La sortie de l’atlas historique intitulé La mesure d’un continent a provoqué un vif échange épistolaire entre un professeur d’histoire de Québec et la pdg montréalaise de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
« Le vrai lancement se fera peut-être à Montréal », écrivait Jacques Mathieu (Le Soleil, 12 novembre), qui s’étonnait surtout qu’une exposition conçue par un chercheur de Québec sur le tricentenaire de Québec (et probablement avec des documents de Québec) ne se tienne qu’à Montréal. Madame Bissonnette répliqua vivement (16 novembre) à cette « réaction mesquine d’un universitaire jouant les pions ». Le lancement ? Il n’y en aura pas du tout. Ça règle la question. L’exposition ? Elle aura lieu d’abord au Centre d’archives de Montréal, mais on cherche un lieu d’accueil à Québec. Le Centre d’archives de la capitale, qui a longtemps abrité le « siège social » des Archives nationales, ne serait donc pas assez accueillant.
Tout en déplorant ces « comptes d’épicier entre métropole et capitale », madame Bissonnette n’a pu résister à la tentation faire la liste de « gestes concrets » qui témoignent de son « attachement à Québec » mais l’opération a toutes les allures d’un raclage de tiroirs : une exposition intitulée Tous ces livres sont à toi, d’abord tenue à Montréal, « québécisée » pour le Musée de la civilisation et malheureusement terminée au moment de l’échange épistolaire ; une « collaboration scientifique » à l’exposition permanente du même musée ; un « rôle-clé » dans « deux manifestations internationales majeures », dont l’une (la Conférence internationale de la table ronde des archives, novembre 2007) a été planifiée par les Archives nationales bien avant leur fusion avec la Bibliothèque nationale et l’autre (la rencontre de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions, août 2008) organisée par l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED) avec l’aide d’un vaste comité dont Bibliothèque et Archives nationales du Québec fait partie.
Quant au cinquième des « gestes concrets », soit le don « d’une collection importante au Musée national des beaux-arts du Québec » (MNBAQ), il n’a pas laissé de traces sur les sites pourtant bavards des deux institutions. Et pour cause : il s’agirait d’un simple transfert d’œuvres art du Centre d’archives de Québec au MNBAQ, quelques kilomètres plus loin. Le geste est peut-être concret mais les retombées sur Québec sont nulles : on a déshabillé saint Pierre, l’archiviste du Campus, pour habiller saint Paul, le conservateur des Plaines. Faut-il vraiment dire merci ?
La fusion des Archives nationales du Québec avec la Bibliothèque nationale a déplacé vers Montréal la direction de l’institution qui conserve notamment les archives de l’État. Il faudra plus que des collaborations ponctuelles à l’accueil de congressistes, fussent-ils savants, pour compenser cette perte dans la capitale.
Une réflexion au sujet de « Le grain de sel de l’épicier du coin »
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Fusion ou dilution?
(Texte proposé à l’Opinion du lecteur du journal Le Soleil)
À l’occasion du lancement du superbe ouvrage de Vaugeois/Litalien/Palomino, La mesure d’un continent, le majestueux paquebot de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a fait escale dans la Capitale nationale. Le trajet à l’aller s’est effectué sur une mer d’huile.
Sur le chemin du retour, deux malencontreux croisiéristes insatisfaits dans leurs petites chaloupes à rame, les historiens « à compétence minimale » (dixit la pdg de BAnQ), Mathieu et Deschênes, ont osé, tour à tour, interpeler le capitaine maître à bord après Dieu. Une tempête s’ensuivit, transformant la magnifique cathédrale des mers à coque de verre fragilisée depuis ses débuts en un navire amiral pourfendant les eaux soudainement devenues tumultueuses du Saint-Laurent, tous canons armés.
Le cuirassé arrimé à son port d’attache, à Montréal, où logent officiellement ses officiers depuis 2004, la réaction fut cinglante. La colère rendant souvent aveugle, le ton a monté et les réponses données sont aussi étonnantes qu’inattendues aux oreilles du client praticien du métier que je suis et ex-moussaillon pendant 7 ans de l’ex-grand voilier Archives nationales du Québec (ANQ).
Comme observateur sur les quais, cette polémique, qui permet à chacun d’illustrer la richesse de notre langue commune, cache un malaise plus grand. La pointe d’un iceberg : résultat de la fusion (de la dilution serait l’expression plus juste) de l’institution que sont les Archives d’une nation dans l’océan d’un patrimoine documentaire global et universel, démocratiquement accessible, contribuant à l’épanouissement des citoyens!
En tant qu’historien de formation et surtout de spécialiste de la gestion documentaire, j’ai décidé de consulter les archives électroniques de la timonerie pour appuyer mes affirmations qui ne sont ni hargneuses, ni grossières.
Réglons d’abord la question du déplacement de la direction des ANQ vers Montréal : avant la fusion, le conservateur en chef et le conservateur-adjoint responsable de «l’action régionale» avaient leurs bureaux permanents à Québec, dans l’édifice de la Maison des Archives (hé oui, c’est ainsi qu’on l’appelait à l’époque). Aujourd’hui, quand les titulaires de ces postes demeurent à Montréal et ne sont à Québec que quelques jours par semaine, on conviendra qu’il est difficile de ne pas réagir à l’affirmation que « la direction des Archives nationales n’a pas bougé de Québec».
Que la mission du Centre d’archives de Québec, nommé simplement comme centre « régional » dans le site WEB de la société d’état, ait été renforcée en lui confiant « l’orientation des archives publiques sur le territoire québécois » n’en fait pas pour autant le siège social prestigieux d’antan. Ce n’est pas le déplacement des documents qui inquiète, c’est celui du centre de décision, s’il en reste un.
Il faut bien se rendre à l’évidence : les Archives nationales du Québec n’existent plus, elles n’ont plus de personnalité. Elles sont devenues une Direction générale des archives, au même niveau que les autres directions de gestion interne (administration et ressources technologiques). L’organigramme, en date du 5 novembre 2007, nous laisse même croire que ses fonctions de conservation et de diffusion en ont été extirpées! Et ne cherchez pas sur le site WEB les textes des allocutions du conservateur et directeur général des archives, il n’y en a que pour le capitaine!
Et si on faisait un peu d’histoire : savez-vous que les Archives nationales du Québec n’ont pas d’histoire? L’historique de l’institution, bien caché dans la cale de la page d’accueil du site WEB, ne débute en 1967, année de création de la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ). Pierre-Georges Roy, premier archiviste du Québec en 1920 : jamais existé. La Loi sur les archives en 1983 : certainement un malencontreux oubli de la part du patron du webmestre! Cependant, rien ne manque dans l’énoncé des faits marquants de l’évolution de la Bibliothèque nationale, de la Grande bibliothèque, de la fusion Bibliothèque nationale du Québec/ANQ.
Consultons le rapport annuel 2006-2007, lui aussi en ligne : 6 pages sur 110 relatent les activités liées aux archives. Ne cherchez pas les rapports annuels des Archives nationales du Québec produits avant la fusion de 2004 : ils ne sont pas disponibles. Ceux de la Bibliothèque nationale, en partie oui. À moins que le tout soit perdu dans la complexité du site WEB. Définitivement, il n’y en a que pour la fonction « bibliothèque ». Vous me direz que ce sont des détails, des perceptions. Je vous dirai que les documents, les archives de l’institution, parlent par elles-mêmes.
Comment en sommes-nous venus là? Comment l’association professionnelle qui regroupe les archivistes du Québec a-t-elle pu se laisser monter un tel bateau? Et les autres historiens, clients des archives, sources premières de leurs contributions sociétales, ont-ils perdu leur voix? Aucune nation qui se respecte n’aurait accepté une telle rétrogradation. Mais il faut croire qu’au Québec on s’est laissé influencer par le gouvernement fédéral. Le Canada, cette nation fière d’habiter le «plusse meilleur pays du monde», a aussi fondu ses Archives nationales à sa Bibliothèque nationale, mais pour un motif idéologique : créer une grande institution qui ferait du nation building, au service de la propagande en faveur de l’unité nationale. Québec l’a imité, mû par son obsession de réduction de la taille de l’État. De tels exemples ne pullulent pas dans la communauté archivistique internationale qui est généralement jalouse de la place publique qu’elle occupe dans la préservation et la diffusion de la mémoire collective.
De 1976 à 1984, j’ai apporté, avec mes collègues de l’époque, ma mince et dévouée contribution professionnelle au rayonnement national et international des Archives nationales du Québec. Aujourd’hui, je m’inquiète pour l’avenir. Comme plusieurs, j’ai bien voulu croire que la constitution de la nouvelle société d’État allait permettre enfin aux ANQ de se développer et d’assumer pleinement sa mission et à s’imposer en tant qu’institution nationale au sein de la Francophonie. Aujourd’hui, j’en doute.
Le 400e anniversaire de Québec était une belle occasion pour la direction de BAnQ de démontrer la justesse de la décision gouvernementale de fusionner les deux institutions en prenant le leadership de l’organisation, à Québec, au cœur même de la fête, d’une méga-exposition multimédia sur Champlain et son temps. Elle aurait pu impliquer les grandes institutions muséales et archivistiques et les historiens d’ici et de la France pour faire en sorte que Québécois de toutes origines et nouveaux arrivants soient sensibilisés à l’unicité de l’événement : l’installation du premier établissement permanent francophone en Amérique qui fait de nous tous des Québécois. Car le 400e, c’est plus que des spectacles et des tournois de hockey. C’est la célébration de la naissance d’une nation! Et c‘est à Québec que ça se passe! Et c’est à Québec qu’on doit venir célébrer!
Le rendez-vous est manqué. Mais le malaise demeure. Il est à souhaiter que d’autres voix osent apporter leur grain de sel, si petit soit-il, critique et malgré tout constructif afin de redonner aux Archives nationales du Québec la place qu’elles doivent occuper et le rôle qu’elles doivent jouer en tant que Mémoire des Québécois, au sein ou non de BAnQ.
Michel Roberge
Conseiller en gestion documentaire et ex-membre du personnel d’Archives nationales du Québec de 1976 à 1984