Était-ce un défilé de mode, une tournée de promotion, un test de « couronnabilité » effectué sur des sujets lointains? Difficile de conclure que la « mission » ou « l’opération » est réussie, comme l’ont écrit Gilbert Lavoie et André Pratte, et comme l’a proclamé Benoît Pelletier, quand on n’en connaît pas le but?
S’il faut en croire la presse britannique, William et Kate auraient fait preuve de courage en s’embarquant dans la frégate « sailing up the St Lawrence river to Quebec City, traditionally the centre of the separatist movement ». Passons sur l’ignorance du Guardian en politique (Québec, foyer séparatiste!!!) et en géographie (« sailing UP to Québec »!); il demeure que les futurs biographes royaux auront besoin de tout leur esprit critique lorsqu’ils utiliseront les vieux journaux anglais.
Que penseront-ils des nôtres, sinon qu’ils étaient complètement subjugués (i.e. « sous le joug ») dès que Kate souriait ou que William roulait ses manches, que le couple prenait la peine de visiter un hôpital ou une maison de jeunes, comme si ce n’était pas que le minimum du convenu pour les « royals » et leurs représentants dans les anciens « dominions ». Dans l’ouest, on a noté des regards amoureux : pas trop étonnants pour de jeunes mariés. Dans l’est, Williams a fait amerrir son hélico en compagnie d’un moniteur: grosse affaire pour quelqu’un dont c’est le métier, comme un taxi qui « parquerait son char dans le trafic » au centre-ville. Notre presse s’est ébahie particulièrement quand le prince a parlé français à Québec, comme s’il s’agissait d’un exploit olympique, alors qu’il a bien péniblement lu quelques lignes de banalités (comme souligner la bravoure du 22e, et la joie de vivre des Québécois…), 110 mots qu’il avait eu toute la nuit pour examiner. Personne n’a souligné qu’on était loin du français que parlait sa grand-mère à son âge, comme en témoigne le film de son voyage à Québec en 1951.
La bravoure du petit couple aurait consisté à tenir une conférence de presse (une seule) pour expliquer le but sa mission au Canada. Quelqu’un aurait pu demander au prince héritier comment on appelle un pays dont le chef est le souverain régnant d’un autre État, sinon une colonie. Mais on rêve : les princes ne s’abaissent pas à communiquer avec leurs sujets, sauf pour leur faire des « tatas », serrer des mains à l’occasion (lorsqu’il y a autant d’agents derrière eux que derrière la ligne des admirateurs triés sur le volet), parler « de la maternité et de la tarte aux pommes », comme ils disent, dans des atmosphères strictement contrôlées. Encore aurait-il fallu qu’un journaliste ait le front de poser la question. Or, nos journalistes les plus sérieux ont succombé, comme l’écrivait Mario Cardinal dans Le Devoir : « la télévision de Radio-Canada a complètement perdu la mesure ». À RDI, Marc Laurendeau a entrepris de nous démontrer qu’une monarchie constitutionnelle est plus démocratique qu’une république! Alain Dubuc (La Presse) et Donald Charrette (Journal de Québec) nous ont invités à nous résigner au statu quo, vu qu’il serait trop difficile de supprimer la monarchie… Et on ne parle pas ici de jeunes journalistes dépourvus de repères historiques et politiques.
Du côté des politiciens, le ravissement a été tout aussi général, mis à part Amir Khadir, les péquistes et les bloquistes (qui ont d’autres préoccupations). Plusieurs, dont le ministre responsable de la région de Québec, ont résumé leur vision en disant que c’était « bon pour Québec », ce qui n’est pas fondamentalement différent du point de vue de Khadir qui comparait le couple princier à de « bêtes de cirque » en tournée. Il a retiré cette dernière expression, mais n’en pensait pas moins : si c’est une question de promotion touristique, louons-les à tour de rôle. Et n’oublions pas les régions : Princeville, Windsor, Katevale, Saint-Régis…
Ce qui s’est avéré particulièrement paradoxal la semaine dernière fut de lire des chroniques (comme celle de Dubuc, de La Presse) qui ont à la fois réprouvé les manifestants antimonarchistes ET souligné que les Québécois sont à quelque 60% contre la monarchie. Au fond, les vrais courageux dans cette affaire sont les membres du RRQ qui ont choisi de dire ouvertement ce que pense la majorité des Québécois, envers et contre tous ceux qui les ont vilipendés dans les semaines qui ont précédé la visite. Ils ont été beaucoup plus honnêtes que les députés néodémocrates de la région de Québec qui ont fait des pieds et des mains, voire de la gueule, pour figurer devant les « kodaks » alors que le programme de leur parti prône l’abolition de la monarchie! Certains observateurs ont minimisé l’importance de la banderole déployant un « Vive le Québec libre » au moment où le prince lisait son boniment. Reconnaître que la RRQ avait réalisé un coup astucieux aurait témoigné d’un « fair play » qu’on dit britannique : faut croire qu’ils ne sont pas complètement colonisés.