Un lobby s’active depuis une dizaine d’années pour rehausser la mémoire de Pierre Dugua de Mons et lui attribuer le titre de fondateur de Québec « avec son lieutenant Champlain ».
Ancien compagnon d’armes d’Henri IV, Pierre Dugua de Mons crée une compagnie de traite en 1603 et obtient le monopole du commerce des fourrures en Nouvelle-France. En 1604, il s’établit en Acadie, sur l’île de Sainte-Croix (aujourd’hui Dochet Island, au Maine). Après un hiver catastrophique, il déménage le camp à Port-Royal et retourne en France pour régler des conflits commerciaux. Son monopole est révoqué en 1607, ce qui met fin à la tentative de Port-Royal. En 1608, son monopole est rétabli pour un an et Champlain le convainc de fonder une colonie sur le Saint-Laurent. Dugua de Mons soutiendra Champlain jusqu’en 1612, même après avoir perdu de nouveau son monopole. Il meurt en 1628 sans être jamais revenu en Amérique.
« Sans de Monts, a écrit Marcel Trudel, on peut présumer qu’il n’y eût pas eu de Champlain ». C’est l’opinion que le lobby brandit inlassablement même s’il s’agit là d’une avancée très prudente et mesurée, voire ambiguë, de la part de Trudel (qui parle de Dugua comme un des fondateurs de la Nouvelle-France, et non de Québec, où il n’a pas mis les pieds). Les rois d’Espagne et de France ont soutenu Colomb et Cartier, ce qui n’en fait pas pour autant les découvreurs de l’Amérique et du Canada.
Et pourquoi l’œuvre de Dugua de Mons aurait-elle été occultée ? L’histoire du Québec ayant été surtout écrite et enseignée par des religieux, on aurait ostracisé Dugua parce qu’il était protestant. Voilà l’Argument qui vaut pour le passé et la suite du débat, car le fait de ne pas reconnaître les mérites de Dugua ne démontre-t-il pas un certain sectarisme ? On sait que les Québécois sont sensibles à la culpabilisation.
Le lobby Dugua a des ramifications en France où les titres de gloire de Dugua de Mons sont étonnants. Une plaque installée en 1957 à Royan (où il est né et décédé) le disait « fondateur de l’Acadie et du Canada ». Sur son lieu de sépulture, une autre plaque posée en 1986 le présente maintenant comme « fondateur de l’Acadie en 1605 et de Québec en 1608 avec son lieutenant Champlain ». Sur une stèle réalisée en 1988, on peut lire : « A Pierre Dugua, sieur de Mons, lieutenant-général du Roi, fondateur de l’Acadie et de Québec avec son lieutenant Champlain », cette dernière précision semblant ajoutée après coup. Une plaque sur la promenade Pierre-Dugua honore le « co-fondateur de Québec ». À Pons, où il fut gouverneur, il y a depuis 1992 une « rue Pierre Dugua sieur de Mons, fondateur de l’Acadie et de Québec » et une plaque au château (2004) dédiée au « fondateur de l’Acadie en 1604 et en 1608 de Québec avec Champlain ».
Un écrivain de Royan est à l’origine de cette révision de l’histoire de la fondation de Québec. Jean Liebel a donné une conférence à Québec en 1977 sous le titre « Pierre du Gua, sieur des Mons, présumé fondateur de Québec ». Le résultat de ses recherches, demeuré longtemps dans les cartons de la bibliothèque de Royan, est finalement publié en 1999. L’ouvrage porte le même titre que la conférence mais le mot « présumé » est disparu et Dugua « reste dans l’histoire comme le fondateur de Québec, brillamment secondé par son lieutenant Samuel Champlain ».
Champlain ne serait donc plus qu’un brillant second.
À Québec, les opinions sont exprimées publiquement avec plus de nuances. En 1999, par exemple, la Société historique de Québec a publié une brochure intitulée Pierre Dugua de Mons, cofondateur de Québec (1608) et fondateur de l’Acadie (1604-1605) dont la troisième édition (2003) porte un titre moins explicite : Pierre Dugua De Mons, et les fondations de l’île Sainte-Croix, Port-Royal et Québec (1603-1612).
Reculer pour mieux sauter ? Au Tribunal de l’Histoire, en 2004, la question n’était pas très engageante : le public a jugé que « le rôle de Pierre Dugua de Mons dans la fondation de Québec avait été largement sous-estimé » (une procédure d’appel aurait cependant beaucoup de chances de succès en s’appuyant sur la partialité des « instructions du juge au jury »…). Mais, au cours de la saison 2007-2008, le public pourra assister à des « duels » où Champlain et Dugua de Mons se disputeront le titre de fondateur de la ville.
Une plaque dévoilée à Québec en 1999 reconnaît déjà à Dugua « un rôle de premier plan dans la fondation du premier établissement permanent en Amérique du Nord. ». Le 3 juillet prochain, un monument sera inauguré en sa mémoire. Qu’y lira-t-on ? On peut s’attendre à tout. Le site de l’établissement de Sainte-Croix, où Dugua de Mons a passé l’hiver 1604, trois ans avant l’établissement de Jamestown, est maintenant en territoire américain : Dugua de Mons pourrait bien devenir fondateur du Maine et des États-Unis !
3 réflexions au sujet de « 400e de Québec : le déboulonnage de Champlain fait-il partie du programme ? »
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Qui veut déboulonner Champlain?
L’inauguration d’un monument en hommage à Pierre Dugua de Mons fait dire à certaines personnes qu’un groupe de lobbyiste veut déboulonner Champlain au profit d’un personnage encore méconnu de notre histoire.
Étant membre de ce« lobby » vous me permettrez de remettre les choses en perspective et de rappeler des faits incontournables de la fondation de l’Amérique française. En premier lieu, vous conviendrez avec moi qu’à l’époque des Chauvin, Champlain et même Maisonneuve, les projets de colonie de peuplement étaient l’œuvre de compagnie. Elle avait pour mission de réunir les capitaux nécessaires à l’expédition, la construction et l’établissement d’une future colonie de peuplement. Compte tenu des investissements nécessaires, ces entreprises comptaient sur les revenus de la traite des fourrures et des pêcheries de la Nouvelle-France. Or, elles étaient en concurrence avec d’autres regroupements de marchands qui venaient en Amérique exploiter à des fins purement commerciales les mêmes ressources de la Nouvelle-France. Pour contrer ces concurrents, les promoteurs d’un peuplement en Amérique sollicitaient auprès de la Couronne l’obtention de privilège et de monopole commercial susceptible de leur assurer des revenus plus importants. Enfin, il faut se rappeler qu’avant 1663 la Couronne n’a pas investi dans les projets de colonisation en Amérique.
C’est dans ce contexte qu’il est nécessaire de situer l’œuvre respective de Pierre Dugua de Mons et de Samuel de Champlain. Les projets de colonisation du sieur de Mons débutent avec la présentation d’un Plan de colonisation en sept points. Le roi Henri VI lui octroie les pouvoirs et le monopole nécessaire pour réaliser son projet. C’est sur ces bases que sera réalisé le projet acadien, où Champlain sera invité à accompagner Dugua de Mons. Le monopole ayant été révoqué quatre ans trop tôt, Dugua doit fermer Port-Royal et rapatrier les premiers colons. À la suite de l’expérience acadienne, Dugua obtient un monopole d’un an et décide de rester en France pour mieux y défendre l’entreprise et de confier à Champlain la mission de venir à Québec y construire une habitation en 1608. Après l’assassinat d’Henri VI, Dugua de Mons ayant perdu son protecteur, il prend les moyens pour assurer la pérennité de son œuvre de colonisation en recherchant un personnage mieux placé en Cour pour défendre la colonie de Québec. C’est ici que Champlain prend le relais du sieur de Mons en poursuivant de brillante manière l’œuvre d’exploration et de colonisation dans la vallée du Saint-Laurent.
Parallèlement, il est intéressant de rappeler les circonstances de la fondation de Ville Marie (Montréal) en 1642. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que ce sont les membres de la Société Notre-Dame de Montréal qui réunirent les capitaux nécessaires à la fondation d’une colonie dans l’île de Montréal. Cette société, formée en 1641, regroupait de riches bourgeois et gentilshommes dont l’objectif consistait à fonder une ville fortifiée en Nouvelle-France dans le but d’y instruire colons français et Indiens chrétiens. En 1663, peu de temps après la mort de deux des membres fondateurs Jean-Jacques Olier de Verneuil et Jérôme Le Royer, sieur de La Dauversière, la société est dissoute. Elle léguera son avoir à la Compagnie de Saint-Sulpice. C’est M. de La Dauversière qui, sur les conseils du père Charles Lalemant, recruta Paul de Chomedey de Maisonneuve comme chef d’expédition et premier dirigeant de Ville Marie. Maisonneuve fut investi de pouvoirs correspondant aux mêmes droits et devoirs des dirigeants, en France, de la Société Notre-Dame de Montréal. Celle-ci recruterait, financerait et assisterait de toute façon la petite colonie en formation.
Vous constaterez facilement la similitude de situation dans les rôles respectifs de Champlain à Québec et Maisonneuve à Montréal. Ils sont tous deux les mandataires des dirigeants de la compagnie qui finance le projet de colonie. Toutefois, cette similitude s’arrête là dans le récit que l’Histoire retiendra de la fondation de Québec et de Montréal. Alors que le sulpicien Dollier de Casson relate avec précision les noms, les rôles et les circonstances de la fondation de Ville Marie, à Québec, le huguenot qui a permis à Champlain de venir faire œuvre colonisatrice est complètement oublié. Dans une société catholique il n’est pas de bon ton, voir inadmissible, d’admettre qu’un huguenot fut un acteur important de l’histoire de la Nouvelle-France. La religion de Pierre Dugua de Mons était un obstacle à la reconnaissance de son œuvre.
Loin de vouloir réécrire l’histoire de la fondation de Québec et réduire le rôle que Champlain y a joué à ce moment et dans la fondation de la Nouvelle France, il nous semble qu’à l’aube des fêtes soulignant le 400e anniversaire de la fondation de Québec, il est temps que les historiens mettent en perspective le rôle des différents acteurs de la construction de l’Habitation de Québec. N’est-il pas de la mission et du devoir de l’historien d’œuvrer au triomphe de la vérité historique par la diffusion de ses recherches aux sources ?
Par ces explorations, son travail de colonisateur et les efforts qu’il a déployés en Amérique et en France pour établir une colonie de peuplement sur les bords du Saint-Laurent, Samuel de Champlain mérite encore ce titre de Père de la Nouvelle France. Son monument, présentement en restauration, est toute à fait à la hauteur de l’hommage qui lui est du. Mais, comme l’écrivait l’historien français Émile Ducharlet dans Samuel Champlain, enfant de Brouage, Hommage au fondateur de Québec, « parler de l’œuvre de Champlain sans mentionner la part prise par Dugua de Mons relèverait d’une totale méconnaissance de l’histoire ou de la plus invraisemblable mauvaise foi. »
En inaugurant un monument sur l’emplacement nommé «mont du Gas » par Champlain lui-même en dans un écrit de 1613, la Ville de Québec a voulu mettre en lumière la place qui revient à Pierre Dugua de Mons dans la fondation de la capitale nationale et ainsi rendre justice à ce visionnaire et ce colonisateur trop long temps méconnu.
Dugua de Mons méritait un monument, ne serait-ce qu’à titre de lieutenant général « des côtes, terres et confins de l’Acadie, du Canada et autres lieux en Nouvelle-France » ou simplement de prestigieux homme d’affaires actionnaire d’une compagnie de colonisation. Selon le texte de la plaque posée sur le monument, Dugua de Mons « nomma Champlain son lieutenant et lui procura la main-d’œuvre, les navires et tous les autres moyens matériels et financiers nécessaires à la fondation de Québec en 1608 ».
Mais, le message du « lobby » va bien au-delà de cette mention prosaïque. Relayant les prétentions de quelques auteurs charentais, pour qui ce fils du pays est naturellement d’un mérite sans bornes, il promeut explicitement l’idée que Dugua de Mons est le cofondateur de Québec (quand ce n’est pas carrément le « vrai » fondateur). Ce n’est pas ce que le monument nous dit mais cela n’a pas empêché notre mairesse et ses attachés de presse d’extrapoler librement et les médias d’y faire écho. Que comprendront les citoyens de Québec, sinon que leur ville a deux fondateurs, dont l’un est le patron l’autre et cherche à s’en attribuer les mérites, à titre posthume ?
Les historiens du Québec et du Canada qui ont étudié sérieusement la vie de Champlain (comme Joe Armstrong et les autres) ont tous évalué les rôles respectifs de Dugua et de Champlain de la même manière. Catholiques comme protestants. Malgré un passage relativement fugace dans l’histoire du Canada, Dugua de Mons est loin d’avoir été oublié : les auteurs des manuels en usage dans les écoles québécoises au XXe siècle, qu’ils aient été frères de l’instruction chrétienne, clercs de Saint-Viateur ou autres membres du clergé, ont tous parlé de son rôle de colonisateur, principalement dans l’Acadie qui était visée par son plan en sept points. Par quelle révision de l’histoire en viendrait-on maintenant à le déclarer « cofondateur » (d’une ville où il n’a jamais mis les pieds) et, si c’est le cas, pourquoi ne l’a-t-on pas dit expressément sur son monument ?
Ne serait-il pas temps, à quelques mois de l’ouverture des fêtes du 400e, d’examiner ce sujet en dehors des coulisses et des représentations théâtrales ?
Je vous félicite de cet examen historique et polémique.
D’apres ce que j’ai lu dans toute la litérature historique du fondement de la Nouvelle-France (Acadie, Canada et Terre-Neuve), Dugua de Mons était le fondateur de l’Acadie et il a joué un rôle très important, si non le rôle primordial en ce qui concerne la deuxième colonie européenne au Canada, la ville de Québec, la première étant Port-Royal, en Acadie.
Je vous recommande de lire un des plus grands historiens des États-Unis du XIXe siècle, Francis Parkman, auteur d’un projet historique concu en 1841: « France and England in North America ».
Dans le chapitre « Champlain at Quebec », Parkman nous explique: « De Monts embraced his views (Champlain’s); and, fitting out two ships gave command of one to the elder Pongrave, of the other to Champlain. The former to…. bring back furs… to Champlain fell the harder task of settlement… »
Serge Darnal
Miami