Clotaire Rapaille vaut-il le coût? En fait, il ne coûtera pas vraiment cher à Québec. Cet expert international demande normalement 30 000$ pour une causerie de 45 minutes et au moins 125 000$ par consultation. A 100 000$, comme ça semble être le cas pour Québec, c’est comme entrer chez Fauchon et en sortir avec un petit macaron, pour le plaisir de dire qu’on fréquente les grands traiteurs. « Du seul fait que le nom de Québec s’inscrive dans la liste des clients de ce champion planétaire du marketing ne peut que contribuer à notre notoriété », écrit un chroniqueur ce matin. Une sorte de name dropping. D’autres s’achètent des titres de noblesse…
L’entreprise de ce psychiatre, Archetype Discoveries Worldwide, serait « unique ». D’après la présentation qu’on trouve sur son site (http://www.archetypediscoveriesworldwide.com/), ce n’est pas un consultant (!), il ne fait pas de market research, ne rédige pas de rapports et ne facture pas à l’heure ou à la journée. Il fait des « découvertes » et déchiffre des codes. Il offre à des clients la possibilité de se regrouper dans une « Syndicated Discovery » pour un tarif fixe (flat fee) de 135 000$. Par tête? Probablement, ce qui explique la recherche de partenaires à Québec.
Ce qui intrigue dans cette affaire, c’est la contrepartie. Que lui demande-t-on? Lorsqu’une institution publique prévoit dépenser 100 000, on s’attend à ce que le projet soit explicite, exposé publiquement dans une demande de biens et services et justifié par un besoin. De quoi la ville a-t-elle besoin? Pour le moment, on sait que le maire est allergique à l’expression « Vieille capitale ». Le problème est que cette image n’a jamais fait partie des programmes publicitaires. Comment Québec peut-elle se débarrasser de ce surnom qu’on lui a donné au XIXe siècle? Il suffit de le vouloir … pour que ceux qui l’utilisent de façon désobligeante continuent de l’utiliser. Quant aux autres, ils sont peu nombreux à se réveiller la nuit pour le haïr. Avant l’an dernier, personne ne s’en formalisait. La ville de Québec n’a pas été empêchée de se transformer, se développer, s’enrichir, vivre un quasi plein emploi, « retrouver sa fierté » (comme si elle l’avait déjà perdue), s’élire un maire rocker…
Clotaire Rapaille aurait pour mission de « saisir l’âme de Québec », de décoder la capitale, tout en changeant son image de marque. Voilà qui pourrait bien s’avérer contradictoire mais cet homme vit assez bien avec le paradoxe. Son prénom est mérovingien et son nom, un pur canadianisme d’une autre époque qui évoque L’Homme rapaillé de Gaston Miron et les Rapaillages du chanoine Groulx. Ceci ne l’empêche pas de se considérer à l’avant-garde et de se projeter dans le futur. Peut-être constatera-t-il que l’âme de Québec est plus proche de ses vieilles pierres, de ses remparts et de son hôtel-château que du Saint-Roch nouvo, et qu’il hésitera à retirer du portfolio de Québec cet édifice qui serait l’un des plus photographiés au monde. Bien mauvaise stratégie de « discarter » son meilleur atout.
Pour justifier l’embauche de cet expert, on a dit qu’il était « éloquent sur Québec » (comme il l’est probablement sur tous ses clients potentiels…). Il préparerait même un livre qui s’intitulerait Le P’tit Bonheur et traiterait de notre spécificité culturelle. Mais que dit-il en fait? Dans Le Devoir, Josée Blanchette (http://www.ledevoir.com/2008/06/13/193754.html) a résumé ainsi sa vision du Québec :
«Vous n’êtes ni américains, ni français, vous êtes québécois! Une culture faible qui se bat et se défend contre ses voisins, c’est un exemple pour le monde entier, s’exclame-t-il. Il existe trois grandes entités culturelles en Amérique du Nord; elles font appel aux trois cerveaux. Les Américains sont reptiliens, mobilisés par le pouvoir, la violence, la survie. Les reptiliens, ce sont les gangsters de Chicago. Puis, vous avez les Anglos-Canadiens, associés au cortical, civilisés, polis, qui s’excusent si on leur rentre dedans. C’est le cortex parental. Enfin, au milieu, le limbique, le Québec. C’est le siège des émotions, le cerveau féminin ».
Voilà qui est bien gentil mais la page d’accueil de son site précise en grosses lettres que « the reptilian always win » !
D’après Justin Boland (http://www.brainsturbator.com/articles/clotaire_rapaille_we_salute_you/), « Rapaille’s greatest success is not any of the work he’s done for major corporations—it’s himself. He is a living brand, and in many ways quite similar to a cult leader ». On ne s’étonnera pas de son pouvoir de séduction auprès des dirigeants d’entreprises : « Rapaille plait à ces hommes d’affaires parce qu’il répond avec une extrême simplicité à leurs plus infantiles besoins d’encouragement, d’autorité et … d’un vieil oncle français excentrique et pas méchant (He appeals to these executives on the most base level of their most childlike needs for comfort and authority and a sweet, eccentric French uncle)».
Un « king qui parle français »? Accueillons-le sans chauvinisme. Que peut-il nous arriver après le «cube Rubik» de la place de Paris, l’éclairage du pont de Québec et l’aménagement du hall du Centre de la francophonie?
Une réflexion au sujet de « Québec-sur-divan »
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Bonjour, Gaston,
Depuis les évènements et le détournement du sens des festivités du 400e, je viens faire régulièrement ma petite visite sur ton blog… Félicitations.
Pour l’embauche de Clotaire, je ne pensais pas que ça allait passer aussi facilement. Il y a de nombreuses firmes de publicité au Québec qui auraient pu facilement faire la job. Mais Clotaire est un fin renard, il connaît la musique…
J’ai bien hâte de voir les résultats de ses propositions.
Salut.
JF