Nationaliser la fête nationale?

Sans le savoir, peut-être, Alain Dubuc a exposé le problème fondamental de la fête nationale («Les ayatollahs de la québécitude », La Presse, 17 juin 2009) : « Le 24 juin n’est plus la fête du saint patron des Canadiens-français, mais la Fête nationale des Québécois. Pour un nombre croissant de gens, cela signifie que c’est la fête de tout le monde, y compris des allophones, y compris de la minorité anglophone. Le fait de les associer à la fête, même dans leur langue, est une mesure des progrès accomplis. »
Un progrès? Pour qui? Le 24 juin était autrefois une fête nationale au sens ethnique du terme, comme il en existe légitimement pour de nombreuses autres ethnies. Ce n’était pas une fête d’obligation pour les francophones et les anglophones s’en fichaient royalement tout en bénéficiant d’un congé. Une semaine plus tard, il y avait une fête civique pour les Canadiens avec un autre congé pour tous. Arrive le gouvernement Lévesque qui, en 1977, transforme la Saint-Jean en fête dite « nationale », tout heureux de rompre avec saint Jean-Baptiste et le Canada français.
Le 24 juin est ainsi devenu une fête civique, toujours organisée par les sociétés Saint-Jean-Baptiste ou sociétés nationales, mais désormais largement subventionnée afin de permettre la tenue des grands spectacles qui la caractérisent. On peut se demander d’ailleurs avec quel recul bon nombre de personnes sont intervenues dans le débat qui nous occupe depuis quelques jours : pour un nombre considérable de Québécois, le 24 juin a toujours été une fête civique.
Ceux qui n’avaient pas saisi la conséquence de la décision de 1977 ne peuvent la rater maintenant. Par une curieuse évolution des choses, ce qui était la fête des Canadiens français échappe maintenant aux francophones qui ne sont plus maîtres de leurs propres institutions nationales. On a « fait du chemin », selon Dubuc, qui souhaite aller plus loin et surtout pas s’obliger à culpabiliser les organisateurs de la fête chaque année pour les infléchir vers le multiculturalisme. Il demande au gouvernement Charest de retirer au Mouvement national des Québécois l’organisation de la fête nationale, sous prétexte qu’il s’y trouve trop de « militants » portés sur les « dérapages », la « pensée unique » et le « dogmatisme »? Quelle idée, en effet, de confier une fête nationale à des nationalistes?
Ainsi la boucle serait fermée : après avoir dépouillé la Saint-Jean de son sens fondamental, on en expulserait ceux qui l’organisent depuis 175 ans. Après le 400e anniversaire exproprié de 2008 (monsieur Dubuc s’en souvient-il?), c’est le 24 juin nationalisé.