Le palmarès des « pires Canadiens » du magazine Beaver (voir « Ton histoire est ‘une des pas pires’ ») m’a rappelé les encarts de Chrysler Canada publiés simultanément dans L’Actualité et Macleans en 1992. Cette publicité prenait la forme d’une grande carte garnie d’éphémérides évoquant le souvenir des héros de l’histoire du Canada dont on fêtait alors le 125e anniversaire.
À première vue, les encarts des deux périodiques (« The map of Canadian Legends » du Macleans et « Ton histoire est une épopée » de L’Actualité ) se ressemblaient, mais ils véhiculaient en fait des messages très différents destinés à des sociétés distinctes.
Certes, on y trouvait quelques héros communs. Des bien connus, comme Graham Bell et Joseph-Armand Bombardier, Émily Carr et Lucy Maud Montgomery, et d’autres, qu’on aurait peut-être dû connaître, comme le shaman inuit Qitdiarssuaq, le brigand Billy Miner (qui aurait inventé le terme « Hands up »), le pilote de brousse Punch Dickins et les membres du détachement de la RCMP qui ont abattu le tireur fou de Rat River au Yukon en 1932…
Mais il y avait surtout des différences notables entre les deux panthéons. Ainsi, les exploits de l’explorateur Alexander Mackenzie, des pilotes Wop May et John McCurdy, ainsi que du chef amérindien Tecumseh ne se trouvaient que parmi les « Canadian legends ». Même Laura Secord était cantonnée à l’univers anglophone ! Par contre, les lecteurs de Macleans devaient se satisfaire (?) d’une version écourtée de l’histoire du Canada. Les seuls événements antérieurs à la Conquête étaient la fondation de Port-Royal par Champlain (eh! oui, les anglo-protestants oublient aussi Pierre Dugua de Mons!) en 1605 et celle de Montréal en 1642. Québec était évidemment incontournable, à cause de 1759.
Les lecteurs de Macleans ne surent donc pas que la côte du Labrador était fréquentée par des pêcheurs bretons et basques bien avant la « découverte » du Canada (qui était probablement esquivée pour éviter les débats sur les mérites respectifs de Cabot et de Cartier). Rien pour eux sur les explorations de Champlain dans la région de Toronto, la « découverte » du lac Supérieur par Étienne Brûlé, les missions fondées au pays des Hurons par les Jésuites, le passage de La Verendrye dans l’Ouest et les expéditions du capitaine Bernier dans l’Arctique. Ils ont probablement compris que les Français ne pouvaient traverser l’Outaouais.
Mais il y avait plus subtil. Ainsi, Kingston était le lieu de naissance de J.A. Macdonald pour tous, mais l’ancien fort Frontenac pour les lecteurs francophones seulement. Les deux éditions mentionnaient la pendaison de Riel en 1885 mais seule la version française précisait que cet événement avait soulevé « la colère du Québec et une méfiance durable ». De Winnipeg, le Macleans retenait la rébellion des Métis; mais, en lisant L’Actualité, on apprenait de plus qu’ils avaient fondé cette ville « originellement française [d’où le français] sera banni et rapidement réduit ».
Une consolation pour les Québécois qui commençaient à culpabiliser : l’encart de L’Actualité rappelait que le « génocide des 30 000 Hurons » était la responsabilité des Cinq-Nations iroquoises.