Archives mensuelles : septembre 2009

La Presse et le Moulin

L’éditorialiste en chef de La Presse a produit cinq ou six éditoriaux (versions papier et versions numérique) sur le Moulin à paroles. On se serait cru au cœur d’une grave crise menaçant les fondements de l’État… Il ne s’agissait pourtant que d’un spectacle, une histoire du Québec par les textes, et les réactions qu’il a suscitées, dans ce journal en particulier, intrigueront sûrement nos descendants. Comment La Presse en est-elle venue à publier en page éditoriale une photo du coffre de la voiture où Laporte a été retrouvé en octobre 1970 ?
L’Histoire est subversive et on comprend la Société du 400e anniversaire de Québec, sous l’influence déterminante du gouvernement fédéral, d’avoir mis le couvercle sur l’essence même de l’anniversaire qu’on aurait dû fêter en 2008, celui de l’Amérique française. En 2009, le gouvernement du Québec et les autorités de la ville ont préféré ignorer le 250e anniversaire de la bataille des Plaines et de la capitulation de Québec, laissant au gouvernement fédéral, encore, le soin d’organiser une commémoration consensuelle, par Commission des champs de bataille interposée, qui ambitionnait de rallier les vainqueurs et les vaincus dans une bataille d’opérette…
Dans son dernier papier (« Le prochain Moulin », 20 septembre 2009), l’éditorialiste reconnaît du bout de la plume que le ministre Hamad a exprimé son indignation « maladroitement » et que le Moulin a été une réussite « à certains égards ». Il lui reproche cependant d’avoir raté un objectif, celui de tenir un événement rassembleur, et n’a évidemment pas l’élégance de souligner les efforts que les organisateurs ont faits pour l’atteindre, ni, d’ailleurs, le calme et la dignité qui ont marqué ces 24 heures de lecture. Le manifeste du FLQ « a été applaudi », s’indigne-t-il, mais bien malin qui pourrait départager ceux qui acclamaient la prestation du lecteur et les autres. On a aussi applaudi Wolfe, Durham, les évêques qui dénonçaient les Patriotes, Ô Canada
Un texte supprimé (le manifeste du FLQ) et quelques ajouts, dont un discours de Bourassa (autre que celui de juin 1990), des textes de La Fontaine, Laurier et Trudeau (qui en avait un, mais pas assez « représentatif »…) rendraient-ils un autre Moulin acceptable ? L’éditorialiste souhaiterait « un rapprochement avec les fédéralistes », une histoire lue « dans toutes ses nuances », « un événement à la fois pédagogique et rassembleur ». C’est comme espérer la publication d’un manuel d’histoire unique, une idée qui revient à toutes les générations depuis cent ans, et qui se bute à la bête réalité : les Canadiens anglais et les Canadiens français n’ont pas la même histoire.
Les promoteurs du Moulin n’ont pas voulu attendre qu’on arrive à cet improbable consensus et ont invité leurs compatriotes de souche ou de culture française à célébrer leur survivance et leur développement malgré la Conquête et toutes les difficultés qui ont suivi. Le gouvernement du Québec et l’éditorialiste de La Presse n’ont rien trouvé de positif dans cette commémoration. Faut-il s’en étonner ?

« L’Année des Anglais » chez les talibans

(Un soldat du contingent canadien en Afghanistan a reçu L’Année des Anglais en cadeau…)
Bonsoir, M. Deschênes,
Je vous écrit un petit mot rapide du fin fond du fond de l’Afghanistan où votre livre a su trouver son chemin pour me parvenir, avec l’aide de Simon Gilbert, bien sûr! ;-) Merci beaucoup pour la dédicace, ce genre de détail me tient beaucoup à coeur étant un passionné de livres.
C’est le cas de le dire, votre livre n’a pas fait long feu, je l’ai dévoré en seulement quatre jours, avant d’aller au lit histoire de me changer les idées de mes traditionnels talibans qui font les cents coups contre les Forces de la Coalition. D’une façon très personnelle, vous contribuez donc au support des troupes! Le livre est magnifique, bien fait avec de belles photos… rien pour freiner mon avis de me trouver une jolie petite maison du Régime français!!
Je ne sais pas si Simon vous a parlé un peu de moi?! Nous nous sommes connus dans l’armée, à l’époque où je lui disais de cesser de vivre dans le passé avec ses Français et ses Anglais… J’ai fait mon arbre généalogique après qu’il m’ait montré le sien et me voilà aussi accro que lui! Je suis le descendant d’un soldat des Compagnies franches de la Marine, arrivé à Québec en 1750 à bord du navire marchand l’Infante Victoire. Il joignit la Compagnie de Saint-Ours, se maria à Québec en 1758 avec le grade de caporal et, ensuite, il obtint une concession dans le fief Dutord en 1778. Il me reste encore beaucoup de recherches à faire pour tenter de retrouver un maximum d’information sur lui. Selon la généalogie des Saint-Ours, son capitaine devait être Pierre-Roch de Saint-Ours; hélas, il est le seul dans la famille avec très peu de détails sur ses états de service. Il est seulement mentionné qu’il a participé à la majorité des batailles de son époque…
Enfin, votre livre est un très bel ouvrage.
Merci encore.
Martin Dauphinais

Même pas un oeillet

La controverse autour du Moulin à paroles devrait faire les délices des analystes de l’information. Une étude pourrait porter sur « l’influence des vacances et des longues fins de semaine sur la qualité de l’information ».
Au début d’août, les organisateurs du Moulin ont donné une conférence de presse qui a eu de bons échos dans la presse. Le projet était très clair : en bref, inviter des gens de tous les horizons à venir raconter l’histoire du Québec. Était-il en vacances avec les responsables de sa revue de presse (c’est l’hypothèse optimiste)? Toujours est-il qu’un ministre du gouvernement du Québec n’y a rien compris (autre hypothèse optimiste) et a dénoncé la lecture du manifeste du FLQ sur les Plaines les 12 et 13 septembre. La nouvelle est sortie un vendredi (était-ce voulu?), à la veille d’un longue fin de semaine, un moment où la presse est toujours un peu assoupie et moins critique à l’égard de ce qui se passe et se raconte.
L’intervention du ministre a roulé sur les canaux d’information continue et sur Internet pendant trois jours dans la trajectoire (spin) que le ministre lui a donnée, c’est-à-dire, tout croche. Plusieurs citoyens ont retenu qu’un groupe de personnes se réunirait sur les Plaines le 12 septembre pour faire une lecture publique du Manifeste du FLQ. Avant que les journalistes ne reviennent de congé, l’ornière était tracée. Plusieurs commentateurs n’ont pas pris la peine d’aller aux sources, ce qui leur aurait permis d’apprendre que ce document n’était qu’un des quelque cent textes illustrant l’histoire des Québécois, et quelques autres n’ont pas voulu le faire, préférant utiliser l’événement pour manger du souverainiste. Le plus remarquable à cet égard est l’éditorialiste en chef de La Presse qui a jugé bon de consacrer deux notes sur le blogue de l’édito et deux éditoriaux! Son dernier texte présente le communiqué annonçant la mort de Laporte comme le « vrai manifeste du FLQ » et souhaite qu’on le lise au Moulin, le tout accompagné d’une reproduction du communiqué et d’une photo du coffre de la voiture où le ministre a été retrouvé! On se croirait au beau milieu d’une crise qui menace nos institutions et cette controverse illustre bien comment l’Histoire dérange.
Comme le démontre Simon Gagné dans Le Soleil (11 septembre), le Manifeste du FLQ a été lu ou utilisé dans de nombreuses manifestations artistiques ou autres ces dernières années, sans que personne ne s’en offusque. Radio-Canada le diffuse sur son site. Où est le problème? Le Manifeste n’est ni contaminé, ni radioactif. Il n’a tué personne. Ses auteurs peuvent-ils apparaître en 2009 comme de dangereux exemples pour la jeunesse? Pas plus que d’autres personnages qui seront « représentés » au Moulin, comme les Patriotes, Louis Riel, ou James Wolfe, qui a terrorisé les campagnes autour de Québec en 1759. Dans le Moulin à images, ces deux derniers étés, on a pu voir Denis Lortie tirer sur les pupitres de l’Assemblée nationale et personne n’a imaginé que Robert Lepage incitait à la haine et à la violence. Lortie visait le gouvernement Lévesque, lui, et n’a réussi à tuer que trois humbles fonctionnaires : c’est peut-être moins important.
Les initiateurs du Moulin à paroles ont invité le gouvernement à participer et à contribuer financièrement à une commémoration qui souligne la résistance, la survivance et la résilience des Québécois. Le gouvernement a refusé. Quels que soient ses prétextes, son attitude n’étonne pas. En 2008, il a laissé le gouvernement fédéral orienter le 400e des origines de l’Amérique française à sa manière. En 2009, il ne dépensera même pas un œillet sur la tombe de la Nouvelle-France et de ses héros. C’est logique. Et significatif.

Le 9 septembre: 250e anniversaire de l’incendie de la Côte-du-Sud

Le 9 septembre 1759, des troupes dirigées par George Scott et Joseph Goreham débarquent simultanément à Kamouraska et à la rivière du Sud (Montmagny) dans le but de ravager les fermes de la Côte-du-Sud qui, depuis juin, avaient été laissées à la charge des femmes, des enfants et des vieillards, les hommes en état de porter les armes ayant été rassemblés à Québec pour défendre la capitale.
L’armée britannique assiégeait alors Québec depuis plus de deux mois. De Pointe-Lévy, Monckton bombardait inlassablement la ville. Campé sur la rive est de la rivière Montmorency, Wolfe avait cherché tout l’été le moyen de faire bouger Montcalm, résolument retranché à Beauport. Le 31 juillet, il avait vainement tenté de traverser la rivière. Indécis, malade, contesté par ses adjoints, il voyait le temps passer et appréhendait le moment où il faudrait lever le siège.
En juin, sachant que les postes qu’il installerait autour de Québec seraient vulnérables, Wolfe avait fait afficher un placard invitant les civils à demeurer à l’écart du conflit, mais cet avertissement n’avait pas eu l’effet souhaité. Comme il l’écrivait lui-même, « des vieillards de soixante-dix ans et des garçons de quinze ans postés à la lisière de la forêt font feu sur nos détachements, et tuent ou blessent nos hommes ». À la mi-juillet, il avait sommé les habitants de rentrer tranquillement chez eux avant le 10 août, sinon, « s’ils persistent à prendre les armes », il fera ravager leurs propriétés. C’est d’ailleurs ce qu’il avait prévu, dès le mois de mars, en cas d’échec de son expédition : détruire les fermes, les récoltes et le bétail, « expédier en Europe le plus grand nombre possible de Canadiens en ne laissant derrière [lui] que famine et désolation », comme en Acadie.
Sans attendre cette date-butoir, dès le début d’août, Wolfe fait incendier Baie-Saint-Paul et La Malbaie par Goreham qui mène aussi un raid du côté de la Grande-Anse (Sainte-Anne et Saint-Roch). Quelques paroisses de Lotbinière et toute la côte de Beaupré, de la rivière Montmorency jusqu’au cap Tourmente, subissent le même sort. Au début de septembre, dans la région sous contrôle britannique, il ne reste que la Côte-du-Sud à brûler.
Scott est donc chargé de ravager des paroisses qui se trouvent à plus de 100 kilomètres du théâtre des opérations et ne menacent pas directement l’armée britannique : Kamouraska, Rivière-Ouelle, Sainte-Anne, Saint-Roch, Saint-Jean, L’Islet et une partie de Cap-Saint-Ignace où il se rembarque pour retourner à Québec le 17 septembre. Sur ce territoire, qui comptait environ 600 foyers, Scott déclare avoir brûlé « 998 bons bâtiments, deux sloops, deux goélettes, dix chaloupes, plusieurs bateaux et petites embarcations ». De son côté, du 9 au 15 septembre, Goreham s’occupe de la région de la rivière du Sud, probablement jusqu’à Berthier, sans négliger l’île aux Grues.
Pendant cette semaine tragique, les Sud-côtois ont résisté dans la mesure de leurs moyens, multipliant les embuscades sur le chemin des incendiaires. L’Histoire retiendra le nom de Charlotte Ouellet qui a pris les armes avec d’autres femmes à Sainte-Anne. Dans la région de L’Islet, les hommes de Scott ont fait six prisonnières qui sont probablement aussi des résistantes. À Montmagny, le 13 septembre prochain, on dévoilera un monument à la mémoire du seigneur Jean-Baptiste Couillard qui a été tué par les Anglais le 14 septembre avec trois autres combattants.
(pour plus de détails, voir L’Année des Anglais ; la Côte-du-Sud à l’heure de la Conquête, Septentrion, 2009, http://www.septentrion.qc.ca/)