L’affaire n’a pas l’envergure du dérapage de 2008, quand les médias de Québec avaient transformé la lettre de bienvenue de Luc Archambault à sir Paul en geste hostile (sans jamais avoir la décence d’en publier le texte intégral), mais elle mérite une mise au point.
La nouvelle est sortie dans le Journal de Québec du vendredi 26 août dernier (http://lejournaldemontreal.canoe.ca/journaldemontreal/actualites/national/politiqueprovinciale/archives/2011/08/20110826-081150.html): « Même si aucune d’entre elles n’a accédé à cette fonction, pouvait-on y lire, un monument en hommage aux femmes sera érigé au coût de 325 000 $ sur la promenade des premiers ministres ceinturant le parlement de Québec. […] Le monument, qui sera installé entre les statues de Maurice Duplessis et de Louis-Joseph Papineau, devrait être inauguré au cours de l’automne 2012 ». Il immortalisera Idola Saint-Jean, Marie Gérin-Lajoie et Thérèse Casgrain, trois figures marquantes de la lutte des femmes pour le droit de vote.
Peut-être parce que l’affaire n’avait pas suscité de réactions, le journaliste est allé solliciter l’opinion de l’ancien premier ministre Bernard Landry : « L’histoire doit être respectée, jugea ce dernier. Ils peuvent trouver un endroit proéminent sur la Colline pour les femmes, mais je pense qu’il faut réserver la promenade pour les premiers ministres », en évoquant une question de « disponibilité » : comme il y a eu 28 premiers ministres au Québec, il faut utiliser cet espace réservé avec parcimonie…
J’ignore ce qui a pu se dire ou s’écrire sur les ondes de nos radios-poubelles ou dans les médias sociaux – ces versions modernes du perron d’église et de la beurrerie d’autrefois – mais au moins deux lecteurs du Journal de Québec ont exprimé leur opposition. « Des tricheuses » titrait un lecteur (ou l’éditeur?) le 7 septembre en dénonçant la « relecture idéologique de l’Histoire ». Une semaine plus tard, un ancien député et ministre déplorait à son tour ce manque de respect envers « l’histoire de l’Assemblée nationale », tout en écorchant « joyeusement » la première parlementaire élue à Québec. Car il faut préciser que les artistes sollicités doivent prévoir un projet qui pourra éventuellement intégrer une quatrième figure, celle de la première élue, Claire Kirkland, qui a pour l’instant le « défaut » d’être encore vivante…
« Ex falso sequitur quodlibet » (Du faux s’ensuit n’importe quoi) dit une maxime médiévale que cette petite polémique illustre parfaitement.
Les suffragettes ne seront pas des intruses pour la bonne et simple raison que leur monument sera installé entre Duplessis et Papineau, sur Grande Allée, et non sur la promenade des premiers ministres qui longe « le boulevard René-Lévesque Est, entre l’avenue Honoré-Mercier et la rue De La Chevrotière » (http://www.capitale.gouv.qc.ca/realisations/colline-parlementaire/promenade-des-premiers-ministres.html). Monsieur Landry peut dormir tranquille : de toute manière, la promenade des premiers ministres n’a pas été conçue pour l’installation de statues. On y trouve 14 panneaux d’interprétation rappelant la contribution des premiers ministres à l’histoire du Québec. Des socles ont cependant été aménagés pour recevoir éventuellement des sculptures thématiques évoquant cette histoire.
Un rappel des luttes pour le suffrage féminin n’aura rien d’incongru aux abords de l’Hôtel du Parlement où il n’y a pas que des premiers ministres. Papineau n’était pas premier ministre mais président de l’Assemblée, et ce serait bien le comble si on excluait des pelouses du parlement les titulaires de la plus importante fonction parlementaire! Il y a, devant la porte de l’édifice le monument de la famille amérindienne et, plus bas, un inukshuk érigé récemment en hommage aux Inuits. À l’arrière, une petite (et un peu dérisoire) pyramide évoque la Conférence parlementaire des Amériques. Devant la bibliothèque, il y avait autrefois un totem (probablement encore entreposé, en attendant la restauration ou la mise au foyer…) et on a démantelé un monument dédié aux arpenteurs-géomètres (qui attend sa relocalisation?) pour faire place à Robert Bourassa. Quoi encore? Il n’y a aucun premier ministre dans les niches de la façade, mais deux religieuses, les seules femmes avec la mère de famille amérindienne et les figures allégoriques qui dominent les avant-corps.
Finalement, ne serait-il pas parfaitement aberrant de donner l’exclusivité des abords du « Palais législatif » aux chefs de l’exécutif ? N’occupent-ils déjà pas trop de place à l’intérieur?
Une réflexion au sujet de « Le monument des suffragettes : un faux débat »
Les commentaires sont fermés.
Comme toujours, beaucoup d’informations et de précisions. Toutes sont fort bienvenues. Mais on ne voit pas venir la finale. Il y a là matière à réflexion et tout un programme pour les vrai(e)s démocrates.