Tous les articles par Gaston Deschênes

« L’Année des Anglais » sur la Côte-de-Beaupré

La « découverte » du rapport du major George Scott a permis de préciser comment les troupes de Wolfe ont ravagé la Côte-du-Sud au début de septembre 1759. Ce n’était pas leur seul coup de l’année. Deux semaines plus tôt, d’autres incendiaires avaient sévi sur la Côte-de-Beaupré. Le journal de Malcom Fraser, publié en 1868 par la Société historique et littéraire de Québec*, permet de voir à l’œuvre  les hommes du 78e Régiment (Fraser’s Highlanders) dirigés par le capitaine John McDonnell.

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Québec était bombardée depuis un mois. La ville résistait et, derrière les lignes des assiégeants, des Canadiens, jeunes et vieux, ne cessaient de harceler les troupes campées à Pointe-Lévy et à la rivière Montmorency. Excédé, malade et un peu désespéré, Wolfe décide d’attaquer à la fois les biens et le moral des miliciens rassemblés à Québec pour protéger la capitale.

C’est dans ce contexte que, le 15 août 1759, le capitaine John McDonnell, sept sous-officiers (dont le lieutenant Malcom Fraser), huit sergents, huit caporaux et cent quarante-quatre hommes traversent de Pointe-Lévy à l’île d’Orléans et vont loger à l’église de Saint-Pierre. Le lendemain, le détachement se rend à l’extrémité est de l’île, en face de l’église de Saint-Joachim. Le 17, il traverse à Saint-Joachim et, en route vers l’église, il subit le tir des habitants caché derrière les maisons et les clôtures, puis à l’orée du bois. Les hommes de McDonnell prennent possession du presbytère, qu’ils essaient de fortifier.

Du 17 au 23, McDonnel et ses hommes demeurent à Saint-Joachim. Le 23, le capitaine Montgomery (que l’éditeur du journal confond avec le Montgomery mort devant Québec en 1775…) arrive en renfort avec environ cent quarante fantassins légers du 43e Régiment (Kennedy’s) et une compagnie de Rangers.

Montgomery prend le commandement de la troupe qui se heurte à un groupe d’environ deux cents Canadiens embusqués dans des maisons à l’ouest de Saint-Joachim. Devant l’attaque, les Canadiens retraitent dans les bois, poursuivis par les Britanniques.

« Il y eut, écrit Fraser, plusieurs ennemis tués et blessés, et quelques prisonniers, que le barbare capitaine Montgomery, qui nous commandait, ordonna de massacrer de la manière la plus inhumaine et la plus cruelle, dont deux, en particulier, que j’avais confiés à un sergent — après les avoir épargnés et m’être engagé à ne pas les tuer — qui furent l’un fusillé, l’autre abattu avec un tomahawk (une petite hache), et tous deux scalpés en mon absence, le coquin de sergent ayant négligé d’informer Montgomery que je voulais qu’ils soient sauvés, comme ce dernier l’a prétendu lorsque je l’ai interrogé à ce sujet ; mais ça ne pouvait pas excuser une barbarie sans précédent. Cependant, comme il n’y avait plus rien à faire, je fus obligé de laisser tomber ».

Côte-de-Beaupré par Montresor dans Knox

Extrait d’un fac-similé de la carte de Montresor publiée dans John Knox, An Historical Journal […], t. 1.

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Fraser n’en fait pas mention, mais on sait que le curé de Saint-Joachim, Philippe-René Robinau de Portneuf, est mort dans un affrontement avec les troupes britanniques.
Le gouverneur lui avait répondu, le 20 août, de faire en sorte que les habitants soient « en état d’opposer la plus vive résistance aux anglais », ce qu’il fit, comme en témoigne son acte de sépulture, le 26 août 1759 : il a été « massacré par les Anglois le 23 etant à la tete de sa paroisse pour la déffendre des incursions et hostilités qu’y faisoit lennemis ».

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Le biographe du curé de Saint-Joachim dans le Dictionnaire biographique du Canada** ne semble pas très sympathique avec son sujet. Le curé, conclut-il, a donc « bel et bien participé à la résistance avec un groupe de paroissiens, justifiant [sic] ainsi l’action des Anglais », mais il conclut que cette affaire « se réduit en somme à un incident mineur comme il en arrive dans toutes les guerres » et que le geste du curé Portneuf, « bien que voué d’avance à l’échec, peut à la rigueur être envisagé comme une courageuse tentative d’opposer à l’envahisseur une digne résistance avant la défaite finale »…

Un curé mort les armes à la main, ce n’est quand même pas banal! Que faut-il pour devenir un héros?

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Après cette escarmouche, la troupe de McDonnell met tout en feu jusqu’à ce qu’elle arrive à l’église de Sainte-Anne, où elle passe la nuit et obtient en renfort une compagnie d’environ cent vingt hommes dirigés par le capitaine Ross.

Le 24, on ravage les fermes jusqu’à Château-Richer (que Fraser identifie comme L’Ange-Gardien) où se fait la jonction avec le colonel Murray et trois compagnies de Grenadiers (22e, 40e et 45e régiments). La fin de semaine (25 et 26 août) est occupée à couper les arbres fruitiers et le blé pour dégager les alentours.

Il ne se passe rien de particulier le 27 août, mais l’ordre est donné de marcher le lendemain vers L’Ange-Gardien où le détachement prend position le 28. Le 29, le capitaine Ross et une centaine d’hommes partent en reconnaissance et reviennent avec un prisonnier canadien dont on ne peut tirer d’informations. Le 30 est consacré à fortifier une maison et l’église de L’Ange-Gardien.

Le 31, le détachement reçoit l’ordre de brûler les maisons de L’Ange-Gardien, mais pas l’église, et de se rendre à Montmorency le lendemain matin, ce qu’il fait en brûlant toutes les maisons jusqu’au camp.

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* Malcolm Fraser, « Extrait d’un journal manuscrit, relatif au siège de Québec en 1759, tenu par le colonel Malcolm Fraser, alors lieutenant du 78th (Fraser’s Highlanders) et servant dans cette campagne », Québec, Middletown et Dawson, 1868, 37 p. (« Manuscrits relatifs aux débuts de l’histoire du Canada », 2e série).

** Jean-Pierre Asselin, « Robinau de Portneuf, Philippe-René », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 févr. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/robinau_de_portneuf_philippe_rene_3F.html.

Les têtes brûlées de Catherine Dorion

Les commentaires sur le livre de Catherine Dorion ont surtout porté sur ses relations avec ses collègues, sur son intégration dans le parti et sur le traitement que lui ont accordé les médias, ce qui en a amené plusieurs à dire qu’elle avait couru à sa perte.

Têtes

La lecture de son livre nous fait réaliser que l’ex-député de Taschereau était fragile, à plusieurs égards, avant son élection et qu’elle s’est carrément brûlée dans une fonction qui ne lui convenait pas et qu’elle devait concilier en plus avec des responsabilités familiales et une grossesse. On se demande d’ailleurs ce qu’elle allait faire dans une galère dont elle ignorait vraisemblablement le b.a.-ba. Elle n’est pas la première à s’engager dans la vie parlementaire sans savoir ce qu’il en retourne, comme si elle arrivait d’une autre planète et n’avait jamais lu une chronique parlementaire. On compte sur les doigts de la main les artistes qui se sont fait élire à l’Assemblée nationale (ce n’est pas le Sénat…). Ce sont peut-être des métiers incompatibles?

Un passage de son livre illustre à sa fois sa vision du métier et le mépris qu’il lui inspire :

« Voilà qu’à côté de tout ce que je considère comme essentiel à ma démarche artistique, il faut que je m’enchaîne à une quantité effroyable de tâches dont je ne saisis plus le sens. Des tâches qui, souvent, nuisent à la communauté plutôt qu’elles ne la servent [?!]. Autant d’obligations bureaucratiques tatillonnes, de gestes répétitifs, de sollicitations insignifiantes qui accroissent la surcharge informationnelle qui étouffe nos cerveaux, qui désensibilise nos neurones jusqu’à l’overdose, et qui plonge notre société dans une famine généralisée d’affect, de souffle et de pensée » (p. 208).

C’est bien tourné, mais encore ? On ne trouve pas, dans ce livre, une ligne où l’auteure aurait exprimé, au-delà de son ressenti, la moindre idée concrète suggérant ce qu’il faudrait changer dans ce régime abominé. Quelques pages idéalisent les soirées tenues dans le « bureau de circo », avec conférencier discourant devant un auditoire assis sur des coussins, mais il n’y a rien là comme modèle pour réformer nos institutions. Peut-être aurait-elle pu trouver quelques orientations dans les programmes des nombreux groupes qui ont donné naissance à son parti : le NPD, Option citoyenne, Démocratie socialiste, le Parti communiste ?

Les médias se seraient probablement quand même concentrés davantage sur ses vêtements que sur ses idées, malheureusement, mais, à ce chapitre, pouvait-elle ignorer à quel point l’image domine la vie politique ? Pourquoi refuser les conseils qu’on lui a donnés, dès le départ, en matière vestimentaire et pourquoi être allée ensuite poser, assise sur une table, avec ses « Doc Martens » dans le hall de l’Hôtel du Parlement, puis déguisée en madame au Salon rouge ? Du jamais vu de mémoire d’homme, de femme ou de non-binaire.

Nous avons finalement assisté à une triste sortie de scène au terme d’une pièce qui pourrait s’intituler Le malentendu. Le personnage était intéressant, mais la comédienne a accepté un mauvais  casting .

(Les têtes brûlées. Carnets d’espoir punk, Montréal, Lux Éditeur, 2023, 376 pages)

Des églises incendiées dans l’Ouest canadien

Au moins 33 églises ont été détruites par des incendies au Canada entre mai 2021 et décembre 2023 et au moins 24 de ces 33 églises ont été brûlées intentionnellement après mai 2021 (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2039965/eglise-feu-canada?depuisRecherche=true).

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« Onze églises ont été détruites à la suite d’incendies volontaires dans l’Ouest canadien dans les semaines qui ont suivi les révélations de la découverte de 215 potentielles sépultures anonymes sur le site d’un ancien pensionnat pour Autochtones à Kamloops, en Colombie-Britannique. [...]

Des dirigeants autochtones et de la sphère politique ont évoqué la colère suscitée par les pensionnats pour Autochtones pour expliquer la flambée d’églises calcinées après les découvertes de Kamloops ».

Paulina Johnson, chercheuse à l’Université de l’Alberta et membre de la Première Nation de Maskwacis, dit comprendre pourquoi on a incendié des églises: « On utilise le feu parce que personne ne s’intéresse vraiment à la vérité ».

La vérité, c’est aussi que, près de 3 ans plus tard, on n’a encore trouvé ou exhumé aucun reste humain à Kamloops  — ni même commencé à creuser –, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas.

(sur ce sujet, voir https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2023/11/09/la-fausse-nouvelle-sur-la-fosse-commune/).

« Le Jour de l’An matin »

C’était une fin d’après-midi du Jour de l’An, au début des années 1970. On se préparait à monter au « deuxième rang » pour le souper traditionnel à la « maison paternelle ». À la radio, un air du Jour de l’An, inconnu mais entrainant, parle de vœux, de mets et de cadeaux : « Bonne santé à monsieur l’curé… Du bon tabac pour le grand-papa… D’autres liqueurs pour les enfants de chœur… » On en retient surtout la ligne qui revient comme un refrain à la fin des couplets :

« Une bouteille de Geneva pour les jobbeurs du Canada ».Maison familiale

Qui de nous a eu l’idée de parodier cette chanson pour nos oncles et tantes? C’est vite fait. Ça ne vole pas toujours bien haut, mais c’est de bon cœur : « De la teinture pour Marc-Arthur » qui grisonne, « un baby doll pour Marie-Paule », mariée sur le tard, une cure (poste de curé) pour « notre oncle supérieur » du collège.

Ma sœur tape le texte et réussit à en reproduire quelques copies avant le souper. Inutile de dire que « l’œuvre » improvisée a été le clou de la soirée et qu’on l’a chantée pendant plusieurs années.

***

J’ai plusieurs fois essayé de trouver les paroles de cette chanson dont on ne connaissait ni le titre ni l’auteur ni l’interprète…

C’est finalement grâce à Google que la lumière est venue, sur le site Identitaires québécois (http://www.mustrad.udenap.org/tounes/TQ294_reel_quebecois.html), curieusement disparu du web depuis.

La chanson s’intitule Le Jour de l’An matin et sa musique est inspirée d’un reel enregistré par Isidore Soucy (1899-1963) et Donat Lafleur (1892-1973) en 1929 sous le titre Reel québécois (https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/films-videos-enregistrements-sonores/gramophone-virtuel/Pages/Item.aspx?idNumber=1007637317). Le disque de la compagnie Starr précise que c’est une « danse de campagne » (country dance). On peut l’écouter sur le site Gramophone virtuel (https://www.collectionscanada.ca/obj/m2/f7/13253.mp3).

Jour de l'an-Reel québécois

Dans les années 1950, probablement vers 1954, si on se fie à une publicité du Courrier de Saint-Hyacinthe (10 décembre 1954) (https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2591476?docsearchtext=LE%20JOUR%20DE%20L%27AN%20MATIN%20oscar%20%20thiffault), Oscar Thiffault en fait une chanson et l’enregistre sous le titre Le Jour de l’An matin, comme s’il avait traduit littéralement New Year’s Day morning.

Thiffault était un artiste qui, ne parvenant pas à vivre de sa musique, a exercé bien des métiers, dont bûcheron dans les chantiers; il a donc sûrement connu des jobbeurs qui aimaient le gin Geneva. C’est à lui qu’on doit aussi Le Rapide blanc (https://www.youtube.com/watch?v=3YmnYbpqSzk) et Y mouillera pu pantoute.

Jour de l'an-Oscar

Le Gramophone virtuel donne des détails techniques sur la première version enregistrée sur78 tours (https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/films-videos-enregistrements-sonores/gramophone-virtuel/Pages/Item.aspx?idNumber=1289710907), mais ne précise pas la date de lancement et ne permet pas de l’écouter.

On peut cependant l’entendre maintenant sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=qu9ttSDjCYw) ainsi que le « 33 tours » au complet (https://www.youtube.com/watch?v=CJVjpPsFcp4) lancé par MCA Coral en 1973, époque probable de notre succès au « deuxième rang ».

Jour de l'an-Disque Thiffault

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Le jour de l’an matin

1.
C’est le jour de l’an matin,
On voit tous les paroissiens
Quand la messe est terminée,
Ils se souhaitent une bonne année
Bonne santé à monsieur l’curé,
Joie et bonheur pour les enfants d’chœur
Une poignée d’main pour les paroissiens
Les filles embrassent les garçons
Le jour de l’An y en profit’ront

2.
C’est dans l’temps du jour de l’An
On va voir tous nos parents
Il faudra pas trop fêter
Pour ne pas se déranger
Du brandy pour les invités
D’autres liqueurs pour les enfants d’chœur
Un verre de vin pour les paroissiens
D’la bière et du whisky blanc
Pour les jobbeurs du Lac-Saint-Jean

3.
Au jour de l’An, on s’régale
De tourtière et de salade
De ragoût d’pattes de cochon
J’vous assure qu’on trouve ça bon
Du pâté pour les invités
Du pain du beurre pour les enfants d’chœur
Tarte aux raisins pour les paroissiens
Des binnes et d’la soupe aux pois
Pour les jobbeurs du Canada

4.
C’est dans l’temps du jour de l’An
On visite tous nos parents
On apporte les cadeaux
Dans un joli portemanteau
Du bon tabac pour le grand-papa
Des jolis gants pour la grand-maman
Un beau violon pour Gédéon
Une bouteille de Geneva
Pour les jobbeurs du Canada

5.
Mais le soir après souper
On s’prépare pour danser
On dira à Gédéon :
« Frotte l’archet’ sur l’arcanson »
Un set carré pour les invités
Une valse à deux pour les amoureux
Set canadien pour les paroissiens
Et on dansera-t-une polka
Pour les jobbeurs du Canada

Excusez-la!

Qui a écrit « Souvenir d’un vieillard »?

Qui ne connaît pas la chanson « Souvenir d’un vieillard » ?
« Petits enfants, jouez dans la prairie… »

Souvenir d'un-Bonne chanson en-tête

Dans le troisième volume de C’était l’bon temps (Montréal, Éditions T.M., 1979), Philippe Laframboise présente « cette chanson sans âge et sans auteur » comme « la plus grande et la plus émouvante de tout le répertoire folklorique québécois ».

Elle a été popularisée au vingtième siècle par Conrad Gauthier et Eugène Daignault, notamment, puis reprise par de nombreux interprètes, dont les chanteurs country Georges Hamel, André Clavier (né Gobeil), Paul Daraîche et Patrick Normand, au point où certains ont cru que ces derniers l’avaient composée (https://www.youtube.com/watch?v=CxOqDMJVpJw).
« Souvenir d’un vieillard » a été enregistré sur disque et reproduit dans plusieurs recueils, mais les éditeurs de livres et de disques n’ont pas donné le nom de l’auteur.
Les deux plus anciens enregistrements seraient ceux d’Eugène Daignault (1895-1960) et de Conrad Gauthier (1885-1964), tous deux en 1930, semble-t-il, soit

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Dans les deux cas, l’étiquette mentionne seulement « Vieille chanson », ce qui porte à croire qu’elle date du dix-neuvième siècle. Dans les deux cas,  « Souvenir » est au pluriel.

Une première publication ?
Uldéric-S. Allaire, de Victoriaville, aurait été le premier à publier les paroles de « Souvenir d’un vieillard » dans Le chansonnier canadien édité chez Beauchemin (p. 22) en 1931, mais il ne donne pas l’origine de la chanson.

Chansonnier Canadien

 

Souvenir-Allaire 1931

L’année précédente, Conrad Gauthier avait aussi publié un recueil intitulé Quarante chansons d’autrefois, chez Archambault (Le Devoir du 15 mars 1930), mais on n’y trouvait pas Souvenir d’un vieillard. Il l’inclura cependant dans la deuxième série, 40 autres chansons d’autrefois (chez Archambault, probablement en 1947), et regroupera les deux ouvrages dans son répertoire intitulé Dans tous les cantons en 1963. À aucun endroit, Gauthier ne mentionne le nom de l’auteur.

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Entre-temps, « Souvenir d’un vieillard » apparaît dans le troisième cahier de La Bonne chanson en 1938, puis dans Les 100 plus belles chansons, publiées à Saint-Hyacinthe, par Les Éditions de la Bonne chanson, en 1948, avec la mention « Chanson d’autrefois ».

Cent plus belles... 1948

D’où vient donc cette chanson ?
La consultation du catalogue de BANQ et de son moteur de recherche qui donne accès aux journaux et revues du Québec n’a pratiquement rien donné; même chose pour le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.
Une chansonnette intitulée « Les souvenirs d’un vieillard » figure dans la Bibliographie de la France en 1859 sous le nom de Victor Robillard (Paris, 1827 — Paris, 1893), compositeur et chef d’orchestre, et les paroles sont de Louis-Adolphe Turpin de Sansay (Selongey, 1832 — Paris, 1891), auteur dramatique, chansonnier et écrivain français. Impossible toutefois de trouver les paroles.

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Cette « chansonnette » est annoncée dans une publicité du septième tome de Collection musicale, recueil choisi pour le chant, de chansons populaires, romances, mélodies, barcarolles, chansonnettes, airs d’opéras, etc. (édité à Lyon en 1865), mais n’est pas reproduite dans le recueil. Impossible d’en vérifier le texte.

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C’est probablement la « chansonnette » annoncée par J.-B. Rolland & fils dans La Minerve, à Montréal, le 21 juillet 1860, mais s’agit-il de notre « Souvenir d’un vieillard » ?

Deux auteurs proposés
Dans L’Union des Cantons de l’Est du 19 novembre 1931, l’auteur anonyme d’une recension du Chansonnier canadien d’Uldéric Allaire avance que « les paroles [de “Souvenir d’un vieillard”] sont de notre bon poète Pamphyle [sic] Lemay » (Lotbinière, 1837 — Deschaillons, 1918), ce qui est bien peu probable, car cet auteur était bien connu à l’époque où la chanson est devenue populaire après les enregistrements de 1930. Gauthier le connaissait sûrement et lui aurait reconnu la paternité de la chanson dont il a fait un succès. La piste mériterait cependant d’être suivie.
« L’auteur serait Albert Larrieu, un Français né en 1872 et mort en 1925 », selon ce qu’écrit @RepaireDuRadio sur Youtube. Larrieu a séjourné au Québec de 1917 à 1922 et composé plusieurs chansons dont certaines sont reproduites dans La Bonne Chanson. S’il avait composé « Souvenir d’un vieillard », l’abbé Gadbois l’aurait su, et Gauthier aussi. Ce serait au début du vingtième siècle et on ne parlerait pas d’une « chanson d’autrefois ».
Nous voilà donc fort peu avancés.

Le texte
Le texte publié par Allaire (et ensuite par La Bonne chanson) comptait six couplets. Gauthier et Laframboise l’ont réduit à quatre. Certains interprètes conservent l’ensemble du texte « original », mais chantent deux couplets (1-2, 3-4, 5-6) avant d’aller au refrain.
La deuxième ligne du premier couplet reproduit par Allaire se lit « Chantez, chantez le doux parfum des fleurs », mais certains interprètes chantent « Chantez, sentez… », ce qui est probablement plus près du texte de l’auteur.
De même, à la troisième ligne du deuxième couplet, le vieillard serait « plein d’alarmes » (d’inquiétude, d’anxiété) plutôt que « plein de larmes ».

Souvenir d’un vieillard
1
Petits enfants, jouez dans la prairie,
Chantez, chantez [sentez] le doux parfum des fleurs
Profitez bien du printemps de la vie
Trop tôt, hélas, vous verserez des pleurs

(Refrain)
Derniers amours de ma vieillesse
Venez à moi, petits enfants
Je veux de vous une caresse
Pour oublier, pour oublier mes cheveux blancs

2
Quoique bien vieux, j’ai le cœur plein de charmes
Permettez-moi d’assister à vos jeux
Pour un vieillard outragé, plein de larmes [d’alarmes]
Auprès de vous, je me sens plus heureux
3
Petits enfants, vous avez une mère
Et tous les soirs près de votre berceau
Pour elle au ciel, offrez votre prière
Aimez-la bien jusqu’au jour du tombeau
4
En vieillissant, soyez bons, charitables
Aux malheureux prêtez votre secours
Il est si beau d’assister ses semblables
Un peu de bien embellit nos vieux jours
5
Petits enfants, quand j’étais à votre âge
Je possédais la douce paix du cœur
Que de beaux jours ont passé sans nuage
Je ne voyais que des jours de bonheur
6
En vieillissant, j’ai connu la tristesse
Ceux que j’aimais, je les ai vus partir
Oh ! laissez-moi vous prouver ma tendresse
C’est en aimant que je voudrais mourir

——
1. Il existe un poème d’Eugène Chatelain (1829-18..?) intitulé « Les Souvenirs d’un vieillard » (Paris, Imp. de Moquet, 1855 ?), mais les paroles sont totalement différentes (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58091803.r=eugene%20chatelain?rk=21459;2).

2. Le fonds Pamphile LeMay est conservé au Centre d’archives de Québec de BANQ.