pourtant assez pour plaire. » La rengaine est à peine troublée, Ie roman, à peine stimulé par la « main parjure » d’Albion. Les enfants se joignent en ronde et « Ie beau jour déjà commence à poindre ». Qu’est-ce qu’un nuage dans un ciel si vaste, si bleu ? Le futur baronnet, qui mourra à Londres, annonce sereinement la couleur.

Entre-temps, sa chanson est incluse dans la Cantate : la Confédération, une œuvre de Jean-Baptiste Labelle qui est dédiée à Cartier et est exécutée le 7 janvier 1868 à l’hôtel de ville de Montréal (https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/confederation-2).

1867 : Un hymne national pour le nouveau pays ?
Rien ne permet de dire si les autorités canadiennes ont songé à doter le nouveau pays d’un hymne national. Le Canada était une colonie britannique et l’hymne royal suffisait probablement.
La Confédération n’en inspira pas moins les auteurs canadiens.
En 1868, la Caledonian Society de Montréal, une organisation créée par la St. Andrew’s Society en 1855, lance un concours de chant patriotique. Cette société jugeait qu’il y avait peu de poésie lyrique canadienne et, pour stimuler poètes et musiciens à ce sujet, elle décida d’offrir un prix de cinquante dollars au meilleur chant patriotique canadien mis en musique (Montreal Herald, du 1er novembre 1869).
C’est This Canada of Ours, une œuvre de James David Edgar, mise en musique par E.H. Ridout, qui gagne le premier prix, mais il n’y a pas d’avenir comme hymne national canadien pour un « national song » d’inspiration exclusivement britannique où on peut lire : 

We love those far-off ocean Isles,
Where Britain's monarch reigns;
We'll ne'er forget the good old blood
That courses through our veins;
Proud Scotia's fame, old Erin's name,
And haughty Albion's powers,
Reflect their matchless lustre on
This Canada of ours.

Alexander Muir obtient la deuxième place avec The Maple Leaf for Ever, une œuvre conçue dans la même veine qui fait commencer l’histoire du Canada en 1759 :

In days of yore, from Britain's shore,
Wolfe, the dauntless hero, came
And planted firm Britannia's flag
On Canada’s fair domain.
Here may it wave, our boast our pride
And, joined in love together,
The thistle, shamrock, rose entwine
The Maple Leaf forever!
(Chorus)
The Maple Leaf, our emblem dear,
The Maple Leaf forever!
God save our Queen and Heaven bless
The Maple Leaf forever!

Comme l’écrit J. Paul Green, dans le DBC, « cette chanson devint si populaire auprès de la population anglophone que, souvent, on en parlait comme de l’hymne national du Canada », mais « [il] était exclu que ce titre échoie à la chanson de Muir en raison de son ton probritannique. Elle célébrait en effet le Canada comme un lieu où « le chardon, le trèfle et la rose enlacent/Pour toujours la feuille d’érable », sans mentionner la fleur de lis, et le major général James Wolfe y était appelé « le héros intrépide ». Ces paroles lui aliénaient inévitablement les Canadiens français » (https://www.youtube.com/watch?v=SX-csLPjT1A).

Ô Canada
Ces derniers ne sont pas en reste. Ils se donnent un « chant national » en vue de la Convention nationale des Canadiens français qui se tient à Québec en juin 1880. On aurait souhaité un concours, mais, par manque de temps, le mandat de composer la musique est confié à Calixa Lavallée et le juge Adolphe-Basile Routhier s’occupe ensuite des paroles. L’œuvre est jouée pour la première fois le 24 juin 1880, au Pavillon des patineurs, à Québec.
Il s’agit bien d’un « chant national des Canadiens français » qui n’a pas la prétention de devenir hymne national du Canada. Le premier couplet donne le ton avec la « terre des aïeux », mais le second est sans équivoque (https://www.youtube.com/watch?v=L8Sw6ScUmnk).

Ô Canada ! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux !
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix !
Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.
Et ta valeur, de foi trempée,
Protègera nos foyers et nos droits. (bis)

Sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant,
Le Canadien grandit en espérant.
Il est né d’une race fière,
Béni fut son berceau.
Le ciel a marqué sa carrière
Dans ce monde nouveau.
Toujours guidé par sa lumière,
Il gardera l’honneur de son drapeau. (bis)

Ô Canada ! se répand dans tout le Canada français et même aux États-Unis, mais n’est pas « chantable » au Canada anglais. Plusieurs auteurs essaient d’en faire une traduction. En 1908, il y a même un concours pour trouver une version anglaise, mais le texte primé ne sera jamais utilisé (https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/hymnes-canada/historique-o-canada.html). Lors du jubilé de diamant de la Confédération en 1927, on publie officiellement la version du juge Robert Stanley Weir (écrite en 1908) qui s’impose au Canada anglais.

Ô Canada ! Our home and native land!
True patriot love in all thy sons command.
With glowing hearts we see thee rise
The True North, strong and free;
And stand on guard, Ô Canada,
We stand on guard for thee.
Ô Canada, glorious and free!
Ô Canada, we stand on guard for thee. (bis)

C’est, avec quelques modifications, le premier couplet de cette version qui est choisi pour les anglophones lorsque la Loi sur l’hymne national est adoptée en juin 1980, quelques jours après le référendum et juste à temps pour le 1er juillet, un siècle après la Convention nationale des Canadiens français. Pour éviter des répétitions, la cinquième ligne est changée pour « From far and wide, O Canada » et la septième pour « God keep our land glorious and free! ». Le texte français de Routhier est maintenu.
Une version bilingue est proposée :

O Canada ! Our home and native land!
True patriot love in all thy sons command,
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix !
Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.
God keep our land glorious and free!
O Canada, we stand on guard for thee. (bis)

Ce n’est cependant pas ce qu’on chante aux matches du Canadien où Routhier mène avec ses six premières lignes contre deux vers tardifs pour Weir… (ici chanté en seulement 1,09 m. par Roger Doucet, https://www.youtube.com/watch?v=asb_-QUezoE).
C’est quand même un moindre mal. En 1967, un « Comité pour le Ô Canada bilingue », qui logeait sur la rue William à Sillery, avait proposé un hymne vraiment bilingue écrit par Jo Ouellet sur la musique de Lavallée arrangée par Rex Le Lacheur.

Ô Canada ! Our home – Notre pays…
La feuille d’érable : one flag from sea to sea
Sol de liberté, sol d’égalité
Where freedom’s banner flies
Chantons tous la gloire, d’une riche histoire
Our home ’neath northern skies…
Ô Canada ! Ô ma patrie !
Hold high the Maple Leaf o’er land and sea.
Ô Canada ! My country – Mon pays.

 (Voir suite:   https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2023/03/29/hymnes-et-chants-nationaux-2/ )