Les fleurdelisés bâtards

Il suffit de porter un minimum d’attention aux drapeaux arborés par les institutions publiques québécoises pour constater que plusieurs d’entre elles ne respectent pas les dispositions de la Loi sur le drapeau et ne remplissent pas leurs obligations en matière de pavoisement. On ne parle évidemment pas ici des commerces, des hôtels et des autres établissements privés qui sont encore plus nombreux à pavoiser avec des fleurdelisés bâtards et des fleurs de lis qui ressemblent à peine au modèle défini par le Bureau de normalisation.
L’article 1 de la Loi sur le drapeau et les emblèmes du Québec (L.R.Q., chapitre D-12.1) définit le format du fleurdelisé : « La largeur et la longueur du drapeau sont de proportion de deux sur trois » (2:3). On arbore donc normalement des drapeaux qui ont, par exemple, 60 cm sur 90 cm, 120 cm sur 180 cm, etc. La hauteur d’un fleurdelisé est égale aux deux tiers de sa longueur.
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Par ailleurs, le Règlement sur le drapeau du Québec (c. D-12.1, r. 2.1) décrète que le fleurdelisé « doit être déployé de façon officielle par une institution publique ou un établissement relevant de l’Administration gouvernementale afin d’identifier son appartenance à cette dernière ». Il doit donc être déployé sur ou devant les édifices des ministères et des organismes gouvernementaux, des commissions scolaires, des cégeps et des universités, des organismes du secteur de la santé et des services sociaux, les édifices où siègent les tribunaux relevant de la compétence du Québec et les conseils municipaux, les bibliothèques municipales « et en tout lieu où une municipalité déploie sa bannière ». Ce règlement précise que « tout drapeau déployé doit être conforme aux normes du Bureau de normalisation du Québec » qui définit précisément les modalités de fabrication du fleurdelisé et, naturellement, son format légal.
Une simple promenade dans les rues de Québec ou de Montréal permet de constater que plusieurs institutions publiques et parapubliques arborent des drapeaux qui sont de proportion un sur deux (1:2), au lieu de deux sur trois (2:3), alors qu’il est pourtant facile d’acquérir des drapeaux normaux par l’intermédiaire du Centre des services partagés du gouvernement du Québec ou encore aux Publications du Québec.
Est-ce une question de coût ? Faut-il conclure que des organismes publics et parapublics acquièrent leurs fleurdelisés à meilleur coût directement du manufacturier, sans se soucier des normes de fabrication ? Interrogé sur ce sujet, un fabricant a répondu qu’il avait des fleurdelisés de format 1:2 dans son catalogue « pour répondre à des demandes venant de certains organismes publics ».
S’agit-il de simple ignorance ? Possible, mais on notera que l’université Laval arborait un fleurdelisé hors normes jusqu’à tout récemment et que la Grande Bibliothèque en a encore un, comme en témoigne cette photographie prise en juin 2009.
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Dans le cas des institutions qui pavoisent simultanément aux couleurs du Québec et du Canada, le motif de « l’infraction » serait d’ordre protocolaire. En effet, le fleurdelisé et l’unifolié sont foncièrement incompatibles. Un fleurdelisé normal qui a la même longueur qu’un unifolié, disons 60 cm, est plus grand que ce dernier à cause de sa largeur (40 cm contre 30 cm) ; et, si le drapeau québécois a la même largeur que l’autre, disons, 40 cm, il sera plus petit parce que plus court (60 cm contre 80 cm). On peut arriver à leur donner la même surface mais ils n’auront jamais la même forme. Afin d’avoir des drapeaux de même grandeur, plusieurs institutions publiques « accommodantes » croient alors résoudre la quadrature du cercle en se procurant des fleurdelisés fabriqués selon la norme canadienne (1:2), au mépris de la Loi sur le drapeau (comme les incite d’ailleurs le catalogue du plus important fabricant de drapeau de la région de Québec avec son illustration fautive du fleurdelisé). Rares sont celles qui font l’inverse, ce qui serait pourtant plus logique et plus respectueux envers l’État auquel elles appartiennent.
Sur une page consacrée au fleurdelisé, le site Internet du gouvernement du Québec rappelle les normes de fabrication du drapeau et invite les citoyens et les administrations à « demeurer vigilants à cet égard et [à] n’utiliser que des drapeaux de format légal ». Le citoyen peut effectivement signaler les anomalies à la personne responsable du dossier au ministère de la Justice et il arrive que la situation soit corrigée. À la longue, on pourrait théoriquement amener un par un les administrateurs publics à respecter les lois et les règlements qui les gouvernent en matière de pavoisement, mais ce serait plus simple et plus efficace si la ministre chargée de l’application de la Loi sur le drapeau prenait ses responsabilités et, à défaut de contraindre les fabricants à respecter la loi et les normes du Bureau de normalisation, demandait la collaboration de ses collègues ministres pour adresser un rappel aux institutions qui relèvent de leur autorité.

2 réflexions au sujet de « Les fleurdelisés bâtards »

  1. Voilà un texte fort utile et bien documenté. On peut ajouter que la plupart des drapeaux nationaux ont des proportions 2X3. À cet égard, le drapeau canadien a repris les proportions (et le rouge) du drapeau britannique (Red ensign) qui est dit drapeau de mer alors que le drapeau du Québec est un drapeau de terre. Le problème se pose lors d’un événement où plusieurs drapeaux nationaux doivent être déployés.
    En 1974, j’ai vécu une superbe bataille des drapeaux lors de la Superfrancofête.
    Quel drapeau national avait préséance à Québec et imposé son modèle?
    Les autorités canadiennes sont très vigilantes et influencent les fabricants en insistant sur le 1X2 qui devient un peu la norme dans la fabrication des drapeaux.
    Ton article rappelle à juste titre la législation et la réglementation. Bravo.
    D.V.

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