L’Assemblée nationale a raté une belle occasion de « s’auto-revaloriser » au début du mois en s’abstenant de blâmer formellement le président de La Financière agricole dans une affaire pourtant évidente d’outrage au Parlement.
La Commission de l’agriculture examine actuellement les orientations, les activités et la gestion de La Financière agricole. Le 8 août, elle adresse des avis de convocation aux membres du conseil d’administration de cet organisme paragouvernemental qui sert d’assureur aux agriculteurs. Le 17 août, le président du conseil d’administration, André Forcier, informe la commission que les huit administrateurs convoqués pour le 22 août ne comparaîtront pas. Malgré deux rappels, seul un administrateur se présente. La commission décide donc d’assigner sept administrateurs pour le 12 septembre et les sept autres, dont M. Forcier, pour le 19. Le 7 septembre, M. Forcier informe la commission qu’il sera à l’extérieur du pays entre le 16 et le 30 septembre et propose d’être entendu le 12. Le comité directeur de la commission (le président Pierre Paradis et le vice-président Claude Pinard) décide de maintenir l’assignation. Le 16 septembre, La Financière transmet à la commission une lettre l’avisant que M. Forcier ne comparaîtra pas et qu’il se mettrait à la disposition de celle-ci dès son retour, le 30 septembre. Le 19 septembre, tous les administrateurs convoqués sont présents, à l’exception de M. Forcier, qui se présentera finalement le 4 octobre.
Le 27 septembre, le député de Saint-Maurice et vice-président de la commission remet au président de l’Assemblée nationale un avis signalant une violation de privilège. Le 4 octobre, le président de l’Assemblée rend sa décision sur la recevabilité de la question de privilège :
« Il ne fait aucun doute que la commission agissait conformément à son pouvoir constitutionnel d’assigner un témoin à comparaître devant elle. […] Le fait pour M. Forcier de ne pas s’être présenté devant la commission malgré l’obligation qui lui incombait constitue sans contredit à première vue une contravention au paragraphe 1° de l’article 55 de la Loi sur l’Assemblée nationale […]. »
« À première vue », et il n’y en a pas eu de « seconde », personne n’ayant exprimé l’intention de présenter une motion pour que l’Assemblée étudie le fond de la question, décide s’il y a VRAIMENT eu atteinte à ses droits et prenne la décision appropriée. L’affaire est donc restée une patte en l’air, le président souhaitant que sa « décision » serve « d’avertissement à toute personne qui déciderait de ne pas se conformer à une assignation à comparaître devant une commission parlementaire ».
On peut se demander pourquoi ce n’est pas la Commission de l’agriculture qui a signalé la violation au président, laissant le député de Saint-Maurice seul au bâton. Visiblement, les membres libéraux de la commission ne se sentaient pas assez « outragés ». En lisant les débats du 22 août, on constate que, n’eut été l’insistance des membres péquistes, ils n’auraient peut-être même pas insisté pour entendre les administrateurs de La Financière. Incapables d’enlever leur chapeau partisan pour porter celui de parlementaires soucieux de contrôler l’administration publique, ils voient probablement comme un danger pour le gouvernement et leur parti les reproches que la commission pourrait faire aux administrateurs d’un organisme pourtant réputé autonome et seul responsables de ses gestes. On peut se demander aussi à quoi faisait référence le leader de l’opposition quand il a dit au président de l’Assemblée que le PQ ne souhaitait « évidemment pas pousser plus loin en ce qui concerne l’outrage au Parlement, pour les raisons que vous connaissez bien ». Aurait-on négocié quelque chose ?
De son côté, « sans remettre en question la décision du président », tout en la contestant indirectement, le leader du gouvernement a pris la défense du président de La Financière et a réussi à blâmer l’opposition et l’ensemble des parlementaires qui « doivent exercer leur pouvoir avec un certain respect pour les gens avec qui nous travaillons ». Selon lui, on ne doit pas interpréter la décision « comme voulant dire que M. Forcier voulait empêcher l’Assemblée de faire son travail »…. Si c’est le cas, il faudrait expliquer pourquoi, bien avant les conflits d’horaires présidentiels de septembre, La Financière a refusé de fournir les documents demandés, de laisser ses administrateurs venir témoigner en août et même de fournir les adresses de ces derniers à la commission.
Si les dirigeants de cet organisme ne voulaient pas « empêcher l’Assemblée de faire son travail », ils cachaient bien leur jeu ! De la part d’un organisme gouvernemental, c’est sans précédent et, en fait, carrément inconcevable. Malheureusement, campés dans leurs positions partisanes, les parlementaires ont accepté de faire avec, comme ils ont accepté de laisser passer d’autres outrages précédemment (interruption d’une séance de commission en 1971, affaire Cogéma en 1975-76, piquetage syndical en 1978, incident de Baie-Comeau en 1982), par « respect », probablement, pour des gens qui ne leur en témoignaient aucun. En fait, il y a longtemps qu’ils n’ont pas sanctionné une atteinte à leurs privilèges, la dernière « réprimande » dans un cas semblable à celui qui nous occupe remontant à l’affaire Dansereau en 1875. On va finir par oublier qu’ils en ont.