Le poète d’Ottawa

Pour « encourager la littérature, la culture et la langue et en promouvoir l’importance au sein de la société canadienne », le Parlement du Canada s’est doté en 2002 d’un poète officiel qui « peut », en vertu de la loi, rédiger des œuvres de poésie, notamment pour des occasions importantes, parrainer des lectures de poésie et conseiller le bibliothécaire du Parlement sur ses collections et les acquisitions propres à l’enrichir dans le domaine de la culture.
Les trois premiers titulaires de la fonction ont bien compris que le Parlement se contentait de « peut »… Comme on pouvait l’apprendre dans Le Devoir du 2 août, le premier et le dernier n’ont rédigé aucun poème commandé ; l’autre a écrit un poème à la mémoire des deux derniers vétérans de la Première guerre mais son texte n’a pas été agréé. L’allocation annuelle du poète est néanmoins passée de 12 000 $ à 20 000 $…
Comme c’est souvent l’usage, en pareilles circonstances, on a justifié la création de ce poste en disant que « plusieurs pays, dont l’Angleterre et les États-Unis, ont également leur poète officiel ». En fait, information prise auprès du House of Commons Information Office, le Parlement britannique « does not have an official poet itself »: le « UK’s official royal poet », comme son nom l’indique, est le poète officiel du royaume, choisi par la reine sur recommandation du premier ministre, et rattaché à la maison royale. Créée en 1668, cette fonction est purement honorifique depuis 1850 et elle ne semble pas comporter de rémunération. Aux États-Unis, le « Poet Laureate Consultant in Poetry to the Library of Congress » est rémunéré par un fonds privé créé en 1936 par un magnat du rail. Et non par les fonds publics.
Ici, ce n’est pas pareil. Ottawa nage dans l’argent. Mais est-ce le rôle du Parlement de subventionner les arts en gardant ainsi un « poète en cage »… et néanmoins libre de produire s’il le veut ? Si les parlementaires désirent « encourager la littérature, la culture et la langue », ils n’ont qu’à augmenter les crédits du Conseil des arts et de la Commission de droit de prêt public. Les programmes d’aide à la littérature de ces organismes sont moins glamour, mais les écrivains qui en bénéficient ont des comptes à rendre et ne sont pas censurés.