Lecture – Le Trudeau de John English (2)

Pierre Trudeau est né avec une cuillère d’argent à la bouche. Doué et discipliné, il obtient des notes brillantes au collège et à l’université. Il étudie ensuite à Harvard, Paris et Londres. Comme l’explique John English, il passe alors d’un « nationalisme conservateur catholique centré sur le Québec au cosmopolitisme de gauche ». Le nationalisme est évacué ; il devient « citoyen du monde », féru de fédéralisme et ardent démocrate.
Mais, si l’évolution générale de sa pensée politique est assez claire, on ne voit pas comment se traduit dans l’action « le plan qu’il avait conçu à la fin des années trente » (p. 415), et qui devait le mener aux plus hautes sphères de la vie publique. Il a peut-être dit, encore adolescent, qu’il voulait être premier ministre du Québec mais un véritable ambitieux aurait eu un parcours différent. Quand English prend la part de Trudeau sur la question de savoir s’il a vraiment « travaillé » dans les années cinquante (p. 269), son propos n’est pas très convaincant. Trudeau avait tout pour lui mais sa vie professionnelle est faite de « side lines » qui lui permettent de partir à l’aventure quand ça lui chante. Méprisant les partis politiques établis, il s’acharne à appuyer ou à créer des groupuscules qui n’ont aucun avenir politique immédiat. Il ne fait rien pour s’approcher des libéraux de Jean Lesage (qui le lui rendent bien…) ; au moment où ces derniers voient une éclaircie avec la mort de Sauvé et l’avènement de Barrette, Trudeau est engagé dans une excursion expérimentale en canot vers Cuba… C’est finalement parce que son ami Marchand ne veut pas partir seul à Ottawa qu’il adhère à un parti qu’il méprise. Le même Marchand enguirlandera ensuite Trudeau qui est tout bonnement encore parti en Europe après avoir refusé de devenir secrétaire parlementaire du premier ministre (il avait sûrement perdu son « plan »…). Marchand devra conjuguer son pouvoir de persuasion à celui de Gérard Pelletier pour convaincre le même Trudeau de se présenter à la direction du parti. Trudeau accepte finalement de se porter candidat en janvier 1968 (à son retour de Tahiti où il consacré une bonne partie de son séjour à « cruiser » une jeune Margaret de 19 ans), mais il est encore prêt à s’éclipser devant Marchand si ce dernier veut se présenter. Pour un homme qui, d’après Pelletier, aurait « passé sa vie à se préparer pour la carrière politique » (p. 437), n’est-ce pas déroutant ?
(à suivre)