La galerie des juges

Dans sa série « Où vont vos impôts? », le Journal de Québec s’est intéressé dimanche au déménagement de 10 photos de juges de Québec à Montréal, opération pour laquelle la SIQ a facturé 26 000$ à la Justice.
On comprend qu’il ne s’agissait pas seulement d’apporter des photos encadrées de petites dimensions à Montréal (ce qu’un commis aurait pu faire avec un VUS) et de les accrocher au mur (ce qui aurait requis dix crochets valant quelques dollars). Les photos ont été uniformisées (ce qui a demandé des travaux de numérisation, des retouches photographiques, des impressions numériques et des encadrements) puis installées sur des rails accrochées sur des panneaux de chêne dans un couloir du 17e étage du palais de justice de Montréal.
La dépense est-elle exagérée? Disons que c’est assez cher, même si l’opération tient plus de l’aménagement d’une galerie que d’un simple déplacement de 10 photos encadrées des juges (en chef, associés et adjoints) qui ont occupé ces fonctions depuis 1983.
La vraie question me semble ailleurs : pourquoi a-t-on déménagé à Montréal des photos qu’on accrochait, depuis 1983, au palais de justice de Québec? Les bureaux du juge en chef actuel de cette cour étant à Montréal, on a choisi, explique-t-on au Ministère, de les déménager plus près de son lieu de travail. D’où la question suivante : mais pourquoi donc le juge en chef de la Cour supérieure, tout comme d’ailleurs le juge en chef de la Cour d’appel, n’ont pas TOUJOURS leurs bureaux dans la ville qu’on désigne communément comme la capitale. Il y a probablement une chinoiserie dans la loi des tribunaux qui justifie que le nouveau juge en chef traîne avec lui le « siège social » de la cour. Au ministère de la Justice, d’après l’article du Journal de Québec, on ne pouvait pas dire « pour quelles raisons ces photos étaient à Québec », comme s’il s’agissait d’une situation incongrue.
Une autre dimension de cette affaire ne manquera pas de faire sourciller. Le journaliste n’a pas pu photographier de près les œuvres qu’on a ainsi réinstallées à grand frais dans un endroit pourtant accessible au public. Il a du se contenter d’une vue d’ensemble pour que les lecteurs ne puissent pas distinguer les visages et les noms.
Pourquoi donc? « Raisons de confidentialité ». D’après une adjointe exécutive du palais de justice, « la jurisprudence, lorsqu’il s’agit de prendre des photographies, entre autres de personnes, est que celles-ci ne peuvent être utilisées ou reproduites sans leur consentement».
Dans quelle cause cette jurisprudence a-t-elle été établie? S’agit-il d’une disposition particulière pour les juges?
On comprend qu’il serait inconvenant d’en faire des cartes postales mais faudrait-il demander une permission à chacun de ces personnages pour ramener leur binette en souvenir d’un passage au Palais? La procédure s’applique-t-elle aussi aux portraits des présidents à l’Assemblée nationale et des maires à l’hôtel de ville? Y a-t-il une exception pour les morts?
Une dernière question, avant de sombrer dans l’absurdité : si le prochain juge en chef est choisi parmi les juges en poste à Québec, ramènera-t-il les photos de ses prédécesseurs dans la capitale?